Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/482/2025 du 29.04.2025 sur JTAPI/567/2024 ( ICCIFD ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1558/2023-ICCIFD ATA/482/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 29 avril 2025 4ème section |
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dans la cause
A______ et B______ recourants
représentés par Me David MINDER, avocat
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 juin 2024 (JTAPI/567/2024)
A. a. B______ est, depuis le ______ 2007, inscrit au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève comme titulaire de l’entreprise individuelle C______, dont le but est : « gestion, achat, vente de biens immobiliers ». Son épouse, A______, exploite l’entreprise individuelle D______, inscrite au RC genevois depuis le ______ 2006, qui a pour but : « gestion, achat, vente de biens immobiliers ». Selon les indications des époux A______ et B______ (ci-après : les contribuables), ils sont tous deux au bénéfice d’un troisième cycle universitaire en économie et gestion et de plus de quinze ans d’expérience en tant que gestionnaires de fortune dans des banques à Genève ainsi que, pour B______, d’une certification comme « Chartered Financial Analyst ».
b. Selon leur déclaration fiscale 2011, les contribuables exerçaient tous deux la profession de « négociant immobilier » et le résultat de leur activité indépendante, soit une perte, ne concernait que le domaine immobilier. Les contribuables ont expliqué ultérieurement qu’ils ont, courant 2011, commencé à effectuer des transactions sur les marchés financiers (métaux précieux, devises, options call/put), mais qu’ils n’avaient pas déclaré la perte résultant de cette activité en 2011 parce que leur revenu imposable était déjà nul.
c. Dans leur déclaration fiscale 2012 du 27 décembre 2013, reçue le 6 janvier 2014 par l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC-GE), les époux indiquaient toujours comme profession « négociant immobilier ». À l’actif du bilan joint à leur déclaration, qui concernait l’activité indépendante des deux époux, figuraient, pour la première fois, des comptes bancaires professionnels « hors immobilier » pour un total de CHF 4’767’524.-. Au passif, outre des dettes bancaires liées à des immeubles spécifiques, figuraient des avances à terme fixe de CHF 1’666’000.- auprès du E______. Selon le compte d’exploitation, les revenus réalisés par l’activité indépendante des contribuables s’élevaient au total à CHF 2’702’455.68, dont CHF 659’373.- qualifiés de « revenus trading Forex ».
d. Dans les bordereaux ICC et IFD 2012 du 30 novembre 2018, l’AFC-GE a considéré les comptes bancaires précités et les revenus de trading Forex comme patrimoine privé et n’a pas intégré le revenu de CHF 659’373.- dans le revenu imposable. La profession des contribuables mentionnée dans les déclarations fiscales et le but de leurs entreprises inscrites au registre du commerce démontraient qu’ils n’étaient pas commerçants de titres, mais professionnels de l’immobilier.
e. Sur réclamation, les contribuables ont affirmé avoir élargi leur activité professionnelle en ouvrant une relation bancaire dédiée (compte Forex professionnel) auprès d’un établissement bancaire, dans le but de diversifier leurs revenus en prévision d’un ralentissement du marché immobilier. Ils devaient être considérés comme négociants professionnels de titres et le bénéfice déclaré devait être intégré dans le résultat de leur activité professionnelle.
f. Après divers échanges et l’obtention de pièces complémentaires, dont les relevés bancaires du E______ de 2012 à 2016, l’AFC-GE a, par décisions du 13 mars 2020, corrigé les taxations 2012 sur des points relatifs aux éléments immobiliers, en les maintenant pour le surplus. Les contribuables tiraient l’essentiel de leurs revenus de leur activité dans l’immobilier. Le trading ne représentait que 22.61% de leurs revenus bruts en 2012, avait généré des pertes de CHF 10’544’908.- entre 2013 et 2016 et n’était pas une activité viable. Les contribuables avaient, de manière insolite, intégré les comptes et les gains concernant le trading dans les comptes 2012 pour pouvoir, dès l’année suivante, déduire les pertes subies. Au moment d’établir leur déclaration fiscale 2012, fin décembre 2013, ils connaissaient en effet déjà la perte importante subie en 2013. Ces décisions n’ont pas fait l’objet d’un recours.
B. a. Les déclarations fiscales concernant les années fiscales litigieuses, soit 2013 à 2019, mentionnent comme profession des contribuables « négociant en immobilier, négociant en or » en 2013 et « négociant immobilier, valeurs mobilières » dès 2014.
Ces déclarations s’accompagnent d’un bilan et d’un compte de résultats, non signés, intitulés « D______ A______ » et « C______ B______ », qui attribuent tous les montants indiqués par moitié à chacun des époux.
L’actif des bilans 2013 à 2019 incluent un « Dépôt E______ Trading Forex ». Le passif se compose de dettes bancaires liées aux à des immeubles, un « Compte privé » et le résultat de l’exercice. Les comptes d’exploitation, qui affichent sous revenus d’exploitation des « revenus trading Forex », font état des chiffres suivants :
année fiscale | revenu trading forex | revenus totaux (y compris trading) | bénéfice/perte de l’activité indépendante |
2013 | - 9’564’531.00 | - 8’342’735.31 | - 8’920’157.73 |
2014 | - 423’457.00 | 2’649’043.65 | 2’183’102.57 |
2015 | - 289’358.00 | 162’384.14 | - 41’286.73 |
2016 | - 267’562.00 | 404’059.46 | - 135’349.15 |
2017 | 169’843.00 | 368'989.16 | 144’572.06 |
2018 | - 764’874.00 | 44’659.85 | - 101’894.15 |
2019 | - 52’658.00 | 821’309.40 | 759’750.46 |
| ‑11’192’597.00 |
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b. Par courrier du 9 février 2021, les contribuables ont demandé à l’AFC-GE de leur accorder le statut de commerçants professionnels de titres. Aucune réponse ne semble avoir été donnée à cette demande.
c. Le 20 février 2023, l’AFC-GE a notifié les bordereaux ICC et IFD 2013 à 2019, expliquant dans un courrier séparé, les raisons pour lesquelles le trading était considéré comme de la gestion privée et non comme commerce de titres professionnel.
d. Le 15 mars 2023, les contribuables ont contesté ces bordereaux, principalement au motif que leur activité de trading était une activité lucrative indépendante. L’AFC-GE a rejeté ces réclamations le 29 mars 2023.
C. a. Par actes déposés le 4 mai 2023, les contribuables ont formé recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à la prise en compte des pertes réalisées sur l’activité de trading de 2013 à 2019. Ils avaient effectué, à raison de 200 jours d’activité par année, une dizaine d’opérations par jour d’un montant de CHF 500’000.- à CHF 1’000’000.- chacune, le total annuel de celles-ci dépassant un milliard. Il s’agissait bien d’une activité indépendante professionnelle de commerce de titres, ce que confirmaient aussi la durée très courte de détention de la plupart des titres, les qualifications professionnelles des contribuables et les techniques de gestion professionnelles utilisées, dont l’utilisation de comptes Forex à fort levier et la négociation d’options et de produits structurés.
b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours. Elle a produit les déclarations fiscales 2020 et 2021 des époux, avec les annexes, dont il ressort que l’activité de trading était toujours déficitaire :
année fiscale | revenu trading forex | revenus totaux (y compris trading) | bénéfice/perte de l’activité indépendante |
2020 | -409’192.- | 288’058.15 | 231’861.43 |
2021 | -705’989.- | 289’144.85 | 263’094.90 |
c. Le 2 février 2024, après plusieurs prolongations de délai, les contribuables ont persisté, en indiquant que l’AFC-GE faisait une lecture erronée de la jurisprudence. L’AFC-GE ne s’est pas déterminée sur ce courrier.
d. Faisant suite à la demande du TAPI de produire le journal des écritures comptables et le grand livre relatifs à l’activité indépendante pour les exercices 2013 à 2019, le 13 mai 2024 les contribuables ont transmis, sur une clef USB, « les documents comptables qui en tiennent lieu ».
Il s’agissait des bilans et comptes de résultats de 2013 à 2019, correspondant essentiellement à ceux déjà joints aux déclarations fiscales, les comptes de 2014 différant toutefois sur plusieurs points des bilan et compte de résultat précédents et affichant notamment un résultat total de CHF 2’253’522.13 au lieu de CHF 2’183’102.57. Les contribuables produisaient aussi des relevés des comptes au E______, montrant de nombreuses opérations sur devises et métaux précieux de 2013 à 2019. Selon les contribuables, « les revenus et pertes liés à l’activité de trading ressortant des comptes de résultats correspondent à la différence entre le solde des comptes bancaires en fin de période fiscale et le solde des comptes bancaires au début de dite période fiscale, déduction faite des éventuels apports, respectivement adjonction faite des éventuels retraits ».
e. Par jugement du 10 juin 2024, le TAPI a rejeté le recours. Les pertes devaient obligatoirement être comptabilisées conformément aux exigences légales, faute de quoi leur déduction était exclue. Au vu du volume allégué des transactions, les contribuables étaient obligés de tenir une comptabilité commerciale au sens de l’art. 957 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220). Comme ils n’avaient pas respecté les exigences d’une comptabilité commerciale, ni d’ailleurs celles d’une comptabilité simplifiée, la déduction des pertes devait, pour cette seule raison, être refusée.
D. a. Par acte déposé le 12 juillet 2024, les contribuables ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, à ce que le statut de commerçants professionnels de titres au sens de la circulaire n° 36 de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) du 27 juillet 2021 leur soit accordé et les taxations et décisions sur réclamation pour les périodes fiscales 2013 à 2019 soient réformées, et à une indemnité de procédure.
Ils exerçaient, sous forme de société simple, une activité indépendante de trading, en plus de leur activité dans l’immobilier. Ce trading faisait l’objet d’une comptabilité simplifiée selon les règles applicables en 2013 et 2014, soit des bilans et comptes de résultats intitulés « A______ B______ - commerce de métaux précieux » datés du 12 juillet 2024, produits à l’appui de leur recours.
Le bilan 2013 produit devant la chambre administrative montre à l’actif le portefeuille au E______ (dont le montant correspond au « Dépôt E______ Trading Forex » figurant dans les précédents bilans 2013) et deux dépôts auprès de la banque F______ totalisant de CHF 201'839.86 (qui n’apparaissaient pas dans les bilans précédents), soit un total de CHF 1’366’110.86. Les passifs incluent un « Capital propre / Capital social » et un « Compte privé » totalisant CHF 10'930’641.86. Les produits inscrits dans le compte de résultat 2013 sous « 3600 Commerce de métaux précieux » s’élèvent à CHF -9’564’531.-, soit le montant des « revenus trading Forex » dans les premiers comptes, les charges étant de zéro. Le bilan 2014 mentionne à l’actif uniquement le portefeuille au E______. Le produit du commerce de métaux précieux est de CHF ‑423’457.-, d’où, compte tenu de charges financières de CHF 608.-, une perte de CHF 424’065.‑.
b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours et au maintien de ses décisions, renvoyant aux motifs exposés devant le TAPI et dans le jugement attaqué.
c. Les parties ont persisté, sur quoi la cause a été gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 145 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 57 let. a et 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le litige porte sur la taxation ICC et IFD de 2013 à 2019 et la déduction des pertes subies par les recourants dans le cadre de leur activité de trading sur les marchés financiers.
2.1 L’impôt sur le revenu a notamment pour objet tous les revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise, d’une profession libérale ou de toute autre activité lucrative indépendante, dont les bénéfices en capital provenant de l’aliénation d’éléments de la fortune commerciale (art. 18 al. 1 et 2 LIFD, art. 8 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14, art. 19 al. 2 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 - LIPP - D 3 08), en particulier les opérations sur titres dans la mesure où elles dépassent la simple administration de la fortune (art. 19 al. 1 LIPP). Les contribuables qui exercent une activité lucrative indépendante peuvent déduire les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel, dont les pertes effectives sur des éléments de la fortune commerciale, à condition qu’elles aient été comptabilisées (art. 27 al. 1 et al. 2 let. b LIFD et 10 al. 1 let. c LHID).
2.2 Les art. 957 ss CO sur la comptabilité commerciale et la présentation des comptes ont fait l’objet d’une modification entrée en vigueur le 1er janvier 2013. Les nouvelles dispositions s’appliquent à compter de l’exercice qui commence deux ans après l’entrée en vigueur (art. 2 al. 1 des dispositions transitoires de la modification du CO du 23 décembre 2011), soit dès le 1er janvier 2015.
2.2.1 Selon le nouveau droit, les entreprises individuelles ayant réalisé un chiffre d’affaires supérieur à CHF 500’000 lors du dernier exercice doivent tenir leur comptabilité et présenter leurs comptes conformément aux art. 957 à 958f CO (art. 957 al. 1 CO), ce qui implique notamment l’enregistrement intégral, fidèle et systématique des transactions et des autres faits nécessaires à la présentation du patrimoine, de la situation financière et des résultats de l’entreprise, la justification de chaque enregistrement par une pièce comptable et la traçabilité des enregistrements comptables (art. 957a al. 2 CO). Les comptes sont présentés dans un rapport de gestion contenant les comptes annuels individuels (comptes annuels), composés du bilan, du compte de résultat et de l’annexe, établi dans les six mois qui suivent la fin de l’exercice et signé par le président de l’organe supérieur de direction ou d’administration et par la personne qui répond de l’établissement des comptes au sein de l’entreprise (art. 958 à 958d CO). Les entreprises individuelles avec un chiffre d’affaires inférieur à 500’000 francs lors du dernier exercice ne tiennent qu’une comptabilité des recettes et des dépenses ainsi que du patrimoine (art. 957 al. 2 CO).
2.2.2 Selon l’ancien droit comptable, quiconque a l’obligation de faire inscrire sa raison de commerce au registre du commerce doit tenir et conserver, conformément au principe de régularité, les livres exigés par la nature et l’étendue de ses affaires, de manière à refléter à la fois la situation financière de l’entreprise, l’état des dettes et des créances se rattachant à l’exploitation, de même que le résultat des exercices annuels (art. 957 al. 1 aCO). Cela implique notamment de dresser, à la fin de chaque exercice annuel, un inventaire, un compte d’exploitation et un bilan conformes aux principes admis dans le commerce (art. 959 et 960 aCO), qui sont signés, dans le cas d’une entreprise individuelle, par le chef d’entreprise (art. 961 aCO). Est obligée de s’inscrire au registre du commerce, et donc de tenir une comptabilité commerciale, celui qui fait le commerce, exploite une fabrique ou exerce en la forme commerciale quelque autre industrie (art. 934 al. 1 aCO), dont toute personne physique qui exploite une entreprise individuelle en la forme commerciale et qui obtient, sur une période d’une année, une recette brute de 100’000 francs au moins (chiffre d’affaires annuel), en vertu de l’art. 36 de l’ordonnance sur le registre du commerce (ORC - RS 221.411) dans son ancienne teneur. Ce n’est pas le cas de celui qui n’a pas l’obligation mais la simple faculté de s’inscrire au registre du commerce (ATF 79 I 57) ni de la société simple, qui ne peut s’y faire inscrire (ATF 125 IV 177, publié in JT 2002 IV 75 et SJ 1999 I 411).
2.3 L’art. 125 LIFD et, en droit cantonal, l’art. 29 al. 2 LPFisc qui a une teneur similaire, précisent quels sont les justificatifs à joindre à la déclaration fiscale, en se référant aux art. 957 ss CO.
Les personnes physiques dont le revenu provient d’une activité lucrative indépendante doivent joindre à leur déclaration les comptes annuels signés (bilan, compte de résultats) concernant la période fiscale (art. 125 al. 2 let. a LIFD et 29 al. 2 let. a LPFisc) ou, en cas de tenue d’une comptabilité simplifiée en vertu de l’art. 957 al. 2 CO, un relevé des recettes et des dépenses, de l’état de la fortune ainsi que des prélèvements et apports privés concernant la période fiscale (art. 125 al. 2 let. b LIFD et 29 al. 2 let. b LPFisc).
Selon l’art. 125 al. 2 LIFD en sa teneur applicable en 2013 et 2014, les personnes physiques dont le revenu provient d’une activité lucrative indépendante et les personnes morales doivent joindre à leur déclaration les extraits de comptes signés (bilan, compte de résultats) de la période fiscale ou, à défaut d’une comptabilité tenue conformément à l’usage commercial, un état des actifs et des passifs, un relevé des recettes et des dépenses ainsi que des prélèvements et apports privés.
2.4 Selon la jurisprudence, les exigences auxquelles doivent répondre les pièces comptables requises par l’art. 125 al. 2 LIFD dépendent des circonstances d’espèce, en particulier du type d’activité et de l’ampleur de cette dernière, mais elles doivent, dans tous les cas, être propres à garantir une saisie complète et fiable du revenu et de la fortune liés à l’activité lucrative indépendante et pouvoir être contrôlées dans des conditions raisonnables par les autorités fiscales (arrêts du Tribunal fédéral 2C_339/2020 du 5 janvier 2021 consid. 7.1 et références ; 2C_189/2016 du 13 février 2017 consid. 6.4.4 ; 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 6.5). Cette exigence est d’autant plus importante lorsque le contribuable entend alléguer des faits de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale, ce qui lui incombe de prouver (arrêts du Tribunal fédéral 2C_339/2020 précité consid. 7.1 ; 2C_189/2016 précité consid. 6.4.4 ; 2C_87/2015 précité consid. 6.5).
L’état des actifs et passifs et le relevé des prélèvements et apports privés visés, sous l’ancien droit à l’art. 125 aLIFD doivent permettre de vérifier les mutations enregistrées au cours de la période fiscale, et le relevé des recettes et dépenses la correcte imputation des produits et charges qui y sont liés (Isabelle ALTHAUS‑HOURIET in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2008, n. 44 ad art. 125 LIFD). Les relevés doivent respecter les principes de base d’une comptabilité tenue en bonne et due forme, les numéros des pièces comptables devant être portés sur les pages des livres de caisse et de banque de même que sur les pages de chacun de comptes, afin que la comptabilisation de chaque pièce puisse être suivie jusqu’à la clôture des comptes ou inversement. Les données comptables qui ne reposent pas sur un suivi des pièces justificatifs ne répondent pas à cette exigence (Isabelle ALTHAUS‑HOURIET, op. cit., n. 45 ad art. 125 LIFD).
2.5 À propos de la comptabilisation des pertes commerciales, le Tribunal fédéral a confirmé qu’à défaut de comptabilité tenue en bonne et due forme, ces pertes doivent figurer dans le relevé des recettes et des dépenses au sens de l’art. 125 al. 2 LIFD (2C_87/2015 précité consid. 6.5). Ni une simple annonce orale que des pertes auraient été subies dans le cadre d’une activité de commerce de titres, ni la production de relevés bancaires ne permettent de considérer que les pertes ont été comptabilisées au sens de l’art. 27 al. 1 let. b LIFD et de l’art. 125 al. 2 LIFD et le fait que l’autorité fiscale puisse observer que des pertes ont été subies sur la base de relevés bancaires fournis par le contribuable, ne signifie pas encore que ces pertes ont été comptabilisées comme l’exige la loi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2020 précité consid. 7.2 et les références). De jurisprudence constante, le défaut de comptabilisation suffit à exclure la déduction des pertes, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de l’art. 27 al. 2 let. b LIFD (arrêts du Tribunal fédéral 2C_339/2020 précité consid. 7.2 ; 2C_630/2018 du 7 août 2018 consid. 4.2; 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 6.6).
3. En l’espèce, les recourants contestent que les pertes n’auraient pas été comptabilisées conformément aux dispositions applicables.
3.1 Les recourants ne prétendent pas que les conditions du nouveau droit, applicable aux exercices 2015 à 2019, seraient remplies.
Les bilans et comptes de résultat produits ne sont pas signés, contrairement à ce qui est prévu aux art. 29 al. 2 let. a LPFisc et 125 al. 2 let. a LIFD. Ils ne sont pas accompagnés de l’annexe prévue à l’art. 958 al. 2 CO, ni par un autre document comptable qui explique les revenus et pertes résultant du trading, qui font l’objet d’une seule ligne dans les comptes de résultat portant sur l’ensemble de l’activité indépendante des contribuables. Malgré la demande du TAPI de produire le journal des écritures comptables et le grand livre de l’activité indépendante, les recourants n’ont fourni aucun document reflétant l’enregistrement intégral, fidèle et systématique des transactions, comme le requiert le principe de régularité, tel que l’extrait du compte sur lequel doivent être comptabilisés les produits et dont le solde est repris dans les comptes annuels.
La production d’un lot de relevés bancaires avec l’indication que le résultat de l’activité de trading correspond à la différence entre les soldes des différents comptes courants au début et en fin de la période fiscale ne répond pas aux exigences découlant de la loi et de la jurisprudence, ce d’autant plus que les recourants ne donnent aucune indication sur l’existence et le montant des « éventuels » apports ou retraits dont il faudrait tenir compte.
3.2 Concernant les années 2013 et 2014, les recourants se prévalent de l’ancien droit comptable et de pièces complémentaires, qualifiées de comptabilité simplifiée, produites devant la chambre administrative, soit des bilans et des comptes de résultat au 31 décembre 2013 et 2014, intitulés « commerce de métaux précieux », datés du 12 juillet 2024.
3.2.1 Dans le cadre du recours devant la chambre administrative, le recourant peut produire les moyens de preuve nouveaux qui n’ont pas été invoqués dans les précédentes procédures (art. 68 LPA). Si la production de comptes – apparemment signés par le mandataire des recourants – établis une dizaine d’années après la fin de l’exercice comptable paraît pour le moins insolite, la question de leur admissibilité peut rester indécise compte tenu de ce qui suit.
3.2.2 Les recourants n’ont pas fourni de relevé de recettes. Les recettes (soit des pertes) résultant des bilans 2013 et 2014 produits en dernier lieu devant la chambre administrative correspondent essentiellement aux produits (négatifs) figurant dans les comptes de résultat sous « 3600 Commerce de métaux précieux ». Si l’indication d’un numéro de rubrique suggère qu’il existe dans la comptabilité un compte n° 3600 destiné à enregistrer ces produits, les recourants n’ont pas fourni l’extrait dudit compte, qui aurait permis de comparer les soldes au 1er janvier et au 31 décembre et de vérifier les mutations enregistrées au cours de la période fiscale, ni d’autre document comptable présentant les recettes et pertes imputées aux activités de trading en 2013 et 2014.
Les recourants n’ont pas non plus produit, devant le TAPI ou la chambre administrative, de relevé complet des dépenses. Le dernier compte de résultat ne mentionne que des charges financières pour 2014. Si l’on peut admettre que les différents types de charges sont limités compte tenu de la nature de l’activité, il ressort du dossier que la présentation des charges existantes est incomplète. Les comptes E______ et F______ figurant à l’actif pour plus de CHF 1'300'000.- en 2013 ont sans doute, comme en 2014, généré des frais, ce que confirment certaines pièces au dossier, mais pas les comptes annuels. Il est par ailleurs rappelé que les comptes F______ sont mentionnés dans la déclaration fiscale 2013 et le bilan dressé en dernier lieu, mais n’apparaissent pas dans les bilans 2013 produits précédemment devant l’AFC-GE et le TAPI, le dossier ne contenant pas d’explication de cette divergence dans la présentation de l’état des actifs.
Le relevé des apports et retraits privés prévu à l’art. 125 al. 2 aLIFD fait également défaut. Si les recourants ont indiqué au TAPI qu’en plus de comparer les soldes des comptes bancaires, il fallait déduire les « éventuels apports » ou ajouter « des éventuels retraits » pour déterminer le revenu réalisé, ils n’ont donné aucune indication sur l’existence ou non de tels prélèvements ou apports en 2013 et 2014 et sur la manière dont ceux-ci ont, le cas échéant, été comptabilisés.
Il résulte de ce qui précède que les recourants n’ont pas fourni les relevés que l’art. 125 al. 2 aLIFD requiert en l’absence de comptabilité conforme à l’usage commercial, ni d’autres documents comptables permettant de retracer les pertes inscrites au bilan, et ce malgré la demande expresse du TAPI de produire les documents complémentaires qui auraient permis de vérifier les mutations enregistrées pendant les périodes fiscales concernées. La production d’une série de relevés bancaires, sans suivi de pièces justificatives dans la comptabilité, ne permet pas aux autorités fiscales de contrôler, dans des conditions raisonnables, les montants dont la déduction est demandée et qu’il incombe au contribuable de prouver.
Partant, les recourants n’ont pas démontré avoir comptabilisé les pertes conformément aux règles sur la comptabilité simplifiée, ce qui exclut leur déduction. Dans ces circonstances, la question de savoir si, comme l’a retenu le TAPI, les recourants devaient pour les années 2013 et 2014, compte tenu du volume de transactions allégué, tenir une comptabilité commerciale, soumise à des conditions encore plus strictes au regard de l’enregistrement systématique des transactions et du suivi des enregistrements par des pièces justificatives notamment, peut demeurer indécise.
Le grief sera écarté.
4. Les recourants contestent que la qualification de commerçants professionnels de titres serait exclue vu le caractère durablement déficitaire de leur activité de trading.
4.1 La notion d'activité lucrative indépendante est une notion de droit fiscal. Selon la jurisprudence, elle englobe toute activité par laquelle un entrepreneur participe à la vie économique à ses propres risques, avec l'engagement de travail et de capital, selon une organisation librement choisie et avec l'intention de réaliser un bénéfice, effectuée soit à titre principal soit à titre accessoire, de manière durable ou temporaire (ATF 125 II 113 consid. 5b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2020 précité consid. 7.3.3 ; ATA/1203/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b).
Pour déterminer si l’on se trouve en présence d’une activité lucrative indépendante, il convient de se fonder sur l’ensemble des circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 2C_188/2015 du 23 octobre 2015 consid. 2.2 et les références). Est déterminant le fait que l’activité lucrative est, dans son ensemble, dirigée vers l’obtention d’un gain, ce qui s’évalue selon un critère subjectif et un critère objectif. Le critère subjectif est réalisé en présence d’une intention d’obtenir un profit et le critère objectif lorsque l’activité est profitable dans la durée (ATF 143 V 177 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_188/2015 du 23 octobre 2015 consid. 2.2 ; ATA/1203/2021 précité consid. 3c).
4.2 La jurisprudence reconnaît qu’il est dans l’ordre des choses qu’une activité entreprise en vue d’en tirer un revenu connaisse une période de démarrage au cours de laquelle les charges excèdent les produits ou sont tout juste couvertes par ceux-ci. C’est également un fait d’expérience qu’une activité longtemps bénéficiaire peut, à un moment donné, devenir déficitaire. Tant que ces situations ont un caractère passager et qu’il existe une perspective d’amélioration ou de redressement à terme raisonnable, elles ne font pas perdre à l’activité en question son caractère lucratif. En revanche, si ces situations perdurent, l’activité n’a pas ou n’a plus de justification économique, et il appartient à celui qui l’exerce d’en tirer les conséquences en cessant ou en réorientant son activité. S’il persiste dans l’exercice de cette activité en y engageant des moyens financiers propres dont il dispose par ailleurs et qu’aucun investisseur ne consentirait raisonnablement à engager, il opère alors un choix qui échappe à des critères de rationalité économique et il faut considérer qu’il poursuit d’autres motifs subjectivement plus importants pour lui que celui d’atteindre un profit (ATF 143 V 177 consid. 4.2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_375/2015 du 1er décembre 2015 consid. 7.4.1 ; 2C_307/2010 du 27 août 2010 consid. 2.2 ; 2A_40/2003 du 12 septembre 2003 consid. 2.3). L’activité n’est dans ce cas plus exercée en vue d’atteindre un profit, mais relève du hobby ou du passe-temps et les dépenses consacrées ne peuvent alors, pour cette raison même, plus être considérées comme engagées en vue de se procurer un revenu ; elles relèvent de l’emploi du revenu (ou de la fortune) privé et, comme telles, ne sont pas déductibles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_307/2010 précité consid. 2.2 et les références ; ATA/1203/2021 précité consid. 3c ; ATA/780/2015 du 28 juillet 2015 consid. 6 et les références).
Le Tribunal fédéral a jugé que cinq années consécutives de pertes, de plusieurs centaines de milliers de francs à compter de la deuxième année, permettaient de confirmer que le commerce de titres auquel s’adonnait le contribuable n’était pas propre à générer un profit durable et avaient à juste titre conduit à nier la qualification d’activité lucrative indépendante s’agissant du commerce de titres (arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2020 précité consid. 7.3.3).
Les années pouvant être prises en considération pour déterminer le caractère profitable de l’activité sont non seulement les années antérieures à l’année fiscale litigieuse mais également les périodes suivantes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_375/2015 précité consid. 7.3.3 ; ATA/1203/2021 précité consid. 3c).
4.3 En l’espèce, après avoir généré des revenus de CHF 659’373.- en 2012, le trading a généré d’importantes pertes. Durant la période litigieuse, de 2013 à 2019, il n’a rapporté de revenus qu’en 2017, soit le montant relativement modeste de CHF 169’843.- que l’AFC-GE a traité comme un gain privé exonéré. Les six autres années, l’activité des recourants sur les marchés financiers a généré des pertes totalisant CHF 11'300'000.-. Une telle évolution ne correspond pas au démarrage progressif d’une nouvelle activité lucrative ni à des difficultés passagères, mais reflète une activité qui est largement et durablement déficitaire.
Si les recourants sont, dans l’ensemble, parvenus à générer des revenus entre 2014 et 2019, c’est très majoritairement grâce aux produits découlant de leur activité immobilière, qui ont permis d’absorber les pertes persistantes résultant du trading. Les pertes de CHF 409’192.- respectivement CHF 705’989.- générées par le trading en 2020 et 2021 confirment que la situation perdure. Même en élargissant la période à dix ans (de 2012 à 2021), le trading a généré CHF 12'400'000.- de pertes et seulement CHF 829’216.- de revenus (CHF 659’373.- + CHF 169’843.‑). Un tel résultat échappe aux critères de rationalité économique au sens de la jurisprudence précitée.
Le critère du caractère lucratif pour admettre l’existence d’une activité indépendante est admis de jurisprudence constante et, contrairement à ce qu’affirment les recourants, ne consacre aucune inégalité de traitement. Indépendamment des motivations subjectives des recourants, de leurs qualifications professionnelles ou des efforts qu’ils peuvent y consacrer pour des raisons qui leur sont propres, le trading ne constitue manifestement pas une activité lucrative dirigée vers l’obtention d’un gain.
Pour ce motif également, le recours est rejeté.
Les éléments qui précèdent scellent l’issue du recours, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres caractéristiques de l’activité déployée sur les marchés financiers, parmi lesquelles le volume des transactions et les moyens mis en œuvre par les recourants.
5. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.-, sera mis à la charge des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 12 juillet 2024 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 juin 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met à la charge solidaire de A______ et B______ un émolument de CHF 1’000.- ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me David MINDER, avocat des recourants, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
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| le président siégeant :
J.-M- VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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