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Décisions | Chambre civile

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C/14690/2019

ACJC/1415/2025 du 09.10.2025 ( OO ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : ACTE DE RECOURS;CONDUITE DU PROCÈS;DÉCISION;DOMMAGE IRRÉPARABLE;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ
Normes : CPC.319.letb.ch2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14690/2019 ACJC/1415/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 9 OCTOBRE 2025

 

Entre

A______, sise ______ [BE], appelante d'une ordonnance rendue par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance du canton de Genève le 24 juin 2025, représentée par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, NOMOS Avocats, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______, France, intimé, représenté par Me C______, avocat.

 


EN FAIT

A. a. Par acte déposé le 29 novembre 2019 au Tribunal de première instance, B______ a agi en paiement contre [la compagnie d’assurances] A______.

b. Par réponse du 13 mars 2020, A______ a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions.

c. Par ordonnance rendue le 12 mai 2025, le Tribunal a, notamment, convoqué les parties le 4 septembre 2025 à une audience d'interrogatoire ou de déposition, immédiatement suivie d'une audience de plaidoiries orales finales.

d. Par courriers des 15 mai et 16 juin 2025, le conseil de B______ a sollicité du Tribunal le report de cette audience en raison d'une autre audience de jugement fixée de longue date.

e. Par courrier adressé le 16 juin 2025 au Tribunal, A______ a requis qu'il soit procédé à des plaidoiries écrites, que l'audience d'interrogatoire et/ou de déposition des parties soit fixée et qu'il soit procédé à l'audition de l'expert judiciaire.

f. Par ordonnance du 24 juin 2025, le Tribunal a déclaré irrecevable la requête de nouveaux actes d'instruction formulée le 16 juin 2025 par A______ (ch. 1 du dispositif), confirmé la tenue de plaidoiries finales orales (ch. 2), annulé l'audience fixée à ces fins le 4 septembre 2025 (ch. 3), ordonné que les plaidoiries orales finales se tiennent le 2 octobre 2025 (ch. 4) et réservé les frais de cette ordonnance à la décision finale (ch. 5).

g. Par acte du 4 juillet 2025, A______ a sollicité la récusation du premier juge et la suspension de la cause jusqu'à droit jugé sur ladite requête.

h. Par ordonnance ORTPI/897/2025 du 8 juillet 2025, le Tribunal a transmis la requête de récusation à la présidence du Tribunal civil, suspendu la cause jusqu'à droit jugé sur ladite requête et annulé en conséquence l'audience de plaidoiries orales finales du 2 octobre 2025.

B. a. Par acte expédié le 4 juillet 2025 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ a recouru contre l'ordonnance rendue le 24 juin 2025, concluant, avec suite de frais judiciaires et dépens, à ce que cette ordonnance soit annulée, à ce que l'audition des parties par le Tribunal soit ordonnée et, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au premier juge afin qu'il statue dans le sens des considérants.

Préalablement, elle a requis la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance attaquée, requête que la Cour a, par arrêt ACJC/1027/2025 du 28 juillet 2025, considéré comme étant devenue sans objet vu l'ordonnance rendue le 8 juillet 2025 par le Tribunal.

b. Par un bref courrier du 24 juillet 2025, B______ s'en est rapporté à justice s'agissant du recours.

c. Les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger par courriers du 28 juillet 2025.

EN DROIT

1. 1.1 La décision entreprise ayant été communiquée aux parties après le 1er janvier 2025, la présente procédure d'appel est régie par le nouveau droit de procédure (art. 404 al. 1 et 405 al. 1 CPC).

1.2 Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable
(art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, CR-CPC, 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2016, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats. Elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps. Il en va ainsi notamment lorsque le tribunal émet des citations, renvoie la date d'une comparution, émet une ordonnance de preuve, fixe des délais, prolonge un délai fixé judiciairement, statue relativement à l'avance de frais ou à la fourniture de suretés, ordonne des échanges d'écritures ou des débats d'instruction, refuse de citer un témoin à comparaître ou administre les preuves (Jeandin, op. cit., n. 14 ad art. 319 CPC).

En l'espèce, l'ordonnance entreprise est une ordonnance d'instruction relevant de l'administration des preuves et de la conduite des débats au sens de
l'art. 319 let. b CPC. Elle est susceptible de faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

1.3 Déposé selon la forme prescrite (art. 130 et 131 CPC) et dans le délai de 10 jours prévu par la loi (art. 321 al. 2 CPC), le recours est recevable de ces points de vue.

2. Les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées, il convient de déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 73).

Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1686/2023 du 19 décembre 2023 consid. 2.1; Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement, puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 7 ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JT 2013 III 131 ss, 155). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (parmi plusieurs : ACJC/1315/2024 du 22 octobre 2024 consid. 2.1.1; ACJC/220/2023 du 13 février 2023 consid. 2.1; ACJC/1686/2023 du 19 décembre 2023 consid. 2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (ACJC/1315/2024 du 22 octobre 2024 consid. 2.1.1 et
la réf. cit.; ACJC/327/2012 du 9 mars 2012 consid. 2.4 et les réf. cit.; Message du Conseil fédéral relatif au CPC, FF 2006 6841, p. 6984, Oberhammer, in Kurzkommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung ZPO, 2010, n. 13 ad art. 319 CPC; Blickenstorfer, op. cit., n. 40 ad art. 319 CPC).

2.2 La recourante fait valoir que, par son ordonnance du 24 juin 2025, le Tribunal a renoncé à l'audition des parties qu'il avait précédemment ordonnée dans son ordonnance du 12 mai 2025, sans motif ni explication et alors que cette décision n'avait pas fait l'objet d'un recours. Selon elle, cette manière de procéder porterait atteinte à la sécurité juridique, à la confiance des justiciables dans la stabilité des décisions judiciaires et au droit à un procès équitable, les décisions d'instruction ne pouvant être modifiées unilatéralement sans circonstances nouvelles.

La suppression – sans justification – de cette mesure probatoire lui causerait un préjudice difficilement réparable, dans la mesure où elle empêcherait durablement les parties d'influer sur les constatations de fait avant que la cause ne soit gardée à juger. En cas de recours ultérieur contre le jugement final, cette perte de chance ne pourrait être pleinement réparée, car le préjudice lié à l'absence d'audition personnelle ne pourrait être compensé rétroactivement. Il serait par ailleurs notoire que les constatations de fait opérées en première instance lieraient dans une large mesure les juridictions de recours. Ainsi, en renonçant à une mesure d'instruction préalablement ordonnée, le premier juge aurait altéré durablement l'équilibre du débat contradictoire, en violation du droit d'être entendu.

2.3 En l'occurrence, la recourante ne saurait être suivie lorsqu'elle prétend que les décisions d'instruction ne peuvent être modifiées unilatéralement sans circonstances nouvelles. Comme le prévoit expressément l'art. 154 CPC, les ordonnances de preuve peuvent être modifiées ou complétées en tout temps, peu important que celles-ci aient ou non fait l'objet d'un recours.

De plus, les arguments avancés par la recourante concernant l'existence d'un préjudice difficilement réparable ne convainquent pas, étant rappelé que la Cour doit se montrer restrictive dans son examen des conditions de
l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. En effet, la recourante perd de vue que l'éventuelle violation par le premier juge des dispositions sur le droit à la preuve ne suffit pas, en soi, à causer un préjudice difficilement réparable. Si – au terme de la procédure au fond – la recourante devait persister à considérer que le Tribunal a, à tort, renoncé à auditionner les parties, elle pourra diriger son grief contre la décision finale par la voie de l'appel. L'instance d'appel aura en effet la possibilité d'administrer des preuves (art. 316 al. 3 CPC) ou de renvoyer la cause en première instance pour complément d'instruction (art. 318 al. 1 let. c CPC).

En outre, conformément aux principes rappelés plus haut, la seule prolongation de la procédure par le fait que l'instance d'appel pourrait, s'il y a lieu, renvoyer la cause au premier juge pour complément d'instruction, ne constitue pas un dommage difficilement réparable.

La recourante n'établit ainsi pas qu'elle risquerait de subir un préjudice difficilement réparable justifiant de revoir l'ordonnance de preuve entreprise sans attendre la décision à rendre sur le fond.

Il suit de là que la recourante ne se prévaut d'aucune circonstance particulière qui justifierait, à titre exceptionnel, d'ouvrir une voie de recours immédiate contre l'ordonnance de preuve querellée.

Par conséquent, le recours sera déclaré irrecevable.

3. Les frais judicaires du recours seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 41 RTFMC) - comprenant ceux relatifs à la décision ACJC/1027/2025 du 28 juillet 2025 - et mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais fournie par celle-ci, qui demeure entièrement acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera en outre condamnée aux dépens de sa partie adverse, lesquels seront arrêtés à 300 fr., TVA et débours compris, au regard de l'activité déployée par le conseil de l'intimé, laquelle a consisté en une réponse de quelques lignes (art. 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 al. 1 LaCC;
art. 25 al. 1 LTVA; art. 84, 85 al. 1, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Déclare irrecevable le recours interjeté le 4 juillet 2025 par A______ contre l'ordonnance rendue le 24 juin 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14690/2019-10.

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'200 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais fournie par celle-ci, qui demeure entièrement acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à payer à B______ la somme de 300 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

La présente décision, qui ne constitue pas une décision finale, peut être portée, dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (art. 72 LTF), aux conditions de l'art. 93 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.