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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1628/2023

ATA/646/2024 du 28.05.2024 sur JTAPI/1411/2023 ( PE ) , REJETE

Recours TF déposé le 05.07.2024, 2C_341/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1628/2023-PE ATA/646/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 mai 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par le Centre Social protestant, soit pour lui, François MIEVILLE, mandataire

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2023 (JTAPI/1411/2023)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______1955, est ressortissant somalien.

b. Le 23 mars 2021, son épouse B______ a adressé à l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande de regroupement familial en sa faveur auprès d’elle.

Elle avait épousé A______ le ______ 1994 à C______ en Somalie. Elle était arrivée en Suisse en juillet 2007, avec sa fille cadette et avait été mise au bénéfice d'une admission provisoire. Les sept autres enfants étaient entrés en Suisse le 5 octobre 2011 à la suite d’un regroupement familial. Elle et les huit enfants, nés entre 1995 et 2006, étaient tous titulaires d'une autorisation de séjour en Suisse.

Son mari avait connu de sérieux problèmes en Somalie avec les militants islamistes (shebab) qui l'avaient agressé et blessé à deux reprises. Il avait quitté son pays pour Djibouti en 2006 où il était resté jusqu'en 2012, en convalescence et craignant pour sa vie. Durant ces années, il avait été coupé des membres de sa famille. C'était à son retour en Somalie qu'il avait retrouvé la mère de son épouse et avait pu reprendre contact avec elle et leurs enfants.

Il leur téléphonait souvent. En 2019, son épouse et six de leurs enfants l'avaient rejoint pour un mois en Somalie. Après avoir déménagé dans un appartement plus grand, sa famille avait entamé les démarches en vue d'un regroupement familial.

C’était parce que les conditions légales n'étaient pas remplies au préalable qu'il n'avait pas déposé sa demande plus tôt.

c. Le 7 juin 2022, A______ a déposé une demande de visa d'entrée en Suisse auprès de l'Ambassade de Suisse à Nairobi en vue du regroupement familial.

d. Le 1er février 2023, l’OCPM lui a signifié son intention de refuser sa demande d'entrée et d'octroi d'une autorisation de séjour.

Son épouse était détentrice d'une autorisation de séjour pour la transformation de son admission provisoire, soit une prise de résidence dans le cadre de l'aide aux réfugiés reconnus en Suisse, valable depuis le 23 octobre 2017. Elle était au bénéfice d'un contrat de travail à 80% et percevait des prestations complémentaires familiales (ci-après : PCFam) en tant que seul parent qui travaillait. Si l'intéressé la rejoignait en Suisse, elle devrait travailler à au moins 90% pour ne pas perdre son droit aux PCFam car elle vivrait en couple. Dès lors, sa venue ferait basculer la famille hors des prestations complémentaires familiales, péjorant la situation car l'aide sociale devrait prendre le relais et les conditions de l'art. 44 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) ne seraient pas remplies. Les déplacements qu’il avait effectués entre 2006 et 2012 suite aux problèmes rencontrés en Somalie avec les militants islamistes n'étaient étayés par aucun document. Enfin, les délais légaux n'avaient pas été respectés car il aurait dû déposer sa demande entre le 25 juillet 2011 et le 25 juillet 2016, soit dans les cinq ans après le délai d'attente de trois ans après l'admission provisoire. Or, la demande n'avait été formulée que le 25 mars 2021.

e. Le 6 mars 2023, A______ a persisté dans sa demande.

Son épouse avait été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour le 23 octobre 2017. Ses demandes des 23 mars 2021 et 7 juin 2022 avaient donc été faites dans le délai de cinq ans prévu par l'art. 47 al. 3 let. b LEI. Le délai prévu par l'art. 74 al. 3 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) était prévu pour les titulaires d'une admission provisoire et ne concernait pas son épouse, titulaire d'une autorisation de séjour. La séparation des époux résultait de tragiques circonstances involontaires. La date de reprise de contact n'était pas claire mais cela devait plutôt être en 2013 et 2014. On ne pouvait leur opposer un intérêt moindre à vivre ensemble, et il était compréhensible qu'ils aient eu besoin de renouer progressivement avant d'envisager la reprise d'une vie commune après une aussi longue séparation. Ce n’était qu'après leurs retrouvailles en 2019 qu'ils avaient tous décidé de vivre à nouveau ensemble. La situation financière de la famille s'était améliorée puisqu'une de leurs filles, vivant avec sa mère, percevait désormais un salaire de CHF 1'273.- mensuel dans le cadre de son apprentissage. Son salaire venait s'ajouter aux ressources de la famille. Il pourrait également bénéficier d'un subside d'assurance-maladie. Si nécessaire, sa venue devrait permettre à la famille de bénéficier à nouveau de prestations complémentaires au cas où ses revenus ne suffiraient pas à couvrir toutes ses dépenses. Elle n'en percevait plus depuis septembre 2022. Son épouse travaillait en réalité à un taux avoisinant les 90% car en plus de son engagement auprès de l’Hôtel D______, elle occupait un emploi de dix à quinze heures par mois auprès de l'E______ SA. Quelques heures supplémentaires de travail par mois avec cet employeur semblaient possibles. Son taux d'activité lui donnerait ainsi droit à des prestations complémentaires. Dès lors, la crainte que la famille dépende de l'aide sociale avec son arrivée n'était pas fondée.

f. Par décision du 24 mars 2023, l'OCPM a refusé, pour les mêmes motifs que ceux indiqués dans sa lettre d'intention, d'octroyer une autorisation d'entrée et de séjour en faveur d’A______.

Les art. 85 al. 7 LEI et 74 al. 3 OASA faisant référence au délai d'attente de trois ans après le prononcé de l'admission provisoire n'avaient pas été pris en compte par l'intéressé au même titre que la différence entre admission provisoire (livret F) et autorisation de séjour (livret B). Il ne remplissait pas les conditions de l'art. 44 LEI, qui ne donnait aucun droit à une autorisation de séjour. Quand bien même les moyens financiers de la famille seraient suffisants, il n'en demeurait pas moins que la demande avait été déposée hors délai.

B. a. Par acte du 11 mai 2023, A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'OCPM de lui autoriser l'entrée en Suisse en vue du regroupement familial.

Son épouse et ses enfants n'étaient plus assistés par l'Hospice général (ci-après : l’hospice) depuis le 1er août 2016 et ne percevaient plus de prestations complémentaires depuis septembre 2022. Les enfants mineurs étaient encore étudiants, hormis F______, qui avait entrepris un apprentissage d'horticulture, et G______, victime d'un grave accident de vélo en 2017 et percevant une rente de l'assurance-invalidité. Son épouse vivait avec six de leurs enfants dans un appartement de six pièces tandis que les deux aînés logeaient dans leur propre appartement.

L'art. 47 al. 3 let. b LEI prévoyait un délai de cinq ans après l'obtention de l'autorisation de séjour pour déposer la demande de regroupement familial. Le regroupement familial en vertu de l'art. 85 al. 7 LEI n'avait pas été possible puisque l'admission provisoire de son épouse avait pris fin en octobre 2017 et qu'elle ne vivait pas dans un logement lui permettant d'accueillir une personne supplémentaire. L'OCPM avait remis en question de manière arbitraire son parcours tragique au prétexte qu'aucune preuve n'avait été fournie, laissant ainsi entendre que la séparation familiale aurait été volontaire. En cela, il avait abusé de son pouvoir d'appréciation. Il n'avait pas non plus pris en considération le fait que les époux avaient repris contact un à deux ans après son retour en Somalie en 2012 et qu'ils leur avaient fallu un certain temps pour reprendre leur relation. Les autres conditions de l'art. 44 LEI étaient réalisées. Il ferait ménage commun dans un logement approprié avec sa famille.

Il produisait un chargé de pièces, dont un contrat de travail entre l'E______ SA et son épouse, non daté, pour une activité de femme de ménage pour un salaire horaire brut de CHF 30.-, et les bulletins de salaire de février 2023 d'un montant de CHF 230.90, de mars 2023 d'un montant de CHF 319.05 et d'avril 2023 d'un montant de CHF 273.80.

b. Le 13 juillet 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Les conditions des art. 44 et 47 LEI n'étaient pas réalisées. B______ avait été mise au bénéfice d'une admission provisoire le 25 juillet 2008, en vertu de l'art. 74 al. 3 OASA. Si les délais prévus à l'art. 85 al. 7 LEI étaient respectés, la demande devait être déposée dans les cinq ans. La demande déposée le 25 mars 2021 était manifestement hors délai, étant précisé que la délivrance d'une autorisation de séjour le 23 octobre 2017 n'avait pas fait courir de nouveau délai. Le regroupement familial ne pouvait dès lors être autorisé qu'en présence de raisons familiales majeures, non réalisées en l'espèce.

c. Le 31 août 2023, A______ a persisté dans ses conclusions.

d. Par jugement du 19 décembre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

La demande de regroupement familial avait été déposée le 25 mars 2021, tandis que B______ a été admise provisoirement le 25 juillet 2008. Par conséquent, la demande était tardive. L'autorisation de séjour délivrée à B______ le 23 octobre 2017 ne changeait rien à cet égard. En effet, compte tenu du caractère tardif de la demande de regroupement familial, cette dernière ne pouvait pas être considérée comme une première demande de regroupement valable au sens de la jurisprudence. Ainsi, A______ ne pouvait se prévaloir d'un nouveau délai au sens de l'art. 47 al. 3 let. b LEI.

Les époux ne faisaient plus ménage commun depuis 2006, soit depuis bientôt 18 ans. Ils n'avaient pas formulé de demande de regroupement familial durant toutes ces années alors qu'ils le pouvaient depuis le 25 juillet 2011, au motif qu'ils n'avaient repris contact qu'en 2013 ou 2014, avaient besoin de temps pour renouer leur relation et que la condition du logement approprié n'était pas réalisée.

À cela s'ajoutait qu’A______ aurait été agressé en Somalie par des militants islamistes, le forçant à s'établir à Djibouti jusqu'en 2012. Cette situation, qu'il n'avait pas démontrée, n'avait toutefois pas d'impact puisqu'il aurait pu déposer sa demande de regroupement familial dès son retour en Somalie en 2012.

Le fait que les époux avaient souhaité éprouver leur relation et que B______ n'avait bénéficié que tardivement d'un logement approprié pour accueillir son époux ne constituaient pas des raisons familiales majeures au sens de l'art. 47 al. 4 LEI, qui ne devait être appliqué qu'avec retenue. Les conditions restrictives du regroupement familial différé selon l’art. 47 al. 4 LEI et 75 OASA n’étaient pas réunies.

C. a. Par acte remis à la poste le 30 janvier 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM d’autoriser son entrée en Suisse en vue du regroupement familial.

La seule question litigieuse était le délai dans lequel il avait déposé sa demande. Toutes les autres conditions au regroupement familial étaient remplies.

Les conditions au regroupement familial pour les titulaires d’une admission provisoire n’étaient pas remplies durant le délai s’étendant de juillet 2011, soit trois ans après la délivrance de l’autorisation provisoire, à juillet 2016. La famille ne disposait pas d’un logement adéquat pour le recevoir et elle dépendait de l’aide sociale. Ce n’était que par la suite qu’elle avait pu changer sa situation, devenir indépendante de l’hospice en août 2016 et trouver un logement adéquat en juillet 2020. Une demande de regroupement familial déposée entre juillet 2011 et juillet 2016 n’aurait eu aucune chance de succès. La position de l’OCPM revenait à priver les titulaires d’autorisations de séjour de toute possibilité de demander le regroupement familial.

La procédure définie par l’OCPM, qui n’était prévue par aucune disposition légale, même pas une ordonnance, entraînait des calculs d’apothicaire et obligeait l’autorité à prendre en compte à chaque fois le temps écoulé sans demande depuis l’octroi de l’admission provisoire. Les directives du secrétariat d’État aux migrations (ci- après : SEM) ne permettaient pas de contourner la loi.

Enfin, si B______ n’avait pas été mariée avec lui, il aurait pu obtenir un visa pour venir en Suisse l’épouser.

Il rappelait son parcours dramatique et les événements tragiques indépendants de sa volonté, l’éloignement, les communications difficiles et un statut en Suisse ne permettant ni de voyager ni de demander un regroupement familial avec des chances de succès, les nombreuses années nécessaires pour pouvoir finalement déposer la demande.

b. Le 27 février 2024, l’OCPM a conclu au rejet du recours, se référant au jugement entrepris ainsi qu’à sa décision.

c. Le 2 avril 2024, la recourant a indiqué ne pas avoir d’observations complémentaires à formuler.

d. Le 3 avril 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et les pièces qu’elles ont produits.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige a pour objet le refus d'octroyer au recourant une autorisation d'entrée et de séjour au titre du regroupement familial.

2.1 Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, la chambre administrative ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario).

2.2 Le 1er janvier 2019, est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), devenue la LEI, étant précisé que la plupart des dispositions de la LEI sont demeurées identiques.

2.3 La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Somalie.

2.4 Selon l’art. 85 al. 7 LEI, le conjoint et les enfants célibataires de moins de 18 ans des personnes admises à titre provisoire, y compris les réfugiés admis à titre provisoire, peuvent bénéficier du regroupement familial et du même statut, au plus tôt trois ans après le prononcé de l’admission provisoire, aux conditions suivantes : (a) ils vivent en ménage commun ; (b) ils disposent d’un logement approprié ; (c) la famille ne dépend pas de l’aide sociale ; (d) ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile ; (e) la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (loi sur les prestations complémentaires, LPC - RS 831.30) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial. Selon l’al. 7bis de la même disposition, pour l’octroi de l’admission provisoire, une inscription à une offre d’encouragement linguistique suffit en lieu et place de la condition prévue à l’al. 7 let. d.

À propos du délai de trois ans prévu à l’art. 85 al. 7 LEI, le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) a jugé, dans un arrêt F-2739/2022 du 24 novembre 2022, que compte tenu des précisions apportées par la CourEDH dans son arrêt M.A. c. Danemark n° 6697/18 du 9 juillet 2021, il appartient au SEM et au TAF de modifier leur pratique relative à l'application du délai d'attente de trois ans, dans le sens de sa mise en conformité avec l'exégèse de l'art. 8 CEDH opérée par la CourEDH. Aussi longtemps que la LEI n'aura pas été révisée, cela signifie concrètement qu'à l'approche d'un délai d'attente effectif de deux ans – délai qu'il y a lieu de fixer au plus tôt à six mois avant l'atteinte des deux ans de délai de carence –, les autorités suisses compétentes sont tenues de procéder, à la demande de la partie requérante, à un examen individuel et détaillé de son cas. Ce faisant, elles tiendront compte de l'ensemble des facteurs cités par la CourEDH, dont notamment le niveau d'intégration en Suisse, l'existence d'obstacles insurmontables à la poursuite de la vie familiale dans le pays d'origine ou dans un État tiers et l'intérêt supérieur de l'enfant, afin de déterminer si l'application d'un délai plus bref que les trois ans légaux s'impose pour des considérations liées à la protection de la vie familiale garantie par l'art. 8 CEDH (consid. 6.5). Dans sa directive du domaine de l’asile du 1er janvier 2008, dans son état au 1er juin 2023 (directive LAsi), le SEM a prévu que si dans un cas d’espèce, la mention du délai d’attente en cours s’avère disproportionnée, un regroupement familial peut être autorisé avant l’échéance du délai d’attente légal (ch. 6.3.9.1).

Selon l’art. 74 OASA, si les délais relatifs au regroupement familial prévus à l’art. 85 al. 7 LEI sont respectés, la demande visant à inclure des membres de la famille dans l’admission provisoire doit être déposée dans les cinq ans ; les demandes de regroupement familial pour les enfants de plus de 12 ans doivent être déposées dans les douze mois suivants ; si le lien familial n’est établi qu’après l’expiration du délai légal prévu à l’art. 85 al. 7 LEI, les délais commencent à courir à cette date-là (al. 3). Passé ce délai, le regroupement familial différé ne peut être autorisé que pour des raisons familiales majeures ; si nécessaire, les enfants de plus de quatorze ans sont entendus ; en règle générale, l’audition se déroule dans les locaux de la représentation suisse du lieu de séjour (al. 4). La situation particulière des réfugiés admis à titre provisoire doit être prise en considération lors de la décision relative à l’autorisation de regroupement familial. Pour les membres de la famille des réfugiés admis à titre provisoire, l’art. 37 de l’ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l’asile relative à la procédure (ordonnance 1 sur l’asile, OA 1 - RS 142.311) s’applique par analogie (al. 5).

2.5 Selon l’art. 44 al. 1 LEI, le conjoint étranger du titulaire d’une autorisation de séjour peut obtenir une autorisation de séjour et la prolongation de celle-ci notamment s’il vit en ménage commun avec lui (let. a), dispose d’un logement approprié (let. b), ne dépend pas de l’aide sociale (let. c), est apte à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile (let. d), la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la LPC ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial (let. e).

Cette disposition, par sa formulation potestative, ne confère pas un droit au regroupement familial (ATF 137 I 284 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_548/2019 du 13 juin 2019 consid. 4), l'octroi d'une autorisation de séjour étant laissé à l'appréciation de l'autorité (ATF 139 I 330 consid. 1.2).

Le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois (art. 47 al. 1 LEI). Pour les membres de la famille d’étrangers, les délais commencent à courir lors de l’octroi de l’autorisation de séjour ou lors de l’établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. b LEI). Selon le texte clair de l’art. 47 al. 1 LEI, le délai est respecté si la demande de regroupement familial est déposée avant son échéance (ATA/1109/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.2 et les références citées).

2.6 Selon les directives du SEM en matière de droit des étrangers d’octobre 2013 dans leur état au 1er avril 2024 (ci-après : directives LEI), si l’étranger pouvait bénéficier du regroupement familial avant l’octroi de l’actuelle autorisation obtenue à la suite de la transformation de l’admission provisoire en autorisation de séjour ou de l’autorisation de séjour en autorisation d’établissement, il en est tenu compte pour calculer le délai pour demander le regroupement familial. Toutefois, les étrangers ne disposant pas d’un droit au regroupement familial qui ont sollicité en vain une première autorisation de séjour en faveur des membres de leur famille peuvent, ultérieurement à la survenance d’une circonstance leur ouvrant un véritable droit au regroupement familial, former une nouvelle demande pour autant que la première ait été déposée dans les délais visés à l’art. 47 LEI et que la seconde le soit également dans ces délais (n° 6.10.1 ; ATF 137 II 393 consid. 3.3 et arrêt du Tribunal fédéral 2C_888/2011 du 20 juin 2012 consid. 2.4 et 2.5).

2.7 Les délais fixés par la législation sur les personnes étrangères ne sont pas de simples prescriptions d’ordre, mais des délais impératifs, dont la stricte application ne relève pas d’un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 2.3).

2.8 Selon les art. 47 al. 4 LEI et 74 al. 4 OASA, une fois passé le délai pour demander le regroupement familial, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures.

L’art. 75 OASA prévoit que des raisons familiales majeures au sens de l’art. 47 al. 4 LEI et des art. 73 al. 3 et 74 al. 4 OASA peuvent être invoquées lorsque le bien de l’enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse. L’OASA ne mentionne pas le cas du conjoint.

Les directives LEI prévoient que les raisons familiales majeures doivent être interprétées d’une manière compatible avec le principe du respect de la vie familiale (art. 13 Cst., art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101 ; directives LEI n° 6.1.3).

Elles envisagent principalement le cas des enfants dont le regroupement familial est demandé tardivement et développent une casuistique (n° 6.10.2). Elles renvoient à la jurisprudence fédérale en matière de domicile commun s’agissant de la demande tardive de regroupement du conjoint (n° 6.10.3).

Selon cette dernière, tant que des raisons objectives et plausibles ne justifient pas le contraire, il y a lieu d’admettre que les conjoints qui vivent volontairement séparés pendant des années manifestent un moindre intérêt à vivre ensemble (arrêts du Tribunal fédéral 2C_348/2016 du 17 mars 2017 consid. 2.3 et 2C_914/2014 du 18 mai 2015 consid. 4.1).

Sous l’angle de l’exigence du ménage commun prévue par l’art. 49 LEI, le Tribunal fédéral a relevé que le message évoquait des raisons professionnelles ou d’autres raisons importantes et compréhensibles (FF 2002 3753). Ces raisons doivent être objectivables et avoir un certain poids. Le motif apparaît d’autant plus sérieux que les époux ne pourraient remédier à leur situation de vie séparée qu’au prix d’un important préjudice. Un délai de six semaines pour trouver un logement dans un marché tendu à Zurich ne permet pas d’exclure que les époux ont une volonté commune de mariage et de communauté familiale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_544/2010 du 23 décembre 2010 consid. 2.3.1 et 3.2.2 ; directives LEI n° 6.10.3).

Dans le cas d’un recourant demandant le regroupement familial pour son épouse et leurs trois enfants et qui expliquait qu’alors qu’il était étudiant en Suisse il n’avait pas les moyens de faire venir sa famille, le Tribunal fédéral a rappelé qu’une demande de regroupement dans le cadre de l’art. 44 LEI devait également être présentée dans le délai, même si, à cette date, ses chances de succès étaient limitées. Le fait que le recourant n’avait pas été en mesure de remplir à temps les conditions requises pour le regroupement familial n’était en principe pas un motif important au sens de l’art. 47 al. 4 LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_948/2019 du 27 avril 2020 consid. 2.3.4 et 3.4.1 et les références citées).

Le Tribunal fédéral a exclu l’applicabilité de l’art. 47 LEI et confirmé le refus d’autoriser le regroupement familial dès lors que le recourant avait tardé à trouver les moyens de subsistance pour assurer l’entretien de sa famille (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.2.6).

2.9 En l’espèce, seule demeure litigieuse la question du délai pour demander le regroupement familial.

Il n’est pas contesté que l’épouse du recourant a bénéficié d’une admission provisoire en 2007 puis obtenu une autorisation de séjour le 23 octobre 2017.

Il suit de là que la demande de regroupement familial formée le 23 mars 2021 était tardive et que c’est conformément au droit que l’OCPM a refusé d’octroyer une autorisation de séjour au recourant.

Le recourant fait valoir que la demande ne pouvait être formée qu’une fois réunies les conditions matérielles pour l’accueillir. Il ne peut être suivi.

Il expose qu’il avait dû quitter la Somalie en 2006 pour être soigné à Djibouti, qu’il n’avait quitté Djibouti qu’en 2012 et qu’à son retour en Somalie, il avait pu reprendre contact avec son épouse.

Il ne fournit toutefois ni précision ni documentation à l’appui de ces allégations, le bien-fondé paraît douteux, compte tenu de la durée particulièrement longue de la convalescence (six ans) et de la perte de tout contact avec sa famille qu’il allègue sans plus de détails.

Quoi qu’il en soit, même si ces affirmations étaient vraies, il aurait selon ses explications pu reprendre contact avec son épouse dès 2012. Il lui était ainsi possible de former une demande de regroupement familial dans le délai de huit ans (soit trois ans d’attente après l’admission provisoire plus cinq ans de délai) lequel expirait en juillet 2015.

Le recourant explique avoir régulièrement parlé à son épouse et à ses enfants au téléphone. Il ajoute que ce n’est qu’en 2019, à l’occasion d’un voyage en Somalie, que son épouse et leurs enfants auraient manifesté le souhait qu’il les rejoigne en Suisse.

Une telle attente, sans aucune explication, ne correspond pas à des raisons familiales majeures au sens de l’art. 47 al. 4 LEI et des art. 73 al. 3 et 74 al. 4 OASA, soit des raisons objectives et plausibles d’une longue séparation au sens de la jurisprudence susévoquée, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que le recourant et son épouse ont en réalité vécu volontairement séparés pendant de nombreuses années et ont manifesté de la sorte un moindre intérêt à vivre ensemble.

Enfin, l’argument de la nécessité d’assurer les conditions matérielles tombe à faux. Conformément à la jurisprudence évoquée plus haut, il aurait en toute hypothèse incombé à l’épouse du recourant d’établir rapidement les conditions économiques pour l’accueillir.

Le recourant fait encore valoir que l’octroi d’autorisations de séjour à son épouse et leurs enfants lui ouvrirait un nouveau droit. Or, il a été vu que tel n’est le cas que pour les étrangers qui ont sollicité en vain une première autorisation de séjour en faveur des membres de leur famille, lesquels peuvent, ultérieurement à la survenance d’une circonstance leur ouvrant un véritable droit au regroupement familial, former une nouvelle demande pour autant que la première ait été déposée dans les délais visés à l’art. 47 LEI et que la seconde le soit également dans ces délais.

Le recourant se plaint encore d’une discrimination puisqu’il obtiendrait très probablement un visa et une autorisation de séjour s’il demandait à épouser son épouse. Outre que la délivrance d’un titre de séjour n’est pas assurée en de telles circonstances, celles-ci diffèrent totalement de la présente cause et ne sauraient être invoquées à l’appui d’une inégalité de traitement.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2024 par A______contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge d’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;


 

communique le présent arrêt au Centre Social protestant, soit pour lui, François MIEVILLE, mandataire du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.