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Décisions | Chambre civile

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C/3254/2023

ACJC/830/2025 du 17.06.2025 sur JTPI/8108/2024 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3254/2023 ACJC/830/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 17 JUIN 2025

Entre

A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par la 14ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 24 juin 2024, représentée par
Me Julie HAUTDIDIER-LOCCA, avocate, FAIVRE & Associés, rue de la Rôtisserie 2, case postale 3809, 1211 Genève 3,

et

1.      Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé,

2.      Monsieur C______, domicilié ______ [GE], autre intimé,

3.      D______ Sàrl, sise ______ [GE], autre intimée,

4.      Madame E______, domiciliée ______ [GE], autre intimée,

5.      Madame F______, domiciliée ______ [GE], autre intimée,

6.    Madame G______, domiciliée ______ [VD], autre intimée,

Tous comparant par Me Marco ROSSI, avocat, SLRG Avocats, Quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève, en l'Etude duquel ils font élection de domicile.


7.             Monsieur H______, domicilié c/o Monsieur I______, ______ [GE], autre intimé,

8.             Monsieur J______, domicilié ______ [TI], autre intimé,

9.             Madame K______, domiciliée ______ [GE], autre intimée,

10.         Madame L______, domiciliée ______ [GE], autre intimée,

11.         Madame M______, domiciliée ______ [GE], autre intimée,

12.         Monsieur N______, domicilié ______ [GE], autre intimé,

13.         Monsieur O______, domicilié ______ [GE], autre intimé,

Tous comparant par Me Joël CHEVALLAZ, avocat, Mangeat Avocats Sàrl, rue de Chantepoulet 1, case postale, 1211 Genève 1, en l'Etude duquel ils font élection de domicile.

14.         Monsieur P______, domicilié ______ [VD], autre intimé, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/8108/2024 du 24 juin 2024, reçu par A______ SA le 2 juillet 2024, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure ordinaire, a débouté A______ SA des fins de sa demande tendant à l'inscription définitive des hypothèques légales des artisans et entrepreneurs provisoirement inscrites en sa faveur sur la parcelle n° 1______ et sur les lots de copropriété n° 101 à 112 de la parcelle n° 2______, commune de Q______ [VD] (chiffre 1 du dispositif), a ordonné la radiation des inscriptions provisoires de ces hypothèques légales au registre foncier (ch. 2 et 3), a statué sur les frais judiciaires et les dépens (ch. 5 et 6) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 7).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 2 août 2024, A______ SA a formé appel de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation, concluant à l'inscription définitive des hypothèques légales des artisans et entrepreneurs provisoirement inscrites au registre foncier le 14 juin 2022, avec suite de frais et dépens, y compris les frais liés au registre foncier pour l'inscription de l'hypothèque légale.

Elle produit une pièce nouvelle, soit l'état de collocation dans la faillite de R______ Sàrl déposé par l'Office des faillites de l'arrondissement de S______ [VD] le 15 mars 2024.

b. Les intimés concluent au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais et dépens.

c. La cause a été gardée à juger le 26 novembre 2024, ce dont les parties ont été avisées le même jour.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. H______ et J______ étaient copropriétaires de la parcelle n° 3______ de la commune de Q______, sise « chemin 4______», sur laquelle deux villas individuelles avec garage avaient été édifiées.

Ce bien-fonds a, dans le courant de l'année 2023, été divisé en deux parcelles, portant les nos 1______ et 2______. J______ est devenu l'unique propriétaire la parcelle n° 1______, tandis que la parcelle n° 2______ a été constituée en propriété par étages, divisée en douze lots, numérotés de 101 à 112.

Les lots nos 101 et 102 appartiennent à G______, le lot n° 103 à C______ et F______, les lots nos 104 et 111 à D______ Sàrl, le lot n° 105 à B______, le lot n° 106 à N______, le lot n° 107 à L______, le lot n° 108 à O______ et K______, le lot n° 109 à H______, le lot n° 110 à E______ et le lot n° 112 à P______.

b. Par contrat d'entreprise du 2 septembre 2021, T______ SA, agissant en qualité d’entrepreneur général, a chargé R______ Sàrl, société qui avait pour but la démolition, le terrassement, le sciage-forage béton et le désamiantage de biens immobiliers, de procéder au désamiantage et à la démolition du bâtiment situé sur l’ancienne parcelle n° 3______, pour le prix forfaitaire de 70'000 fr. Lesdits travaux comprenaient notamment l'évacuation des matériaux et le paiement des taxes de décharge.

c. En novembre 2021, R______ Sàrl a sous-traité l'évacuation et le traitement de déchets du chantier à A______ SA, dont le but social était la collecte, le traitement et la valorisation de déchets de chantier, l’exploitation d’installations de valorisation de déchets de chantier de manière respectueuse pour l’environnement, l’exploitation d’une entreprise de transport de bennes de chantier, multi-bennes et multi-lifts, ainsi que toutes prestations dans ces domaines.

d. A______ SA est intervenue dans la phase de démolition du chantier.

e. Elle a adressé les trois factures suivantes à R______ Sàrl :

- la facture n° 5______ du 30 novembre 2021, d'un montant de 1'270 fr. 45, concernant ses prestations du 9 novembre 2021, en lien avec un bulletin de livraison relatif à des "déchets de bois problématiques" et à un "transport de benne";

- la facture n° 6______ du 31 décembre 2021, d'un montant de 62'802 fr. 15, portant sur son activité du 1er au 21 décembre 2021, ayant fait l'objet de 67 bulletins de livraison mentionnant le type de déchets (branchages compostables, déchets mélangés à trier, tuiles, bois de démolition, déchets incinérables, "DCMI à trier", déchets de bois problématiques, ferraille, tuiles, "déchets de type B", "GNT 0/45", béton de démolition) et leur mode de transport, par benne ou véhicule;

- la facture n° 7______ du 28 février 2022, de 4'417 fr. 35, concernant ses prestations du 1er au 15 février 2022, ayant fait l'objet de trois bulletins de livraison faisant mention des déchets (résidus divers compostables et déchets de bois problématiques) et de leur transport par bennes.

Ces trois factures ont été admises par R______ Sàrl, qui a signé, les 13 avril et 5 mai 2022, une reconnaissance de dette en faveur de A______ SA. R______ Sàrl n'a pas réglé les deux premières factures de A______ SA, mais a payé la troisième facture, de 4'417 fr. 35, le 2 juin 2022.

f. Les parties s'opposent sur la date de la fin des travaux effectués par A______ SA sur le chantier.

U______, administrateur de A______ SA, a déclaré au Tribunal avoir travaillé un peu au mois de novembre 2021, beaucoup en décembre 2021, pas du tout en janvier 2022 et un peu en février 2022, expliquant que la société n'avait pas travaillé en janvier 2022 parce qu'elle dépendait des déchets générés par les entreprises sur le chantier.

Pour sa part, V______, chauffeur de poids lourds auprès de A______ SA, a déclaré au Tribunal que le chantier avait duré de novembre 2021 à février 2022 en continu et il n'y avait pas eu un mois d'interruption. Elle avait conduit le camion avec les bennes, lesquelles avaient été chargées par W______, machiniste auprès de R______ Sàrl.

g. Le 23 décembre 2021, T______ SA et R______ Sàrl ont signé la réception des travaux de désamiantage et de démolition.

Selon X______, représentant de T______ SA, les travaux de démolition étaient terminés à fin décembre 2021 et il n'y avait plus de déchets y relatifs à évacuer, ce que Y______, administrateur de R______ Sàrl, a également confirmé.

R______ Sàrl a adressé sa facture finale à T______ SA le 15 novembre 2021. Cette facture fait état d'un acompte de 35'000 fr. réglé le 3 novembre 2021. T______ SA a réglé le solde par ordre de paiement du 14 janvier 2022.

h. A______ SA a requis la poursuite de R______ Sàrl le 8 juin 2022.

La faillite de R______ Sàrl a été prononcée le ______ juillet 2022.

Il ressort de l'état de collocation, déposé le 15 mars 2024, que les créances produites par A______ SA ont été admises en 3ème classe et que le dividende escompté pour cette classe est nul.

i. Le 13 juin 2022, A______ SA a saisi le Tribunal d'une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles tendant à l’inscription provisoire d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs sur la parcelle n° 3______ de la commune de Q______, devant être reportée par la suite sur les futures parcelles n° 1______ et n° 2______ en cours de création.

Le même jour, le Tribunal a fait droit à la requête de mesures superprovisionnelles et l'hypothèque a été inscrite le lendemain ______ juin 2022 au registre foncier. Le 27 juin 2022, le Tribunal a rendu une ordonnance de mesures superprovisionnelles complémentaire détaillant la façon dont il convenait de reporter l’hypothèque légale sus évoquée sur les parcelles n° 1______ et n° 2______.

Par ordonnance du 21 novembre 2022, le Tribunal a, sur mesures provisionnelles, ordonné l’inscription provisoire d'une hypothèque légale d'artisans et d'entrepreneurs en faveur de A______ SA sur la parcelle n° 1______, propriété de J______, à hauteur de 32'036 fr. 30 plus intérêts à 5% dès le 30 janvier 2022, ainsi que sur la parcelle n° 2______, pour une somme totale de 32'036 fr. 30 plus intérêts à 5% dès le 30 janvier 2022, répartie proportionnellement sur chaque lot de propriété par étage de la manière suivante : à raison de 1'057 fr. 20 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 101, propriété de G______, à raison de 5'414 fr. 13 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 102, propriété de G______, à raison de 3'844 fr. 36 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 103, propriété de C______ et F______, à raison de 416 fr. 47 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 104, propriété de D______ Sàrl, à raison de 2'242 fr. 54 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 105, propriété de B______, à raison de 3'684 fr. 17 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 106, propriété de N______ et M______, à raison de 2'434 fr. 76 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 107, propriété de L______, à raison de 2'370 fr. 69 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 108, propriété de O______ et K______, à raison de 1'922 fr. 18 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 109, propriété de H______, à raison de 2'915 fr. 30 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022, sur le lot n° 110, propriété de E______, à raison de 3'075 fr. 48 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 111, propriété de D______ Sàrl et à raison de 2'659 fr. 01 avec intérêts à 5 % dès le 30 janvier 2022 sur le lot n° 112, propriété de P______ et imparti à A______ SA un délai pour ouvrir action au fond.

j.a Par demande déposée au Tribunal le 20 février 2023, A______ SA a sollicité l'inscription définitive des hypothèques légales d'artisans et d'entrepreneurs provisoirement inscrites en sa faveur.

Elle a affirmé avoir évacué et traité l’entier des déchets du chantier, dont les interventions successives résultaient de l'exécution d'un seul contrat, lequel avait pris fin le 15 février 2022. A son sens, elle avait obtenu en temps utile l'inscription provisoire des hypothèques légales sur les parcelles en question.

j.b Les intimés ont conclu à l'irrecevabilité de la requête, au déboutement de leur partie adverse et à la radiation des hypothèques légales provisoirement inscrites.

Ils ont notamment fait valoir que l'hypothèque légale avait été inscrite tardivement, au motif que T______ SA avait réceptionné l'ouvrage de R______ Sàrl le 23 décembre 2021 et soldé sa facture en janvier 2022. Les travaux de A______ SA exécutés en février 2022 et payés le 2 juin 2022 concernaient d'autres travaux que ceux qu'elle avait exécutés en novembre et décembre 2021.

j.c Le Tribunal a gardé la cause à juger le 12 mars 2024.


 

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement entrepris ayant été communiqué aux parties avant le 1er janvier 2025, la présente procédure d'appel demeure régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 et 405 al. 1 nCPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f nCPC.

1.2.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance, dans les affaires patrimoniales lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 CPC).

Il doit être interjeté dans le délai utile de trente jours (art. 145 al. 1 let. b, 311 al. 1 CPC) et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC).

1.2.2 En l'espèce, le jugement entrepris est une décision finale de première instance, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. et l'appel a été entrepris dans le délai utile et selon la forme prescrite par la loi, de sorte qu'il est recevable.

1.3 La cause est soumise à la maxime des débats et au principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

La Cour revoit le fond du litige en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF
138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3). Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelante estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante – et, partant, recevable –, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). Hormis les cas de vices manifestes, elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

2. 2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas l'être devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

2.2 En l'espèce, la pièce nouvellement produite par l'appelante devant la Cour, qui consiste dans l'état de collocation dans la faillite de R______ Sàrl déposé le 15 mars 2024, est recevable puisqu'elle est postérieure au 12 mars 2024, date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger.

3. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir constaté les faits de manière inexacte en fixant la date d'achèvement des travaux. Elle ne remet toutefois pas en cause l'établissement des faits, mais l'appréciation des preuves qu'a effectuée le premier juge pour retenir que les travaux ont pris fin le 23 décembre 2021, qui sera examinée sous consid. 4.2 ci-après.

4. L'appelante soutient que les travaux faisant l'objet de ses factures des 30 novembre, 31 décembre 2021 et 28 février 2022 relevaient du même contrat et concernaient des commandes répétitives et que leur achèvement devait ainsi être fixé au 15 février 2022. Elle reproche en conséquence au Tribunal d'avoir considéré que les travaux facturés les 30 novembre et 31 décembre 2021 avaient pris fin au plus tard le 22 décembre 2021 et retenu que l'inscription provisoire des hypothèques légales opérée le 14 juin 2022 était tardive.

4.1.1 Les artisans et entrepreneurs employés à la construction ou à la destruction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages, au montage d'échafaudages, à la sécurisation d'une excavation ou à d'autres travaux semblables, peuvent requérir l'inscription d'une hypothèque légale sur l'immeuble pour lequel ils ont fourni des matériaux et du travail ou du travail seulement, que leur débiteur soit le propriétaire foncier, un artisan ou un entrepreneur, un locataire, un fermier ou une autre personne ayant un droit sur l'immeuble (art. 837 al. 1 ch. 3 CC).

L'inscription de l'hypothèque des artisans et entrepreneurs doit être obtenue, à savoir opérée au registre foncier, au plus tard dans les quatre mois qui suivent l'achèvement des travaux (art. 839 al. 2 CC).

Ce délai de quatre mois est un délai de péremption qui ne peut être ni suspendu ni interrompu, mais il peut être sauvegardé par l'annotation d'une inscription provisoire (ATF 137 III 563 consid. 3.3; 126 III 462 consid. 2c/aa; arrêts du Tribunal fédéral 5A_574/2023 du 28 février 2024 consid. 3.1; 5A_203/2023 du 30 août 2023 consid. 4.1.1; 5A_630/2021 du 26 novembre 2021 consid. 3.3.2.4; 5A_518/2020 du 22 octobre 2020 consid. 3.1 et les références citées).

Il y a achèvement des travaux quand tous les travaux qui constituent l'objet du contrat d'entreprise ont été exécutés et que l'ouvrage est livrable. Ne sont considérés comme travaux d'achèvement que ceux qui doivent être exécutés en vertu du contrat d'entreprise et du descriptif, non les prestations commandées en surplus sans qu'on puisse les considérer comme entrant dans le cadre élargi du contrat. Des travaux de peu d'importance ou accessoires différés intentionnellement par l'artisan ou l'entrepreneur, ou bien encore des retouches (remplacement de parties livrées mais défectueuses, correction de quelque autre défaut) ne constituent pas des travaux d'achèvement (ATF 102 II 206 consid. 1a; arrêts du Tribunal fédéral 5A_574/2023 du 28 février 2024 consid. 3.1; 5A_203/2023 du 30 août 2023 consid. 4.1.1; 5A_109/2022 du 15 septembre 2022 consid. 2.2 et les références citées).

Si un artisan ou un entrepreneur a travaillé en exécution de plusieurs contrats, il possède autant de créances distinctes. Le délai d'inscription d'une hypothèque légale court en principe séparément, pour chaque contrat, dès l'achèvement des travaux auxquels il se rapporte (ATF 76 II 134 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_574/2023 du 28 février 2024 consid. 3.1).

Cependant, si les objets des divers contrats sont étroitement liés les uns aux autres au point de constituer économiquement et matériellement un tout, il faut les traiter comme s'ils avaient donné lieu à une seule convention. Il faut considérer que des contrats forment une unité s'ils sont à ce point imbriqués les uns dans les autres qu'ils forment un tout d'un point de vue pratique (ATF 106 II 123 consid. 5b et c; 104 II 348 consid. II.2). Dans cette hypothèse, l'entrepreneur est en droit de faire inscrire l'hypothèque légale pour le montant total de ce qui lui est dû dans les quatre mois dès l'achèvement des derniers travaux formant cette unité (arrêt du Tribunal fédéral 5A_574/2023 du 28 février 2024 consid. 3.1).

En revanche, lorsqu'un entrepreneur se voit attribuer après coup d'autres travaux de nature différente, le délai commence à courir pour chacun d'eux séparément, à partir de l'achèvement des travaux auxquels il se rapporte (ATF 111 II 343 consid. 2c; 104 II 248 consid. II.2; 76 II 134 consid. 1). De même, si en vertu d'un seul contrat plusieurs ouvrages ont été commandés sur un seul immeuble, le délai commence à courir, en principe, séparément pour chaque ouvrage. Toutefois, le Tribunal fédéral a admis qu'il y a un délai unique lorsque les ouvrages à réaliser sont fonctionnellement interdépendants et ont été construits d'un seul trait (ATF 125 III 113 consid. 3b; 111 II 343 consid. 2c; arrêts du Tribunal fédéral 5A_574/2023 du 28 février 2024 consid. 3.1; 5A_630/2021 5A_630/2021 du 26 novembre 2021 consid. 3.3.2.4; 5A_282/2016 du 17 janvier 2017 consid. 7.1 et les références citées, publié in SJ 2017 I 265 et in RNRF 2019 p. 109).

La livraison (réception) de l'ouvrage est un concept juridique, qui repose sur des éléments de fait précis, qui consiste dans la remise par l'entrepreneur au maître de l'ouvrage achevé et réalisé conformément au contrat. La livraison par l'entrepreneur se fait par tradition ou par un avis, exprès ou tacite, de celui-ci au maître (ATF 129 III 738 consid. 7.2; 115 II 456 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_653/2015 du 11 juillet 2016 consid. 3.2.1).

Il appartient à l'entrepreneur qui demande l'inscription définitive d'une hypothèque légale des artisans et des entrepreneurs inscrite à titre provisoire de prouver que l'inscription provisoire du gage a été effectuée à temps (art. 8 CC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_589/2023 du 18 avril 2024 consid. 3.5.3).

4.2 En l'espèce, le Tribunal a rejeté la demande tendant à l'inscription définitive des hypothèques légales d'artisans et d'entrepreneurs provisoirement inscrites en faveur de l'appelante le 14 juin 2022 au motif que ces hypothèques avaient été inscrites après écoulement du délai de quatre mois à compter de la fin des travaux. Il a retenu que les travaux confiés à R______ Sàrl par T______ SA avaient été livrés le 23 décembre 2021 et que cette dernière avait réglé la facture y relative en janvier 2022. Le délai de quatre mois prévu par la loi avait ainsi commencé à courir au plus tard le 22 décembre 2021. A______ SA n'avait en outre pas démontré que les prestations qu'elle avait fournies en février 2022 étaient en lien avec les travaux accomplis durant l'année 2021, ni que ses différentes prestations avaient fait l'objet d'une seule commande ou qu'elles étaient interdépendantes les unes des autres justifiant qu'elles soient prises en considération comme un tout.

L'appelante fait en particulier grief au premier juge d'avoir, dans le cadre de son appréciation des moyens de preuve, accordé trop d'importance au document intitulé "Réception de l'ouvrage" du 23 décembre 2021 et de n'avoir, à l'inverse, pas suffisamment tenu compte de sa facture du 28 février 2022, des déclarations de son représentant U______ et des témoignages de son employée V______ et de Y______, administrateur de R______ Sàrl, selon lesquels elle était intervenue sur le chantier en février 2022.

Il n'est en l'occurrence pas remis en cause que T______ SA a, par contrat du 2 septembre 2021, confié à R______ Sàrl les travaux de désamiantage et de démolition, qui comprenaient l'évacuation des matériaux et le traitement des déchets, limités à la phase de démolition du chantier, ni qu'R______ Sàrl a, un mois plus tard, sous-traité les travaux d'évacuation des matériaux et de traitement des déchets à l'appelante.

Le Tribunal s'est, à juste titre, fondé sur le document intitulé "Réception de l'ouvrage" signés par T______ SA et R______ Sàrl le 23 décembre 2021, dont il ressort que les travaux confiés à R______ Sàrl avaient été livrés et étaient exempts de défaut, pour en déduire que les travaux que R______ Sàrl avait sous-traités à l'appelante avaient été livrés à cette date. Cette réception des travaux a également été confirmée par X______, administrateur de T______ SA, et Y______, administrateur de R______ Sàrl, qui ont, lors de leur audition en qualité de témoins, déclaré que les travaux de démolition étaient terminés à fin décembre 2021 et qu'il n'y avait plus de déchets à évacuer. Le fait que T______ SA ait réglé, en date du 22 janvier 2022, le solde de la facture de R______ Sàrl pour les travaux confiés le 2 septembre 2021, conforte également l'appréciation selon laquelle les travaux que T______ SA a confiés à R______ Sàrl, que celle-ci a en partie sous-traité à l'appelante, ont été achevés au plus tard le 22 décembre 2021, comme l'a retenu le premier juge.

L'appelante ne saurait en particulier être suivie lorsqu'elle remet en cause la force probante de l'attestation de réception de l'ouvrage signé le 23 décembre 2021 en soutenant qu'elle consisterait en un document de complaisance ne reflétant pas la réalité : elle se prévaut des relations qu'entretiennent T______ SA et R______ Sàrl, mais ne fournit aucun élément de preuve ni indice de nature à remettre en cause le document litigieux.

C'est également à tort que l'appelante reproche au premier juge de n'avoir pas suffisamment pris en considération sa facture du 28 février 2022, les déclarations de son administrateur U______ et des témoins V______ et Y______, administrateur de R______ Sàrl, faisant état de l'intervention de l'appelante sur le chantier en février 2022 : le Tribunal a en effet tenu compte de la facture de l'appelante du 28 février 2022 puisqu'il en a déduit que les prestations facturées n'avaient pas été contestées, que la facture avait été réglée et que des prestations de "transport à vide" et d'évacuation de "bois problématique" avaient été effectuées les 1er et 15 février 2022.

Le Tribunal a en revanche estimé que l'appelante n'avait pas démontré que les prestations qu'elle avait effectuées en février 2022, alors qu'elle n'était pas intervenue en janvier 2022, étaient liées, faisaient d'une seule commande ou avaient été fournies d'un seul trait avec les travaux effectués en novembre et décembre 2021.

Pour soutenir que l'ensemble des travaux qu'elle a exécutés formaient une entité, l'appelante s'est prévalue de ce qu'elle n'était pas responsable des délais entre ses différentes interventions qui lui avaient imposés par R______ Sàrl, qu'il était notoire qu'elle agissait sur la base du contrat du 2 septembre 2021 qui incluait la démolition et le traitement de tous les déchets qui se trouvaient sur la parcelle, ceux de la villa mais également ceux qui se trouvaient à l'extérieur, qu'il était manifeste que l'attestation de réception de l'ouvrage du 23 décembre 2021 ne concernait que la partie des travaux portant sur la villa et qu'il restait une quantité importante de déchets à évacuer comme le "bois problématique" faisant l'objet de la facture du 28 février 2022, ou encore le fait que R______ Sàrl se soit acquittée de cette facture sans avoir réclamé aucun montant supplémentaire à T______ SA. Ces explications ne suffisent toutefois pas à établir que les prestations fournies par l'appelante en février 2022 relèvent des travaux que R______ Sàrl lui avait sous-traités en automne 2021, qui avaient été exécutés en novembre et décembre 2021 et réceptionnés le 23 décembre 2021.

En définitive, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la Cour considère, à l'instar du Tribunal, que les travaux exécutés par l'appelante en novembre et décembre 2021, facturés par celle-ci les 30 novembre et 31 décembre 2021 et litigieux dans la présente procédure, ont été achevés au plus tard le 22 décembre 2021 au regard de la réception de ces travaux attestée le 23 décembre 2021, de l'absence de toute intervention de l'appelante sur le chantier en janvier 2022 et faute d'unité suffisante entre ces travaux et les prestations fournies par l'appelante en février 2022.

Les hypothèques légales d'artisans et d'entrepreneurs provisoirement inscrites le 14 juin 2022 l'ont ainsi été après écoulement du délai de quatre mois de l'art. 839 al. 2 CO.

C'est, partant, à bon droit que le Tribunal a rejeté les conclusions tendant à l'inscription définitive de ces hypothèques.

Les griefs soulevés par l'appelant n'étant pas fondés, le jugement entrepris sera confirmé.

5. Il sera enfin relevé ici que, même dans l'hypothèse où l'inscription provisoire de l'hypothèque légale avait été effectuée dans le délai prescrit par l'art. 839 al. 2 CO, son inscription définitive aurait alors dû être rejetée en raison de la nature des prestations confiées à l'appelante.

5.1 En effet, l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC permet aux artisans et entrepreneurs employés à la construction ou à la destruction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages, au montage d'échafaudages, à la sécurisation d'une excavation ou à d'autres travaux semblables, de requérir l'inscription d'une hypothèque légale sur l'immeuble pour lequel ils ont fourni des matériaux et du travail ou du travail seulement. Le transport de matériaux - y compris les travaux de chargement et de déchargement pour le transport - ne donne en revanche pas lieu à cette sûreté réelle (ATF 149 III 451 consid. 5.2.6 et les références citées). L'entrepreneur ayant livré des matériaux qui, pris isolément, ne peuvent pas donner lieu à l'hypothèque légale, peut néanmoins bénéficier de celle-ci si ces matériaux forment une unité avec d'autres qui, eux, donnent lieu à l'hypothèque. Il en découle que les prestations d'évacuation et d'élimination de déblais ou de gravats de chantier ne donnent en principe pas droit à l'inscription d'une hypothèque légale, à moins de former une unité fonctionnelle avec les travaux effectués par la même entreprise pour la construction d'un ouvrage. Tel sera assurément le cas si les gravats sont débarrassés par l'entreprise qui a elle-même procédé aux travaux de démolition (ATF 149 III 451 consid. 5.2.6 et les références citées; ACJC/748/2024 du 10 juin 2024 consid. 2.2). Il appartient à l'entrepreneur qui demande l'inscription définitive d'une hypothèque légale des artisans et des entrepreneurs inscrite à titre provisoire de prouver les faits à la base de sa créance donnant droit au gage (art. 8 CC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_589/2023 du 18 avril 2024 consid. 3.5.3).

5.2 Dans le cas d'espèce, les prestations confiées à l'appelante ont consisté dans la mise à disposition de bennes sur le chantier, leur transport et le déchargement des matériaux issus de la démolition, ainsi que leur tri. Il s'agit de prestations de transport, facturées en fonction du volume de déchets évacué, de leur catégorie et du mode de transport effectué, qui ne permettent pas de bénéficier de la garantie réelle au regard de la jurisprudence fédérale citée ci-avant. Il en serait allé différemment si ces prestations de transport avaient formé une unité fonctionnelle avec d'autres travaux protégés par le gage, notamment si les déchets évacués étaient issus de travaux de démolition que l'appelante aurait elle-même exécutés, ce qui n'était toutefois pas le cas.

La nature des prestations fournies par l'appelante n'aurait ainsi pas permis de donner suite à sa demande d'inscription définitive d'une hypothèque légale d'artisans et d'entrepreneurs même si cette dernière avait été inscrite provisoirement dans les délais prescrits.

6. Les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 3'600 fr. (art. 13, 17 et 35 RTFMC), seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), et entièrement compensés avec l'avance de frais versée par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera par ailleurs condamnée à verser des dépens d'appel à hauteur de 3'000 fr. en faveur des intimés B______, C______, D______ Sàrl, E______, F______, et G______, créanciers solidaires, et de 3'000 fr. aux intimés H______, J______, K______, L______, M______, N______ et O______, créanciers solidaires (art. 96 et 106 al. 1 CPC; art. 20, 25 et 26 LaCC: art. 84, 85 et 90 RTFMC).

Aucun dépens ne sera alloué à P______, qui n'a pas participé à la procédure.

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 2 août 2024 par A______ SA contre le jugement JTPI/8108/2024 rendu le 24 juin 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3254/2023.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 3'600 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à payer, à titre de dépens d'appel, les sommes de 3'000 fr. à B______, C______, D______ Sàrl, E______, F______, et G______, créanciers solidaires, et de 3'000 fr. à H______, J______, K______, L______, M______, N______ et O______, créanciers solidaires.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.