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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/687/2025

ATA/759/2025 du 08.07.2025 ( EXPLOI ) , REJETE

Normes : OMCR 20.6; RAFE-2021.3
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/687/2025-EXPLOI ATA/759/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 juillet2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl recourante

contre


OFFICE CANTONAL DE L'ÉCONOMIE ET DE L'INNOVATION intimé



EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : la société), inscrite au registre du commerce le 17 mars 2016, a pour but, principalement, la production et la mise en œuvre d'événements publics et privés, de festivals, de conférences et de présentations de produits.

b. Dans le cadre de la crise économique induite par l’épidémie de coronavirus, la société a déposé une demande d’aide pour cas de rigueur pour l’année 2021 le
9 février 2021.

c. Le même jour, la société et l’État de Genève ont signé une convention d’octroi de contributions à fonds perdus (ci-après : la convention) qui rappelait les bases légales applicables ainsi que les engagements de véracité et d’exactitude des déclarations de l’entreprise requérante et l’obligation de restitution de montants indûment perçus.

d. Le 31 octobre 2021, A______ Sàrl a déposé une demande complémentaire 2021 pour cas de rigueur.

Un avenant à la convention a été signé le 31 octobre 2021.

B. a. Par décision du 9 décembre 2024, l’office cantonal de l’économie et de l’innovation du département de l’économie et de l’emploi (ci‑après : le département ou le DEE) a sollicité le remboursement des CHF 70'644.- alloués au titre d’aide financière totale à la suite des demandes des 9 février et 31 octobre 2021.

À l’issue de 2022, la société avait décidé de distribuer des dividendes pour un montant de CHF 92'000.- en faveur de ses associés et avait comptabilisé ce montant dans ses comptes remis à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) en vue de sa taxation de 2023. Cette distribution contrevenant aux prescriptions légales, la totalité de l’aide financière perçue devait être restituée.

b. Le 17 décembre 2024, la société a formé réclamation contre cette décision. Elle avait bénéficié d’un produit exceptionnel sur participation de CHF 600'000.-. Le dividende de CHF 92'000.- était lié uniquement aux produits de la participation et n’avait aucun lien avec les versements d’aides financières extraordinaires. Dès lors, il n’était pas intervenu en violation avec les lois applicables.

Sans le produit de cette participation, la société aurait fait une perte de l’exercice de CHF 160'215.60.

c. Par décision sur réclamation du 30 janvier 2025, le département a confirmé sa décision.

Par sa signature de la convention, la société avait confirmé le respect de la véracité des informations déclarées et s’engageait entre autres à respecter certaines conditions liées à l’utilisation de l’aide financière prévue notamment par l’art. 6 de l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 (ordonnance Covid‑19 cas de rigueur ; ci-après : l’ordonnance Covid‑19 ou OMCR‑20 ; RS 951.262). Cette disposition prescrivait notamment la prise de décision, la distribution de dividendes ou tantièmes durant l’exercice au cours duquel une aide financière cas de rigueur avait été perçue et pour les trois exercices suivants, et cela indépendamment de l’exercice durant lequel les bénéfices utilisés pour cette distribution avaient été réalisés.

Il n’était pas contesté que la société avait distribué des dividendes à hauteur de CHF 92'000.- en faveur de ses associés durant la période, objet de restrictions d’utilisation et, partant, avait enfreint les dispositions légales ainsi que la convention d’octroi de contributions à fonds perdu.

La jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait confirmé que les avances concrètement consenties aux actionnaires constituaient indubitablement une utilisation « à d’autres fins » de l’aide perçue. Ainsi, après avoir procédé à un nouvel examen du dossier, à la lumière des informations transmises dans le cadre de la réclamation, elle ne pouvait revoir sa décision.

C. a. Par acte du 27 février 2025, A______ Sàrl a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de la décision du 30 janvier 2025, concluant à l’annulation de cette décision de restitution de l’aide financière « cas de rigueur » de CHF 70'644.-.

Sa situation n’était pas identique à celle de l’arrêt de la chambre administrative mentionné par le département. La distribution du dividende n’était pas en lien avec l’activité de la société ou en relation avec les aides obtenues. De surcroît, le législateur avait voulu protéger l’argent public mis à disposition des entreprises, afin que celles-ci ne puissent les redistribuer à d’autres fins que celle de pallier au manque de liquidité pendant la crise. Or, les aides financières « cas de rigueur » perçues avaient uniquement servi au paiement des charges fixes pendant la pandémie. Le but du législateur avait été respecté. Les CHF 92'000.- provenaient du rendement de sa participation à « B______ Genève SA ». Elle a repris sa précédente argumentation.

b. Dans sa réponse, le département a conclu au rejet du recours.

c. La recourante n’ayant pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du département réclamant la restitution de l’aide financière octroyée à la recourante dans le contexte de l'épidémie de Covid-19 au motif qu’elle avait décidé de verser un dividende de CHF 92'000.- à ses associés en 2023.

2.1 Le 25 septembre 2020, l'Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l'épidémie de Covid‑19 (loi Covid-19 - RS 818.102), entrée en vigueur le 26 septembre 2020.

Son art. 12, consacré aux « mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises », a été modifié lors des sessions de l'Assemblée fédérale des 18 décembre 2020 et 19 mars 2021. Le 17 décembre 2021, sa durée de validité a été prolongée au 31 décembre 2022.

À son al. 1ter, il prévoit que pour pouvoir bénéficier d’une mesure pour les cas de rigueur, l’entreprise soutenue ne doit pas, pour l’exercice comptable durant lequel la mesure est octroyée et pour les trois exercices comptables qui suivent : (a) distribuer de dividendes ou de tantièmes ou décider de leur distribution ni (b) rembourser d’apports en capital ou décider de leur remboursement.

2.2 Dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, à la section 2 relative aux exigences relatives aux entreprises et sous la note marginale « restrictions de l’utilisation », l’art. 6 OMCR 20 prévoit que l’entreprise a fourni au canton les garanties suivantes : (a) durant l’exercice au cours duquel des mesures pour cas de rigueur ont été octroyées et pour les trois exercices suivants ou jusqu’au remboursement des aides obtenues : (1) elle ne décide ni ne distribue aucun dividende ou tantième et ne rembourse pas d’apports de capital, et (2) elle n’octroie pas de prêts à ses propriétaires ; (b) elle ne transfère pas les fonds accordés à une société du groupe qui lui est liée directement ou indirectement et n’a pas son siège en Suisse ; il lui est toutefois permis en particulier de s’acquitter d’obligations préexistantes de paiement d’intérêts et d’amortissements à l’intérieur d’un groupe.

2.3 Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la LAFE-2021 (loi 12'938), qui a abrogé l’ancienne loi 12'863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 du 29 janvier 2021.

La participation financière indûment perçue doit être restituée sur décision du département (al. 1). Est indûment perçue la participation financière utilisée à d’autres fins que la couverture des coûts fixes tels que précisés à l'art. 3 (al. 2 ; art. 17 LAFE-2021).

2.4 Le 5 mai 2021, le Conseil d’État a adopté le RAFE-2021.

Selon l'art. 3 RAFE-2021, sont bénéficiaires de l'aide les entreprises qui répondent aux exigences de l’OMCR 20, définies dans ses sections 1 et 2 (al. 1). Les entreprises ne répondant pas au critère relatif au chiffre d’affaires doivent répondre aux exigences des sections 1 et 2 OMCR 20 (al. 2 et 3).

2.5 Selon le commentaire de l’OMCR 20 publié le 18 juin 2021 par l'administration fédérale des finances (www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67163. pdf), financées par l’État, les mesures pour les cas de rigueur sont destinées à garantir l’existence des entreprises suisses et à préserver les emplois. Par conséquent, l’année au cours de laquelle l’aide est allouée et les trois années qui suivent (c’est-à-dire, pour une contribution versée en 2021, les années 2021 à 2024) ou jusqu’au remboursement intégral de l’aide reçue, les fonds ne doivent pas être utilisés par les entreprises pour décider, ni distribuer des dividendes ou des tantièmes (p. 10). Les cantons auront compétence pour régir le soutien complémentaire. Par principe, ils devront tenir compte des exigences énoncées à l’art. 12 de la loi Covid-19. Ils devront ainsi prendre en considération en particulier la forme juridique et la date de création de l’entreprise, ainsi que le siège, le chiffre d’affaires minimal, la preuve d’un manque à gagner supérieur à 40% ou d’une fermeture ordonnée par les autorités, la situation patrimoniale, la dotation en capital et les coûts fixes non couverts, la viabilité, l’interdiction de distribuer des dividendes et, dans le cas des entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 5 millions de francs, la participation aux bénéfices (p. 17).

Selon le commentaire de l’OMCR 20 du 11 mars 2022 (covid19.easygov.swiss/wp -content/uploads/2022/03/Erlauterungen-Hartefallverordnung-2022_FR.pdf), les mesures pour les cas de rigueur que l'État finance sont destinées à garantir l'existence des entreprises suisses et à préserver les emplois. Par conséquent, l'exercice au cours duquel l'aide sera allouée et les trois années qui suivront (c'est‑à‑dire, pour une contribution versée en 2022, les années 2022 à 2025) ou jusqu'au remboursement intégral de l'aide reçue, les entreprises ne devront pas utiliser les fonds pour décider, ni distribuer des dividendes ou des tantièmes. Dans les cas où l'allocation définitive ou le versement définitif de la contribution pour les cas de rigueur à l'entreprise bénéficiaire n'aura lieu qu'après 2022 en raison de problèmes transitoires (procédures en cours devant une instance administrative ou judiciaire), l'année 2022 sera considérée comme l'année du versement d'une contribution non remboursable. Pendant cette période ou jusqu'au remboursement intégral de l'aide reçue, les entreprises n'auront pas non plus le droit d'utiliser ces ressources pour décider ou exécuter un remboursement des apports en capital. Elles n'auront pas non plus le droit d'accorder des prêts à leurs propriétaires ni de rembourser des prêts à ces derniers afin de conserver les liquidités dans l'entreprise. Il leur sera en revanche permis de s'acquitter d'obligations préexistantes de paiements d'intérêts et d'amortissements ordinaires). Les paiements d'intérêts et d'amortissements ordinaires prévus contractuellement pour des prêts préexistants (y c. intérêts moratoires) seront autorisés aux fins du respect du principe pacta sunt servanda. Par contre, une entreprise n'aura par exemple pas le droit de rembourser un prêt à titre extraordinaire ou anticipé, en dehors des clauses contractuelles prévues (pp. 6‑7). Les contrôles ponctuels ultérieurs ou, si possible, des analyses complètes de données (concernant par ex. l'interdiction de verser des dividendes), associés à des sanctions en cas de manquement, constituent également un instrument important de la lutte contre les abus (p. 12).

2.6 Dans un arrêt 603 2023 54 du 9 janvier 2024, le Tribunal cantonal du canton de Fribourg a rejeté le recours formé par une société contre la demande de remboursement de l’aide Covid. Celle-ci avait distribué un dividende alors qu’elle s’était engagée à y renoncer (consid. 4.1). Le fait que la distribution ne s’était pas encore matérialisée lorsque l’État avait réclamé le remboursement et que la société avait alors renoncé à l’opération n’y changeait rien, la décision de verser un dividende constituant déjà une violation de l’engagement pris (consid. 4.2). Les mesures visaient la sauvegarde des entreprises en difficulté et des emplois, et non le maintien d'une situation financière propice au versement de dividendes pour garantir aux actionnaires un rendement sur leurs investissements (consid. 4.3.2).

2.7 La chambre de céans a rejeté le recours d’une société qui avait versé un dividende puis avait annulé la décision et invoqué une inadvertance. Le fait que le dividende n’avait jamais été versé ne lui était d’aucun secours, dès lors que l’engagement qu’elle avait pris portait également sur la simple décision de verser un dividende. Il importait ainsi peu que celui-ci n’eût en pratique jamais été versé (ATA/1235/2024 du 21 octobre 2024 consid. 2.7).

Dans un autre arrêt, la chambre a retenu que le fait que l’auditeur de la société ait pu valider l’opération n’exonérait pas la recourante de l’obligation de respecter les engagements qu’elle avait pris. Le fait que la société se soit ravisée et ait annulé la décision de verser le dividende était sans portée, la décision ayant été prise et l’engagement pris ainsi pas respecté. Le motif pour lequel la recourante s’était ravisée n’était pas pertinent. Le fait que la recourante ait tenté de régulariser la situation auprès de l’administration fiscale ne lui est pareillement d’aucun secours. Elle avait présenté dans un premier temps à l’AFC-GE des comptes comprenant le versement d’un dividende. Elle admettait par ailleurs ne pas avoir obtenu de rectification de l’administration fiscale sur ce point après avoir annulé sa décision de versement de dividende. Enfin, les explications que la recourante avançait au sujet des modalités prévues pour le versement du dividende (la cession de participations) et des motifs de cette opération (déplacer dans le bilan de la holding le risque inhérent à ces participations) ne changeaient rien au fait qu’elle avait décidé le versement d’un dividende, ce qui suffisait pour constituer une violation de ses engagements. La valeur réelle du dividende et le fait qu’il faudrait tenir compte d’un risque associé aux participations à céder étaient sans effet sur le fait qu’il s’agissait d’un dividende, entraînant au plan comptable une diminution de l’actif de la recourante (ATA/153/20025 du 10 février 2025 consid. 2.8).

2.8 En l’espèce, la recourante admet avoir décidé du versement d’un dividende de CHF 92'000.- en 2023, soit pendant la période de « blocage » telle que prévue à l’art. 6 OMCR 20. Or le versement de dividende pendant cette période était proscrit tant par la disposition précitée que par la convention (art. 5.2 de la convention).

L’argumentation selon laquelle elle n’aurait pas enfreint la disposition précitée dès lors que les fonds ayant servi à la distribution de ces dividendes proviendraient du rendement de sa participation à « B______ Genève SA » en 2022 ne peut être suivie. Le texte légal est clair et interdit tout versement de dividendes durant la période de « blocage », indépendamment de l’origine des fonds distribués.

C’est ainsi conformément à la loi et sans abus de son pouvoir d’appréciation que l’intimé a réclamé à la recourante le remboursement de l’aide qu’elle lui avait versée.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le département n’y ayant pas conclu et disposant par ailleurs d’un service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 février 2025 par A______ Sàrl contre la décision du département de l’économie et de l’emploi du 30 janvier 2025 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ Sàrl un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ Sàrl ainsi qu'à l'office cantonal de l'économie et de l'innovation.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MARINHEIRO

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :