Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/536/2025 du 13.05.2025 ( FORMA ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3234/2024-FORMA ATA/536/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 13 mai 2025 2ème section |
| ||
dans la cause
A______ recourante
contre
SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES intimé
A. a. Le 4 septembre 2024, A______, née en 1986, a adressé au service des bourses et prêts d'études (ci-après : SBPE) un formulaire de demande de chèque annuel de formation (ci-après : CAF).
b. Le jour même, le SBPE a adressé à la précitée une décision de refus valable sans signature. Elle ne remplissait pas les conditions fixées par la loi sur la formation continue des adultes du 18 mai 2000 (LFCA - C 2 08) et son règlement d'application du 13 décembre 2000 (RFCA - C 2 08.01), car le revenu déterminant unifié (ci-après : RDU) tarifaire de son couple, calculé selon ses revenus de l'année fiscale 2022 et avec un enfant à charge, était supérieur à CHF 124'001.-.
B. a. Le 11 septembre 2024, A______ a adressé un courriel au SBPE. À la suite de la réponse négative de celui-ci, elle souhaitait faire part d'un changement important de sa situation. En effet, elle était désormais divorcée et sa situation était moins favorable. Elle joignait le jugement de divorce du 27 août 2024 ainsi que son certificat de salaire 2023. Elle était toujours employée de son institut de beauté, aux mêmes conditions salariales, soit CHF 4'260.- bruts mensuels et avait un enfant à charge. Elle demandait au SBPE de « modifier le barème applicable ».
b. Le SBPE a traité ce courriel comme une réclamation, qu'il a rejetée par décision du 19 septembre 2024.
La limite supérieure du barème du RDU pour l'octroi d'un CAF était fixée à CHF 72'000.- pour une personne célibataire. Cette limite était augmentée de CHF 8'000.- pour chaque enfant reconnu comme charge fiscale.
Il avait actualisé son RDU en tenant compte du fait qu'elle était désormais divorcée avec un enfant à charge, ce qui portait la limite précitée à CHF 80'000.-.
Selon les pièces justificatives fournies ainsi que son avis de taxation 2023, son RDU actualisé sur les douze derniers mois s'élevait à CHF 91'283.-, ce qui était supérieur à la limite maximale. Le SBPE joignait un nouveau procès-verbal de calcul, lequel prenait notamment en compte un revenu total de CHF 55'217.- et une fortune « totale » de CHF 36'066.- (représentant 1/15e de sa fortune brute s'élevant à CHF 540'995.-), si bien que le RDU socle (revenu total + fortune totale) s'élevait à CHF 91'283.-.
C. a. Par acte posté le 3 octobre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur réclamation précitée, sans prendre de conclusions formelles.
Surprise par les montants indiqués dans la décision, elle avait pris contact avec son comptable afin de clarifier les points soulevés. Après analyse, il s'avérait que certaines erreurs avaient été commises, notamment concernant la déclaration de sa fortune brute ainsi que la dette liée à l'hypothèque, qui apparaissait dans le chef du mauvais contribuable (soit son ex-mari au lieu d'elle-même).
Elle joignait les documents corrigés établis par son comptable – qui s'était également adressé à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) le 24 septembre 2024 – et demandait que ces nouveaux éléments soient pris en considération pour la révision de son RDU.
b. Le 8 novembre 2024, le SBPE a conclu au rejet du recours.
Il avait procédé à une actualisation du RDU de la recourante vu les changements de situation annoncés et justifiés par celle-ci. Les revenus pris en compte étaient les revenus effectifs réalisés douze mois avant la formation ; cette partie du calcul n'était pas remise en question dans le recours.
Pour la fortune, avait été pris en compte le 1/15e du montant retenu par l'AFC-GE dans son avis de taxation 2023. La recourante contestait le montant de sa fortune au motif que sa déclaration fiscale contenait une erreur ; sa fiduciaire avait envoyé un courrier à l'AFC-GE en ce sens. La situation économique de A______ n'avait toutefois pas changé. Il s'agissait d'une modification des comptes annuels au 31 décembre 2023 de son entreprise B______SA. Le SBPE n'était pas compétent pour valider une telle modification, mais s'engageait à revoir sa décision si l'AFC-GE devait valider la modification sollicitée.
c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 6 décembre 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.
d. Le 18 novembre 2024, la recourante a transmis des pièces supplémentaires, notamment ses fiches de salaire 2023 et 2024.
e. Le 26 novembre 2024, le SBPE a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. L'acte de recours ne contient pas de conclusions.
2.1 Selon l’art. 65 al. 1 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant. En outre, il doit contenir l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé au recourant, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA). Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant, pourvu que la chambre administrative et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/393/2025 du 8 avril 2025 consid. 2.1).
2.2 En l’occurrence, même si la recourante ne prend pas de conclusions formelles, se contentant d’invoquer des erreurs de calcul, il faut comprendre qu’elle souhaite se voir reconnaître le droit à un CAF, si bien que le recours est recevable.
3. Le litige porte sur le refus de l'intimé d'allouer à la recourante un CAF, considérant que son RDU socle est supérieur aux limites posées par la législation applicable.
3.1 L'État encourage la formation continue des adultes, notamment par des CAF (art. 3 al. 1 let. b LFCA) dans tous les domaines d'activité. En règle générale, son action est subsidiaire (art. 1 al. 1 LFCA).
3.2 Le CAF est une prestation tarifaire au sens de l’art. 2 al. 2 et 3, et de l’art. 12 let. c de la loi sur le revenu déterminant unifié, du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06 ; art. 9 al. 1 LFCA).
Il correspond au coût de 40 heures de cours de formation continue dispensées à Genève dans tous les domaines d’activité. Des exceptions à ce principe peuvent être prévues par voie réglementaire. Pour les formations qualifiantes, les formations de base, les formations ciblées sur un métier, les formations transversales avec certification, son montant ne peut être supérieur à CHF 750.-. Pour les formations transversales sans certification, il ne peut être supérieur à 500.- (art. 9A al. 1 LFCA).
Il est délivré par le SBPE notamment aux personnes majeures domiciliées et contribuables dans le canton depuis un an au moins au moment de la demande (art. 10 al. 1 let. a LFCA).
3.3 Aux termes de l’art. 11 LFCA, pour l’octroi du CAF, le revenu déterminant unifié (ci-après : RDU) est celui résultant de la LRDU (al. 1). La limite du barème du RDU pour l’octroi du CAF est fixée à : CHF 72'000.- pour une personne célibataire (let. a), CHF 116'000.- pour une personne mariée ou liée par un partenariat enregistré (al. 2 let. b). La limite est augmentée de CHF 8'000.- pour chaque enfant reconnu comme charge par l’AFC-GE la déclaration de la personne sollicitant le chèque annuel de formation (al. 3). Le règlement d’application de la LRDU précise les modalités d’octroi (al. 6).
L’art. 11A LFCA prévoit que, dans le cadre des activités du service visant à traiter les demandes de CAF et conformément à l’art. 35 al. 1 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08), le service est autorisé à : consulter les bases de données de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), du RDU et de l’administration fiscale cantonale (let. a), disposer des données personnelles nécessaires à l’examen des demandes d’aides financières, notamment le numéro d'assurance vieillesse et survivants (let. b).
3.4 Le socle du revenu déterminant unifié est calculé automatiquement sur la base de la dernière taxation fiscale définitive (art. 9 al. 1 LRDU). Dans le cas où les éléments de revenus et de fortune ne sont pas disponibles, le socle du revenu déterminant unifié est calculé sur la base des revenus bruts, multipliés par un coefficient défini par voie réglementaire, et augmentés d'un quinzième de la fortune (art. 9 al. 2 LRDU). Le socle du revenu déterminant unifié au sens des alinéas 1 et 2 peut être actualisé (art. 9 al. 3 LRDU).
Le RDU est en principe actualisé sur la base des derniers éléments de revenus et de fortune connus de la personne ; les art. 4 al. 2 et 5 al. 2 LRDU – qui concernent tous deux le calcul des revenus, celui de la fortune étant prévu aux art. 6 et 7 LRDU – sont réservés (art. 10 al. 1 LRDU). Cette disposition décrit le mécanisme selon lequel le RDU est actualisé (PL 11326, p. 24/57, MGC 2013-2014 III A).
Par ailleurs, le revenu déterminant unifié est actualisé sur demande d’un service et/ou lorsque la condition économique de l’intéressé s’est modifiée entre la période qui a servi de base au calcul de la prestation et le moment où il présente sa demande ; ces changements sont annoncés et justifiés par l’intéressé (art. 10 al. 2 LRDU).
3.5 Pour rappel, en matière fiscale, l'art. 58 al. 1 let. a de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) énonce le principe de l'autorité du bilan commercial, ou principe de déterminance, selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Le principe de déterminance déploie aussi un effet contraignant pour le contribuable. En effet, celui-ci est lié par son mode de comptabilisation et seules les écritures ressortant des comptes sont décisives (Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand - Impôt fédéral direct, 2017, n. 51 ad art. 57-58). Les écritures comptables effectivement passées doivent être reprises par le droit fiscal et le contribuable ne peut se prévaloir que des écritures qu'il a effectivement enregistrées dans ses comptes, lesquels lui sont d'ailleurs opposables (principe de comptabilisation). Ce dernier principe implique donc que le contribuable est lié par les comptes qu'il a joints à sa déclaration (Pierre-Marie GLAUSER, Apports et impôt sur le bénéfice, vol. 2, 2005, p. 89).
3.6 En l'espèce, la recourante a obtenu l'actualisation de son RDU par l'intimé. Elle ne conteste pas le montant retenu à titre de revenu, qui correspond du reste aux fiches de salaire qu'elle a fournies. Elle conteste par contre le montant total retenu à titre de fortune – dont un quinzième est ajouté au revenu pour obtenir le RDU socle – au motif que sa taxation 2023, sur laquelle l'intimé a fondé son calcul conformément à l'art. 9 al. 1 LRDU, ne correspond pas à la réalité.
En demandant que son RDU socle soit modifié pour ce motif, elle perd toutefois de vue que la loi prévoit que le RDU soit actualisé sur la base des derniers éléments de revenus et de fortune connus de la personne. S'il peut être envisageable qu'une correction de taxation rétroactive soit prise en compte à ce titre – ce que l'intimé propose du reste de faire en cas de rectification de la taxation 2023 de la recourante –, il n'appartient pas à l'autorité administrative chargée de calculer le montant des prestations sociales de corriger ou de rectifier une taxation à la place des autorités et des juridictions fiscales. La recourante n'ayant pas fait état d'une décision prise par l'AFC-GE à propos de sa taxation 2023 à la suite du courrier de son mandataire, on doit partir de l'idée que celle-ci est toujours en force et qu'il y a toujours lieu d'utiliser, comme l'a fait l'intimé dans la décision attaquée, les chiffres de l'avis de taxation litigieux sans les modifier.
Le procès-verbal de calcul litigieux n'étant pas critiqué à un autre titre, les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.
4. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA et 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 3 octobre 2024 par A______ contre la décision sur réclamation du service des bourses et prêts d'études du 19 septembre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
|
| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière :
|