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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1367/2010

ATA/541/2012 du 21.08.2012 sur JTAPI/1050/2011 ( ICCIFD ) , ADMIS

Descripteurs : ; DROIT FISCAL ; IMPÔT ; REVENU ; DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL) ; OBLIGATION D'ENTRETIEN ; HONORAIRES ; AVOCAT
Normes : LHID a contrario.7.ch1 ; LHID a contrario.7.ch4.letg ; LHID.9 ; LIFD.25 ; LIFD.26ss ; aLIPP-V.2 ; aLIPP-V.3 ; aLIPP-V.4 ; aLIPP-V.5 ; aLIPP-V.6 ; aLIPP-V.7 ; aLIPP-V.8 ; aLIPP-V.9
Résumé : Les frais d'avocat engagés par la recourante sont en relation directe avec le revenu obtenu, à savoir la pension alimentaire que son époux a été condamné à lui verser par les autorités judiciaires. Il est conforme à l'expérience de la vie que les justiciables se fassent assister par un avocat au cours d'une procédure de ce genre. Les honoraires d'avocat doivent dès lors être déduits du revenu en question, tant en matière d'ICC que d'IFD.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1367/2010-ICCIFD ATA/541/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 août 2012

 

dans la cause

 

Madame C______
représentée par l'Association genevoise pour la Défense des Contribuables

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FéDéRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2011 (JTAPI/1050/2011)


EN FAIT

1.                                Madame C______, domiciliée dans le canton de Genève, a indiqué, dans sa déclaration concernant l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) et l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) de l'année 2002, avoir perçu une pension alimentaire de CHF 35'000.-, versée par son époux. Elle n'a pas déclaré d'autre revenu pour l'année en question.

Au vu de ces informations, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) lui a notifié, le 25 juillet 2003, les bordereaux de taxation ICC et IFD 2002, dans lesquels la pension alimentaire était admise pour la somme précitée.

2.                                Par jugement sur mesures protectrices de l'union conjugale du 2 septembre 2002, le Tribunal de première instance a arrêté la contribution mensuelle de l'épouse à CHF 400.- pour l'année 2002, puis à CHF 3'650.- dès le 1er janvier 2003. Les dépens étaient compensés.

Le 14 février 2003, la Cour de justice du canton de Genève, statuant sur l'appel formé par Mme C______, a condamné l'ex-époux de l'intéressée à verser à cette dernière une somme de CHF 4'500.- par mois dès le 1er janvier 2002, à titre de pension alimentaire.

3.                                L'avocate qui avait défendu Mme C______ dans ce litige lui a adressé une note d'honoraires de CHF 14'952,60 que la contribuable a honorée.

4.                                Par décision du 15 décembre 2008, la commission cantonale de recours en matière d'impôts a admis un recours formé par Mme C______ concernant l'ICC 2003 (DCRI/594/2008).

Le considérant 4 de cette décision indiquait :

« En l'espèce, le fait de rajouter au revenu 2003 l'augmentation rétroactive de la pension alimentaire due pour l'année 2002 mais versée en 2003, conduit à pénaliser la contribuable sous l'angle de la progressivité du taux de l'imposition. Ce mode de faire viole également le principe de l'imposition selon la capacité contributive. 

Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, l'AFC aurait dû imposer le supplément versé rétroactivement pour la contribution 2002 par le biais d'une procédure en rappel d'impôts sans amende pour l'année fiscale 2002. »

Le recours déposé par Mme C______ contre cette décision a été déclaré irrecevable par le Tribunal administratif, devenu depuis lors la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), pour défaut de qualité pour agir. L'intéressé avait obtenu le plein de ses conclusions, par substitution de motifs, devant la commission qui avait annulé le bordereau rectificatif de rappel d'impôts 2003 (ATA/207/2009 du 28 avril 2009).

5.                                Suite à cela, l'AFC a transmis à la contribuable, le 11 janvier 2010, un bordereau d'impôts rectificatif ICC et IFD 2002, intégrant dans les revenus la part de la pension alimentaire de l'année 2002 versée en 2003.

6.                                Le 10 février 2010, Mme C______ a réclamé de ces bordereaux.

Elle avait dû recourir à une avocate pour obtenir une augmentation de la pension alimentaire. Les honoraires de son conseil, soit CHF 14'952,60, étaient des frais d'acquisition du revenu qui devaient être déduits de ce dernier.

7.                                Le 9 mars 2010, l'AFC a maintenu la reprise litigieuse concernant l'ICC.

Les frais d'avocat n'étaient pas déductibles, car ils n'étaient pas en relation étroite avec l'acquisition d'un revenu. Ils n'avaient pas été engagés pour maintenir une source de revenu ou recouvrer un revenu acquis, comme par exemple pour faire valoir une créance de salaire.

Une décision similaire a été rendue en matière d'IFD.

8.                                Le 22 mars 2010, Mme C______ a saisi la commission cantonale de recours en matière administrative, depuis lors devenue le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), d'un recours contre les décisions sur réclamation précitées. La procédure de rappel d'impôts avait porté sur une augmentation des pensions alimentaires dont l'obtention avait nécessité l'intervention d'un avocat. Les honoraires de ce dernier constituaient une dépense nécessaire à l'acquisition de ce revenu.

9.                                Le 24 août 2010, l'AFC a conclu au rejet du recours. Les frais d'avocat et de justice ne constituaient des frais d'acquisition du revenu que lorsqu'ils avaient permis au contribuable de maintenir sa source de revenu ou de recouvrer un revenu acquis. En l'espèce, les frais engagés ne visaient pas à sauvegarder un revenu provenant d'une activité lucrative, mais avaient été exposés dans le cadre d'un litige concernant le droit de la famille.

De plus, il ressortait de la décision de la commission cantonale de recours du 15 décembre 2008 que la recourante n'était plus en droit de demander, par le biais d'une réclamation puis d'un recours concernant le rappel d'impôts 2003, la prise en compte des honoraires d'avocat. Ce poste avait été écarté lors de l'établissement du bordereau d'impôts concerné et n'avait pas fait l'objet d'une contestation.

10.                            Par jugement du 3 octobre 2011, le TAPI a rejeté le recours. Seuls les frais effectivement engagés et logiquement liés à la réalisation du revenu donnaient lieu à une déduction. Les frais d'avocat n'avaient pas été engagés en vue d'acquérir un revenu professionnel, mais uniquement pour obtenir une pension privée indépendante de toute activité lucrative.

11.                            Le 14 novembre 2011, Mme C______ a saisi la chambre administrative d'un recours contre le jugement précité. La pension alimentaire n'était pas un revenu provenant d'une activité lucrative, mais un autre revenu. Les frais d'avocat étaient directement liés à la production de ce dernier.

12.                            Le 8 décembre 2011, l'AFC a conclu au rejet du recours. Les honoraires d'avocat ne pouvaient être déduits, car ils n'avaient pas été engagés afin d'obtenir un revenu provenant d'une activité lucrative.

13.                            Les parties n'ayant pas sollicité d'actes d'instruction complémentaires dans le délai qui leur avait été imparti, la procédure a été gardée à juger le 12 janvier 2012.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Sur le plan cantonal, la nouvelle loi sur l'imposition des personnes physiques adoptée le 12 juin 2009 par le Grand Conseil a été acceptée en votation populaire le 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08). Cette loi unifie les cinq lois issues de l'adaptation de la législation fiscale genevoise sur l'imposition des personnes physiques aux exigences de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). A teneur de son art. 69 al. 1 let. e, la LIPP abroge la loi sur l'imposition des personnes physiques - Détermination du revenu net - Calcul de l'impôt et rabais d'impôt - Compensation des effets de la progression à froid du 22 septembre 2000 (aLIPP-V - D 3 16).

b. Conformément à son art. 71, la LIPP est entrée en vigueur le 1er janvier 2010. D'après son art. 72 al. 1, elle s'applique pour la première fois aux impôts de la période fiscale 2010. Les impôts relatifs aux périodes fiscales antérieures demeurent régis par les dispositions de l'ancien droit, même après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

c. Le litige concerne la période fiscale 2004 et doit ainsi être examiné à l'aune du régime juridique mis en place par l'aLIPP-V, entré en vigueur le 1er janvier 2001.

3) a. La pension alimentaire que le conjoint divorcé, séparé judiciairement ou de fait obtient pour lui-même et les contributions d'entretien que l'un des parents reçoit pour les enfants sur lesquels il a l'autorité parentale font partie des revenus (art. 7 ch. 1 et ch. 4 let. g, a contrario, de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14). Les dépenses nécessaires à l'acquisition du revenu et les déductions générales sont défalquées de l'ensemble des revenus imposables (art. 9 LHID).

b. La jurisprudence et la doctrine distinguent les déductions organiques de celles dites « anorganiques ». Les déductions organiques sont liées à l'acquisition du revenu imposable et recouvrent notamment les frais d'acquisition du revenu, les amortissements, les pertes commerciales et les contributions aux institutions de prévoyance. De telles déductions ne sauraient en principe être écartées par un législateur soucieux de fixer le revenu imposable de manière conforme au principe de l'imposition selon la capacité économique garantie par l'art. 127 al. 2 Cst., qui exige que la capacité contributive soit établie de manière objective (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_162/2010 du 21 juillet 2010 ; Blumenstein/Locher, System des Steuerrechts, Zurich 2002, 6e éd. p. 248 s.).

c. L'art. 72 LHID impose aux cantons d'adapter leur législation aux dispositions des titres deuxième à sixième de ladite loi dans les huit ans qui suivent son entrée en vigueur, fixée au 1er janvier 1993. A l'expiration de ce délai, le droit fédéral est directement applicable si les dispositions du droit fiscal cantonal s'en écartent.

4) En droit cantonal, les art. 2 à 8 aLIPP-V prévoient qu'il y a lieu de déduire du revenu brut, pour déterminer le revenu net, les déductions de prévoyance, les déductions liées à l'exercice d'une activité lucrative, les déductions de santé, les contributions d'entretien versées au conjoint divorcé, séparé judiciairement ou de fait, ainsi que les contributions d'entretien versées à l'un des parents pour les enfants sur lesquels il a l'autorité parentale, les déductions générales ou liées à la fortune (intérêts des dettes échus pendant la période déterminante, charges durables et 40 % des rentes viagères versées par le débirentier, frais effectifs d'administration de la fortune mobilière imposable, frais nécessaires à l'entretien des immeubles privés et frais occasionnés par des travaux de restauration de monuments historiques), les déductions pour frais de garde et les versements bénévoles à certaines personnes morales.

Les autres frais, en particulier les frais d'entretien du contribuable et de sa famille, les frais de formation professionnelle, les sommes affectées au remboursement des dettes, les frais d'acquisition, de production ou d'amélioration d'éléments de fortune, les impôts et certaines commissions ne sont pas déductibles (art. 9 aLIPP-V).

En ne prévoyant pas la possibilité de déduire du revenu constitué par le versement d'une pension alimentaire les frais d'acquisition de ce dernier, la législation cantonale ne respecte pas l'art. 9 LHID, qui doit dès lors être appliqué directement à la présente espèce.

5) Il est encore nécessaire de déterminer si les honoraires d'avocat versés par la recourante sont des frais d'acquisition déductibles du revenu concerné.

Le Tribunal fédéral admet au titre de frais d'acquisition du revenu les dépenses faites immédiatement et en rapport direct avec l'obtention du revenu. La notion de nécessité doit être interprétée largement : il n'est pas exigé que le contribuable ne puisse pas acquérir le revenu sans la dépense querellée ou qu'il existe un devoir juridique à faire cette dépense. Le Tribunal fédéral admet également la déductibilité des frais qui sont essentiellement occasionnés par la réalisation du revenu. En d'autres termes, il suffit que la dépense soit économiquement nécessaire à l'obtention du revenu et que l'on ne saurait exiger du contribuable qu'il s'en abstienne (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_477/2009 du 8 janvier 2010, et les références citées).

En l'espèce, les frais d'avocat engagés par la recourante sont en relation directe avec le revenu obtenu, et il est conforme à l'expérience de la vie que les justiciables se fassent assister par un avocat au cours d'une procédure de ce genre.

Les honoraires d'avocat doivent dès lors pouvoir être déduits du revenu en question.

6) En ce qui concerne l'IFD, la solution est identique.

L'art. 25 LIFD prévoit que le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 26 ss de cette loi.

Selon la jurisprudence, la clause générale de l'art. 25 LIFD concernant les déductions organiques permet la déduction des frais d'acquisition pour des revenus pour lesquels une déduction n'est pas explicitement mentionnée dans les dispositions en question (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_681/2008 et 2C_682/2008 du 12 décembre 2008).

7) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, pour l'ICC et l'IFD. Les décisions sur réclamation du 9 mars 2010, ainsi que le jugement du TAPI du 3 octobre 2011 seront annulés. La cause sera renvoyée à l'AFC, afin qu'elle notifie à la recourante des nouveaux bordereaux d'impôts ICC et IFD 2002, dans lesquels les honoraires d'avocat seront déduits à hauteur de CHF 14'952,60.

8) Aucun émolument ne sera perçu. Une indemnité de procédure, de CHF 1'500.-, sera allouée à Mme C______, à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 novembre 2011 par Madame C______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2011 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du TAPI du 3 octobre 2011, ainsi que les décisions sur réclamation du 9 mars 2010 ;

renvoie la cause à l'administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions au sens des considérants ;

alloue à Mme C______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à la charge de l'état de Genève ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

 

 

 

communique le présent arrêt à Madame C______, représentée par l'Association genevoise pour la Défense des contribuables, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Dentella Giauque

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :