Décisions | Chambre civile
ACJC/609/2025 du 09.05.2025 sur AJC/296/2025 ( AJC )
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE AC/3248/2023 ACJC/609/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 6 MAI 2025 |
Entre
1) Monsieur A______, domicilié ______ [GE],
2) B______ SÀRL, ayant son siège c/o Monsieur C______, ______ [GE],
3) Monsieur C______, domicilié ______ [GE],
recourants tous trois contre une ordonnance rendue par la Vice-présidente du Tribunal de première instance de ce canton le 20 janvier 2025, représentés par Me Marc-Philippe SIEGRIST, avocat, avenue Dumas 20, 1206 Genève,
et
Monsieur D______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Diego DUGERDIL, avocat, rue Saint-Léger 6, 1205 Genève.
A. a. Par demande déposée le 17 août 2023, D______ a saisi le Tribunal de première instance d'une action visant à ce que B______ Sàrl, C______ et A______, pris conjointement et solidairement, soient condamnés à lui verser 103'469 fr. 60 à titre de sûretés au sens de l'art. 175 al. 3 CO (cause C/1______/2021).
b. Par décision du 29 janvier 2024, D______ a été mis au bénéfice de l'assistance juridique pour la procédure susvisée, ledit octroi ayant été limité à la prise en charge des frais judiciaires de première instance et subordonné au paiement d'une participation mensuelle de 500 fr. dès le 1er mars 2024.
c. Par acte du 9 avril 2024, B______ Sàrl, C______ et A______ ont formé une requête de fourniture de sûretés en garantie des dépens à l'encontre de D______, réclamant à ce titre une somme de 11'080 fr.
d. Par ordonnance du 27 septembre 2024, le Tribunal a demandé à l'Assistance juridique de se prononcer sur la portée de sa décision du 29 janvier 2024 en la complétant, cas échéant, sur la question d'une éventuelle exonération de D______ de fournir des sûretés en garantie des dépens, après avoir entendu les parties adverses au fond.
e. Invités à se déterminer sur la requête d'assistance juridique initialement déposée par D______, B______ Sàrl, C______ et A______ ont fait valoir qu'il fallait tenir compte des subsides d'assurance-maladie perçus par le requérant. Ils n'avaient pas d'autres éléments à faire valoir concernant la situation financière du précité.
B. Par décision rendue le 20 janvier 2025 dans la cause AC/3248/2023, la Vice-présidente du Tribunal de première instance a exonéré D______ de l'obligation de fournir des sûretés en garantie des dépens de B______ Sàrl, C______ et A______ dans la procédure C/1______/2021.
Il a été retenu que le ménage formé par D______, son épouse et leur enfant disposait de revenus mensuels de 10'984 fr. 50 pour des charges mensuelles admissibles de 7'412 fr. 10, de sorte que le disponible mensuel du ménage s'élevait à 3'572 fr. 40. Bien que D______ ne soit pas indigent, il ne disposait a priori pas des liquidités nécessaires pour s'acquitter d'éventuelles sûretés en garantie des dépens réclamées par ses parties adverses. En effet, quand bien même lesdites sûretés n'avaient pas encore été fixées par la magistrate en charge de la procédure, elles seraient vraisemblablement arrêtées à un montant de l'ordre de 11'080 fr., comme sollicité par les défendeurs au fond, sur la base des dispositions applicables, sous réserve du pouvoir d'appréciation du Tribunal.
C. a. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 30 janvier 2025 au greffe de la Cour, B______ Sàrl, C______ et A______ ont formé recours contre cette décision, concluant à son annulation. Cela fait, ils ont conclu, avec suite de frais et dépens, à ce que l'assistance juridique ne soit pas étendue à l'exonération des sûretés en garantie de leurs dépens et à ce que D______ soit condamné à s'acquitter d'un montant de 11'080 fr. (éventuellement par mensualités de 500 fr.) en espèces ou sous forme de garantie bancaire ou en mains des Services financiers du Pouvoir judiciaire, au titre de sûretés en garantie de leurs dépens dans la cause C/1______/2021. Subsidiairement, ils ont sollicité le renvoi de la cause à l'autorité de première instance.
b. Invité à se déterminer, D______ a conclu au rejet du recours.
c. L'autorité de première instance a renoncé à formuler des observations.
d. Par avis du greffe de la Cour du 20 février 2025, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 Le présent recours est recevable pour avoir été interjeté devant la Cour (art. 120 al. 1 let. a LOJ) dans le délai utile de 10 jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC), par les parties adverses (dans le procès civil au fond) d'un bénéficiaire de l'assistance judiciaire, à l'encontre d'une ordonnance exonérant ledit bénéficiaire de fournir des sûretés en garantie des dépens (cf. notamment arrêt du Tribunal fédéral 5A_178/2015 du 29 mai 2015 consid. 4.1.1).
1.2 Dans la procédure de recours, la cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).
2. Les recourants reprochent à l'autorité de première instance d'avoir exonéré leur partie adverse de fournir des sûretés en garantie de leurs dépens dans la procédure au fond qui les oppose.
2.1 Reprenant l'art. 29 al. 3 Cst., l'art. 117 CPC prévoit que toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit à l'assistance judiciaire, à moins que sa cause ne paraisse dépourvue de toute chance de succès.
2.1.1 Selon l'art. 118 al. 1 CPC, l’assistance judiciaire comprend : l’exonération d’avances et de sûretés (let. a); l’exonération des frais judiciaires (let. b); la commission d’office d’un conseil juridique par le tribunal lorsque la défense des droits du requérant l’exige (let. c).
D'après l'art. 118 al. 2 CPC, l'assistance judiciaire peut être accordée totalement ou partiellement, ce qui signifie que l'assistance juridique doit être accordée, conformément au principe de proportionnalité, à la mesure de sa véritable nécessité (Message du Conseil fédéral relatif au Code de procédure civile, FF 2006, p. 6912, ad art. 116 du projet CPC; Huber, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 2ème éd., 2016, n. 17 ad art. 118 CPC), soit en quelque sorte "à la carte" (Ruegg, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2ème éd., 2013, n. 2 ad art. 118 CPC). L'octroi partiel peut ainsi prendre diverses formes selon les prestations accordées, l'étendue de ces prestations ou encore la phase de procès concernée (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 24 ad art. 118 CPC).
L’octroi partiel de l’assistance judiciaire peut éventuellement prendre la forme de simples réductions des avances, sûretés ou frais exigibles du requérant lorsque ses ressources, sans être suffisantes pour lui permettre d’assumer pleinement les frais du procès, n’excluent pas non plus tout paiement de sa part. Le Message envisage à cet égard la fixation d’une « franchise ». Pour savoir s’ils dépassent les ressources du requérant, il faut aussi tenir compte des délais dans lesquels certains montants doivent être acquittés. Il est ainsi concevable que la juridiction compétente exonère une partie du versement d’avances qui représentent parfois de grosses sommes à payer, en principe d’un coup, mais considère que ses ressources lui permettent d’assumer les honoraires d’un avocat de choix qu’elle pourra provisionner par mensualités (Tappy, op. cit., n. 25 ad art. 118 CPC et les références citées).
Les sûretés et l’avance de frais se situent au même niveau et leur dispense découle de l’indigence de la partie à qui l’assistance judiciaire est accordée. Dans le cas d’une assistance judiciaire partielle, la loi n’interdit pas d’exonérer la partie partiellement indigente de l’avance des frais judiciaires et du versement de sûretés, tout en lui refusant l’assistance d’un défenseur d’office. Il est en revanche exclu qu’une décision d’assistance judiciaire partielle libère la partie du paiement de l’avance des frais tout en l’astreignant à verser des sûretés. En effet, s’il est acquis que cette partie n’est pas en mesure de s’acquitter des avances et des frais judiciaires et que sa cause n’est pas d’emblée dépourvue de chances de succès, il n’est pas possible de lui imposer, sous peine de forclusion (art. 101 al. 3 CPC), de verser des sûretés en garantie des dépens (arrêt du Tribunal fédéral 5A_886/2017 du 20 mars 2018 consid. 5; Stoudmann, PC CPC, n. 44 ad art. 99 CPC).
2.1.2 L’octroi de l'assistance judiciaire n’est pas justifié lorsque la part disponible permet d'amortir les frais judiciaires et d’avocat en une année au plus, pour les procès relativement simples, et en deux ans pour les autres. Cependant, il conviendra de tenir compte, le cas échéant, de la situation du requérant qui se trouve dans la nécessité d’agir dans un délai relativement court, qui ne lui permet pas de faire des économies en vue d’avancer les frais du procès, d’avocat et les éventuelles sûretés en garantie des dépens (ATF 141 III 369 consid. 4.1; ATF 135 I 221 consid. 5.1).
2.1.3 Dans l’assistance judiciaire partielle comme dans l’assistance judiciaire totale, la perte de la protection contre le risque d’insolvabilité de la partie qui, en principe, devrait verser des sûretés est une conséquence du droit de celle-ci à l’accès aux tribunaux et à la défense de ses droits, dont il faut s’accommoder. Dans les limites de ces principes, le Tribunal conserve un large pouvoir d’appréciation pour aménager l’octroi partiel de l’assistance judiciaire dans le cas concret (ATF 141 III 369 consid. 4.3.3).
2.2 En l'espèce, dans la mesure où le bénéfice de l'assistance juridique a été octroyé à D______ pour la prise en charge des frais judiciaires de première instance dans la cause C/1______/2021, il était justifié, au regard des règles rappelées ci-dessus, de retenir que l'aide étatique couvrait également l'exonération de fournir des sûretés en garantie des dépens de ses parties adverses dans ladite procédure.
Cela étant, comme relevé à juste titre par les recourants, il résulte de la décision présentement querellée que le ménage de D______ bénéficie mensuellement d'un disponible de 3'572 fr. 40. Au vu de cette situation, l'octroi de l'assistance juridique à D______ a été conditionné au paiement d'une participation mensuelle de 500 fr. par mois dans la décision du 29 janvier 2024.
Après paiement de cette participation mensuelle, le ménage du précité dispose encore d'un solde de quelques 3'000 fr. Ce montant n'est pas suffisant pour acquitter en une fois d'éventuelles sûretés qui seraient fixées (vraisemblablement à un montant de l'ordre de 11'000 fr.) dans la cause C/1______/2021, ce qui confirme le bien-fondé de la décision présentement querellée.
Toutefois, au vu de la situation financière de D______, les recourants font valoir à bon droit que l'extension de l'aide étatique à l'exonération de fournir des sûretés devrait également être conditionnée au versement d'une participation mensuelle de 500 fr., à l'instar de la première décision d'octroi de cette aide.
La décision querellée sera dès lors complétée en ce sens que l'exonération de D______ de l'obligation de fournir des sûretés en garantie des dépens des recourants dans la cause C/1______/2021 est subordonnée au paiement d'une participation mensuelle de 500 fr. en mains des Services financiers du Pouvoir judiciaire, jusqu'à concurrence du montant des sûretés qui seront éventuellement fixées en faveur des recourants dans la procédure précitée. Ce paiement mensuel sera dû à compter de la notification de l'éventuelle décision fixant des sûretés en garantie des dépens.
3. Vu les circonstances du cas d'espèce, la Cour renoncera à la perception de frais judiciaires de recours, lesquels seront laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC).
D______ ayant conclu au rejet du recours et ayant succombé, il sera condamné à verser 400 fr. aux recourants, solidairement entre eux, à titre de dépens de recours, débours et TVA inclus.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2025 par A______, B______ SÀRL et C______ contre la décision rendue le 20 janvier 2025 par la vice-présidente du Tribunal de première instance dans la cause AC/3248/2023.
Au fond :
Admet le recours.
Complète la décision entreprise en ce sens que l'exonération de D______ de l'obligation de fournir des sûretés en garantie des dépens de A______, B______ SÀRL et C______ dans la cause C/1______/2021 est subordonnée au paiement d'une participation mensuelle de 500 fr. en mains des Services financiers du Pouvoir judiciaire, jusqu'à concurrence du montant des sûretés qui seraient éventuellement fixées en faveur des précités dans la procédure susmentionnée.
Dit que ce paiement mensuel sera dû à compter de la notification de l'éventuelle décision fixant des sûretés en garantie des dépens de A______, B______ SÀRL et C______.
Confirme la décision entreprise pour le surplus.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Laisse les frais judiciaires de recours à la charge de l'Etat de Genève.
Condamne D______ à payer 400 fr. de dépens de recours à A______, B______ SÀRL et C______, solidairement entre eux.
Siégeant :
Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.