Décisions | Assistance juridique
DAAJ/119/2023 du 10.11.2023 sur AJC/3827/2023 ( AJC ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE AC/1851/2023 DAAJ/119/2023 COUR DE JUSTICE Assistance judiciaire DÉCISION DU VENDREDI 10 NOVEMBRE 2023 |
Statuant sur le recours déposé par :
Madame A______, domiciliée ______, représentée par Me B______, avocate,
contre la décision du 25 juillet 2023 de la vice-présidence du Tribunal civil.
A. a. Par décision du 26 juin 2023, la vice-présidence du Tribunal de première instance a octroyé l'assistance juridique à A______ (ci-après : la recourante), avec effet au 22 juin 2023, pour former une action alimentaire à l'encontre de C______, avec qui elle a eu cinq enfants. Ledit octroi a été limité à la première instance et à 12 heures d'activité d'avocate (hors courriers, téléphones et audiences), Me B______ ayant été désignée pour défendre les intérêts de la recourante.
b. Par courrier adressé le 3 juillet 2023 au greffe de l'Assistance juridique, le conseil de la recourante a sollicité une extension de la quotité d'heures accordées, faisant valoir que l'activité nécessaire à la défense des intérêts de la cliente dépassait déjà le nombre d'heures allouées. La simple rédaction de l'action alimentaire avait en effet déjà requis 17 heures de travail (par une avocate-stagiaire) du 28 au 30 juin 2023, la procédure étant complexe en raison d'un contexte de violences et du fait qu'elle portait sur les pensions alimentaires de cinq enfants (âgés de 4 mois à 7 ans).
c. Sur demande du greffe de l'Assistance juridique, l'avocate de la recourante a fourni une copie du projet d'action alimentaire susvisé. Le pli était accompagné d'un état de frais intermédiaire complémentaire pour l'activité déployée du 3 au 5 juillet 2023, faisant état de 15h20 d'activité supplémentaires – portant l'activité totale déployée à ce stade à 32h20 (hors courriers, téléphones et audiences) – soit 1h00 de conférence cliente, 11h20 de rédaction, relecture et finalisation de la requête précitée, dont 4h20 effectuées par Me B______ et le reste par l'avocate-stagiaire.
d. Le 6 juillet 2023, la recourante a introduit une "action en paternité, en entretien, en indemnisation et en fixation des relations personnelles avec mesures provisionnelles" devant le Tribunal de première instance. Cette écriture comporte 45 pages, dont 6 pages de conclusions (39 chefs de conclusions, dont 18 portent sur les pensions alimentaires demandées sur mesures provisionnelles et au fond, ces dernières faisant l'objet d'une conclusion distincte en fonction de l'âge des enfants), 24 pages de faits et 14 pages de développements en droit. L'état de fait comprend 12 pages consacrées à la présentation de la situation financière de la famille (y compris 20 tableaux listant les charges de chaque membre de la famille, les charges de chacun faisant l'objet d'un tableau différent en fonction de l'âge de l'enfant concerné) et 36 allégués relatifs aux violences subies.
B. Par décision du 25 juillet 2023, notifiée le 31 du même mois, la vice-présidence du Tribunal de première instance a octroyé à la recourante une extension de 12 heures d'activité d'avocate, ce qui revenait ainsi à un total de 24 heures (hors courriers, téléphones et audiences), sous réserve de l'appréciation des heures nécessaires en vertu de l'art. 16 al. 2 RAJ au moment de la taxation de l'état de frais.
L'autorité de première instance a en premier lieu relevé qu'au moment où la demande d'extension avait été déposée, les 12h00 d'activité d'avocat allouées par décision du 26 juin 2023 avaient déjà été dépassées. Il n'y avait ainsi pas lieu de tenir compte des heures d'activité facturées allant au-delà du quota fixé, puisque l'assistance juridique n'était pas accordée avec effet rétroactif, sous réserve de circonstances particulières, non réalisées en l'occurrence. Le solde d'activité déployée, soit 27h20 (12 heures du 28 au 30 juin 2023 et 15h20 du 3 au 5 juillet 2023), apparaissait d'emblée excessif, au regard de la nature et de la complexité de l'affaire, étant précisé que la procédure au fond n'avait pas débuté et que l'écriture n'avait pas encore été déposée. Le contexte de violence allégué et la nécessité de présenter le budget de cinq enfants ne justifiait pas le déploiement d'un nombre d'heures de travail aussi élevé. La quasi-totalité des heures facturées avaient au surplus été accomplies par l'avocate-stagiaire de l'Etude et il était notoire que le temps effectif consacré à un dossier par un stagiaire était plus important que celui qui l'aurait été par un avocat chevronné. Ce temps devait dès lors être considéré comme du temps de formation, qui n'avait pas à être indemnisé par l'Etat. Par ailleurs, au regard des maximes applicables à la procédure et du principe jura novit curia, il apparaissait superflu de développer une partie en droit, sauf pour invoquer de la jurisprudence spécifique nouvelle. Dans ces circonstances, il a été considéré que 12h00 d'activité étaient adéquates pour rédiger l'action alimentaire concernée, ce temps incluant les conférences avec la cliente, étant relevé que ce temps était bien supérieur à la durée communément admise pour ce type de demandes. Au vu de l'état actuel du dossier, il se justifiait d'accorder 12 heures supplémentaires, puisque la procédure au fond n'avait pas encore débuté.
C. a. Recours est formé contre cette décision, par acte déposé le 10 août 2023 au greffe de la Cour de justice. La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision entreprise en tant qu'elle rejette partiellement sa requête du 3 juillet 2023 et à l'octroi d'une extension de l'aide étatique couvrant l'entier de l'activité nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts et de ceux de ses enfants, soit à tout le moins 15h20 supplémentaires déjà accomplies, sous réserve d'un nouvel échange d'écritures. Subsidiairement, elle a sollicité le renvoi de la cause à l'autorité de première instance pour nouvelle décision.
b. La vice-présidence du Tribunal de première instance a renoncé à formuler des observations.
1. 1.1. Les décisions de la vice-présidence du Tribunal de première instance en matière d'assistance judiciaire, rendues en procédure sommaire (art. 119 al. 3 CPC), peuvent faire l'objet d'un recours auprès de la présidence de la Cour de justice (art. 121 CPC et 21 al. 3 LaCC), compétence expressément déléguée à la vice-présidente soussignée sur la base des art. 29 al. 5 LOJ et 10 al. 1 du Règlement de la Cour de justice
(RSG E 2 05.47). Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours (art. 321 al. 1 CPC) dans un délai de dix jours (art. 321 al. 2 CPC).
1.2. En l'espèce, le recours est recevable pour avoir été interjeté dans le délai utile et en la forme écrite prescrite par la loi.
1.3. Lorsque la Cour est saisie d'un recours (art. 121 CPC), son pouvoir d'examen est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC, applicable par renvoi de l'art. 8 al. 3 RAJ). Il appartient en particulier au recourant de motiver en droit son recours et de démontrer l'arbitraire des faits retenus par l'instance inférieure (Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., n. 2513-2515).
2. 2.1. A teneur de l'art. 118 al. 2 CPC, l'assistance judiciaire peut être accordée totalement ou partiellement, ce qui signifie qu'elle doit être accordée, conformément au principe de proportionnalité, à la mesure de sa véritable nécessité (Message du Conseil fédéral relatif au Code de procédure civile, FF 2006, p. 6912, ad art. 116 du projet CPC; Huber, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Brunner/Gasser/Schwander, 2ème éd., 2016, n. 17 ad art. 118 CPC), soit en quelque sorte "à la carte" (Ruegg, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, Spühler/Tenchio/Infanger, 2ème éd., 2013, n. 2 ad art. 118 CPC). L'octroi partiel peut ainsi prendre diverses formes, selon les prestations accordées, l'étendue de celles-ci ou encore la phase de procès concernée (Tappy, in CPC, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy, 2011, n. 24 ad art. 118 CPC).
En application du principe de proportionnalité ainsi rappelé, l'art. 3 al. 1 première phrase RAJ, prévoit que l'assistance juridique peut être limitée à certains actes de procédure ou démarches déterminées, ainsi que dans la quotité des heures nécessaires à l'activité couverte. La limitation de l'activité de l'avocat désigné à un certain nombre d'heures d'activité est ainsi conforme tant à l'art. 3 al. 1 RAJ précité qu'au principe de proportionnalité consacré à l'art. 118 al. 2 CPC.
2.2. En l'espèce, la recourante reproche à la vice-présidence du Tribunal civil d'avoir refusé d'admettre que les 27h20 que son avocate avait effectuées pour la défense de ses intérêts étaient nécessaires. La recourante soutient que l'autorité de première instance aurait fait fi des exigences procédurales auxquelles elle était soumise, en particulier l'obligation de clarté et de détail découlant des art. 219 et 221 al. 1 let. d CPC ainsi que son devoir de chiffrer correctement ses conclusions en paiement d'entretien.
Sur ce dernier point, la recourante perd de vue que l'action alimentaire qu'elle a introduite à l'encontre du père de ses enfants est soumise aux maximes d'office et inquisitoire illimitée en tant qu'elle concerne des enfants mineurs (art. 296 al. 1 et 3 CPC; ATF 147 III 301 consid. 2.2), de sorte que le Tribunal n'est pas lié par les conclusions des parties. Il suffisait dès lors à la recourante de présenter la situation de l'ensemble de la famille, d'énoncer en particulier les charges de chacun des enfants, avec leur évolution dans le temps, et de fournir les moyens de preuve idoines, sans qu'il soit nécessaire ou utile d'établir vingt tableaux différents.
Par ailleurs, s'il est vrai que la partie demanderesse porte la responsabilité d'alléguer et de prouver les fondements en faits de ses prétentions, il n'en demeure pas moins que le nombre d'heures consacrées (principalement par l'avocate-stagiaire) à la rédaction de l'écriture susvisée, soit plus de 27 heures (sans tenir compte des heures non annoncées en temps utile), est excessif, même en prenant en compte le contexte de violences à exposer. Il est d'ailleurs communément admis qu'un avocat-stagiaire est par nature moins efficient qu'un avocat chevronné et que l'Etat n'a pas à prendre en charge sa formation (AARP/156/2023 du 11 mai 2023 consid. 6.3; AARP/83/2023 du 15 mars 2023 consid. 9.2; AARP/63/2023 du 28 février 2023 consid. 7.1.3), ce que la recourante ne remet au demeurant pas en cause.
La recourante ne conteste pas non plus qu'il n'était pas nécessaire de consacrer 14 pages à des développements en droit.
Compte tenu de ce qui précède, l'autorité de première instance n'a pas excédé son pouvoir d'appréciation en estimant que seules 12 heures d'activité d'avocat avaient été nécessaires (hors courriers, téléphones et audiences) à ce stade d'avancement de la procédure pour laquelle l'aide étatique avait été accordée.
Pour le surplus, aucun élément ne permet de retenir que les 12 heures supplémentaires qui ont été allouées dans la décision présentement querellée seraient insuffisantes pour la suite des démarches qui seront nécessaires pour la défense des intérêts de la recourante (et de ses enfants). Celle-ci garde au demeurant la possibilité de solliciter une nouvelle extension de l'assistance judiciaire dans l'hypothèse où le nombre d'heures nouvellement fixé devrait par la suite s'avérer insuffisant.
Partant, le recours, infondé, sera rejeté.
3. Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure d'assistance juridique (art. 119 al. 6 CPC). Compte tenu de l'issue du litige, il n'y a pas lieu à l'octroi de dépens.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé par A______ contre la décision rendue le 25 juillet 2023 par la vice-présidence du Tribunal civil dans la cause AC/1851/2023.
Au fond :
Le rejette.
Déboute A______ de toutes autres conclusions.
Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires pour le recours, ni alloué de dépens.
Notifie une copie de la présente décision à A______ en l'Etude de Me B______ (art. 137 CPC).
Siégeant :
Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, vice-présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.
La vice-présidente : Verena PEDRAZZINI RIZZI |
| La greffière : Maïté VALENTE |
Indication des voies de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la décision attaquée. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.