Décisions | Chambre civile
ACJC/1284/2024 du 15.10.2024 sur JTPI/4445/2024 ( OO ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/21574/2021 ACJC/1284/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 15 OCTOBRE 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par la 7ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 9 avril 2024,
et
CAISSE DE COMPENSATION B______, p.a. ______, intimée.
A. a. Par jugement JTPI/4445/2024 du 9 avril 2024, le Tribunal de première instance a débouté A______ de sa demande – tendant à ce qu'il soit constaté qu'il ne doit pas à la CAISSE DE COMPENSATION B______ la somme de 65'403 fr. 75 – (ch. 1 du dispositif), mis à sa charge les frais judiciaires, arrêtés à 1'700 fr. (ch. 2 et 3), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).
b. Par acte expédié à la Cour de justice le 20 mai 2024, reçu le 22 mai 2024, A______ a formé appel contre ce jugement, concluant à son annulation, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision et au déboutement de la CAISSE DE COMPENSATION B______ de toute autre conclusion, avec suite de frais.
c. Par arrêt du 24 mai 2024, la Cour de justice a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, les requêtes de mesures superprovisionnelles et provisionnelles formées par A______. Elle l'a condamné aux frais de la décision, en 200 fr.
d. Dans sa réponse du 10 juillet 2024, la CAISSE DE COMPENSATION B______ a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.
e. Les parties ont été informées par courriers de la Cour du 19 septembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger, A______ n'ayant pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet.
B. Il ressort du dossier les faits pertinents suivants.
a. A______ est l'administrateur unique de la société C______ SA, inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2014.
C______ SA est en litige avec la Confédération suisse concernant la taxation de tabac pour pipe à eau importé par ses soins, suite à la modification de l'Ordonnance sur l'imposition du tabac (OITab) entrée en vigueur le 1er mai 2015, emportant une augmentation de l'impôt, dont elle conteste la légalité. Plusieurs arrêts ont été rendus dans ce cadre.
b. Au bénéfice de plusieurs actes de défaut de biens contre C______ SA, la CAISSE DE COMPENSATION B______, par décision du 31 mai 2019, a demandé à A______, en sa qualité d'organe, la réparation du dommage subi par elle, pour le montant de 65'403 fr. 75, représentant les cotisations paritaires au 31 décembre 2017, y compris les frais et les intérêts moratoires, et ce en application de l'art. 52 LAVS.
Un décompte "selon acte de défauts de biens" pour les années 2014 à 2017 était joint à la décision.
Il était indiqué au pied de la décision que celle-ci pouvait faire l'objet d'une opposition, auquel cas elle serait dûment motivée.
A______ n'a pas formé opposition à cette décision dans le délai imparti.
c. Le 11 juillet 2019, la CAISSE DE COMPENSATION B______ a sommé A______ de payer 65'403 fr. 75 dans les dix jours, faute de quoi elle "confierait le recouvrement de sa créance à l'Office des poursuites".
Par la suite, la CAISSE DE COMPENSATION B______ a accordé à plusieurs reprises des délais à A______ pour s'acquitter de sa dette.
d. Le 26 avril 2021, un commandement de payer, poursuite n° 1______, a été notifié à A______, à la requête de la CAISSE DE COMPENSATION B______, portant sur la somme de 58'982 fr. 45, alléguée due au titre de "solde de la réparation de dommage concernant la société C______ SA, selon décision du 31 mai 2019".
e. Par jugement JTPI/12584/2021 du 30 septembre 2021, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée par A______ au commandement de payer, poursuite n° 1______. La décision de la CAISSE DE COMPENSATION B______ du 31 mai 2019, contre laquelle aucune opposition n'avait été formée, était un titre exécutoire au sens de l'art. 80 al. 2 ch. 2 LP.
f. Par arrêt ACJC/220/2022 du 9 février 2022, la Cour de justice a rejeté le recours interjeté par A______ contre ce jugement.
g. Par arrêt 5A_204/2022 du 28 juin 2022, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de A______ contre cet arrêt, dans la mesure de sa recevabilité.
h. Par demandé déposée le 4 novembre 2021, non conciliée le 10 février 2022, et introduite le 24 mars 2022, A______ a conclu devant le Tribunal à ce qu'il soit constaté qu'il ne doit pas à CAISSE DE COMPENSATION B______ le montant de 65'403 fr. 75 mentionné dans la décision du 31 mai 2019.
A______ ne conteste pas le calcul des cotisations paritaires encore dues par C______ SA. Il fait en revanche valoir que suite à l'adoption par le Conseil fédéral de l'art. 2 al. 6 OITab qui a assimilé le tabac pour pipe à eau au tabac à coupe fine, les impôts à l'importation du tabac pour pipe à eau ont massivement augmenté. Cette hausse massive des impôts n'avait plus permis à C______ SA d'importer la marchandise qu'elle avait commandée et que cela avait provoqué son étouffement financier, de sorte qu'elle n'avait pas pu payer les cotisations paritaires puisqu'elle comptait sur les revenus générés par la vente de la marchandise commandée pour les régler.
i. La CAISSE DE COMPENSATION B______ a conclu au déboutement de A______.
1. 1.1.1 L’appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance, lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 francs au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC), ce qui est le cas en l'espèce.
1.1.2 Il incombe au recourant de motiver son appel (art. 311 al. 1 CPC), c'est-à-dire de démontrer le caractère erroné de la motivation attaquée. Pour satisfaire à cette exigence, il ne lui suffit pas de renvoyer aux moyens soulevés en première instance, ni de se livrer à des critiques toutes générales de la décision attaquée. Sa motivation doit être suffisamment explicite pour que l'autorité d'appel puisse la comprendre aisément, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision que le recourant attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 141 III 569 consid. 2.3.3; 138 III 374 consid. 4.3.1). La motivation de l'appel constitue une condition de recevabilité, qui doit être examinée d'office; Lorsque l'appel est insuffisamment motivé, l'autorité n'entre pas en matière (arrêts du Tribunal fédéral 5A_247/2013 du 15 octobre 2013 consid. 3.1; 4A_651/2012 du 7 février 2013 consid. 4.2).
L'art. 132 CPC permet d'obtenir un délai supplémentaire uniquement pour rectifier des vices de forme, et non pas pour remédier à l'insuffisance des moyens au fond, même si le mémoire émane d'une personne sans formation juridique (ATF
137 III 617).
1.2 En l'espèce, l'appelant conteste la solution à laquelle est parvenu le premier juge sans expliquer en quoi les motivations du Tribunal relatives notamment au fait qu'il ne saurait revoir la décision de l'intimée du 31 mai 2019, laquelle n'a pas été frappée d'opposition et est donc entrée en force, seraient erronées ou contraires au droit. Même en faisant preuve de l'indulgence nécessaire envers un plaideur agissant en personne, la recevabilité de l'appel est douteuse. Cette question souffre cependant de rester indécise, vu l'issue de l'appel.
2. 2.1.1 Aux termes de l'art. 85a al. 1 LP, le débiteur poursuivi peut agir en tout temps au for de la poursuite pour faire constater que la dette n'existe pas ou plus, ou qu'un sursis a été accordé.
L'action en annulation ou en suspension de la poursuite peut être formée en tout temps lorsque le commandement de payer est exécutoire, l'opposition ayant été définitivement écartée. La demande n'est recevable que si la poursuite est encore pendante au moment du jugement (Schmidt, CR LP, n. 5 ad art. 85a LP; Gillieron, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5ème éd., 2012, n. 866, p. 217).
L'action en constatation de l'art. 85a LP ne peut ainsi être introduite qu'après que l'opposition a été définitivement écartée, et jusqu'à la répartition des deniers, respectivement l'ouverture de la faillite (ATF 125 III 149 = JdT 1999 lI 67 consid. 2c). Ainsi, cette voie n'est pas ouverte au débiteur qui a formé opposition à la poursuite en temps utile et dont l'opposition n'a pas été écartée définitivement (ATF 128 III 334; ATF 132 III 277 = JT 2007 II 21 consid. 4.2). Dans ce cas, le débiteur qui entend faire constater l'inexistence de la dette sans attendre davantage que le prétendu créancier se décide ou non à l'attaquer par une action de droit matériel (art. 79 LP) ou par une procédure de mainlevée (art. 84 LP) doit recourir à l'action générale en constatation de l'inexistence de la créance déduite en poursuite, dont le jugement, s'il constate la nullité de ladite poursuite, permettra d'empêcher la communication de celle-ci aux tiers sur la base de l'art. 8a al. 3 let. a LP (arrêt du Tribunal fédéral 4A_399/2011 du 19 octobre 2011 consid. 1.2.1; Marchand, Précis de droit des poursuites, 2013, p. 77).
2.1.2 Lorsque la mainlevée définitive a été accordée sur la base d'un jugement (art. 80 al. 1 LP) ou d'une décision administrative assimilée à un jugement (art. 80 al. 2 ch. 2 LP), le poursuivi qui agit sur la base de l'art. 85a LP ne peut, compte tenu de la force de chose jugée du jugement, se prévaloir - en dehors d'exceptions très limitées découlant du jugement lui-même (p. ex. condamnation à une exécution trait pour trait, conditionnelle, ou préalable du créancier poursuivant) - que des faits survenus après l'entrée en force de celui-ci, à savoir des nova proprement dits (arrêts du Tribunal fédéral 5A_269/2013 du 26 juillet 2013, consid. 5.1.2; 5A_591/2007 du 10 avril 2008 consid. 3.2.2, publié in SJ 2008 I p. 353; 5C_234/2000 du 22 février 2001 consid. 2b et les références, publié in SJ 2001 I p. 443). Le poursuivi ne peut remettre en cause l'existence de la créance établie par un jugement (ou une décision administrative) que par les voies de droit ordinaires ou extraordinaires prévues par la loi. Le magistrat saisi de l'action de l'art. 85a LP ne peut que tenir compte, cas échéant, d'un fait nouveau, à savoir l'existence d'une nouvelle décision rendue au terme d'une telle procédure de recours ordinaire ou extraordinaire, et examiner s'il en résulte que la créance déduite en poursuite n'existe pas. Dans l'affirmative, il peut ensuite annuler la poursuite.
2.2 L'action en constatation de droit (qui est régie, depuis l'entrée en vigueur du CPC, par l'art. 88 CPC), dans laquelle sont prises des conclusions en constatation de droit, est ouverte si le demandeur a un intérêt - de fait ou de droit - digne de protection à la constatation immédiate de la situation de droit. Selon la jurisprudence, il découle qu'il faut (1) qu'il y ait une incertitude concernant les droits du demandeur, (2) que la suppression de cette incertitude soit justifiée, en ce sens que l'on ne peut exiger du demandeur qu'il tolère plus longtemps la persistance de cette incertitude parce qu'elle l'entrave dans sa liberté de décision, (3) que cette incertitude puisse être levée par la constatation judiciaire et (4) qu'une action condamnatoire (ou en exécution) ou une action formatrice (ou en modification de droit), qui lui permettrait d'obtenir directement le respect de son droit ou l'exécution de son obligation, ne soit pas ouverte (ATF 141 III 68 consid. 2.3; 138 III 378 consid. 2.2 et les arrêts cités).
L'action en constatation de droit de l'art. 88 CPC n'est pas ouverte à l'égard des rapports juridiques de droit public (cf. Leuch/Marbach/Kellerhals/Sterchi, Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, N 2b ad Art. 174 aZPO/BE). Aussi, n'est pas admissible une action en constatation de droit de procédure civile qui vise exclusivement un effet de droit public, à savoir l'annulation de décisions administratives (ATF 38 II 404).
2.3 En l'espèce, l'appelant entend faire trancher par le juge civil, saisi de son action en constatation de droit négative, la question de savoir si la créance de l'intimée, fondée sur une décision administrative, existe ou non. Or, cela n'est admissible ni sous l'angle de l'art. 88 CPC ni sous l'angle de l'art. 85a LP. Pour le reste, l'appelant n'invoque aucun élément postérieur à la décision administrative qui lui permettrait de remettre en cause l'existence de la créance déduite en poursuite. L'appelant ne soutient pas avoir formé opposition à la décision administrative et c'est ainsi à raison que le premier juge a retenu qu'il s'agissait d'une décision entrée en force, que l'appelant ne peut plus remettre en cause, de sorte qu'il ne saurait se prévaloir d'une autre décision ou d'un jugement postérieur susceptible de modifier cette décision.
Il sera enfin constaté que le fait que la décision de l'intimée du 31 mai 2019 soit brièvement motivée n'est pas non plus de nature à remettre en question sa force et son autorité de chose jugée, comme semble le penser l'appelant. Cette décision mentionne le fondement légal de la créance en réparation, à savoir l'art. 52 LAVS et indique la cause du dommage, à savoir des actes de défaut de biens émis à l'encontre de la société, en lien avec les cotisations paritaires impayées pendant la période du mandat d'administrateur de l'appelant. Elle indique le délai d'opposition de 30 jours (cf. art. 49 al. 3 LPGA) et annonce qu'une décision sur opposition motivée serait alors rendue (cf. art. 52 al. 2 LPGA). Cette décision ne prête donc pas le flanc à la critique (cf. art. 49 LPGA), étant rappelé que le devoir de motiver est moindre lorsque la voie de l’opposition est ouverte, comme en l'espèce, puisque la procédure d'opposition a justement pour fonction de compléter l’exercice du droit d’être entendu de l’assuré (Défago Gaudin, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n. 35 ss ad art. 49 LPGA et les références).
L'argument selon lequel les cotisations paritaires n'auraient pas été payées en raison de l'adoption illégale, par le Conseil fédéral, de l'art. 2 al. 6 OITab, que l'appelant aurait dû soulever en formant opposition contre la décision de l'intimée du 31 mai 2019, ne saurait être retenu dans le cadre de la présente procédure, ce d'autant que comme l'a observé le premier juge, le Tribunal fédéral a considéré que le Conseil fédéral n'avait pas commis un acte illicite en adoptant la disposition contestée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 du 11 novembre 2021).
Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé.
3. L'appelant, qui succombe, sera condamné aux frais judiciaires d'appel (art. 106 al. 1 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 17 et 35 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance de frais de même montant versées par le précité, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimée, celle-ci n'étant pas assistée d'un conseil professionnel.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 20 mai 2024 par A______ contre le jugement JTPI/4445/2024 rendu le 9 avril 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/21574/2021.
Au fond :
Confirme le jugement attaqué.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'200 fr. les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance du même montant qu'il a versée et qui demeure acquise à l'Etat de Genève.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.
Siégeant :
Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.