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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2282/2021

ATAS/130/2023 du 01.03.2023 ( ARBIT )

En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2282/2021 ATAS/130/2023

ORDONNANCE D’EXPERTISE

DU TRIBUNAL ARBITRAL

DES ASSURANCES

du 1er mars 2023

7ème chambre

 

En la cause

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

AQUILANA VERSICHERUNGEN AG

MOOVE SYMPANY AG

SUPRA-1846 SA

CONCORDIA SCHWEIZ, KRANKEN- UND UNFALLVERSICHERUNG AG

ATUPRI GESUNDHEITSVERSICHERUNG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

KPT KRANKENKASSE AG

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

PROGRÈS VERSICHERUNGEN AG

SWICA KRANKENVERSICHERUNG AG

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

SANITAS GRUNDVERSICHERUNGEN AG

INTRAS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

ASSURA-BASIS SAÉ

VISANA AG

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

SANA24 AG

ARCOSANA AG

VIVACARE AG

SANAGATE AG

Toutes représentées par SANTESUISSE, sise rue des Terreaux 23, LAUSANNE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Julien CHAPPUIS

 

demanderesses

contre

 

Monsieur A______, à GENEVE, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Marc BALAVOINE

 

défendeur

 

 


 

 


EN FAIT

1.      Monsieur A______ (ci-après: le médecin ou le défendeur), médecin praticien, est au bénéfice d'une formation postgrade de médecine interne générale, ainsi que titulaire des certificats de capacité de médecin-conseil (SSMC) et de pratique du laboratoire au cabinet médical (CMPR). Il exploite depuis le 1er décembre 2004 un cabinet médical dans le canton de Genève.

2.      Depuis 2012, SANTESUISSE, organe faîtière de plusieurs assurances-maladie, a interpellé régulièrement le médecin en raison de ses indices statistiques élevés qui dépassent la moyenne des coûts par patient de son groupe de comparaison, en l'invitant à expliquer les particularités de sa pratique.

3.      Selon la méthode d'analyse de régression sur la base des statistiques, le médecin présente pour l'année 2019 un indice des coûts totaux (coûts directs et indirects) de 191 points (moyenne = 100) et un indice des coûts directs de 171.

4.      N'étant pas convaincus par les explications du médecin concernant les particularités de sa pratique, les assureurs-maladie figurant dans le rubrum, représentés par SANTESUISSE, ont saisi le tribunal de céans d'une demande en restitution de CHF 117'518.-, subsidiairement de CHF 81'293.-, à titre de fourniture de prestations non économiques pour l'année statistique 2019. Ce faisant, ils se sont fondés sur la méthode d'analyse de régression et subsidiairement sur la méthode ANOVA.

5.      Lors de l'audience du 24 septembre 2021, le tribunal de céans a constaté l'échec de la tentative obligatoire de conciliation.

6.      Par écritures du 31 août 2022, le défendeur a conclu au rejet de la demande, sous suite de frais et dépens. Il s'est opposé à l'utilisation des statistiques, considérant que sa pratique ne pouvait être comparée à celle des autres médecins de son groupe de comparaison et mettant en doute la valeur probante de celles-ci. Il a requis préalablement la mise en œuvre d'une expertise analytique, ainsi que la production des statistiques-factureurs RSS et d'autres documents. Il disposait de compétences professionnelles reconnues en médecine de la douleur, ce qui était attesté par l'obtention du titre "Spécialiste douleur SPS" et par ses multiples formations continues dans le traitement de la douleur (formations relatives au Syndrome d'Ehlers-Danlos [ci-après: SED], formations continues dans le domaine de la médecine de l'épaule et en thérapie neurale). C'était ainsi, à tort, qu'il avait été comparé au groupe des médecins praticiens sans tenir compte de sa spécialisation en médecine de la douleur. 20 à 30% de sa patientèle souffrait du SED ou de troubles musculo-squelettiques (ci-après: TMS) et requérait un soutien médical important, d'autant plus que ce syndrome était souvent associé à d'autres maladies. Sur la base de trois échantillons composés de patients souffrant d'un SED, de TMS et relevant uniquement du domaine de médecine générale, il a constaté qu'en 2019 le coût moyen annuel par patient du groupe SED était de CHF 3'293.60, du groupe TMS de CHF 1'791.80 et du groupe de médecine générale de CHF 919.57, étant précisé que le coût moyen du groupe de référence de SANTESUISSE était de CHF 956.-. Il fallait également déterminer le nombre de patients dont la prise en charge physiothérapeutique avait duré plus de trente-six séances, laquelle avait dû être avalisée par le médecin-conseil selon la loi. Les demanderesses avaient par ailleurs violé le principe de la bonne foi, en renonçant à se prévaloir d'un dépassement des indices statistiques pendant presque huit ans et en modifiant leur pratique sur la base des données de 2019, sans aucune justification de leur nouvelle appréciation. Au vu du comportement des demanderesses, il avait cru, de bonne foi, que sa pratique était conforme au principe de l'économicité. En effet, il n'avait pas changé sa pratique par rapport aux années précédentes.

7.      Sur proposition des parties, le tribunal de céans a nommé le 6 septembre 2022 Monsieur Marc-André RAETZO comme arbitre pour les demanderesses et Monsieur Jacques-Alain WITZIG pour le défendeur.

8.      Dans leur réplique du 11 novembre 2022, les demanderesses ont persisté dans leurs conclusions et se sont opposées à la mise en œuvre d'une expertise analytique, ainsi qu'aux réquisitions de preuve. L'attention du défendeur ayant été attirée dès 2012 sur ses indices trop élevés par rapport au groupe de comparaison, le principe de bonne foi n'avait pas été violé. Les demanderesses ont notamment relevé que les prestations, en l'absence du patient, représentaient proportionnellement le double de la facturation observée au sein de son groupe de comparaison et que la durée de ses consultations était excessive. Par ailleurs, les coûts totaux du défendeur, ainsi que son indice de régression avaient augmenté significativement ces dernières années, ce qui contredisait son affirmation selon laquelle sa pratique n'aurait pas changé. Les certifications et compétences supplémentaires du défendeur ne justifiaient pas qu'il facture davantage que ses confrères. Il avait en outre ajouté systématiquement la position Tarmed 00.0520 "consultation psychothérapeutique ou psychosociale par le spécialiste de premier recours" à toutes les consultations de base, si bien que sa facturation de cette position était dix fois supérieure à celle de son groupe de comparaison. À cet égard, il avait reconnu facturer des actes qui ne correspondaient pas exactement au tarif en ce qui concerne cette dernière position, ce qui violait la loi. Au demeurant, la marge de tolérance de 30% permettait de tenir compte des particularités et différences entre les cabinets médicaux. Les groupes de comparaison devant être déterminés en fonction du titre FMH et non des sous-spécialités, il a aussi été comparé au bon groupe de contrôle, à savoir celui des médecins praticiens. Quoi qu'il en soit, les coûts engendrés par les patients souffrant d'un SED constituaient moins de 2% des coûts du défendeur et ne sauraient dès lors justifier l'importance des surcoûts de sa pratique. Cela étant, le défendeur n'avait pas réussi à renverser la présomption ressortant de la méthode d'analyse de régression, selon laquelle sa pratique n'était pas conforme au principe de l'économicité.

9.      Dans sa duplique du 23 décembre 2022, le défendeur a persisté dans ses conclusions. Sur la base de ses statistiques internes pour 2019 portant sur la totalité de sa patientèle, il a déterminé le coût moyen annuel direct par patient SED à CHF 1'469.10 et à CHF 1'608.13 pour les patients TMS, étant précisé que le coût direct par patient ressortant de la statistique de régression était de CHF 690.-. Il y avait par ailleurs une grande différence entre le chiffre d'affaires 2019 résultant de ses statistiques internes et celui figurant dans la méthode d'analyse de régression. Sur un total de trois-cent-nonante-neuf patients, selon ses statistiques internes, cinquante-cinq souffraient d'un SED et dix-sept d'un TMS. Ces chiffres rendaient vraisemblables que sa pratique comportait des spécificités que la méthode statistique n'arrivait pas à appréhender. S'agissant de la position tarifaire 00.0520, il était notoire que les patients souffrant de douleurs chroniques présentaient plus de problèmes psychiques et requéraient plus de soins dans ce domaine. Cette position comprenait également les affections psychosomatiques. Or, la patientèle affectée de douleurs chroniques nécessitait un travail psychosomatique important (accompagnement du patient dans la compréhension de la maladie, recherche de nouveaux modes de vie dans le respect des limitations fonctionnelles, adhésion au diagnostic etc.). La durée des consultations n'était par ailleurs pas excessive au vu de sa spécialité. Le défendeur a contesté que seulement 2% de sa patientèle était affectée d'un SED ou d'un TMS. Les demanderesses n'ont pas non plus indiqué si les prescriptions de physiothérapie de longue durée avaient été avalisées par leurs médecins-conseil.

10.  Le 20 janvier 2023, le tribunal de céans a informé les parties qu'il avait l'intention d'ordonner une expertise analytique de la pratique médicale du défendeur et de la confier au Dr B______, spécialiste FMH en médecine générale. Il leur a également communiqué la mission d'expertise.

11.  Par écritures du 17 février 2023, les demanderesses se sont étonnées de l'intention du tribunal de céans d'ordonner une expertise analytique, dans la mesure où la patientèle affectée d'un SED ou d'un TMS n'apparaissait pas si importante au regard de l'ensemble des patients. Elles ont requis que l'expert examine autant de dossiers de patients relevant de la médicine générale que de patients affectés par un SED ou TMS.

12.  Par écritures du 20 février 2023, le défendeur s'est déclaré, pour l'essentiel, d'accord avec le choix de l'expert et sa mission.


 

EN DROIT

1.        Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 43 LPGA), l'administration est tenue d'ordonner une instruction complémentaire lorsque les allégations des parties et les éléments ressortant du dossier requièrent une telle mesure. En particulier, elle doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 283 consid. 4a; ATFA non publié du 19 mars 2004, I 751/03 consid. 3.3, RAMA 1985 K 646 p. 240 consid. 4).

2.        En l'espèce, le défendeur traite en son cabinet un nombre important (18,5% selon la pièce 14 du défendeur) de patients affectés d'un SED ou d'un TMS. Il est en outre un spécialiste du traitement de la douleur et pratique la thérapie neurale. Ces particularités rendent difficile la comparaison de sa pratique médicale avec les médecins de son groupe de comparaison.

C'est la raison pour laquelle le tribunal de céans juge nécessaire de procéder à une expertise analytique.

3.        L'expertise sera confiée au Dr B______.

4.        Quant à la mission de l'expert, il sera tenu compte des remarques des parties dans la mesure jugée nécessaire.

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES:

Statuant préparatoirement

I.                   Ordonne une expertise judiciaire analytique de la pratique médicale du Dr A______.

II.                   La confie au Dr B______, spécialiste FMH en médecine générale, à ROMONT.

III.                   Dit que la mission de l'expert sera la suivante :

-       Prendre connaissance du dossier et des pièces de la procédure ;

-       Examiner les dossiers de tous les patients présentant un syndrome Ehlers-Danlos ou des troubles musculo-squelettiques en 2019;

-       Sélectionner de façon aléatoire, parmi la patientèle de 2019, 72 dossiers relevant de la médecine générale et les examiner;

-       Prendre tout renseignement utile auprès du Dr A______ et de SANTESUISSE, ainsi que de tout autre tiers ;

-       S'adjoindre au besoin de spécialistes requis au titre de consultants ;

-       Etablir un rapport écrit et répondre aux questions suivantes :

1.        La facturation des prestations par le Dr A______ est-elle conforme au Tarmed ?

2.        En cas d'irrégularités de facturation constatée, évaluer à combien s'élève approximativement le surcoût de facturation sur l'ensemble des prestations, au degré de la vraisemblance prépondérante.

3.        Les prestations effectuées sont-elles conformes au principe d'efficacité, d'adéquation et d'économicité ?

4.        Dans la négative, évaluer approximativement le surcoût engendré par des prestations non conformes au principe d'efficacité, d'adéquation et d'économicité, au degré de la vraisemblance prépondérante.

5.        Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

IV.                   Invite l’expert à déposer un rapport en trois exemplaires au Tribunal arbitral dans un délai de six mois à compter de l'entrée en force de la présente ordonnance.

V.                   Réserve le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

La greffière

 

 

 

Stefanie FELLER

 

La présidente suppléante

 

 

 

Maya CRAMER

 

 

Une copie conforme de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le