Décisions | Chambre civile
ACJC/704/2025 du 27.05.2025 ( IUS ) , REJETE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/2515/2024 ACJC/704/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 27 MAI 2025 |
Entre
A______/B______ SA, sise ______, requérante, représentée par
Me Raphaël ZOUZOUT, avocat, Lemania Law Avocats, rue de Hesse 16, 1204 Genève,
et
A______/C______ SA EN LIQUIDATION, sise ______, citée, représentée par son liquidateur, Me D______, avocat.
Attendu EN FAIT que par acte déposé le 20 décembre 2023 au Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), A______/B______ SA a requis la nomination d'un expert indépendant chargé de réaliser un examen spécial au sein de A______/C______ SA EN LIQUIDATION concernant :
i) les frais de liquidation, soit en particulier les frais de comptabilité, les frais juridiques, les honoraires du liquidateur et les frais de consultants externes pour les années 2018 à ce jour, ii) la cession des prétentions à l'encontre de E______ SA et de F______ à G______ SA, iii) la gestion de la liquidation, et iv) l'établissement du bilan final de liquidation;
Que par jugement du 18 janvier 2024, le Tribunal a déclaré irrecevable ladite requête pour défaut de compétence ratione materiae;
Que A______/B______ SA a redéposé sa requête à la Cour de justice le 31 janvier 2024;
Que par arrêt du 24 juin 2024 (ACJC/878/2024) la Cour a admis partiellement la requête;
Qu'elle a nommé H______, p.a. Fiduciaire I______, rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, en qualité d'expert spécial de A______/C______ SA, EN LIQUIDATION et dit que l'expert spécial, aura la mission d'examiner les frais de liquidation depuis 2018 à ce jour relatifs aux frais de comptabilité, aux frais juridiques et aux honoraires du liquidateur, et de déterminer si ces frais sont justifiés par pièces; rappelé l'expert spécial à ses devoirs de confidentialité, s'agissant des informations qu'il récoltera dans le cadre de sa tâche; condamné A______/C______ SA, EN LIQUIDATION à supporter les frais et honoraires de H______ encourus en sa qualité d'expert spécial; condamné A______/C______ SA, EN LIQUIDATION à verser à H______ une provision d'un montant de 5'000 fr. dès l'entrée en force de l'arrêt; autorisé H______ à ne pas se mettre en œuvre avant le versement en ses mains de l'avance initiale de ses frais et honoraires et autorisé H______ à solliciter directement de A______/C______ SA, EN LIQUIDATION toute avance complémentaire nécessaire à la couverture des frais et honoraires de son activité d'expert spécial, au fur et à mesure de l'accomplissement de celle-ci; imparti à H______ un délai au 15 octobre 2024 pour remettre son rapport à la Cour; arrêté les frais judiciaires à 3'000 fr., les a mis à la charge des parties à hauteur de la moitié chacune et les a compensés avec l'avance versée par A______/B______ SA, acquise à l'Etat de Genève et condamné A______/C______ SA, EN LIQUIDATION à verser à A______/B______ SA la somme de 1'500 fr. à titre de remboursement partiel de l'avance de frais judiciaires, chaque partie supportant ses propres dépens, les parties étant déboutées de toutes autres conclusions;
Vu le rapport d'examen spécial de l'expert désigné du 5 décembre 2024, transmis à la société le 10 décembre 2024 et la réaction de celle-ci du 31 janvier 2025;
Vu la transmission dudit rapport à la requérante le 4 février 2025 et la détermination de celle-ci du 7 mars 2025 dans laquelle elle sollicite la production de pièces complémentaires et la réponse à de nouvelles questions;
Vu la transmission de ces documents à l'expert qui n'ont pas suscité de commentaires de sa part;
Vu le courrier du 9 avril 2025 du liquidateur de la société requérant la clôture de la procédure d'examen spécial;
Considérant EN DROIT que l'examen spécial, régi par les art. 697c à 697h CO, est une des mesures prévues par la loi pour donner aux actionnaires un droit de contrôle sur la marche de la société (art. 696 ss CO; ATF 138 III 252 consid. 3.1); qu'il est prévu afin d'atténuer le conflit entre l'intérêt de la société au maintien du secret et les intérêts des actionnaires à obtenir des renseignements (Meier-Hayoz/Forstmoser, Droit des sociétés, 2015, § 16 n. 201);
Qu'à teneur de l'art. 697g CO, l'expert spécial rend compte du résultat de son contrôle de manière détaillée et soumet son rapport au juge (al. 1); que le juge transmet le rapport à la société qui, le cas échéant, lui indique les passages qui portent atteinte au secret des affaires ou à d'autres intérêts sociaux dignes de protection; qu'il décide si ces passages doivent de ce fait être soustraits à la consultation des requérants (al. 2); que le juge donne l'occasion à la société et aux requérants de prendre position sur le rapport épuré et de poser des questions complémentaires (al. 3);
Qu'au terme de son mandat, l'expert spécial rend compte par écrit du résultat de l'examen de manière détaillée (art. 697 g al.1 CO);
Que le rapport de l'expert doit être "détaillé", ce qui implique qu'il doit contenir tous les faits qui sont pertinents pour l'analyse des questions soumises au contrôleur et donner ainsi aux actionnaires la possibilité de prendre des décisions éclairées à cet égard. Qu'il doit être objectif, véridique, intégral et clair et ne porter que sur les faits déterminés par le juge (Pauli Pedrazzini, CR-CO II, n. 10 ad art. 697a CO);
Que l'objet du contrôle spécial consiste en l'examen de faits déterminés, conformément à son but, qui est d'assurer l'information des actionnaires;
Que la limitation à l'examen de faits interdit au contrôleur spécial de porter une appréciation sur les objets examinés (Pauli Pedrazzini, op. cit., n. 8 et 9 ad art. 697a CO; Weber, in Basler Kommentar, Obligationenrecht II, 2016, n. 23 ad art. 697a CO; ATF 138 III 252 consid. 3.1; 133 III 453 consid. 7.5);
Que le contrôle spécial peut porter sur la rémunération des administrateurs ou d'autres personnes proches de la société non cotée;
Qu'il doit cependant être nécessaire à l'exercice des droits des actionnaires, par exemple conduire à la possibilité d'introduire une action en restitution des prestations (art. 678 CO), et ne peut révéler les rémunérations individuelles que s'il y a des signes d'abus; qu'en outre, l'action en restitution de l'art. 678 CO est soumise à des conditions qui ne peuvent pas faire l'objet du contrôle spécial, puisque leur examen comporte une appréciation (perception "indue"; disproportion "évidente") (Pauli Pedrazzini, op. cit., n. 10 ad art. 697a CO);
Qu'une fois la procédure d'épuration terminée, le juge donne l'occasion à la société et aux requérants de prendre position sur le rapport et de poser des questions supplémentaires (art. 697g al. 3 CO); que cette disposition a pour but d'accorder à la société et à l'actionnaire requérant un droit de participation à la procédure de contrôle spécial; que selon la jurisprudence, le droit de poser des questions supplémentaires au contrôleur spécial permet aux parties de détecter les défauts du rapport et de combler les éventuelles lacunes avant que celui-ci ne soit communiqué aux autres actionnaires; qu'il constitue le seul moyen pour le requérant d'exercer une certaine influence sur le rapport et, dans certaines circonstances, d'obtenir un élargissement du contrôle spécial; que si le droit de prendre position sur le rapport ne modifie pas les résultats du contrôle spécial, il permet à la société et au requérant d'apporter un regard critique sur le rapport;
Qu'en vertu de l'art. 697h al. 1 CO, le conseil d'administration soumet le rapport des experts ainsi que son avis et celui des requérants à l'assemblée générale suivante;
Que les questions supplémentaires doivent présenter un lien suffisant avec l'objet du contrôle spécial, être admissibles quant à leur contenu et ne pas étendre l'objet du contrôle tel que défini lors de la procédure d'institution du contrôleur; que les réponses doivent en outre être nécessaires à l'exercice des droits des actionnaires, de sorte que les questions supplémentaires ne peuvent servir qu'à reformuler plus clairement l'objet de la demande en contrôle spécial ou bien expliquer le travail du contrôleur; que si le juge admet des questions supplémentaires, il charge le contrôleur de compléter son rapport; qu'en revanche, s'il estime qu'elles s'éloignent trop de l'objet initial du contrôle, les actionnaires doivent, le cas échant, recommencer toute la procédure (Pauli Pedrazzini, op. cit., n. 13 et 14 ad. art. 697e CO);
Que la clôture de la procédure judiciaire intervient par une décision du juge, prise en procédure sommaire, permettant la présentation du rapport à l'assemblée générale selon l'art. 697f al. 1 CO; qu'à ce stade de la procédure, le juge constate seulement que le rapport du contrôleur spécial et les prises de position sont complets (Pauli Pedrazzini, op. cit., n. 16 et 17 ad. art. 697e CO);
Qu'à teneur de l'art. 697h bis al. 1 CO, les coûts induits par l'examen spécial sont à la charge de la société; si des circonstances particulières le justifient, le juge peut mettre tout ou partie des frais à la charge des requérants;
Que tel peut notamment être le cas lorsque le requérant agit de manière contraire à la bonne foi, soit lorsqu'il agit de manière hâtive ou dans l'intention de nuire à la société; que dans la pratique, il est toutefois difficilement imaginable qu'un contrôle spécial soit instauré bien que le comportement des requérants soit qualifié de contraire à la bonne foi (Pauli Pedrazzini, op. cit., n. 3 à 5 ad art. 697g CO);
Qu'en l'espèce, dans son arrêt ACJC/878/2024 du 24 juin 2024, la Cour a considéré que la requérante ne disposait d'un intérêt digne de protection à l'instauration d'un examen spécial qu'en tant qu'il portait sur les frais de liquidation relatifs aux frais de comptabilité, aux frais juridiques et aux honoraires du liquidateur, la requête étant rejetée pour le surplus;
Que l'examen de l'expert désigné ne portait dès lors que sur les faits contenus dans le cadre de la mission donnée;
Que le rapport répond aux questions posées de manière claire et détaillée conformément à la loi;
Qu'en tant qu'elle souhaite l'extension de la mission de l'expert spécial, la requérante se met en porte-à-faux tant avec la loi qu'avec l'arrêt précité;
Qu'il ne sera pas donné suite à sa demande de complément, laquelle ne peut être reçue;
Que par ailleurs, il a été répondu à toutes les questions de la mission, les questions supplémentaires posées, pour autant qu'elles ne sortent pas du champ, ne justifient pas un complément de rapport;
Qu'elles valent observations qui seront soumises, comme rappelé ci-dessus, à l'assemblée générale suivante;
Qu'au vu de la mission confiée à l'expert spécial, la requérante dispose des éléments factuels suffisants et nécessaires pour se déterminer en connaissance de cause sur les frais et honoraires de liquidation;
Que la clôture de la présente procédure d'examen spécial sera dès lors prononcée;
Que les frais et honoraires de l'expert spécial seront mis à la charge de la société, conformément à l'art. 697h bis al. 1 CO;
Qu'ils seront arrêtés à 5'000 fr. et entièrement compensés par l'avance versée à l'expert par A______/C______ SA, EN LIQUIDATION;
Que les frais judiciaires – relatifs à la présente décision – seront arrêtés à 800 fr. (art. 26 RTFMC) et mis à la charge des parties par moitié chacune, conformément à la répartition retenue par la Cour dans son arrêt précédent admettant partiellement la requête;
Que pour les mêmes motifs, chaque partie supportera ses propres dépens.
* * * * *
La Chambre civile :
Statuant par voie de procédure sommaire et en instance unique :
Rejette, en tant que recevable, la requête de A______/B______ SA tendant au complément du rapport rendu par l'expert spécial le 5 décembre 2024.
Prononce la clôture de la présente procédure d'examen spécial.
Condamne A______/C______ SA EN LIQUIDATION à supporter les frais et honoraires de l'expert spécial désigné, arrêtés à 5'000 fr.; entièrement compensés par l'avance versée à l'expert.
Arrête les frais judiciaires relatifs à la présente décision à 800 fr. et les met à la charge des parties à raison de la moitié chacune.
Condamne A______/B______ SA à payer 400 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Condamne A______/C______ SA EN LIQUIDATION à payer 400 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Paola CAMPOMAGNANI, Madame Stéphanie MUSY, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.
Le président : Cédric-Laurent MICHEL |
| La greffière : Sandra CARRIER |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.