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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2900/2023

ATA/468/2024 du 16.04.2024 ( FPUBL ) , REJETE

Recours TF déposé le 23.05.2024, 1C_316/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2900/2023-FPUBL ATA/468/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 avril 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Fanny ROULET-TRIBOLET, avocate

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE intimée



EN FAIT

A. a. La Directive générale sur le temps de travail du département en charge de la Police DS COPP.01, entrée en vigueur le 30 mars 2015 et mise à jour le 14 novembre 2018 (ci-après la directive), a pour objectif de définir les horaires de service et d'en unifier la gestion et les procédures de modification en fonction des besoins opérationnels. Elle concerne l’ensemble des directions et services de la police. Il est précisé dans les définitions de la directive que les jours non travaillés sont libellés en tant que liberté, repos, fériés. Les jours C, au sens de l'outil de gestion des temps COPP, sont considérés comme des jours de repos.

b. En préambule, la directive rappelle que le personnel de la police est au service de la population et doit assurer une réponse aux citoyens 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et que les horaires de service sont établis pour répondre aux critères supra ainsi qu'aux besoins opérationnels de chaque service et/ou entités spécifiques. Il est aussi précisé qu’en fonction des contraintes liées aux besoins opérationnels et des formations notamment, les horaires de service seront adaptés selon les critères définis dans la directive, qui s'applique aux policiers et aux ASP de niveau 2, 3 et 4 de la police cantonale au sens de l'art. 19 al. 1 let. a et b LPol.

c. L’art. 4.1. de la directive – délais de planification – précise que les événements sporadiques – dits non récurrents – ajoutés au temps de travail planifié et impliquant des modifications d'horaires sur un jour de repos, doivent être annoncés au collaborateur au minimum 30 jours à l'avance. Selon l’art. 4.2, toute modification d'horaire doit être annoncée au collaborateur dans les délais énoncés dans cette directive. La communication orale sera privilégiée. Dans l'impossibilité d'une communication orale, un message (SMS) sera envoyé sur le téléphone professionnel. Pour le calcul des délais mentionnés, il sera tenu compte de la date et de l'heure de l'annonce de la mission et de l'horaire prévisionnel, l'heure de l'appel au collaborateur ou, le cas échéant, de l'envoi du SMS faisant foi.

B. a. A______ est agente de police, appointée, et bénéficie en cette qualité d’un téléphone professionnel.

b. Selon l’outil de gestion spécifique « coordination opérationnelle du personnel de la police » (ci-après : COPP), elle était en heures rendues (ci-après : HR) du 16 au 31 octobre 2021.

c. Le 22 octobre 2021 à 17h42, une mobilisation générale a été annoncée à l’ensemble du personnel policier par SMS, indiquant « 12ème conférence B______ du 25 novembre au 5 décembre 2021 : les mobilisations ont été publiées. Votre nouvel horaire est à disposition dans COPP ».

d. Le 2 novembre 2021, l’union du personnel du corps de police (ci-après : UPCP) a interpellé la commandante de la police (ci-après : la commandante) au sujet de cette mobilisation s’agissant, entre autres, des changements d’horaire durant les vacances.

e. Le 5 novembre 2021, évoquant son retour le 2 novembre 2021, A______ a adressé au poste de C______ un courriel au sujet des modifications d’horaire concernant les reprises liées à l’B______ pour novembre et décembre. Étant en vacances depuis le 16 octobre 2021, elle n’avait pris connaissance de ses nouveaux horaires qu’à son retour, le 2 novembre 2021, de sorte que le délai de 30 jours pour une modification d’horaires n’avait pas été respecté.

f. Il lui a été répondu que cette question était en discussion avec l’UPCP et qu’elle serait informée du suivi.

g. A______ a appris, après avoir relancé sa hiérarchie le 5 janvier 2022, que sa demande avait bien été enregistrée et qu’un groupe de travail avait été constitué afin de traiter toutes les demandes liées à la mobilisation en cause.

h. Par courriel du 16 mars 2022, la cheffe du service de contrôle et de gestion du personnel l’a informée que, durant l’engagement B______, tout le personnel avait été affecté à une nouvelle mission selon un mécanisme qui n’était pas inscrit dans la directive, laquelle n’interdisait toutefois pas de modifier l’affectation ou le cycle horaire du personnel tant que les délais étaient respectés. Cela avait déjà été le cas par le passé. Ainsi, en application de la directive, la modification de son cycle horaire était correcte. Par ailleurs, d’après son planning COPP, A______ était en HR le 22 octobre 2021 au moment de l’envoi du SMS, et non en V [vacances], et l’annonce d’une modification sur un jour HR ne décalait pas le délai d’annonce, laquelle lui était donc parvenue dans un délai supérieur à 30 jours.

i. A______ a répliqué qu’au-delà de savoir si elle était en code V ou HR, elle avait épluché le contenu de son téléphone sans trouver la moindre trace du SMS du 22 octobre 2021. Par conséquent, elle avait réellement découvert sa reprise d’horaire moins de 30 jours avant son entrée en vigueur et son cas devait être réétudié.

j. L’UPCP a écrit à la commandante le 15 septembre 2022, considérant que le traitement des heures d’A______ comportait une anomalie. L’appointée se trouvait en vacances du 16 octobre au 4 novembre 2021 et avait repris son service le lendemain, apprenant alors son changement d’affectation temporaire. Malgré ses différentes réclamations, elle n’avait jamais obtenu la rectification sollicitée et les arguments pour la débouter étaient faux. L’avis de changement d’affectation avait donc été reçu hors délai et l’horaire de travail de base de l’appointée devait être maintenu et replanifié.

k. Le 2 juin 2023, le conseil d’A______ a excipé d’erreurs et d’irrégularités en sa défaveur dans l’enregistrement de ses horaires de travail. Elle était en jours « L » puis « R » les 22, 23, 29 et 30 octobre, et 3 et 4 novembre 2021. Elle avait par ailleurs des heures de reprise du 25 au 27 octobre puis du 30 octobre au 1er novembre 2021 et était en formation à l’extérieur le 2 novembre 2021. Elle n’avait donc pu prendre connaissance de son nouvel horaire que le 5 novembre 2021. La modification de ses horaires pour les jours de travail planifiés ne posait aucune difficulté, dès lors que le délai de préavis était supérieur à 72 heures, mais la modification des horaires sur des jours de repos ou de liberté n’était pas envisageable au moment où elle en avait pris connaissance. Or, selon l’art. 17 LPA, auquel la directive ne dérogeait pas, une communication n’était notifiée que dès que le destinataire était en mesure d’en prendre connaissance. Par conséquent, les jours de repos et de liberté devaient être rémunérés en heures supplémentaires majorées à 100%, en application de la directive. Concrètement, il s’agissait des 27 et 28 novembre 2021, durant lesquels elle avait travaillé chaque fois 10 heures, de 6h30 le 1er décembre 2021, travail planifié à prendre en compte nonobstant que l’appointée était malade ce jour-là, alors qu’aucune heure ne lui avait été comptée. Pour les 3 et 5 décembre 2021, prévus en liberté, elle avait demandé à ne pas venir travailler, ne pouvant le faire plus de 12 jours d’affilée en raison de son état de santé. Sa hiérarchie avait accédé à sa demande mais 10 heures de travail lui avaient néanmoins été décomptées alors que son absence n’aurait pas dû exercer la moindre influence.

l. Par décision du 25 juillet 2023, la commandante de la police a rejeté les prétentions d’A______. Aucune modification ne devait être apportée à son décompte d'heures ni aucune heure supplémentaire ne devait être majorée, rémunérée ou compensée. A______, contrairement à ce qu’elle ou l’UCPC affirmait, était en HR du 16 au 31 octobre 2021 et l’était donc le 22 octobre 2021 lorsque la mobilisation de l'B______ 2021 lui a été annoncée par l'envoi d'un SMS l'invitant à consulter la modification de son horaire. Au vu du caractère exceptionnel de cet événement et des centaines de policiers mobilisés, dont les horaires avaient dû être modifiés, il n'était matériellement pas possible de contacter chacun par téléphone lors de l'annonce de la mobilisation. Dès lors qu’A______ était en HR, tout comme de nombreux autres collaborateurs, sa hiérarchie n'avait pas pu l'informer de vive voix de la modification de ses horaires. Un SMS avait été envoyé à l'ensemble du personnel policier, invitant chacun à faire les démarches utiles afin de prendre connaissance de la modification de ses horaires. En HR, elle avait l'obligation de consulter son téléphone professionnel et il lui appartenait, dès réception du SMS, de prendre contact avec son chef de service afin de connaître son horaire modifié, à savoir notamment qu'elle devait venir travailler les 27 et 28 novembre, ainsi que le 4 décembre 2021. L'absence de démarches de sa part n'était pas de nature à différer la date de notification de l'annonce de modification d'horaire, rappelant que, selon la directive, pour le calcul, l'heure de l'appel au collaborateur ou, le cas échéant, de l'envoi du SMS faisait foi.

À teneur de la directive, qui prévoyait que les HR n'étaient pas considérés comme des jours de congé, et A______ étant au bénéfice d'un téléphone professionnel, l'annonce d'une modification pouvait être faite à ce moment-là.

C. a. Par acte du 13 septembre 2023 formé devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a interjeté recours contre cette décision, concluant à son annulation et à la condamnation de la direction de la police à indemniser les 27 heures supplémentaires qu’elle avait effectuées, majorées à 100%, soit 54 heures au total. Elle concluait également à ce que son décompte d’heures soit modifié comme suit : « 6h30 de travail doivent être ajoutées à son compte d’heures travaillées, en maladie, pour le 1er décembre 2021 ; deux fois dix heures de travail décomptées en congé doivent être supprimées pour les 3 et 5 décembre 2021 ».

Si elle avait bien reçu le SMS du 22 octobre 2021, dépourvu de précisions, le seul moyen de connaître ses nouveaux horaires était de se rendre à son poste de travail pour accéder à la plateforme idoine. Or, elle était en jours « L » puis « R » les 22 et 23 octobre 2021 et n’avait pu prendre connaissance de son nouvel horaire que le 5 novembre suivant, soit hors délai pour une modification. La recourante invoquait que le droit supérieur avait été violé et que la directive avait été appliquée de manière arbitraire. L’obligation de consulter son téléphone portable professionnel lors des jours d’heures de reprises était contraire à l’obligation de l’employeur de protéger la personnalité et la santé de ses collaborateurs, conformément aux art. 2 al. 1 et 7A al. 1 RPAC et 328 CO. Par ailleurs, selon l’art. 17 LPA, les communications des autorités étaient soumises à réception et la directive ne prévoyait aucune dérogation aux règles usuelles de notification. En conséquence, peu importait la date d’envoi du SMS, le fait pertinent étant la prise effective de connaissance des changements effectués sur l’horaire de travail. De plus, le SMS n’indiquant pas les changements d’horaire mais que les usagers devaient consulter leurs horaires en raison d’une modification, il était nécessaire d’être en mesure de le faire, ce qui n’avait été le cas de la recourante que le 5 novembre 2021. Le fait que le SMS s’adressait à des centaines de policiers n’était pas une excuse et le dysfonctionnement de l’autorité intimée ne pouvait être imputé aux travailleurs.

Il n’apparaissait pas raisonnable qu’un événement exceptionnel nécessitant une importante modification des horaires de travail dans les 30 jours à venir vint pénaliser un travailleur qui avait planifié son horaire plus de neuf mois à l’avance.

Lors de l’envoi du SMS, elle se trouvait en période HR, équivalentes à des jours non-travaillés en compensation d’heures supplémentaires effectuées, soit une période durant laquelle elle n’avait aucune obligation de consulter son téléphone professionnel. Les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement avaient également été violés. L’obligation faite aux agents de police de consulter leur téléphone portable en dehors de leurs heures de travail ne semblait pas admissible et apparaissait comme une violation crasse de l’égalité de traitement, les policiers en possession d’un appareil de téléphone portable se trouvant devoir travailler davantage que ceux qui n’en n'avaient pas et il n’y avait aucun motif raisonnable de prévoir une telle distinction. Par ailleurs, les agents de police pouvaient se prévaloir du droit à la vie privée et à la liberté personnelle ainsi qu’à la protection de la sphère privée aux termes des art. 10 al. 2 Cst. et 8 CEDH. Or, l’obligation faite de consulter leur téléphone professionnel négligeait le « droit à la déconnexion » et empêchait le travailleur de prendre le temps nécessaire afin de se reposer, ce qui était en totale contradiction avec l’essence même du jour de repos, l’hyper connexion réduisant la productivité et affectant la capacité de faire face aux missions confiées. Enfin, il était arbitraire de considérer que la recourante avait été informée de la modification de ses horaires de travail puisqu’elle n'avait pu matériellement en prendre connaissance qu’à son retour. La seule indication figurant dans le SMS était que les horaires avaient été modifiés et il était donc impossible de retenir qu’il notifiait de nouveaux horaires à la recourante. Pour l’ensemble de ces motifs, il devait être fait droit à ses conclusions.

b. La commandante a persisté dans sa décision et n’a pas souhaité répondre. La recourante a renoncé à présenter d’ultérieures écritures.

c. Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger le 17 novembre 2023.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante considère d’abord que la communication pertinente serait celle qui mentionne spécifiquement quels horaires sont modifiés, soumise à réception selon l’art. 17 LPA, soit sa prise de connaissance effective de ces modifications, ce que ne serait donc pas l’envoi du SMS du 22 octobre 2021, qui ne serait qu’une annonce dépourvue de précisions, contrairement à ce qu’allèguerait l’autorité intimée.

2.1 Ainsi qu’elle le mentionne, les décisions des autorités sont soumises au principe de la réception. Il suffit qu'elles soient placées dans la sphère de pouvoir de leur destinataire et que celui-ci soit à même d'en prendre connaissance pour admettre qu'elles ont été valablement notifiées (ATF 122 I 139 consid. 1; 115 Ia 12 consid. 3b). Les communications sont soumises au principe de la prise de connaissance effective, lequel connaît toutefois une exception lorsque la personne concernée a été effectivement avisée, comme en l’espèce, de la nécessité de prendre connaissance d’une mobilisation générale entraînant une modification d’horaire. Celle-ci devait être annoncée au collaborateur dans les délais énoncés dans la directive, ce qui a été fait.

La recourante se méprend lorsqu’elle considère que la communication orale aurait dû être utilisée et que seule la connaissance effective du changement d’horaire faisait courir le délai de 30 jours. En effet, il est prévu dans la directive que, dans l'impossibilité d'une communication orale, un SMS sera envoyé sur le téléphone professionnel. Il est évident qu’avertir des centaines de policiers ne pouvait se faire individuellement et oralement et les conditions de l’exception étaient ainsi réalisées. De même, cette communication générale, qui ne pouvait être individualisée, définissait clairement son but et tout destinataire savait dès réception du SMS que son horaire était changé. Cette forme particulière de notification est conforme à la directive applicable, aux exigences et aux missions de la profession. Peu importe le moment que choisit le destinataire pour en prendre effectivement connaissance, ce fait personnel ne pouvant influencer le calcul du délai, l'heure de l'envoi du SMS faisant foi. L’art. 17 LPA concernant la computation des délais pose que ceux-ci commencent à courir le lendemain de leur communication ou de l’événement qui les déclenche. La communication étant intervenue par l’envoi du SMS, qui est cet événement, le délai de 30 jours avant la modification à venir a été respecté et ne consacre aucune violation de l’art. 17 LPA.

Le grief de la recourante doit partant être écarté.

3.             La recourante considère que l’obligation faite aux policiers détenteurs d’un téléphone professionnel de le consulter lors de leurs jours de reprise d’heures serait arbitraire. Elle constituait une violation de l’obligation de l’employeur de préserver leur santé, des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement, de la liberté personnelle et de la protection de la sphère privée et il était arbitraire de considérer que l’envoi d’un SMS suffirait à retenir que les horaires étaient modifiés.

3.1 Le personnel de la police est soumis à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et à ses dispositions d’application, sous réserve des dispositions particulières de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05 ; art. 1 al. 1 let. b LPAC, 18 al. 1 LPol et 2 al. 1 règlement relatif à la protection de la personnalité à l’État de Genève du 12 décembre 2012 - RPPers - B 5 05.10).

Il est veillé à la protection de la personnalité des membres du personnel, notamment en matière de harcèlement psychologique et de harcèlement sexuel (art. 2B al. 1 LPAC, 2 al. 2 du règlement d’application de LPAC du 24 février 1999 - RPAC - B 5 05.01 et 1 al. 1 RPPers). Des mesures sont prises pour prévenir, constater et faire cesser toute atteinte à la personnalité (art. 2B al. 2 LPAC et 1 al. 2 RPPers). L’organisation du travail dans l’administration doit être conçue de telle sorte qu’elle assure des conditions de travail normales aux membres du personnel et leur permette de faire valoir leur personnalité, leurs aptitudes professionnelles et leurs facultés d’initiative (art. 2 al. 1 RPAC). Est constitutive d'une atteinte à la personnalité toute violation illicite d'un droit de la personnalité, telles notamment la santé physique et psychique, l'intégrité morale, la considération sociale, la jouissance des libertés individuelles ou de la sphère privée (art. 3 al. 1 RPPers).

3.2 La notion de protection de la personnalité de l'agent public et l'obligation qui en découle pour l'employeur est typiquement un concept dont la portée et la valeur matérielle sont identiques en droit public et en droit privé (Valérie DÉFAGO GAUDIN, Conflits et fonctions publiques : Instruments, in Jean-Philippe DUNAND/Pascal MAHON [éd.], Conflits au travail. Prévention, gestion, sanctions, 2015, p. 156). Il incombe à l'employeur public, comme à l'employeur privé (art. 328 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 [Livre cinquième : Droit des obligations] - CO - RS 220), de protéger et respecter la personnalité du travailleur.

À teneur de l'art. 328 CO, l'employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur ; il manifeste les égards voulus pour sa santé et veille au maintien de la moralité. En particulier, il veille à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu'ils ne soient pas, le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes (al. 1). Il prend, pour protéger la vie, la santé et l'intégrité personnelle du travailleur, les mesures commandées par l'expérience, applicables en l'état de la technique, et adaptées aux conditions de l'exploitation ou du ménage, dans la mesure où les rapports de travail et la nature du travail permettent équitablement de l'exiger de lui (al. 2).

3.3 Selon l’art. 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale (al. 1), justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et proportionnée au but visé (al. 3).

Selon le Tribunal fédéral, les restrictions graves d’un droit fondamental supposent une base claire et explicite dans une loi au sens formel (art. 36 al. 1 2ème phr. Cst.). Pour les restrictions légères, une loi au sens matériel suffit. Les dispositions doivent être formulées d’une manière suffisamment précise pour permettre aux individus d’adapter leur comportement et de prévoir les conséquences d’un comportement déterminé avec un degré de certitude approprié aux circonstances (ATF 139 I 280 = JdT 2014 I 118 consid. 5.1 et les arrêts cités).

3.4 La liberté personnelle garantit à tout être humain le droit à l'intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.), le respect de la dignité humaine (art. 7 Cst.) et, de manière générale, toutes les libertés élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine (ATF 133 I 110 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_429/2021 du 16 décembre 2021 consid. 4.1 et les arrêts cités). Sa portée ne peut être définie de manière générale mais doit être déterminée de cas en cas, en tenant compte des buts de la liberté, de l'intensité de l'atteinte qui y est portée ainsi que de la personnalité de ses destinataires (ATF 142 I 195 consid. 3.2).

L'art. 8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), dont la portée est identique à celle de l'art. 13 Cst. (ATF 137 I 284 consid. 2.1), garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, c'est‑à‑dire le droit de toute personne de disposer librement de sa personne et de son mode de vie, le droit d'établir des rapports avec d'autres êtres humains et avec le monde extérieur en général ou le droit d'entretenir librement ses relations familiales et de mener une vie de famille. Le droit au respect de la vie privée protège notamment l'intégrité physique et morale, l'identité, le respect de la sphère intime et secrète (en particulier le domicile), l'honneur et la réputation d'une personne, ainsi que ses relations avec les autres (ATF 139 I 257 consid. 5.2.1 ; 139 I 155 consid. 4.1 ; 133 I 58 consid. 6.1).

3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 Cst., exige que les mesures mises en œuvre soient propres à atteindre le but visé (règle de l’aptitude) et que celui-ci ne puisse être atteint par une mesure moins contraignante (règle de la nécessité) ; il doit en outre y avoir un rapport raisonnable entre ce but et les intérêts compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 ; 142 I 76 consid. 3.5.1 ; 138 I 331 consid. 7.4.3.1).

3.6 Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement garanti par l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 146 II 56 consid. 9.1 ; 145 I 73 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_449/2022 du 3 février 2023 consid. 2.2.1 ; 1C_695/2021 du 4 novembre 2022 consid. 3.1.2).

4.             4.1 En l’espèce, la nature même de l’obligation de prendre connaissance d’un SMS en période HR est peu contraignante. Elle ne constitue certainement pas une restriction d’un droit fondamental du policier au regard des engagements qu’il a pris en choisissant cette fonction puisque sa mission est d’être au service de la population et d’assurer une réponse aux citoyens 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et que les horaires de service sont établis pour répondre à ces critères. Il doit également répondre aux besoins opérationnels de chaque service et/ou entités spécifiques, cette obligation reposant en l’occurrence sur une directive. Par ailleurs, les policiers prêtent serment notamment de remplir avec dévouement les devoirs de leur fonction, de suivre exactement les ordres de leur hiérarchie et d’apporter à l’exécution de leurs travaux fidélité, discrétion, zèle et exactitude. En conséquence, pour donner suite à ces obligations, le policier dispose ainsi, entre autres, d’un téléphone professionnel, dont la consultation est un devoir professionnel. Le grief correspondant doit par conséquent être écarté.

4.2.1 La recourante se prévaut d'une violation de la protection de la personne (art. 328 CO) et d'une atteinte à la santé, d’un « droit à la déconnexion » et considère que l’obligation de consulter son téléphone professionnel pendant ses jours de repos constituerait une violation de la liberté personnelle et de la protection de la sphère privée.

4.2.2 Il apparaît douteux que l'obligation de consulter son téléphone professionnel en cas d’alerte puisse constituer une atteinte aux droits fondamentaux précités, dans la mesure où la recourante n’invoque aucun abus dans l’utilisation par la hiérarchie de cet appareil ni même ne soutient la moindre utilisation effective qui, au demeurant, serait inhérente à la profession choisie. La recourante n’invoque pas non plus, au-delà de brèves considérations purement théoriques, que cette obligation l’empêcherait de disposer librement de sa personne et de son mode de vie, d'entretenir librement ses relations familiales et de mener une vie de famille durant son temps libre.

Mal fondé, ce grief devra être écarté.

4.3 La recourante invoque encore une violation des principes de proportionnalité et de l'égalité de traitement dans le fait que la possession d’un appareil téléphonique professionnel et l’obligation de le consulter en dehors des heures de travail ne serait pas admissible et créerait une inégalité de traitement avec ceux qui n’en possèderaient pas. Ce grief bicéphale se heurte une fois encore à la mission de la police, choisie par la recourante, assermentée, et bénéficiant pour son bon exercice d’un outil indispensable pour des objectifs soudains, inhabituels et non récurrents, soit son téléphone professionnel. Bénéficier comme elle le suggère d’un tel appareil pour n’être appelée que dans le temps travaillé serait un non-sens. Au même titre que des centaines d’autres policiers, selon ce qu’affirme l’autorité intimée et qui n’est pas contredit, la recourante doit consulter son téléphone professionnel en dehors des heures travaillées, condition inhérente à sa profession. Cette obligation, au demeurant peu contraignante à l’heure des réseaux sociaux et des habitudes qui en découlent, est imposée à un ensemble professionnel, ce qui exclut ipso facto une inégalité de traitement et ne viole pas le principe de proportionnalité.

Également mal fondés, ces griefs seront écartés.

4.4 En définitive, la recourante a été informée alors qu’elle se trouvait en code HR d’une mission particulière, couvrant l’ensemble de la profession, plus de 30 jours avant le début de celle-ci. Elle a donc reçu l’information nécessaire en temps voulu, la consultation de l’horaire modifié n’étant que la conséquence de l’information reçue. Le moment de cette consultation importe peu au regard des obligations du donneur d’ordre et de son destinataire. S’agissant d’une mission générale affectant plusieurs centaines de personnes, il était impossible de procéder par autant de communications orales individualisées et le régime d’exception que constitue l’envoi d’un SMS, dûment réglementé dans la directive applicable, a été utilisé à bon escient, cette spécificité n’impliquant aucune atteinte aux droits des destinataires, et de la recourante en particulier. Dès lors que ses griefs ont été écartés et que l’avis a été valablement donné, les prétentions en modification du décompte d’heures sont sans objet.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), qui ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

La valeur litigieuse au vu des art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) est, a priori, inférieure à CHF 15'000.-.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 septembre 2023 par A______ contre la décision de la Commandante de la police du 25 juillet 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge d'A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt  peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Fanny ROULET-TRIBOLET, avocate de la recourante, ainsi qu'à la commandante de la police.

 

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, juges, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.


Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :