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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3315/2021

ATAS/211/2022 du 08.03.2022 ( LAA ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3315/2021 ATAS/211/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 mars 2022

15ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée ______ [GE], représentée par B______

 

recourante

contre

C______, sise ______ [ZH]

 

 

intimée

 


EN FAIT

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée ou la recourante), née le ______ 1987, vit à Genève depuis novembre 2011.

b. Elle a été employée par F______ SA comme spécialiste en crédit du 1er novembre 2011 au 31 mai 2015, date pour laquelle elle a été licenciée. Dans ce cadre, elle était assurée contre les accidents professionnels ou non professionnels et les conséquences d'une incapacité de travail pour cause de maladie par C______ (ci-après : l'assureur ou l'intimé).

c. Le ______ février 2014, les deux sœurs de l'assurée, Mesdames G______ et D______, âgées respectivement de 20 et 25 ans, ont été assassinées à H______ [France], dans l'appartement où elles vivaient en colocation avec une troisième femme. Elles ont reçu de très nombreux coups de couteau de l'ex-compagnon de leur colocataire, lequel a été condamné par la Cour d'Assises de H______ pour ces faits le 8 décembre 2016.

d. L'assurée a été informée du décès de ses sœurs le lendemain lors d'un appel d'une amie de ses dernières qui se trouvait au commissariat de police judiciaire, ainsi que par un policier. L'assurée accompagnée de l'une de ses amies s'est rendue le jour-même à H______ où elle a retrouvé ses parents audit commissariat. Le 24 février 2014, l'assurée a identifié le corps de ses deux sœurs à l'institut médico-légal de H______.

e. À la suite de ces événements, l'assurée a souffert d'un trouble dépressif sévère, présent depuis le 2 mars 2014. À compter de cette date, elle a été en incapacité totale de travailler. Les divers certificats établis entre le 26 février 2014 et le 9 mars 2016 par son médecin traitant, la doctoresse E______, indiquent que les arrêts de travail successifs décidés par celle-ci reposaient sur le motif : « maladie ».

f. Son employeur a annoncé à son assureur que l'assurée était en incapacité de travail pour cause de maladie dès le 2 mars 2014.

g. L'assureur a versé des indemnités journalières sur la base du contrat perte de gain maladie.

h. L'assurée a été reconnue totalement invalide par l'office cantonal de l'assurance-invalidité dès le 30 mars 2015.

B. a. Au début de l'année 2020, sur recommandation de son conseil, l'ex-employeur de l'assurée a annoncé le cas à l'assureur en tant qu'accident.

b. Par décision du 29 avril 2021, l'assureur a refusé d'allouer des prestations de l'assurance-accident à l'assurée, au motif que cette dernière n'ayant pas assisté directement à l'événement traumatisant, le lien de causalité naturel entre celui-ci et l'état psychique de l'assurée n'était pas établi. La notion d'accident ne pouvait pas être retenue.

c. Par courrier du 1er juin 2021, l'assurée s'est opposée à cette décision.

d. L'assureur a rejeté l'opposition par décision du 26 août 2021.

C. a. Par acte du 27 septembre 2021, l'assurée a recouru à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre de céans) contre cette décision en concluant à son annulation et à ce que la chambre de céans dise qu'elle avait été victime d'un accident en apprenant le décès de ses sœurs et les circonstances de ce décès et qu'elle avait droit aux prestations de l'assurance-accidents pour les conséquences de l'accident du ______ février 2014.

b. Par réponse du 15 octobre 2021, l'intimé a conclu au rejet du recours en persistant dans les termes de sa décision.

c. Dans sa réplique du 21 janvier 2022, la recourante a soutenu que les circonstances de la disparition de ses sœurs étaient tout à fait exceptionnelles, l'assassinat extrêmement violent, le lien familial et affectif entre les sœurs très fort ; en une nuit, elle avait perdu toute sa fratrie. Elle avait participé au procès et les images la hantaient.

d. Par duplique du 31 janvier 2022, l'intimé a persisté dans ses conclusions. Sans contester qu'un drame horrible s'était produit le ______ février 2014 et que la recourante avait subi choc émotionnel, il ne pouvait être reconnu que ce choc constituait un accident au regard de la jurisprudence, en particulier celle par laquelle le Tribunal fédéral avait nié la notion d'accident dans le cas d'une mère ayant retrouvé son fils égorgé dans son appartement, dans la mesure où elle n'avait pas été présente lors de l'acte homicide.

e. La cause a été gardée à juger à la suite de l'échange d'écritures.

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les formes et le délai prescrits, le recours est recevable.

3.             Est litigieuse la responsabilité de l’assurance-accidents à l’égard des troubles psychiques de la recourante consécutifs aux événements du ______ février 2014.

Sont ici déterminantes la qualification des événements du ______ février 2014 et du choc en ayant résulté pour la recourante et, si la qualification d'accident devait être retenue, la question du lien de causalité naturelle et adéquate entre celui-ci et l'atteinte psychique de la recourante.

4.             En vertu de l'art. 6 al. 1 de la loi du 20 mars 1981 sur l'assurance-accidents (LAA; RS 832.20), les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle.

5.             Selon l'art. 4 de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA; RS 830.1), applicable par le renvoi de l'art. 1 al. 1 LAA, est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou entraîne la mort.

6.             La notion d'accident se décompose en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l'atteinte; le caractère involontaire de l'atteinte; le facteur extérieur de l'atteinte; enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur (cf. art. 4 LPGA). Il suffit que l'un d'entre eux fasse défaut pour que l'événement ne puisse pas être qualifié d'accident (ATF 129 V 402 consid. 2.1; 122 V 230 consid. 1 et les références citées).

7.             La reconnaissance du caractère d’accident à un événement effroyable présuppose entre autres que l’atteinte psychique ait été causée par un événement violent qui s’est produit en présence immédiate de l’assuré. Cette condition fait défaut lorsqu’une assurée trouve dans son appartement le corps de son fils victime d’un meurtre (arrêt du Tribunal fédéral U 24/98 du 29 octobre 1999 consid. 2 et 3 in RAMA 2000 n° U 365 p. 89 ; ATF 129 V 177 consid. 2.1; cf. également l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_30/2007 du 20 septembre 2007 ayant admis le lien de causalité pour une victime d'un tsunami qui n'avait pu atteindre le rivage qu'au péril de sa vie et dans des circonstances dramatiques, de sorte qu'il a été admis que les événements tels que la victime les a vécus directement et son choc psychique constituaient un incident unique et uniforme devant être considéré comme un événement extraordinairement effrayant au sens de la jurisprudence et donc comme un accident).

8.             Plus récemment le Tribunal fédéral a encore confirmé sa jurisprudence dans l'arrêt 8C_600/2019 du 6 novembre 2019. Dans ce cas, le Tribunal fédéral a confirmé une décision cantonale ayant nié le droit à la prise en charge par l'assurance-accident des suites d'un choc post-traumatique dont avait souffert une mère après avoir appris que son fils avait été victime d'une tentative d'homicide (plusieurs coups de couteau au thorax, au visage, aux bras et aux mains) dans son appartement. Le fils avait réussi à se rendre chez des voisins qui avaient alerté la police. La mère, une fois arrivée près de chez elle, avait été informée par la police, en dehors du périmètre de sécurité, du fait que son fils avait déjà été évacué par les services sanitaires. À la suite de cet événement, la mère avait été en incapacité de travail et avait dû suivre un traitement psychiatrique, notamment en raison d'un état de stress post-traumatique. Le Tribunal fédéral a confirmé que la présence immédiate et directe sur les lieux d'un événement traumatisant était nécessaire pour retenir un cas d'accident, en rappelant sa jurisprudence constante. Il était sans importance que l'incident soit qualifié a posteriori, sur le plan pénal, de tentative d'homicide et donc de délit de résultat. Selon notre haute Cour, si l'on renonçait à l'exigence d'un incident violent se déroulant en présence directe de l'assuré, cela conduirait à une extension inadmissible de la notion d'accident, dans la mesure où toute action psychique soudaine et inhabituelle suffirait (citant : RAMA 2000 no U 365 p. 89, U 24/98 consid. 2b i.f. avec renvois). Il n'y avait pas lieu de modifier la jurisprudence constante, correctement appliquée par l'instance précédente.

9.             En l'espèce, la recourante n'était pas présente lors des événements tragiques du ______ février 2014.

Le choc psychique ne s'est produit que lorsqu'elle a été informée, par une information extérieure, de l'assassinat de ses deux sœurs. L'immédiateté requise pour la reconnaissance d'un choc en tant qu'accident au sens juridique fait donc défaut.

Le choc subi par la recourante ne peut dès lors pas, au regard de la jurisprudence, être qualifiée d'accident, et les séquelles de ce choc sur la santé de la recourante ne peuvent de ce fait pas être mises en lien de causalité naturelle et adéquate avec un accident.

Le recours doit être rejeté et la décision attaquée confirmée.

Pour le surplus, la procédure est gratuite.

 

* * * * *

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

 

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le ______