Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/791/2025 du 22.07.2025 ( AIDSO ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3193/2024-AIDSO ATA/791/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 22 juillet 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourante
contre
SERVICE DE PROTECTION DES MINEURS intimé
A. a. A______, née le ______ 1987, est de nationalité espagnole. Elle est la mère de B______, née le ______ 2014.
b. C______, né le ______ 1977, de nationalité espagnole, est le père d’B______.
c. Les parents d’B______ sont divorcés depuis le 27 décembre 2018, selon une décision judiciaire espagnole.
B. a. Le 26 juillet 2024, le service de la protection des mineurs (ci-après : SPMi) a requis du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) le prononcé de mesures urgentes afin de trouver un lieu où B______ serait en sécurité.
Le 24 juillet 2024, C______ avait demandé la prise en charge de sa fille parce qu’il vivait chez un tiers et qu’il allait en être « mis à la porte » le 29 juillet 2024. B______ était revenue de vacances avec sa mère le 21 juillet 2024 et celle-ci la lui avait confiée. Selon une décision espagnole, il avait la garde de sa fille mais, faute de logement adapté à Genève, il avait dû la confier à sa mère, sans toutefois souhaiter qu’elle fût prise en charge par cette dernière, qu’il estimait être « une personne pas fiable ».
Selon les contacts pris par le SPMi avec la mère d’B______, elle avait précisé ne plus avoir la garde de sa fille selon les décisions judiciaires espagnoles.
La situation restait peu claire et les parents n’avaient pas donné d'informations cohérentes, si ce n’était qu’il subsistait un conflit parental dans lequel l’enfant semblait être le centre.
b. Le même jour, le TPAE a prononcé le placement d’B______ en foyer d’urgence et retiré la garde de fait ainsi que le droit de déterminer le lieu de résidence à ses parents. Il a instauré une curatelle de surveillance et de financement du lieu de placement, une curatelle afin de faire valoir la créance alimentaire, une curatelle d’organisation et de surveillance des relations personnelles entre la mineure et ses deux parents et une curatelle de gestion de l’assurance maladie.
c. Le 23 août 2024, le SPMi a rendu une décision relative aux frais de placement d’B______, fixant à CHF 39.45 par jour la participation de A______ aux frais de placement et d’entretien de sa fille dès le 26 juillet 2024.
Une section était intitulée « Que dois-je faire pour qu'on prenne en compte mon revenu ? ». Il y était indiqué ce qui suit : « Dans la mesure où vous êtes taxée d'office, vous ne pouvez pas bénéficier d'un calcul manuel de votre RDU (revenu déterminant unifié) socle. Dans la mesure où vous êtes imposée à la source et/ou sans RDU fiscal, vous pouvez demander le calcul de votre RDU socle auprès du centre de compétences du RDU à l'aide de leur formulaire accompagnant notre décision. (…) Nota Bene : Notre décision ne pourra faire l'objet d'un réexamen de notre part qu'au moment où vous nous aurez communiqué votre RDU calculé par le centre de compétences du RDU ou transmis la pièce nécessaire à la prise en compte de votre revenu ».
C. a. Par acte posté le 30 septembre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision du SPMi, concluant implicitement à son annulation.
Les montants réclamés étaient importants pour elle et cette intervention avait eu lieu alors que sa fille était avec son père. À l’époque, le père avait la garde de leur fille. Elle n’avait à aucun moment été informée par le père de son intention de la placer en foyer. Elle avait eu un choc en entendant qu’elle était placée alors qu’elle était censée être en vacances avec son père. Heureusement, sa fille vivait à nouveau avec elle.
b. Le 3 octobre 2024, le juge délégué à l’instruction de la cause a demandé au SPMi si la mineure était encore placée et pourquoi c’était la mère de l’enfant et non son père qui avait été sollicité pour le paiement des frais de placement.
c. Le 5 novembre 2024, le SPMi a conclu au rejet du recours, sans toutefois répondre aux questions posées le 3 octobre 2024 par le juge délégué.
Il n’était pas possible de revenir sur la décision sans nouvelles informations sur le revenu ou le domicile de A______.
D______, intervenante en protection de l’enfant en charge du dossier, avait confirmé avoir contacté la mère, qui était le dernier parent gardien, et que celle-ci avait été informée du placement d’B______ puisqu’un entretien avait eu lieu le jour même du placement pour lui expliquer la situation.
d. Le 20 novembre 2024, A______ a déposé son attestation annuelle RDU 2024 à l’appui de son recours. L’attestation datée du 17 octobre 2024 indiquait un RDU socle de CHF 2'514.- et des charges de CHF 0.- pour l’année 2022, année de référence, soit un total de CHF 2'514.-, calculé sur le salaire brut de CHF 2'924.- avec un coefficient de 0.86 et une fortune de CHF 0.-.
e. Le 6 décembre 2024, A______ a déposé deux décisions judiciaires espagnoles. La première, du 27 décembre 2018 – sentencia no 1______ – juzgado de primera instancia e instruccion no 3 de E______ (F______) – prononçant le divorce, attribuant la garde d’B______ à sa mère, prévoyant le paiement d’une pension alimentaire de EUR 250.- par mois par le père et fixant le droit de visite de celui-ci ; la seconde, du 3 novembre 2022, émanant de la même juridiction, dans une procédure de modification du jugement de divorce faisant suite à une procédure pénale pour abus ouverte contre la mère, dont la victime serait la fille et prévoyant l’attribution de la garde de l’enfant au père, l’autorité parentale restant partagée, le versement par la mère d’une pension alimentaire de EUR 100.- par mois ainsi qu’un droit de visite qui s’exercerait dès l’expiration de l’ordonnance d’éloignement en vigueur contre la mère.
f. Le 19 décembre 2024, A______ a accepté que la décision du 26 juillet 2024 du TPAE soit versée au dossier.
g. La cause a ensuite été gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recours porte sur la participation financière aux frais de placement et d’entretien de la fille de la recourante.
2.1 Les père et mère doivent pourvoir à l’entretien de l’enfant et assumer, par conséquent, les frais de son éducation, de sa formation et des mesures prises pour le protéger (art. 276 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210). L’entretien est assuré par les soins et l’éducation ou, lorsque l’enfant n’est pas sous la garde de ses père et mère, par des prestations pécuniaires (art. 276 al. 2 CC). Cette obligation dure jusqu’à la majorité de l’enfant (art. 277 al. 1 CC). La contribution d’entretien doit correspondre aux besoins de l’enfant ainsi qu’à la situation et aux ressources des père et mère ; il est tenu compte de la fortune et des revenus de l’enfant et de la participation de celui des parents qui n’a pas la garde de l’enfant à la prise en charge de ce dernier (art. 285 al. 1 CC).
2.2 En matière de placement hors du milieu familial, une part des frais, qui est déterminée par un règlement du Conseil d’État, sera mise à la charge des débiteurs de l’obligation d’entretien (art. 81 al. 2 de la loi d’application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC - E 1 05). Ce principe est répété à l’art. 36 al. 1 de la loi sur l’enfance et la jeunesse du 1er mars 2018 (LEJ - J 6 01) avec la précision que le type de prestations pour lesquelles une participation financière peut être demandée ainsi que le montant des contributions y relatives étaient fixés par voie réglementaire (art. 36 al. 2 LEJ).
2.3 Ainsi, le règlement fixant la participation financière des père et mère aux frais de placement ainsi qu’aux mesures de soutien et de protection du mineur du 2 décembre 2020 (RPFFPM - J 6 26.04) prévoit que les frais de placement résidentiel ainsi que les repas en structures d’enseignement spécialisé ou à caractère résidentiel et les autres frais mentionnés par le règlement sont à la charge de l’État, dans la mesure où ils ne sont pas couverts par la participation financière des père et mère (art. 1 RPFFPM).
Le RPFFPM fixe ensuite la participation financière des père et mère lors de placements résidentiels (art. 2 let. a RPFFPM). La participation financière aux frais de placement et d’entretien est de CHF 39.45 par jour et par mineur (art. 5 al. 1 RPFFPM).
Un rabais, fondé sur le RDU est accordé aux père et mère, en fonction du montant de leur RDU et du nombre d’enfants à charge, rabais que l’art. 8 al. 2 RPFFPM détaille. Ainsi, selon l’art. 8 al. 2 RPFFPM, un rabais de 100% est accordé pour une limite du revenu familial pour un enfant entre CHF 0.- et 57'000.-, de 80 % entre CHF 57'001.- et CHF 69'000.-, de 60% entre CHF 69'001.- et CHF 84'000.-, de 40% entre CHF 84'001.- et CHF 95'000.-, de 20% entre CHF 95'001.- et CHF 150'000.- et de 0% entre 150'001.- et CHF 180'000.-. Dès le deuxième enfant à charge, un montant de CHF 7'500.- doit être ajouté par enfant pour déterminer la limite du revenu familial. Les limites de revenus sont exprimées en francs, calculées en application de la loi sur le RDU du 19 mai 2005 (LRDU – J 4 06 ; art. 8 al. 3 RPFFPM).
Aux termes de l’art. 9 al. 1 LRDU, le socle du RDU est calculé automatiquement sur la base de la dernière taxation fiscale définitive. Il n’est, en principe, pas procédé à sa réactualisation. Ce procédé permet, en matière de prestations tarifaires – comme le sont les frais de placement –, de répondre aux buts de la LRDU visant la simplification de l’accès aux prestations sociales cantonales et l’allègement des procédures (art. 1 al. 2 LRDU). Cela garantit aussi l’égalité de traitement entre les bénéficiaires de prestations tarifaires du SPMi (ATA/458/2024 du 9 avril 2024 consid. 2.3 et les références citées).
2.4 Le règlement prévoit encore que lorsque les père et mère ne font pas ménage commun, la participation financière est perçue auprès du dernier parent qui avait la garde de fait du mineur et qui, le cas échéant, perçoit les contributions d'entretien fixées judiciairement, les rentes et les éventuels droits pécuniaires auxquels le mineur a droit (art. 7 al. 2 RPFFPM).
2.5 Le SPMi est compétent pour les aides financières apportées aux mineurs qui font l’objet d’une mesure de protection ou d’une décision de placement ordonnée par le pouvoir judiciaire (art. 3 al. 3 RPFFPM).
2.6 En l’espèce, le placement de l’enfant mineur a été ordonné par le TPAE sur requête du SPMi. Aux termes du RPFFPM, il appartient au parent qui avait la garde de fait de l’enfant de participer aux frais d’entretien liés audit placement. La recourante a produit une décision judiciaire espagnole du 3 novembre 2022, modifiant le jugement de divorce du 28 décembre 2018, attribuant la garde de l’enfant mineur au père, fixant le versement par la mère d’une pension alimentaire ainsi que son droit de visite. La décision du SPMi retient d’ailleurs que c’est le père de l’enfant qui est à l’origine de la demande de placement et les deux parents ont fait part de cette situation réglée par le jugement espagnol au SPMi.
En conséquence, la décision fixant la participation financière de la recourante s’avère être contraire à l’art. 7 al. 2 RPFFPM. De surcroît, le montant du RDU qui ressort de l’attestation annuelle RDU 2024 (année de référence : 2022) produite par la recourante en cours de procédure, implique une réduction de 100% des frais selon la règlementation prévue à l’art. 8 al. 2 RPFFPM.
Le recours sera donc admis et la décision du SPMi du 23 août 2024 fixant la participation de la recourante aux frais de placement et d’entretien de sa fille sera annulée.
3. Vu la nature et l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Malgré son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée, la recourante, qui procède en personne, n’y ayant pas conclu et n’exposant pas avoir subi de frais pour assurer sa défense (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 30 septembre 2024 par A______ contre la décision du service de protection des mineurs du 23 août 2024 ;
au fond :
l’admet ;
annule la décision du service de protection des mineurs du 23 août 2024 ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au service de protection des mineurs.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
S. HÜSLER ENZ
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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