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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3093/2023

ATA/686/2024 du 10.06.2024 ( AMENAG ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;DROIT FONCIER RURAL;PARTAGE MATÉRIEL;ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ
Normes : LPA.49.al1; LDFR.58; LDFR.61
Résumé : Recours de l’OCAN contre l’autorisation délivrée par la Commission foncière agricole (CFA) de transférer une parcelle soumise à la loi sur le droit foncier rural à une société anonyme. Un tel transfert n’avait pas déjà été autorisé par la précédente décision de la CFA, de nature constatatoire. Il entraînait la sortie de la parcelle de l’entreprise du propriétaire. Ne remplissant pas l’une des exceptions prévues par la loi, il était donc contraire à l’interdiction du partage matériel. La société acquéreuse, dont les actions étaient détenues par une holding et non par des personnes physiques, n’avait en outre pas la qualité d’exploitant à titre personnel, ce qui entraînait aussi le rejet de l’autorisation d’acquisition, faute de la réalisation de l’une des exceptions prévues par la loi. Recours admis et requête en autorisation de l’acquisition d’un immeuble agricole rejetée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3093/2023-AMENAG ATA/686/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 juin 2024

 

dans la cause

 

OFFICE CANTONAL DE L'AGRICULTURE ET DE LA NATURE recourant

contre

 

A______
représenté par Mes Romaine ZÜRCHER et Émile BRANCA, avocats

et

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE intimés



EN FAIT

A. a. A______, né en 1956, est propriétaire de la parcelle n° 4'953 de la commune de Satigny (ci-après : la parcelle), d’une surface de 60'445 m2, située en zone agricole et assujettie à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11). Une partie de la parcelle est comprise dans le plan directeur des gravières. Le barreau routier de B______, en projet, la traverse.

b. A______, exploitant à titre personnel (ci-après : l’exploitant), est propriétaire d’une entreprise agricole, dont la parcelle fait partie.

c. B______ HOLDING SA (ci-après : la holding), inscrite au registre du commerce du canton de Genève (ci-après : RC) le 8 juillet 2011, a pour but toute prise de participation à des sociétés et des entreprises commerciales, industrielles, financières et immobilières, dans le sens d’une société holding à l’exception de toute opération prohibée par la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE - RS 211.412.41). A______ en est l’administrateur unique avec signature individuelle et il détient les 100 actions nominatives constituant son capital-social.

d. C______ SA, inscrite au RC le 2 juin 2022, a notamment pour but l’exploitation de domaines agricoles et viticoles, la production et la commercialisation, en Suisse et à l’étranger, des vins et autres produits viticoles ou agricoles issus des exploitations. Elle est détenue à 91% par D______, fils de A______.

Le 1er mai 2022, elle a signé avec A______ un contrat de bail à ferme portant sur l’ensemble des parcelles agricoles du précité, valable du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2034.

Par décision de l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) du 13 juin 2022, elle a été reconnue comme exploitation du domaine agricole à compter du 1er janvier 2022 et D______ comme son exploitant à titre personnel.

B. a. Le 30 novembre 2022, l’exploitant a informé la commission foncière agricole (ci‑après : CFA) qu’il souhaitait restructurer son patrimoine, en transférant la parcelle dans une société agricole dont il serait actionnaire à 100%. Le mode de détention de son entreprise resterait pour le surplus inchangé. Il souhaitait isoler cet immeuble, dévolu à terme à l’exploitation temporaire de gravier. Une charge visant à garantir le maintien de l’entreprise agricole pouvait être prononcée en même temps que l’autorisation de restructurer son entreprise.

L’exploitant a formellement demandé à la CFA de l’autoriser à restructurer son entreprise agricole, en détenant la parcelle au travers d’une société agricole dont il serait propriétaire à 100%, à la condition qu’il obtienne une autorisation d’acquérir la parcelle vendue en faveur de ladite société.

b. Le 14 février 2023, la CFA a rendu une décision constatatoire par laquelle elle ne s’opposait pas à la restructuration de l’entreprise agricole de l’exploitant en société agricole dont le capital serait détenu à 100% par ce dernier. Sa directive en matière de personnes morales, les prescriptions relatives au démantèlement d’une entreprise agricole, et celles sur l’autorisation d’acquisition d’une parcelle agricole au regard de la LDFR demeuraient réservées.

C. a. Le 17 avril 2023, l’exploitant a requis de la CFA l’autorisation de transférer la parcelle au sens de l’art. 61 LDFR à la société agricole B______ SA en création (ci-après : la société). Il a allégué qu’aucun bail à ferme n’était conclu sur la parcelle et que la société serait détenue à 100% par la holding. Il a joint à sa requête les projets de statuts et de contrat d’apport en nature de cette dernière.

Selon ces documents, la société aurait pour but la production et la commercialisation de tous produits dans le domaine de l’agriculture, ainsi que l’acquisition, l’exploitation et la mise en valeur de tous biens mobiliers ou immobiliers agricoles dans le respect de la LDFR. Son capital-social de CHF 100'000.- serait composé de 100 actions nominatives. L’exploitant s’engageait à faire un apport en nature de la parcelle pour un prix total de CHF 483'560.-.

b. Par ordonnance préparatoire du 9 mai 2023, la CFA a considéré que le prix convenu était surfait. La parcelle comprenait toutefois deux bâtiments. Elle a en conséquence invité l’exploitant à lui transmettre l’acte constitutif de la société, une ventilation du prix convenu (terrain, bâtiments) et une expertise des bâtiments.

c. Le 4 juillet 2023, l’exploitant a indiqué que le prix licite maximum correspondait à CHF 883'560.-, soit CHF 400'000.- pour le bâtiment conformément à un rapport d’évaluation du 25 mai 2023, et CHF 483'000.- pour le terrain, représentant 60'445 m2 à CHF 8.- le m2. Il a transmis à l’autorité le rapport précité ainsi que l’acte constitutif de la société, aux termes duquel les actions de la société étaient souscrites par la holding et l’exploitant nommé administrateur. La holding s’engageait à faire l’apport en nature de la parcelle.

d. Par décision du 11 juillet 2023, la CFA a autorisé l’apport à la société de la parcelle pour le prix total de CHF 883'560.-, conformément aux prix susmentionnés du m2 et des bâtiments.

D. a. Par acte posté le 22 septembre 2023, l’OCAN a interjeté recours contre cette décision devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à son annulation et au renvoi de la cause à la CFA.

La décision contrevenait au principe de l’interdiction du partage matériel d’une entreprise agricole consacrée par l'art. 58 LDFR, sans faire état de circonstances correspondant à l'une des exceptions prévues à l'art. 60 LDFR, dont aucune n'était réalisée.

La société n'avait en outre pas la qualité d'exploitant à titre personnel au sens de l'art. 9 LDFR. À l'état de projet, elle ne pouvait pas être encore tenue pour existante. Ses actions ne seraient en outre pas souscrites par des personnes physiques mais par la holding. Celle-ci, dépourvue de but à finalité agricole et dont les actions étaient au porteur, ne pouvait pas être considérée comme une exploitante à titre personnel. La décision querellée ne comportait aucune indication sur le but de l'acquéreur ni sur ses projets concernant le bien-fonds en cause.

b. L’exploitant a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision querellée.

Le principe d'une restructuration de son entreprise agricole en société agricole dont il détiendrait le capital social à 100%, validé par la décision de la CFA du 14 février 2023, ne pouvait plus être remis en cause. Il était en tout état de cause propriétaire d'une entreprise agricole, dont l'unité économique et juridique perdurerait, dans le mesure où il demeurerait propriétaire des immeubles, bâtiments et installations nonobstant la modification du mode de détention de la parcelle. Le projet de restructuration visait un renforcement de sa position d'exploitant et la diminution des charges fiscales, ce qui allait dans le sens des buts visés par la LDFR. La CFA conserverait un droit de regard en cas de cession des parts sociales. Il n'y avait donc pas de partage matériel au sens de l'art. 58 al. 1 LDFR. Dans l’hypothèse inverse, son interdiction, non matériellement nécessaire, contreviendrait à la liberté économique de l’exploitant.

Il était détenteur à 100% des actions de la holding qui, comme celles de la société, étaient nominatives. Toute aliénation de participations de la société serait soumise à autorisation. Le but social de cette dernière était essentiellement agricole et la parcelle constituerait son unique actif. Elle devait lui permettre d'optimiser son entreprise agricole, notamment en isolant l'immeuble dévolu à terme à l'exploitation temporaire de gravier et pour des motifs fiscaux. Lui-même continuerait d'exploiter et de cultiver personnellement sa parcelle. Que la société soit en création n'importait pas dès lors que le transfert de la parcelle devrait respecter les conditions de l'autorisation. L'autorité intimée n'avait pour le surplus pas jugé nécessaire d'assortir l’autorisation d’acquérir de charges ou de conditions.

c. La CFA a persisté dans la décision querellée.

Sa première décision du 14 février 2023 étant entrée en force de chose jugée, le grief du recourant tiré de l'interdiction du partage matériel était irrecevable. Les conditions d'une exception étaient de toute manière remplies au vu de ce que la vente de tout ou partie des actions des sociétés de l’exploitant serait soumise aux limitations prévues par les art. 58 ss LDFR.

La décision querellée tenait compte de ce que l'opération en cause visait une séparation des risques parfaitement légitime et fréquemment utilisée dans d'autres secteurs économiques. Son but, soit de renforcer la position de l'exploitant, suivait celui de la loi. L’autorité intimée n'avait donc pas jugé nécessaire d'assortir sa décision de charges et conditions.

Le but de la société était exclusivement agricole et la holding était détenue à 100% par l’exploitant.

d. Dans sa réplique, l'OCAN a persisté dans ses conclusions.

La décision du 14 février 2023 ne lui était pas opposable, le propriétaire n'ayant démontré aucun intérêt juridique à obtenir une décision en constatation de droit. Elle ne se référait de toute manière à aucun état de fait spécifique et réservait toutes les dispositions légales applicables. L’exploitant ne pouvait dès lors en déduire aucun droit dans le cadre du transfert de sa parcelle à la société.

L'opération en cause visait à transférer la propriété d'une parcelle faisant partie d'une entreprise agricole dans un patrimoine non agricole, n'étant pas allégué que la holding constituerait une telle entreprise et la société n'existant pas encore.

L’exploitant possédait certes une entreprise agricole, comprenant la parcelle, mais l'ensemble de ses parcelles agricoles et viticoles étaient affermées à C______ SA, détenue à 91% par son fils, D______, reconnu comme exploitant. La société n’était donc pas majoritairement la propriété du réel exploitant. Ses actions étaient en outre détenues par la holding et, n’exploitant pour l'heure aucune parcelle agricole puisqu’elle était en création, il n’était pas établi que son but soit l'exploitation agricole.

La CFA soutenait à tort que les conditions de l'art. 60 al. 2 LDFR étaient remplies. Ni la holding ni la société n'étaient propriétaire d'une entreprise agricole, D______ n'avait fait état d'aucune intention de reprendre l'entreprise de l’exploitant et le partage matériel n'avait pas été approuvé par le conjoint du précité.

La parcelle devait constituer un apport en nature de la holding, mais son transfert à cette dernière n'avait pas encore été autorisé. Quand bien même la structure de l'actionnariat majoritaire eût permis l'octroi de l'autorisation d'acquérir la parcelle, il ne fallait pas perdre de vue la finalité de l'opération qui était de sortir cette dernière du patrimoine d'une entreprise agricole, ce qui n'était pas conforme à la LDFR. L'interdiction d’une telle opération en l’absence de la réalisation des exceptions prévues constituait une restriction à la liberté économique prévue par cette loi, justifiée par l'intérêt public y décrit et proportionnée au but visé.

e. L’exploitant a dupliqué et persisté dans ses conclusions.

La décision de la CFA du 14 février 2023 entrait dans le cadre de la LDFR, dont l’art. 84 ne prévoyait pas les possibilités de décision constatatoire de manière exhaustive, et elle se référait à l’état de fait décrit dans sa demande du 30 novembre 2022. Il avait un intérêt légitime à ce que les principes de la restructuration de son entreprise agricole soient constatés juridiquement. La décision du 14 février 2023 était dès lors contraignante pour l'OCAN et l’autorisait à restructurer son entreprise agricole en société agricole. Seules les caractéristiques de la société et les éventuelles charges dont serait assortie l’autorisation pouvaient encore être discutées.

Il exploitait personnellement la parcelle, y réalisant une partie substantielle des tâches inhérentes à la direction et à l’exploitation de son entreprise agricole. Le fait qu’il avait affermé ses parcelles et qu’il ne perçoive plus de paiement direct n’était pas déterminant. La restructuration litigieuse n’influencerait ni sa qualité d’exploitant personnel, ni l’unité économique et juridique de son entreprise agricole, de sorte que l’interdire violerait sa liberté économique.

L’exploitant a produit une liste des tâches qu’il réalisait encore personnellement, tant que sa santé le lui permettait.

f. La CFA a renoncé à dupliquer.

g. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑ LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) par l’autorité cantonale de surveillance ayant la qualité pour recourir (art. 83 al. 3 LDFR ; art. 12 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 ‑ LaLDFR ‑ M 1 10 ; art. 1 du règlement d’exécution de la loi d’application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 26 janvier 1994 ‑ RaLDFR ‑ M 1 10.01).

2.             L’objet de la présente procédure porte sur la conformité au droit de l’autorisation accordée à l’intimé de céder la parcelle à la société au titre d’apport.

3.             Le recourant reproche en premier lieu à l’autorité intimée d’avoir violé le principe de l’interdiction du partage matériel d’une entreprise agricole. Cette dernière, avec l’intimé, considère que ce grief est irrecevable eu égard à sa décision du 14 février 2023, entrée en force de chose jugée, et que la LDFR a en tout état de cause été respectée.

3.1 L’art. 49 al. 1 LPA autorise l’autorité compétente d’office ou sur demande à constater par une décision l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits ou d’obligations fondés sur le droit public.

La CFA est l’autorité compétente en matière d’autorisation dans le cadre de l’application de la LDFR (art. 83 al. 1 LDFR ; art. 9 LaLDFR ; art. 2 RaLDFR).

L’art. 84 LDFR l’habilite à constater qu’une entreprise ou un immeuble agricole est soumis à l’interdiction de partage matériel, à l’interdiction de morcellement, à la procédure d’autorisation ou au régime de la charge maximale (let. a.) ou que l’acquisition d’une entreprise ou d’un immeuble agricole peut être autorisée (let. b).

3.2 La nullité absolue d'une décision peut être invoquée en tout temps devant toute autorité et doit être constatée d'office. Elle ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement reconnaissables et pour autant que sa constatation ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire (ATF 130 II 249 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_354/2015 du 21 janvier 2016 consid. 4.1). Des vices de fond d'une décision n'entraînent qu'exceptionnellement sa nullité. Entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité appelée à statuer, ainsi qu'une erreur manifeste de procédure (ATF 129 I 361 consid. 2.1).

L’autorité de chose jugée ne se rapporte qu’aux points effectivement tranchés par l’autorité de recours. Il y a lieu de se référer aux motifs de sa décision pour définir la portée de l’autorité de chose jugée (ATA/532/2024 du 30 avril 2024 consid. 1.2).

3.3 Aux termes de l’art. 58 al. 1 LDFR, aucun immeuble ou partie d’immeuble ne peut être soustrait à une entreprise agricole (interdiction de partage matériel). Cette interdiction ne s’applique notamment pas dans le cadre d’améliorations foncières opérées avec le concours de l’autorité (art. 59 let. a LDFR).

L’art. 60 al. 1 LDFR permet à l’autorité cantonale compétente d’autoriser des exceptions aux interdictions de partage matériel et de morcellement quand : l’entreprise ou l’immeuble agricole est divisé en une partie qui relève du champ d’application de la LDFR et en une autre qui n’en relève pas (let. a) ; des immeubles ou parties d’immeubles d’une entreprise agricole sont échangés, avec ou sans soulte, contre des terres, des bâtiments ou des installations mieux situés pour l’exploitation ou mieux adaptés à celle-ci (let. c) ; la partie à séparer sert à arrondir un immeuble non agricole situé en dehors de la zone à bâtir, si ce moyen n’a pas déjà été utilisé ; l’immeuble non agricole peut être agrandi de ce fait de 1’000 m2 au plus (let. d) ; un bâtiment agricole, y compris l’aire environnante requise, qui n’est plus nécessaire à l’exploitation d’une entreprise ou d’un immeuble agricole est transféré au propriétaire d’une entreprise ou d’un immeuble agricole voisin pour être affecté à un usage conforme à l’affectation de la zone et que ce transfert permet d’éviter la construction d’un bâtiment qui devrait faire l’objet d’une autorisation en vertu de l’art. 16a de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700 ; let. e) ; un droit de superficie doit être constitué au bénéfice du fermier de l’entreprise agricole sur la partie à séparer (let. f) ; la capacité financière de la famille paysanne est fortement compromise et une menace d’exécution forcée peut être détournée par l’aliénation d’immeubles ou de parties d’immeubles (let. g) ; une tâche publique ou d’intérêt public doit être accomplie (let. h) ; la séparation est effectuée afin de mettre en place un bâtiment d’exploitation servant à une entreprise collective ou une installation équivalente (let. i).

L’autorité permet en outre une exception à l’interdiction de partage matériel si les conditions suivantes sont remplies (art. 60 al. 2 LDFR) : le partage matériel sert principalement à améliorer les structures d’autres entreprises agricoles (let. a) ; aucun parent titulaire d’un droit de préemption ou d’un droit à l’attribution n’entend reprendre l’entreprise agricole pour l’exploiter à titre personnel et aucune autre personne qui pourrait demander l’attribution dans le partage successoral ne veut reprendre l’ensemble de l’entreprise pour l’affermer (let. b) ; le conjoint qui a exploité l’entreprise avec le propriétaire approuve le partage matériel (let. c).

Les exceptions à l'interdiction de partage matériel sont énumérées exhaustivement à l'art. 60 LDFR ; on ne saurait en créer d'autres après coup (ATF 121 III 75 consid. 3d).

3.4 En l’espèce, il est constant que l’intimé est propriétaire d’une entreprise agricole, incluant l’exploitation de la parcelle.

Dès lors que celle-ci sera cédée à la société, elle ne fera plus partie de l’entreprise de l’intimé, mais appartiendra à la précitée, dont les actions sont détenues par la holding. Quoi qu’en dise l’intimé, l’opération en cause aura donc indéniablement pour effet de soustraire la parcelle à son entreprise agricole.

La précédente décision de l’autorité intimée, du 14 février 2023, entrée en force de chose décidée, n’est entachée d’aucun motif de nullité. Elle a en effet été rendue par l’autorité compétente désignée par la LDFR pour statuer sur les demandes d’autorisation et elle est habilitée à se prononcer de manière constatatoire, en particulier au sujet de l’interdiction du partage matériel et de la possibilité d’autoriser l’acquisition d’un immeuble agricole. La décision ne tranche cependant aucun de ces deux points litigieux. Elle se limite, en termes généraux, à ne pas s’opposer à la restructuration de l’entreprise agricole de l’intimé en société agricole, tout en réservant l’application des normes de la LDFR concernant le démantèlement d’une entreprise et l’acquisition d’une parcelle agricole. Les conclusions prises par l’intimé mentionnaient expressément la nécessité préalable d’obtenir une autorisation d’acquérir la parcelle en faveur de la société. La précédente décision de l’autorité intimée n’a ainsi aucune portée dans le cadre du présent contentieux.

Sur le fond, le partage matériel n’est pas licite, dans la mesure où il ne procède notamment pas d’améliorations foncières réalisées avec le concours de l’autorité au sens de l’art. 59 let. a LDFR. Il ne pouvait en outre pas être autorisé, aucune des situations prévues à l’art. 60 al. 1 LDFR n’étant réalisée en l’espèce. L’éventuelle future affectation d’une partie de la parcelle à l’exploitation d’une gravière ne réalise en particulier pas les conditions de l’art. 60 al. 1 let. a LDFR, et l’optimisation fiscale ne constitue pas une circonstance permettant de déroger à l’interdiction de partage matériel. Celui-ci n’a pas non plus vocation à permettre l’amélioration des structures d’autres entreprises agricoles (art. 60 al. 2 LDFR).

Pour ce motif déjà, la décision querellée doit être annulée et la requête de l’intimé du 17 avril 2023 rejetée.

4.             Le recourant considère en second lieu que l’acquéreur n’a pas la qualité d’exploitant à titre personnel.

4.1 L’art. 61 LDFR soumet à autorisation l’acquisition d’une entreprise ou d’un immeuble agricole (al. 1). Sont des acquisitions le transfert de la propriété, ainsi que tout autre acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété (al. 3). L’autorisation est accordée lorsqu’il n’existe aucun motif de refus (al. 2).

N’a pas besoin d’être autorisée l’acquisition faite notamment dans le cadre d’une expropriation ou d’améliorations foncières opérées avec le concours de l’autorité (art. 62 let. e LDFR).

4.2 L’acquisition d’une entreprise ou d’un immeuble agricole est refusée notamment lorsque l’acquéreur n’est pas exploitant à titre personnel (art. 63 al. 1 let. a LDFR).

Est exploitant à titre personnel quiconque cultive lui-même les terres agricoles et, s’il s’agit d’une entreprise agricole, dirige personnellement celle-ci (art. 9 al. 1 LDFR).

Les personnes morales remplissent l’exigence de l’exploitation à titre personnel lorsque leurs membres ou associés disposant d’une participation majoritaire remplissent les conditions posées pour être reconnus comme exploitants à titre personnel ou qu’au moins la majorité de ces personnes travaillent dans l’exploitation. En outre, le détenteur de la participation majoritaire doit pouvoir disposer de l’entreprise, constituant l’actif principal de la personne morale, de manière à pouvoir l’utiliser comme instrument de travail, comme s’il en était directement propriétaire. Les personnes morales ne sont toutefois reconnues comme exploitantes à titre personnel qu’avec retenue. Ces principes, développés au sujet de l’exploitation d’une entreprise individuelle sous la forme d’une personne morale, s’appliquent, mutatis mutandis, aux immeubles agricoles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_317/2023 du 1er mars 2024 destiné à la publication, consid. 4.1.2). Ils visent à garantir les possibilités de contrôle de la qualité d’exploitant à titre personnel. Ils imposent que les actions d’une société anonyme soient nominatives et exclusivement détenues par des personnes physiques, ce qui exclut les groupes de sociétés. Celles-ci mettent en danger le contrôle de l’entreprise et ne peuvent prétendre à une autorisation (ATF 140 II 233 consid. 3.2.3 et 5.6.2).

Lorsque l’acquéreur n’est pas personnellement exploitant, l’autorisation lui est accordée s’il prouve qu’il y a un juste motif pour le faire (art. 64 al. 1 LDFR). La loi donne plusieurs exemples (let. a à g).

4.3 En l’espèce, l’acquisition de la parcelle est soumise à autorisation, aucune des exceptions prévues à l’art. 62 LDFR n’étant remplie, ce que les parties ne contestent pas. L’acquisition n’est en particulier pas faite dans le cadre d’améliorations foncières opérées avec le concours de l’autorité (art. 62 let. e LDFR).

Il n’est pas nécessaire de trancher la question, soulevée par l’autorité intimée, de savoir si l’intimé a bien encore la qualité d’exploitant à titre personnel, au vu de ce que toutes ses parcelles sont affermées à C______ SA, appartenant à son fils, depuis le 1er janvier 2022. La société, acquéreuse de la parcelle, ne revêt en effet de toute manière pas une telle qualité.

Pour cause, la jurisprudence n’admet l’exploitation d’une entreprise agricole ou l’acquisition d’un immeuble agricole par une personne morale qu’avec retenue. Cette dernière doit être détenue majoritairement par des personnes physiques revêtant la qualité d’exploitants à titre personnel et disposant de l’entreprise agricole ou de l’immeuble. Or, tel n’est formellement pas le cas de la holding, bien qu’en l’état, ses actions soient détenues par l’intimé. La jurisprudence rendue en matière d’exploitation d’une entreprise agricole, applicable à l’acquisition d’un immeuble agricole, exclut expressément les groupes de sociétés comme détentrices des actions. La holding ne poursuit par ailleurs aucun but visant spécifiquement l’exploitation agricole.

L’intimé ne se prévaut d’aucun juste motif au sens de l’art. 64 al. 1 LDFR permettant d’accorder l’autorisation d’acquérir à la société bien qu’elle ne soit pas personnellement exploitante.

Cette restriction repose sur une norme fédérale claire (art. 63 al. 1 let. a LDFR), que les tribunaux sont tenus d’appliquer (art. 190 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst - RS 101). Elle poursuit en tout état de cause le but prévu par la LDFR de maintenir un contrôle de la qualité d’exploitant personnel ainsi que de la cession des immeubles et entreprises agricoles. Elle est proportionnée en ce sens qu’elle ne prohibe pas sur le principe la structuration de l’entreprise en société ni l’acquisition par cette dernière d’un immeuble agricole. La liberté économique de l’intimé est donc respectée.

Le recours sera admis, la décision querellée annulée et la requête de l’intimé du 17 avril 2023 rejetée.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de l’intimé, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 septembre 2023 par l’office cantonal de l’agriculture et de la nature contre la décision de la commission foncière agricole du 11 juillet 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision de la commission foncière agricole du 11 juillet 2023 ;

rejette la requête de A______ du 17 avril 2023 ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’office cantonal de l’agriculture et de la nature, à Mes Romaine ZÜRCHER et Émile BRANCA, avocats de A______, à la commission foncière agricole ainsi qu'à l’office fédéral de la justice.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :