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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/35/2021

ATAS/401/2022 du 04.05.2022 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/35/2021 ATAS/401/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 4 mai 2022

4ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à VERSOIX

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


 

EN FAIT

A. a. Mme A______ (ci-après l’assurée ou la recourante) est née le ______ 1971, ressortissante italienne, titulaire du permis C, divorcée en 2007 et mère de quatre enfants, nés en 1993, 1995, 1999 et 2004, dont l’aîné est décédé le 1er novembre 2013.

b. Elle a demandé des prestations de l’assurance-invalidité le 5 octobre 2017.

c. Selon un rapport établi le 15 janvier 2018, par la doctoresse B______, psychiatre et psychothérapeute FMH, l’assurée souffrait d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptômes psychotiques (F33.2) et d’un trouble de la personnalité borderline (F60.31) depuis 2014 suite au décès de son fils aîné. Ses limitations fonctionnelles étaient une instabilité psychique, une hypersomnie (fatigue), une agressivité et une impulsivité. Ses troubles étaient devenus chroniques. La Dresse B______ suivait l’assurée depuis le 29 mai 2017, à raison d’une fois par mois, et celle-ci suivait encore une psychothérapie avec Madame C______, psychologue. L’assurée n’avait pas accepté de médication jusque-là, par peur de devenir dépendante, mais elle venait de débuter un traitement de Fluctine (20 mg/j). Son instabilité psychique ne lui permettait pas de travailler actuellement.

d. Le 20 juin 2018, la Dresse B______ a indiqué au SMR qu’il y avait une amélioration de l’état dépressif sévère de l’assurée, qui avait interrompu sa médication, à laquelle elle n’adhérait que faiblement. L’assurée rencontrait encore beaucoup de difficultés à faire face au quotidien, notamment à l’éducation de ses enfants, ce qui lui générait passablement d’angoisses. Elle souffrait de troubles de la concentration et d’épisodes où elle se mettait à crier et ne parvenait pas à gérer ses émotions, en particulier la colère. La Dresse B______ retenait les mêmes diagnostics qu’auparavant, mais un trouble dépressif désormais seulement récurrent (F33) et elle ajoutait aux limites de l’assurée déjà relevées une difficulté de concentration. L’assurée se présentait régulièrement à ses rendez-vous médicaux. Le trouble de l’assurée était chronique. Elle n’était pas apte au travail et une amélioration était peu probable. Elle n’était pas susceptible de participer à un programme de réentraînement au travail, même sans exigence de rendement.

e. L’OAI a confié une expertise psychiatrique de l’assurée à la doctoresse D______, médecin psychiatre et psychothérapeute, qui a retenu, dans un rapport du 30 avril 2019, le diagnostic de trouble de l’adaptation avec une réaction mixte anxieuse et dépressive (F43.22) et une capacité de travail nulle dans toute activité depuis 2013.

f. Le 27 mai 2019, le SMR a estimé qu’il fallait demander à l’experte un complément d’expertise portant sur les indicateurs développés par la jurisprudence de juin 2015 afin qu’elle précise les éléments objectivables d’une sévérité responsable d’une capacité de travail nulle de l’assurée.

g. Le 29 juillet 2019, l’experte a repris en substance la motivation de son premier rapport, précisant que son appréciation médicale tenait compte des facteurs psychosociaux rencontrés chez l’expertisée, comme un mariage difficile qui s’était soldé par un divorce, des relations difficiles avec sa sœur, mais également d’une symptomatologie clinique, encore présente, dans son fonctionnement avec des difficultés de projection. Le sentiment de culpabilité rattrapait vite l’expertisée dans toutes ses tentatives d’émancipation. Tout la ramenait à son rôle de mère qu’elle n’avait pas réussi, puisque son fils était décédé.

h. Par avis médical du 24 septembre 2019, le SMR a estimé que le dernier rapport médical de l’experte apportait peu d’éléments sur les différents indicateurs et le degré de gravité fonctionnelle, de sorte qu’il était nécessaire de procéder à une nouvelle expertise psychiatrique afin de clarifier l’existence d’une atteinte à la santé sévère et durable et déterminer les limitations fonctionnelles et l’exigibilité éventuelle d’un traitement.

i. Une nouvelle expertise psychiatrique a été confiée au docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Dans son rapport du 14 mai 2020, celui-ci a retenu les diagnostics, selon le DSM-5, de trouble dépressif actuellement de gravité tout au plus légère (F32.09) et de personnalité avec des traits dépendants non décompensés (F60.7). Rien n’empêchait selon lui l’expertisée de réaliser une activité simple, sans formation et répétitive. Il n’y avait pas de symptomatologie dépressive ni de limitations fonctionnelles significatives et importantes.

j. Le 22 mai 2020, le SMR a estimé probante l’expertise du Dr E______ et retenu que l’assurée avait été totalement incapable de travailler du 29 mai 2017 au 19 juin 2018 et qu’elle était totalement capable de travailler dans une activité adaptée.

k. Dans un avis du 23 juin 2020, le SMR a estimé que l’assurée n’avait pas d’empêchement dans la sphère ménagère, dès lors que le Dr E______ avait indiqué dans son expertise qu’elle assumait toutes ses tâches domestiques et qu’il n’y avait aucun élément médical justifiant une baisse de sa capacité à gérer son ménage. Elle assumait pleinement ses chiens qu’elle sortait promener et n’était pas secondée par une aide-ménagère ni par ses enfants dans les tâches domestiques.

l. L’OAI a indiqué dans une note sur le statut du 25 septembre 2020 qu’il retenait un statut mixte avec une part professionnelle à 50%, car selon le compte individuel de l’assurée, les dernières activités qu’elle avait exercées était chez F______ en 2008 pendant deux mois et au G______ en 1998. Aucun revenu d’activité ne correspondait à un 100%. L’assurée bénéficiait de l’aide de l’Hospice général depuis le 1er juillet 2006. Elle avait indiqué à l’expert qu’elle avait arrêté de travailler pour s’occuper de son premier enfant. Selon le SMR, elle avait présenté une incapacité de travailler totale du 29 mai 2017 au 19 juin 2018. Lors de son audition, l’assurée avait indiqué qu’elle aurait continué à travailler après la naissance de ses enfants, ce qu’elle n’avait pas pu faire pour des raisons de santé. Elle avait suivi des activités de réinsertion à 50% du 2 janvier 2013 au 31 août 2014.

m. Par décision du 10 décembre 2020, l’OAI a informé l’assurée qu’elle n’avait pas droit à des mesures professionnelles et qu’elle avait droit à une demi-rente d’invalidité, sur la base d’un degré d’invalidité de 50%, du 1er mai au 30 septembre 2018. Son statut était celui d’une personne se consacrant à 50% à son activité professionnelle et à 50% à l’accomplissement de ses travaux ménagers. Elle avait été totalement incapable de travailler dans toute activité du 29 mai 2017 (début du délai d’attente d’un an) au 19 juin 2018. Au 29 mai 2018, son degré d’invalidité était de 50% en tenant compte de la pondération entre la part active et la part des travaux habituels de ses activités, dès le premier jour du mois, soit le 1er mai 2018. Depuis le 20 juin 2018, elle ne présentait plus d’incapacité, ni d’empêchement. Après une période d’amélioration de trois mois, soit depuis le 1er octobre 2018, son droit à la rente était supprimé, parce qu’elle ne présentait plus de degré d’invalidité.

B. a. L’assurée a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant à l’annulation de la décision de l’intimé et à ce qu’il soit reconnu que son incapacité de travail avait perduré au-delà du 19 juin 2018.

b. L’intimé a conclu au rejet du recours.

c. Lors d’une audience du 22 septembre 2021, la chambre de céans a entendu la recourante, les Dresses D______ et B______ ainsi que Mme C______.

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

3.             Selon l’art. 1 LAI, les dispositions de LPGA s’appliquent à l’AI (art. 1a à 26bis et 28 à 70), à moins que la LAI ne déroge expressément à la LPGA.

4.             Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d’invalidité au-delà du 1er octobre 2018.

5.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées ci-après dans leur ancienne teneur.

6.              

6.1 Dans un premier grief formel, la recourante a fait valoir que si elle avait bien reçu un projet décision, elle n’avait pas reçu de décision susceptible de réclamation. Seule la voie du recours était mentionnée dans la décision du 10 décembre 2020, ce qui l’avait privé du stade de la réclamation.

6.2 Selon l’art. 57a al. 1 LAI, au moyen d’un préavis, l’office AI communique à l’assuré toute décision finale qu’il entend prendre au sujet d’une demande de prestations ou au sujet de la suppression ou de la réduction d’une prestation déjà allouée. L’assuré a le droit d’être entendu, conformément à l’art. 42 LPGA. Cette disposition spécifique pour l’assurance-invalidité l’emporte, selon l’art. 1 LAI, sur les dispositions générales de la LPGA, qui prévoient que l’administration prend d’abord une décision susceptible d’opposition, puis une décision sur opposition (art. 49 al. 1 et 52 al. 1 et 2 LPGA).

6.3 En l’occurrence, la recourante a reçu, conformément à l’art. 57a al. 1 LAI, un projet de décision, qui mentionnait expressément qu’elle pouvait former des objections à celui-ci dans les 30 jours et qu’après l’écoulement de ce délai, une décision sujette à recours lui serait notifiée. Les décisions de l'OAI prises à la suite du projet de décision ne sont plus soumises à une procédure d'opposition, mais peuvent faire directement l'objet d'un recours à la CJCAS. Le premier grief de la recourante doit ainsi être écarté.

7.              

7.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI)

7.2  

7.2.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

En 2017, le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques. En effet, celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. La question des effets fonctionnels d'un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d'une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu'il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation de la capacité de travail invalidante n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7).

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

7.2.2 Il convient dorénavant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d'autre part, les potentiels de compensation (ressources), à l’aide des indicateurs developpés par le Tribunal fédéral suivants :

Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés.

Il convient encore d'examiner le succès du traitement et de la réadaptation ou la résistance à ces derniers. Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L’échec définitif d’un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d’espèce, on ne peut rien en déduire s’agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d’une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation.

La comorbidité psychique ne doit être prise en considération qu’en fonction de son importance concrète dans le cas d’espèce, par exemple pour juger si elle prive l’assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble psychique avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel n’est pas une comorbidité, mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité.

Il convient ensuite d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l’assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d’autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées.

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles ne doivent pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie.

Il s’agit, encore, de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé.

Il faut examiner ensuite la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, pour évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons que l'atteinte à la santé assurée.

7.2.3 Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective.

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 et 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

Ce diagnostic doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Il suppose l’existence de limitations fonctionnelles dans tous les domaines de la vie (tant professionnelle que privée). Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 et 2.2). Ainsi, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les difficultés décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses difficultés dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (cf. ATF 131 V 49 consid. 1.2).

7.3 Lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

7.4

7.4.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

7.4.2 Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3).

7.4.3 Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

7.5 Selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale, d’après l’état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue. Les faits survenus postérieurement, et qui ont modifié cette situation, doivent normalement faire l’objet d’une nouvelle décision administrative (ATF 121 V 366 consid. 1b et les références). Les faits survenus postérieurement doivent cependant être pris en considération dans la mesure où ils sont étroitement liés à l’objet du litige et de nature à influencer l’appréciation au moment où la décision attaquée a été rendue (ATF 99 V 102 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 321/04 du 18 juillet 2005 consid. 5).

8.              

8.1 En l’espèce, l’intimé a pris la décision querellée sur la base de l’expertise du Dr E______ du 14 mai 2020 qu’il estimait pleinement probante.

La recourante a fait valoir qu’elle n’avait pas recouvré sa pleine capacité de travail, contrairement à ce que l’intimé avait retenu sur la base de l’expertise du Dr E______, qu’elle n’estimait pas probante.

8.2

8.2.1 La chambre de céans constate que l’expert E______ n’a pas demandé de rapport ni pris contact avec Mme C______, la psychothérapeute qui a suivi la recourante de 2015 à 2017, alors que cela était nécessaire pour évaluer l’état psychiatrique de celle-ci pendant cette période, quand bien même il ne s’agissait pas d’une psychiatre.

8.2.2 L’expert a indiqué, dans son analyse du deuil pathologique, que si l’assurée avait probablement présenté un trouble de l’adaptation en novembre 2014, lié au décès de son fils, son évolution avait été favorable sans prise en charge psychiatrique, puisqu’elle n’avait jamais consulté avant 2017. Or, l’assurée l’avait informé du fait qu’elle était suivie depuis 2014 par une psychologue, en raison de sa fatigue (p. 169 intimé). Il ne pouvait être aussi catégorique sans avoir pris d’information auprès de Mme C______ sur l’état de l’assurée entre 2014 et 2017.

8.2.3 La chambre de céans constate également que l’expert a retenu une tendance à la dramatisation de l’expertisée selon l’analyse des tests. En effet, il avait indiqué que les tests psychométriques allaient dans le sens d’une tendance très importante à la dramatisation et l’amplification des plaintes (p. 179 intimé). Toutefois dans ses constatations, il a indiqué qu’il n’y avait pas de tendance à la dramatisation ou l’amplification des plaintes, même si l’expertisée donnait le sentiment d’être un peu centrée sur elle-même, sans grande prise de distance (p. 172 intimé). L’expert aurait dû commenter cette contradiction dans ses conclusions, ce qu’il n’a pas fait.

8.2.4 Sous constats psychiatriques, l’expert a relevé que l’examen neuro-psychologique succinct indiquait que l’assurée n’avait pas de troubles majeurs de la mémoire d’évocation ou de fixation, ni de la concentration, quand bien même elle avait de la peine à restituer les années de naissance ou des dates importantes, comme celle du décès de son fils. L’intelligence était normale et le jugement et le raisonnement conservés (p. 172 et 173 intimé).

L’on peut s’interroger sur la validité de cet examen neurologique succinct, dont on ignore sur quoi il repose, celui-ci n’étant pas détaillé dans le rapport.

8.2.5 L’expert a indiqué dans l’anamnèse que selon les déclarations de l’assurée, elle se sentait toujours assez anxieuse qu’il arrive quelque chose à ses enfants et qu’elle ressentait le besoin d’avoir continuellement son natel près d’elle (p. 171 intimé). Il a également constaté que l’échelle du Hamilton anxiété était plutôt élevée. Or, il a indiqué, sous discussion, que selon les déclarations de l’assurée, l’anxiété survenait lorsqu’elle se faisait du souci pour ses fils aînés et pas en continu (p. 193 intimé). L’expert ne relatait ainsi pas correctement, ou à tout le moins sans motivation satisfaisante à ce sujet, ce que lui avait rapporté l’expertisée, selon son propre compte-rendu, dont il ressort que son anxiété était au contraire permanente,

8.2.6 L’expert a mentionné dans l’anamnèse (p. 170 intimé) que l’assurée n’avait pas envie de voir des gens et qu’elle ne se sentait pas en confiance, mais qu’elle avait néanmoins affirmé juste après qu’elle souhaiterait travailler dans le domaine de l’aide aux personnes âgées ou avec des toxicodépendants. L’expert a ensuite indiqué (p. 174 intimé) que l’assurée déclarait avoir moins envie de voir du monde mais que paradoxalement « elle travaille » dans la relation d’aide en EMS et dans la toxicomanie. Or, elle ne travaillait pas dans ces domaines au moment de l’expertise, mais avait seulement indiqué ces activités dans l’anamnèse - sur question de l’expert sur les activités professionnelles éventuelles qui pourraient l’intéresser -, tout en précisant clairement qu’elle ne pouvait pas travailler en l’état, en raison d’une grande fatigue. L’expert semble ainsi retenir une contradiction de l’expertisée à mauvais escient. Par ailleurs, le fait que l’assurée évoque comme activité professionnelle hypothétique un travail en EMS ou en lien avec la toxicomanie n’apparaît pas étonnant ni contradictoire la concernant, puisque sa dernière activité était en EMS et vu la façon dont son fils est décédé, qui pouvait la sensibiliser à la problématique de l’addiction.

8.2.7 L’expert a relevé, sous évaluation de la cohérence (p. 192 intimé), une mauvaise concordance entre une assurée plutôt souriante et jamais émotive, ce qui apparaît contradictoire avec le fait que dans ses constatations (p. 172 intimé), il avait mentionné que pendant leur entretien, l’expertisée avait été courtoise, qu’elle avait pu sourire à quelques reprises, qu’elle avait pleuré une fois à l’évocation du décès de son fils et qu’elle était globalement peu expressive. Il avait donc constaté, contrairement à ce qu’il a indiqué dans ses conclusions, que l’assurée souriait peu et qu’elle pouvait être émotive.

8.2.8 L’expert a indiqué dans l’analyse du diagnostic d’épisode dépressif, que le trouble de la personnalité ne pouvait expliquer la très mauvaise ou non observance au traitement de Fluoxétine, car l’expertisée avait dit à l’expert ne l’avoir pris que 3 ou 4 jours (p. 187 intimé). L’expert n’a pas nuancé ses conclusions, alors que dans l’anamnèse, sous antécédents psychiatriques, il avait mentionné que l’expertisée avait peur de la dépendance et de perdre le contrôle d’elle-même (p. 169 intimé). Il ressort des déclarations de Mme C______ à la chambre de céans que la recourante était très réfractaire à la médication, car il y avait un lien avec le décès de son fils, ce qui s'expliquait. Les conclusions de l’expert retenant une mauvaise observance du traitement doivent donc être relativisées.

8.2.9 Selon l’expert, la question des reproches ou de la culpabilité par rapport au décès de son fils était ponctuelle et ne paraissait pas faire partie de préoccupations pathologiques, en tous les cas pas d’un deuil pathologique. Dans ce dernier cas de figure, les manifestations allaient souvent de pair avec une évolution qu’on pouvait qualifier de relativement régressive, le sujet étant littéralement sidéré sur l’année du décès de l’être cher et n’arrivant plus à aller de l’avant. Toute date ou situation lui remémorant cet événement était source d’effondrement perpétuel, ce qui n’était pas le cas de l’assurée (p. 186 intimé).

Selon l’expert, s’il y avait eu un deuil pathologique, celui-ci avait été en grande partie fait, preuve en était les capacités de l’assurée de s’investir dans sa vie sociale, ses loisirs, ses animaux de compagnie. L’assurée se préoccupait de ses enfants et avait des contacts réguliers avec sa mère. Elle avait probablement présenté un trouble de l’adaptation dès novembre 2014 en lien avec le décès de son fils, mais l’évolution avait été favorable, sans prise en charge psychiatrique, l’assurée n’ayant jamais consulté avant 2017.

L’expert procède là à une lecture optimiste de la capacité de la recourante à s’investir dans la vie sociale, alors qu’il résulte de l’anamnèse que ses relations sociales se limitaient à ses fils, sa mère et un ou deux amis, avec peu de sorties. L’expert retenait qu’elle avait de nombreuses activités spontanées (p. 201 intimé), ce qui apparaît clairement excessif par rapport à la journée-type qu’il avait lui-même décrite.

8.2.10 Dans son évaluation médicale (p. 190 intimé), l’expert retenait que la prise en charge depuis 2014 paraissait peu investie, l’assurée ayant été incapable de se rappeler le nom de sa thérapeute et d’en dire quoi que ce soit. Comme relevé précédemment, une telle conclusion apparaît hâtive, sans prise de contact avec la psychologue qui suivait l’assurée pendant cette période.

À teneur des déclarations de Mme C______ à la chambre de céans, il n’apparaît pas que la prise en charge était peu investie. Celle-ci avait commencé à suivre la recourante au début de l’année 2015 et avait constaté que le décès de son fils avait été extrêmement traumatique pour cette dernière, qui n'était sans doute pas apte à travailler depuis le décès de son fils, ce qu’elle ne pouvait toutefois attester formellement que depuis son suivi. La recourante était très mal et triste quand elle était venue la voir. Elle avait des troubles du sommeil et des moments d'absence et de sidération. Le suivi hebdomadaire avait duré de 2015 à février 2019 avec des périodes pendant lesquelles, elle ne venait plus aux séances, ce qui était dû au fait que celles-ci la fatiguaient beaucoup et l'éprouvaient. Ce n’était pas parce qu’elle négligeait son traitement, mais elle n'y arrivait pas. Elle s'impliquait dans la thérapie, mais son état dépendait de la nuit qu'elle passait et de ses angoisses. Ces dernières étaient là tout le temps, mais c'était son état psychique qui variait. Pour Mme C______ la recourante n'avait jamais récupéré, même si parfois elle allait mieux. Elle n'était jamais sortie de sa dépression. Elle l'avait adressée à la Dresse B______ pour un traitement médicamenteux, sentant qu'une psychothérapie n'était pas suffisante.

8.2.11 Contrairement à l’expert qui ne retenait qu’un léger sentiment de culpabilité (p. 173 intimé), Mme C______ avait constaté une énorme culpabilité, qui était relativement constante.

Il faut aussi relever que la Dresse D______ a également retenu un fort sentiment de culpabilité de l’assurée, qui était submergée par la culpabilité avec un sentiment d’injustice et la colère. Celle-ci ne se donnait pas le droit d’être heureuse et de vivre pleinement sa vie. La culpabilité la rattrapait vite s’il y avait un écart dans sa vie et dans toutes ses tentatives d’émancipation. Tout la ramenait à son rôle de mère qu’elle n’avait pas réussi, puisque son fils était décédé.

8.3 Au vu des considérations qui précèdent, la chambre de céans estime que l’expertise du Dr E______ ne peut se voir reconnaître une pleine valeur probante.

9.             Il convient encore d’examiner la valeur probante de l’expertise de la Dresse D______.

9.1 L’expertise de la Dresse D______ n’a pas été considérée comme probante par l’intimé, sur la base d’un avis du SMR du 24 septembre 2019, qui constatait que le dernier rapport médical de l’experte apportait peu d’éléments sur les différents indicateurs, le degré de gravité fonctionnelle (traitement en cours, succès de la réadaptation, contexte social) et sur la cohérence (limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie).

Si la Dresse D______ n’a en effet pas répondu à la demande de complément d’expertise de façon satisfaisante, puisqu’elle n’a pas procédé à un examen systématique des indicateurs développés par le Tribunal fédéral, il faut rappeler que l’intimé aurait pu les examiner lui-même sur la base des faits ressortant de l’expertise. Ainsi, cette lacune dans l’expertise de la Dresse D______ ne lui ôte pas d’office toute valeur probante.

9.2 Cette dernière a retenu le diagnostic de trouble de l’adaptation avec une réaction mixte anxieuse et dépressive (F43.22), pour une complication du deuil. Elle a expliqué que, contrairement à la Dresse B______, elle ne retenait pas un trouble dépressif récurrent, faute de rémission de l’épisode dépressif depuis 2014. Selon sa lecture des pièces au dossier, l’état dépressif de la recourante évoluait dans le temps de façon continue et chronique. En revanche, cette dernière manifestait une réaction de chagrin prolongé depuis le décès de son fils. Cette argumentation apparaît convaincante et elle est confirmée par Mme C______, qui a indiqué que la recourante n’avait jamais récupéré, même si elle allait mieux par moment. Il faut également relever que la Dresse B______ a indiqué à la chambre de céans qu’elle aurait pu poser le diagnostic de deuil pathologique, mais que celui-ci n'existait pas dans la CIM-10, qu’il était apparu dans le DSM-5, mais qu’il n’était pas utilisé. Il en résulte que son appréciation de l’état de santé confirme celle de la Dresse D______. Le fait que cette dernière ait modifié son appréciation s’agissant du trouble dépressif récurrent lors de l’audience de la chambre de céans s’explique par le fait qu’elle avait eu des informations complémentaires de la Dresse B______ et ne remet pas sérieusement en cause la qualité de son expertise, étant rappelé qu’elle avait essayé sans succès d’obtenir des informations complémentaires de la Dresse B______ avant de prendre ses conclusions.

9.3 Le Dr E______ a émis plusieurs critiques sur l’expertise de la Dresse D______.

9.3.1 Il a relevé que celle-ci parlait d’un deuil pathologique en indiquant que le décès du fils avait eu lieu en 2013 alors que c’était en 2014.

Ce grief doit être écarté, car dans sa demande de prestations à l’assurance-invalidité du 5 octobre 2017, la recourante a indiqué que son fils I______ était décédé le 1er novembre 2013. La recourante a également dit à l’experte, selon l’anamnèse, que son fils était décédé en 2013. Dans ces circonstances, l’on ne peut retenir que le rapport de la Dresse D______ contient une erreur, un certain flou sur la date du décès de son fils ressortant du dossier.

9.3.2 Le Dr E______ a encore indiqué qu’il n’y avait aucun argument objectif dans le dossier médical permettant de retenir une incapacité de travail de l’assurée rétrospectivement au décès du fils, précisant qu’on ne comprendrait pas pourquoi celle-ci n’aurait pas consulté un médecin psychiatre ou généraliste à cette date, lequel aurait facilement pu prescrire une incapacité travail s’agissant d’un épisode dépressif sévère incapacitant. La demande de prestations se situait seulement 2017, après le début du suivi auprès de la Dresse B______. La Dresse D______ avait donc attesté d’une incapacité de travail rétrospectivement à 2014 sans élément objectif. Il s’agissait là d’une appréciation qui sortait largement de ce que l’on était en droit d’attendre d’un mandat d’expertise.

La Dresse D______ a retenu que l’expertisée était totalement incapable de travailler depuis 2013, soit le décès de son fils. Si l’on peut discuter cette conclusion, du fait que l’expertisée a continué à travailler quelques temps après le décès de son fils, la critique du Dr E______ n’apparaît pas convaincante. En effet, il n’est pas contestable que l’assurée a été en incapacité de travail totale à la suite du décès de son fils, ce qui a été constaté, à tout le moins dès le début de l’année 2015 par Mme C______, qui a indiqué à la chambre de céans qu’elle avait commencé à la suivre à cette date et constaté que le décès de son fils avait été extrêmement traumatique pour cette dernière, qui n'était sans doute pas apte à travailler dès le décès de son fils, ce qu’elle ne pouvait toutefois attester formellement que depuis son suivi. La recourante était très mal et triste quand elle était venue la voir. Elle avait des troubles du sommeil et des moments d'absence et de sidération. Contrairement à ce que fait valoir le Dr E______, il appartient aux experts de se prononcer sur la capacité de travail dans le passé, s’ils peuvent le faire sur la base des pièces au dossier. Or en l’occurrence, le témoignage de la psychologue qui a suivi la recourante dès 2015 était essentiel pour apprécier l’état de cette dernière et il a été négligé par le Dr E______. Lors de son audition par la chambre de céans, la recourante a déclaré qu’au moment du décès de son fils, elle travaillait dans un EMS à la rue de Lausanne à 50%. Elle avait continué à le faire pendant un moment, car elle faisait un déni. Elle ne se souvenait plus quand elle avait arrêté exactement, mais c’était quelques semaines ou quelques mois après le décès. Elle avait arrêté de travailler, car elle n’en pouvait plus, pleurait tout le temps et avait une grosse fatigue. Manifestement, l’assurée n’a même pas essayé d’obtenir un arrêt de travail. Ce n’est qu’à l’appui de sa demande de prestations d’assurance-invalidité du 5 octobre 2017 qu’elle a produit des arrêts de travail établis par la Dresse B______ le 20 juin 2017 attestant d’une incapacité de travail dès le 1er mai 2017 à 100%. Le Dr E______ a d’ailleurs lui-même admis que l’assurée avait probablement eu une réaction anxio-dépressive dans le contexte du décès de son fils en 2014.

Par ailleurs, la recourante a déclaré à la chambre de céans qu’elle allait voir souvent son médecin généraliste, le docteur H______, qui lui avait dit d'aller voir la psychologue. Ainsi, c’est manifestement à tort et sur la base d’une anamnèse lacunaire que le Dr E______ a indiqué que la recourante n’avait pas consulté de médecin après le décès de son fils

9.3.3 Le Dr E______ a relevé que, paradoxalement, la Dresse D______ décrivait une symptomatologie dépressive qui devait rentrer dans le cadre d’un trouble dépressif, alors qu’elle retenait un trouble de l’adaptation.

La Dresse D______ a indiqué qu’elle ne retenait pas le diagnostic de trouble dépressif léger, précisant qu’il était le diagnostic différentiel d’une complication du deuil, correspondant aux troubles de l’adaptation avec une réaction mixte anxieuse et dépressive (F43.22 CIM-10) et que la classification DSM-IV-R codifiait le caractère chronique. Il n’apparaît ainsi pas contradictoire que la Dresse D______ décrive une symptomatologie dépressive dans le cadre du trouble de l’adaptation qu’elle retenait et qui comprend une réaction dépressive.

9.3.4 Le Dr E______ a relevé que dans son rapport du 26 juin 2018, la Dresse D______ évoquait des troubles de l’attention et de la concentration qu’il n’avait pas relevés dans son examen clinique ainsi que des épisodes de crises de colère, qui ne valaient pas en soi pour une symptomatologie incapacitante.

Il ressort du rapport de la Dresse D______ que l’assurée lui avait dit avoir des difficultés d’attention et de concentration et qu’il lui était difficile de suivre une histoire ou de se souvenir de détails ou encore à retrouver certains objets (p. 107 intimé). À teneur de ses constatations objectives, l’experte n’a pas non plus relevé de troubles de l’attention et de la concentration. Cela étant, elle pouvait retenir ces difficultés sur la base des déclarations de l’assurée, qui apparaissent probantes, dans la mesure elle donnait des exemples concrets les illustrant.

Si l’experte a évoqué dans ses constatations objectives des sentiments de colère et d’agressivité projetés vers l’extérieur (sœur aînée ou « divinité »), elle n’a pas retenu ces émotions dans les limitations fonctionnelles de la recourante, de sorte que, contrairement à ce que laisse entendre le Dr E______, elle ne les a pas retenues comme symptomatologie incapacitante.

9.3.5 Le Dr E______ a encore considéré que la Dresse D______ ne pouvait pas parler d’un trouble de l’adaptation chronique incapacitant et en même temps récuser que celui-ci puisse justifier ou répondre à un traitement antidépresseur, ce qui ne correspondait pas à l’expérience médicale.

Cette critique n’est pas suffisamment motivée pour retenir que la Dresse D______ aurait tort sur ce point.

9.3.6 Le Dr E______ a indiqué qu’un trouble de l’adaptation ne pouvait par nature pas justifier à long terme une incapacité travail. Cette affirmation n’est pas convaincante. En effet, seule l’analyse des indicateurs du Tribunal fédéral permet de déterminer si ce trouble était incapacitant dans le cas d’espèce.

9.3.7 Selon le Dr E______, l’hypothèse d’un deuil pathologique reposait sur une appréciation très subjective de la Dresse D______, qui n’était pas soutenue par ce que l’assurée avait dit à l’expert, ni par le tableau clinique. Durant l’entretien, l’assurée avait évoqué le décès de son fils avec douleur, mais rien n’indiquait que le processus de deuil ne soit pas arrivé à terme. Les sentiments de culpabilité étaient peu cristallisés et concernaient également ses deux fils aînés, qui présentaient également des problèmes de toxicomanie.

Il s’agit là de l’appréciation du Dr E______ qui ne correspond pas à celle de la Dresse D______, laquelle a retenu qu’au jour de son expertise, la crainte et l’anxiété anticipatoires de la perte éventuelle d’un de ses enfants restaient dramatiques pour la recourante, qui vivait dans le passé avec la douleur intense de la perte de son fils. Les projections futures et personnelles lui restaient totalement inaccessibles. Sa culpabilité était trop forte pour lui permettre d’être heureuse. Elle restait figée et cristallisée dans le stade 4 du deuil, selon C. M. PARKES, qui était la dépression. Le fils de la recourante était décédé depuis 6 ans et celle-ci « traînait la patte » comme si le décès remontait au jour précédent.

Les critiques du Dr E______ ne suffisent pas à remettre sérieusement en cause l’appréciation bien motivée de la Dresse D______, dont le rapport répond aux réquisits permettant de lui accorder une pleine valeur probante, sous réserve de l’analyse des indicateurs du Tribunal fédéral.

10.         Il convient encore de déterminer la capacité de travail exigible de la recourante sur la base des indicateurs développés par le Tribunal fédéral.

10.1  

Selon les constats de la Dresse D______, la recourante restait cristallisée sur une image de perte, liée au décès de son fils, avec une surprotection de ses trois autres enfants. Elle fonctionnait avec des anticipations anxieuses à l’idée de perdre un de ses enfants avec le scénario d’une dépendance. Elle décrivait une grande fatigue. Les projections futures dans les trois domaines de la vie personnelle, sociale et professionnelle étaient absentes. Elle restait figée et cristallisée dans le stade 4 du deuil selon C. M. PARKES, qui était la dépression. Le fils de l’expertisée était décédé six ans auparavant et l’expertisée se comportait comme si le décès remontait au jour précédent.

D’après Mme C______ n'importe quelle démarche à faire prenait une énergie folle à la recourante.

Il résulte des constatations de la Dresse D______ et de Mme C______ précitées que les manifestations concrètes du trouble de l’adaptation avec une réaction mixte anxieuse et dépressive diagnostiqué par l’experte revêtent un degré de gravité certain.

10.2 La recourante a été suivie depuis 2017 par une psychiatre. Selon la Dresse D______, la psychothérapie était à visée soutenante, mais pas au-delà. Selon le rapport de la Dresse B______ du 20 juin 2018, l’assurée se présentait régulièrement à ses rendez-vous médicaux. Mme C______ a indiqué que si la recourante avait manqué plusieurs séances, ce n’était pas parce qu’elle négligeait son traitement, mais parce qu’elle n'y arrivait pas.

S’agissant du traitement médicamenteux, la Dresse D______ a indiqué que les psychotropes n’avaient pas d’utilité dans le contexte d’un chagrin prolongé, correspondant au diagnostic qu’elle retenait, ce qui est contesté par le Dr E______. Même si l’on retenait qu’un tel traitement était nécessaire, l’on ne pourrait retenir que la recourante ne l’a pas suivi sans justification. En effet, il ressort des déclarations de la Dresse B______ à la chambre de céans, que la recourante avait essayé plusieurs fois de prendre de la Fluctine ou d'autres antidépresseurs, sans succès, car après quelques jours, elle avait des angoisses très fortes, qui étaient en lien avec le fait que son fils aîné était décédé d'un abus de toxiques.

L’expertisée a indiqué au Dr E______ qu’elle avait peur de la dépendance aux médicaments et il ressort des déclarations de Mme C______ à la chambre de céans qu’elle était très réfractaire à la médication, car il y avait un lien avec le décès de son fils, ce qui s'expliquait.

On ne peut donc pas retenir que la recourante a fait preuve d'un manque de volonté non excusable par rapport à son traitement médicamenteux et l’on se trouve dans le cas d’un échec du traitement malgré la coopération de la personne assurée.

10.3 S’agissant des ressources, la Dresse D______ estimait que la recourante n’en avait pas ou peu. Elle restait figée et cristallisée dans le stade 4 du deuil et sa capacité intrapsychique n’était pas modulable pour un travail sur l’acceptation de la perte et du deuil. Ses seules ressources renvoyaient à ses valeurs, qui étaient sa famille et en particulier ses fils. Elle éprouvait encore du plaisir à leur réussite et à les voir rire. Elle avait deux amis avec lesquels elle partageait quelques petits moments de plaisir, mais pas au-delà. Ses frères et sœurs ainsi que ses parents ne constituaient pas proprement une ressource. Ils étaient possiblement dans le soutien et l’empathie.

Selon Mme C______, la recourante n’avait pas de ressources internes pour faire front à ses difficultés en lien avec sa dépression. S'agissant des ressources sociales, elle avait rencontré quelqu'un, avec lequel elle avait eu une relation sentimentale, ce qui l'avait aidée mais stressée en même temps. Il lui était difficile de reprendre une vie normale. Par moment, elle pouvait vivre bien cette relation, mais à d'autres moments, elle était submergée par sa tristesse, ses émotions et ses angoisses. Une des hypothèses que l'on pouvait émettre était qu'elle ne pouvait pas se donner le droit de reprendre une vie normale et être heureuse, en raison de sa pathologie. La recourante n'avait pas de loisirs et sa vie sociale était très limitée. Elle avait une voisine et son ami ainsi que sa famille, qui était soutenante. Elle avait également des chiens, ce qui était important pour elle.

La recourante a déclaré à la chambre de céans avoir deux chihuahuas et un yorkshire, qu’elle promenait. Elle ne lisait pas, car elle n’arrivait pas à se concentrer. Elle pouvait regarder un peu la télévision le soir et écoutait beaucoup de musique.

En conclusions, les ressources de la recourante apparaissent clairement limitées.

10.4 S’agissant de la cohérence, la Dresse D______ a estimé qu’il n’y avait pas d’incohérence.

Si la recourante reste capable de faire son ménage et certaines activités, ces dernières sont limitées, de sorte que l’on peut retenir que son atteinte à la santé la limite de manière semblable dans son activité professionnelle, dans l’exécution de ses travaux habituels et dans ses autres activités. Il y a également lieu de relever à cet égard que la recourante a déclaré à la chambre de céans qu’avant ses problèmes de santé, elle faisait de la gym et de la course à pied, ce qu’elle n’arrivait plus à faire.

10.5 L’analyse des indicateurs confirme ainsi les conclusions de la Dresse D______, à savoir que la recourante était totalement incapable de travailler dans toute activité depuis le décès de son fils.

11.         Contrairement à ce qu’a retenu l’intimé dans sa décision du 10 décembre 2020, la recourante n’était donc pas capable de travailler à 100% depuis le 20 juin 2018, mais elle était toujours totalement incapable de travailler, de sorte que son droit à une demi-rente d’invalidité doit lui être reconnu au-delà du 30 septembre 2018.

12.         Le recours est ainsi bien-fondé. La décision du 10 décembre 2020 sera en conséquence réformée dans ce sens.

Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure à la recourante, qui n'est pas assistée d'un conseil et qui n’a pas fait valoir de frais engendrés par la procédure (art. 61 let. g LPGA).

Un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de l'intimé (art. 69 al. 1bis LAI).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Réforme la décision rendue par l’intimé le 10 décembre 2020, dans le sens où la recourante a droit à une demi-rente d’invalidité dès le 1er mai 2018, sans interruption au 30 septembre 2018.

4.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le