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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4110/2021

ATAS/1027/2022 du 24.11.2022 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4110/2021 ATAS/1027/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 24 novembre 2022

5ème Chambre

 

En la cause

 

Madame A______, domiciliée ______, Genève

 

 

recourante

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée ou la recourante), née en ______ 1994, a bénéficié d'une formation scolaire spéciale (traitement logopédique) en raison d'une dyslexie et d'une dysorthographie, ainsi que de mesures médicales (anodontie partielle), prises en charge par l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé), entre 2004 et 2014.

b. Le 30 novembre 2016, l'assurée, qui entretemps n'avait pas achevé de formation professionnelle, a déposé une demande de prestations auprès de l'OAI, en invoquant des troubles psychologiques.

B. a. Par décision du 10 octobre 2018, l'OAI, reprenant les termes de son projet de décision du 30 août 2018, a rejeté la demande de prestations. À cet effet, il s'est appuyé sur l'avis de son service médical régional (SMR) du 7 août 2018, qui, à la lecture des rapports des médecins traitants, considérait que l'assurée présentait une toxicomanie primaire qui ne pouvait pas être reconnue comme incapacitante au sens de l'assurance-invalidité.

b. Saisie d'un recours de l'assurée, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) l'a admis, par arrêt du 26 août 2019 (ATAS/748/2019), a annulé la décision du 10 octobre 2018 et renvoyé la cause à l'OAI pour instruction complémentaire et nouvelle décision, après avoir relevé que le cas devait être examiné à l'aune de la jurisprudence développée pour les troubles somotaformes douloureux sans qu'il y ait lieu de faire de distinction entre le caractère primaire ou secondaire du syndrome de dépendance.

C. a. Par décision du 13 juillet 2020, l'OAI, confirmant son projet du 21 avril 2020, a alloué à l'assurée une rente entière extraordinaire d'invalidité dès le 1er mai 2017, à l'échéance d'une période de six mois à compter du dépôt de la demande de prestations, après s'être enquis auprès des médecins traitants, puis avoir mis en œuvre une expertise psychiatrique, réalisée les 4 février et 3 mars 2020, qui concluait à une personnalité émotionnellement labile type borderline (F60.31) d'intensité sévère depuis le début de l'âge adulte, et à des troubles mentaux et troubles du comportement liés à l'utilisation d'alcool, syndrome de dépendance, utilisation continue (F10.25) depuis l'adolescence, entraînant une incapacité de travail totale objectivée depuis 2015.

b. Dans une attestation du 17 mars 2021, le service de l'application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) a indiqué que l'assurée avait effectué les peines suivantes : travail d'intérêt général du 18 au 26 juin 2015, peine privative de liberté à la prison de la Tuilière du 26 avril au 28 novembre 2018, suivi par le service de probation et de l'insertion (ci-après : SPI) du 22 novembre 2018 au 28 mai 2020 et peine privative de liberté à la prison de Champ-Dollon du 18 au 21 décembre 2020.

c. Par décision du 5 novembre 2021, l'OAI a suspendu le paiement de la rente d'invalidité pour la période allant du 26 avril 2018 au 28 mai 2020, au motif que l'assurée avait été incarcérée ou avait fait l'objet de mesures d'exécution des peines.

d. Par décision du 16 décembre 2021, l'OAI a, de ce fait, requis de l'assurée la restitution de CHF 28'659.- en expliquant que cette somme serait compensée, en partie, par le montant qu'il avait remboursé à l'Hospice général, à hauteur de CHF 21'310.- pour la période allant du 1er novembre 2018 au 30 avril 2020. Le solde de CHF 7'349.- (représentant les rentes de mai à octobre 2018 ainsi que les intérêts moratoires versés indûment selon la décision du 13 juillet 2020) serait, quant à lui, compensé avec les rentes dues de la manière suivante : CHF 123.- de janvier 2022 à novembre 2026 et CHF 92.- au mois de décembre 2026.

D. a. Par acte du 1er décembre 2021, l'assurée a interjeté recours contre la décision du 5 novembre 2021 auprès de la chambre de céans enregistré sous le numéro de procédure A/4110/2021 en contestant la suspension du versement de la rente pendant sa libération conditionnelle, du 22 novembre 2018 au 28 mai 2020.

Elle a joint, en particulier, un courrier du SAPEM du 9 juillet 2020 qui mentionnait que le 22 novembre 2018, le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) avait ordonné sa libération conditionnelle pour le 28 novembre 2018 (le solde de la peine non exécutée était de trois mois et dix-huit jours), assortie d'une assistance de probation et d'une règle de conduite pendant la durée d'épreuve d'un an, échéant au 28 novembre 2019. Le 20 février 2020, le TAPEM avait prolongé le délai d'épreuve pour une durée de six mois, de même que l'assistance de probation et les règles de conduite. Le 28 mai 2020, le délai d'épreuve était arrivé à son terme. Le SAPEM constatait, en se référant à un rapport social du SPI du 11 juin 2020, que les conditions posées avaient été respectées et que la procédure était considérée comme terminée. Il encourageait l'assurée à poursuivre, de manière volontaire, son suivi auprès de la Consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique (ci-après : CAAP) de Grand-Pré.

b. Invité à répondre, le 17 janvier 2022, l'intimé a sollicité la production de pièces en lien avec l'assistance de probation (recte : la règle de conduite), laquelle, selon le courrier précité du SAPEM, avait consisté en un traitement psychothérapeutique et addictologique, ce afin de connaître les modalités des différents suivis mis en place lors de la libération conditionnelle, et notamment la durée et la fréquence des séances et traitements suivis.

E. a. Par acte du 11 janvier 2022, posté le 28 janvier 2022, l'assurée a déféré la décision du 16 décembre 2021 auprès de la chambre de céans pour le même motif que celui exposé dans son acte du 1er décembre 2021.

Ce recours a été enregistré sous le numéro de cause A/325/2022.

b. Dans sa réponse du 28 février 2022, l'intimé s'en est rapporté à son écriture du 17 janvier 2022.

c. Par ordonnance du 10 mars 2022, la chambre de céans a joint ces deux causes sous le numéro de procédure A/4110/2021.

d. Invitée à répliquer, le 31 mars 2022, la recourante a donné son accord pour l'obtention des pièces demandées par l'intimé.

e. Sur requête de la chambre de céans, le 13 juin 2022, le SPI a fourni le rapport social qu'il avait établi le 11 juin 2020, ainsi qu'un certificat du 13 février 2020 du département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

f. Copie de ces documents a été transmise aux parties le 14 juin 2022.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où les recours ont été interjetés postérieurement au 1er janvier 2021, ils sont soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA et 60 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjetés dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pendant la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c LPA) en ce qui concerne le recours posté le 28 janvier 2022 contre la décision du 16 décembre 2021, les deux recours sont recevables.

5.             Le litige porte sur le point de savoir si c'est à bon droit que l'intimé a suspendu le versement de la rente d'invalidité pendant la période durant laquelle la recourante a bénéficié d'une libération conditionnelle.

6.             En vertu de l'art. 86 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l’autorité compétente libère conditionnellement le détenu qui a subi les deux tiers de sa peine, mais au moins trois mois de détention, si son comportement durant l’exécution de la peine ne s’y oppose pas et s’il n’y a pas lieu de craindre qu’il ne commette de nouveaux crimes ou de nouveaux délits.

6.1 Selon l'art. 87 CP, il est imparti au détenu libéré conditionnellement un délai d’épreuve égal à la durée du solde de sa peine. Ce délai est toutefois d’un an au moins et de cinq ans au plus (al. 1). L’autorité d’exécution ordonne, en règle générale, une assistance de probation pour la durée du délai d’épreuve. Elle peut imposer des règles de conduite (al. 2).

Durant la période de libération conditionnelle, le condamné est autorisé à passer l’entier de son temps à l’extérieur de l’établissement pénitentiaire (André Kuhn/Joëlle Vuille, in Commentaire romand Code pénal I, 2021, n. 1 ad art. 86 CP).

6.2 Les règles de conduite que le juge ou l’autorité d’exécution peuvent imposer au condamné pour la durée du délai d’épreuve portent en particulier sur son activité professionnelle, son lieu de séjour, la conduite de véhicules à moteur, la réparation du dommage ainsi que les soins médicaux et psychologiques (art. 94 CP).

7.             Aux termes de l'art. 21 al. 5 LPGA, si l'assuré subit une mesure ou une peine privative de liberté, le paiement des prestations pour perte de gain peut être partiellement ou totalement suspendu à l'exception des prestations destinées à l'entretien des proches visées à l'al. 3.

7.1 L'art. 21 al. 5 LPGA est l'expression d'un principe juridique général. L'entrée en vigueur de cette disposition n'a pas modifié la jurisprudence développée antérieurement, selon laquelle la suspension des prestations est justifiée principalement par le fait qu'un détenu invalide ne doit pas tirer d'avantage économique de l'exécution de la peine, dès lors qu'un détenu non invalide perd généralement son revenu dans une telle situation (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I.540/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1). En effet, le détenu, qui est entretenu par la collectivité publique, perd en règle générale son salaire ou ses revenus professionnels durant l'exécution de sa peine, qu'il soit ou non invalide (ATF 129 V 119 consid. 3.1).

La ratio legis de cette disposition est ainsi de traiter de manière égale les détenus invalides et les détenus valides qui perdent leur revenu pendant une peine privative de liberté. Il est déterminant que la personne soit empêchée de poursuivre une activité lucrative en raison de l'exécution d'une peine. Ce n'est que lorsque le type d'exécution de la peine offre la possibilité à l'assuré d'exercer une activité lucrative et de pourvoir à ses besoins que la rente ne doit pas être suspendue. Ainsi, il est décisif pour une suspension de la rente de savoir si une personne non invalide subirait dans la même situation une perte de gain en raison de la privation de liberté. La rente doit également être suspendue pendant une mesure thérapeutique institutionnelle ordonnée en vertu de l'art. 59 CP, dès lors que la personne concernée se trouve alors dans la même situation qu'un assuré qui purgerait une peine privative de liberté ou se trouverait en détention préventive (ATF 138V 281 consid.3.2 et 3.3). Pour qu'une rente puisse être suspendue sur la base de l'art. 21 al. 5 LPGA, il convient uniquement d'examiner si l'exécution du traitement institutionnel au sens de l'art. 59 CP autorise ou non l'exercice d'une activité lucrative. Il n'y a désormais plus lieu de se demander si le besoin de traitement est au premier plan par rapport à la dangerosité sociale (ATF 137 V 154 consid. 6).

7.2 L'art. 21 al. 5 LPGA est formulé comme une disposition potestative permettant de tenir compte de circonstances particulières, par exemple du fait que l'assuré pourrait exercer une activité lucrative malgré l'exécution d'une peine ou d'une mesure s'il était valide (Ueli KIESER, ATSG-Kommentar, 4ème éd. 2020, n. 169 ad art. 21 LPGA ; ATF 138 V 140 consid. 5.3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_176/2007 du 25 octobre 2007 consid. 4.2), ou encore de la possibilité d'exercer une activité lucrative qui prévaut dans les régimes de la semi-détention ou de la semi-liberté (ATF 141 V 466 consid. 4.3).

7.3 La suspension des prestations ne relève pas d’un cas de révision. Dès lors, pour fixer le point de départ et la fin de la mesure de suspension, et en l'absence d'autres dispositions, il s'impose d'appliquer par analogie la réglementation de l’art. 29 al. 3 LAI : la rente est encore versée durant le mois au cours duquel l'assuré est entré en détention ; une fois la peine (ou la mesure) exécutée, elle est accordée pour tout le mois au cours duquel la détention a pris fin (ATF 113 V 273 consid. 2).

8.             En l'espèce, il ressort du dossier que la recourante a bénéficié du 28 novembre 2018 au 28 mai 2020 d'une libération conditionnelle assortie d'une règle de conduite, soit l'obligation de suivre un traitement psychothérapeutique et addictologique en lien avec son anxiété et sa problématique liée à l'alcool, mesure d'accompagnement qui a été mise en œuvre auprès de la CAAP Grand-Pré (certificat des HUG du 13 février 2020). Dans son rapport du 11 juin 2020, le SPI a certes relevé que la recourante n'avait pas respecté sa règle de conduite, et qu'elle avait fait l'objet d'une série d'hospitalisations liées à des consommations d'alcool et de stupéfiants raison pour laquelle le 20 février 2020, le TAPEM a ordonné la prolongation du délai d'épreuve jusqu'au 28 mai 2020, ainsi que la poursuite de l'assistance de probation et de la règle de conduite (délai au terme duquel le SPI a constaté une évolution favorable). Ceci étant, dans la mesure où la recourante a été libérée conditionnellement (régime plus favorable que celui de semi-détention [art. 77b CP]), sans qu'elle ne fût astreinte à une règle de conduite excluant en soi l'exercice d'une activité professionnelle, force est de conclure que, si elle avait été en bonne santé, elle aurait donc pu travailler durant son délai d'épreuve. Il n'est pas nécessaire de connaître davantage les modalités d'exécution du traitement psychothérapeutique et addictologique mis en place (sous la forme de consultations ambulatoires), puisque la recourante n'a pas dû suivre un traitement institutionnel au sens de l'art. 59 CP.

Aussi, la suspension de la rente d'invalidité n'était-elle pas justifiée pendant la période durant laquelle la recourante a bénéficié d'une libération conditionnelle. Il s'ensuit que le montant que doit restituer celle-ci à l'intimé est inférieur à celui arrêté dans la décision du 16 décembre 2021.

9.             En conséquence, les recours sont admis, les décisions litigieuses annulées, et la cause renvoyée à l'intimé pour qu'il statue à nouveau conformément au considérant 8.

10.         La recourante, qui n'est pas représentée en justice et qui n'a pas allégué ou démontré avoir déployé des efforts dépassant la mesure de ce que tout un chacun consacre à la gestion courante de ses affaires, n'a pas droit à des dépens.

11.         Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument, fixé en l'espèce à CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_626/2010 du 31 août 2010 consid. 3.2 ; ATAS/1137/2020 du 25 novembre 2020 consid. 7).

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare les recours recevables.

Au fond :

2.        Les admet.

3.        Annule les décisions du 5 novembre et 16 décembre 2021.

4.        Renvoie la cause à l'intimé pour nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le