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Décisions | Chambre civile

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C/8591/2017

ACJC/1222/2024 du 03.10.2024 sur JTPI/14130/2023 ( OO ) , MODIFIE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8591/2017 ACJC/1222/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 3 OCTOBRE 2024

 

Entre

1) A______ SA, sise ______ [VD],

2) Monsieur B______, domicilié ______ [VS],

Tous deux appelants d'un jugement rendu par la 8ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 1er décembre 2023, représentés par Me Guy STANISLAS, avocat, Jacquemoud Stanislas, place des Philosophes 10, case postale, 1211 Genève 4,

et

C______, sise ______ [ZH], intimée, représentée par Me Christian GIROD, avocat, Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1.

 

 


EN FAIT

A.           a. Par jugement JTPI/14130/2023 du 1er décembre 2023, notifié à [la banque] D______/E______ le 5 décembre 2023 et aux autres parties le lendemain, le Tribunal de première instance a débouté B______ et A______ SA des fins de leur demande en libération de dette (ch. 1 du dispositif), constaté que la mainlevée de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n. 1______ du 20 novembre 2015, était devenue définitive pour le montant de 14'300'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juillet 2015 (ch. 2), constaté que la mainlevée de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n. 2______ du 20 novembre 2015, était devenue définitive pour le montant de 14'300'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juillet 2015 (ch. 3), mis les frais judiciaires – arrêtés à 241'160 fr. – à la charge de B______ et de A______ SA, compensé ces frais avec l'avance fournie par ceux-ci (ch. 4), condamné B______ et A______ SA, pris conjointement et solidairement, à verser 200'000 fr. à D______/E______ à titre de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

b. La page de garde (rubrum) de cette décision énonçait que la cause opposait B______ et A______ SA à D______.

B.            a. Par acte expédié au greffe de la Cour civile le 22 janvier 2024, B______ et A______ SA appellent de ce jugement, dont ils sollicitent l'annulation.

Principalement, ils ont conclu à ce que D______/E______ soit condamnée à leur verser la somme de 12'660'779 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er mai 2013 à titre de réparation du dommage, à ce qu'il soit dit que les poursuites n. 1______ et n. 2______ du 20 novembre 2015 n'iront pas leur voie et au déboutement de D______/E______ de toute autre conclusion, avec suite de frais judiciaires et dépens.

b. Dans sa réponse, D______/E______ a conclu principalement à l'irrecevabilité de l'appel et subsidiairement à son rejet, avec suite de frais judiciaires et dépens.

A titre préalable, elle a conclu à la rectification de l'erreur de plume figurant sur la première page du jugement entrepris, en remplaçant le nom D______ par D______/E______, ou à ce qu'il soit subsidiairement ordonné au Tribunal d'y procéder.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Selon publication dans la Feuille Officielle Suisse du Commerce du ______ 2024, D______/E______ a été radiée et ses actifs et passifs ont été transférés, par suite de fusion, à C______.

e. Par plis du 2______ 2024, la juge déléguée de la Chambre civile a imparti aux parties un délai pour se déterminer sur cette publication et actualiser leurs conclusions en tant que de besoin.

f. Par courrier de son conseil du 8 août 2024, C______ a exposé qu'elle se substituait de par la loi à D______/E______ dans la présente procédure.

Elle a prié la Cour de prononcer cette substitution et de prendre acte de ce qu'elle concluait désormais à la rectification de l'erreur de plume figurant en première page du jugement entrepris, en remplaçant le nom de D______ par D______/E______, à laquelle se substitue désormais C______, ou à ce qu'il soit subsidiairement ordonné au Tribunal d'y procéder.

C______ a persisté dans les conclusions de la réponse à l'appel pour le surplus.

g. Par courrier de leur conseil du 16 août 2024, B______ et A______ SA ont déclaré consentir à la rectification de la qualité de partie découlant de la fusion intervenue.

Ils ont en conséquence conclu à ce que C______ soit condamnée à leur verser la somme de 12'660'779 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er mai 2013, avec suite de frais judiciaires et dépens. Ils ont persisté dans leurs conclusions pour le surplus.

h. Les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger par plis du greffe du 16 août 2024.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure:

a. A______ SA, dont le siège est à F______ (VD), a pour but social notamment des activités d'achat, vente, courtage et gérance de biens immobiliers.

b. B______, domicilié à G______ (VS) et précédemment à Genève, en est l'administrateur président, avec signature individuelle.

c. D______, dont le siège était situé 3______ [ZH], avait pour but l'exploitation d'un établissement bancaire.

d. Par contrat conclu le 24 juin 2008, D______, soit pour elle sa succursale de Genève, a accordé à A______ SA et B______, débiteurs solidaires, un crédit hypothécaire de 7'300'000 fr.

d.a Ce crédit était garanti par une cédule hypothécaire de même montant, grevant en premier rang une parcelle acquise par A______ SA à F______ (VD), sur laquelle celle-ci envisageait d'édifier une luxueuse villa, d'une surface d'environ 1'500 m2.

d.b Le crédit était également garanti par le nantissement d'un compte ouvert au nom des emprunteurs auprès de D______, sur lequel B______ a transféré une somme de 730'000 fr. à titre de garantie pour les intérêts échus ou à échoir.

L'acte de nantissement prévoyait que le droit de gage s'étendait également "à tous les doits accessoires échus, en cours ou à échoir, tels que les intérêts, les dividendes, les droits de souscription, etc.".

d.c Le contrat-cadre pour crédit hypothécaire disposait que "la banque peut résilier, en tout temps et avec effet immédiat, tous les crédits accordés en vertu de ce contrat-cadre (…) si l'emprunteur ou si l'un des emprunteurs est en demeure depuis plus de 60 jours avec le paiement des intérêts ou des amortissements (…)".

e. La dette hypothécaire a été portée à 14'300'000 fr. par contrat du 19 août 2010, qui indiquait qu'il annulait et remplaçait celui du 24 juin 2008.

e.a Au titre des garanties, les emprunteurs ont remis à la banque une cédule hypothécaire supplémentaire, d'un montant de 7'000'000 fr. et grevant l'immeuble de A______ SA en second rang.

Ils ont également porté à 2'100'000 fr. le montant des avoirs figurant sur le compte remis en nantissement, destiné à couvrir le paiement des intérêts.

e.b Le contrat prévoyait que les relations des parties étaient soumises au droit suisse. L'emprunteur reconnaissait la compétence exclusive des tribunaux de Zurich ou du for de la succursale de la banque avec laquelle les rapports contractuels avaient été établis. La banque se réservait le droit d'actionner l'emprunteur devant toute autre juridiction compétente.

f. Le taux d'intérêt a été fixé à 1.2% net par année dans le cadre de la conclusion du crédit initial.

A teneur du contrat, B______ et A______ SA devaient s'acquitter des intérêts le 31 mars, le 30 juin, le 30 septembre et le 31 décembre de chaque année. En cas de retard dans les paiements, un intérêt moratoire supérieur de 2% au taux d'intérêt convenu était prévu.

g. Au mois de mai 2013, D______ a annoncé à B______ et A______ SA qu'à la suite d'une ordonnance rendue par le Ministère Public de la Confédération (MPC), elle était contrainte de bloquer les comptes détenus par ceux-ci en ses livres, au motif qu'ils avaient bénéficié d'un transfert de fonds d'une société H______ LTD, dont l'ayant-droit économique était visé par une enquête pénale.

Les fonds en question avaient été versés par le biais d'un compte dont H______ LTD était titulaire dans les livres de D______.

h. A la même époque, le Ministère Public de la Confédération a également ordonné le séquestre du bien immobilier de A______ SA à F______.

i. B______ et A______ SA ne se sont ensuite plus régulièrement acquittés des intérêts dus sur le prêt consenti par D______.

j. D______ a adressé de nombreux rappels à A______ SA et à B______, afin d'obtenir le versement des intérêts hypothécaires dus selon le contrat de crédit hypothécaire.

k. B______ et A______ SA ont déclaré rappeler à la banque que les fonds nantis couvraient largement le montant des intérêts dus.

l. En date du 8 décembre 2014, D______ a dénoncé le contrat de prêt pour le 30 juin 2015, en raison du retard accusé dans le paiement des intérêts hypothécaires.

m. D______ a entamé des poursuites en réalisation de gage contre B______ et A______ SA. A sa demande, l'Office des poursuites de I______ (VD) a ainsi notifié les 24 et 25 novembre 2015:

-  un commandement de payer n. 1______ à A______ SA, pour un montant de 14'300'000 fr. (7'000'000 fr. et 7'300'000 fr.) plus intérêts, auquel la société a formé opposition;

-  deux commandements de payer n. 2______ à B______ (débiteur) et à A______ SA (tiers propriétaire), pour un montant de 14'300'000 fr. (7'000'000 fr. et 7'300'000 fr.) plus intérêts, auxquels les précités ont formé opposition.

n. Par jugements du 24 juin 2016, la Justice de Paix de I______ a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée aux trois commandements de payer précités. Sur recours des débiteurs poursuivis, l'effet suspensif a été accordé à ces trois jugements, lesquels ont été confirmés par arrêts du Tribunal cantonal vaudois du 29 décembre 2016, notifiés le 27 mars 2017.

o. Le 17 novembre 2016, D______ et D______/E______, dont le siège est également situé 3______ [ZH], ont conclu un contrat de transfert de patrimoine, à teneur duquel la première a transféré à la seconde les actifs et passifs de son activité de banque universelle pour les clients suisses et faisant partie de la division de banque universelle suisse.

Ce contrat prévoyait que le transfert de patrimoine au sens des art. 69 et suivants de la loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine (LFus) portait sur tous les actifs, passifs, relations juridiques et autres droits et relations liés à l'activité de banque universelle pour les clients suisses.

p. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 avril 2017, B______ et A______ SA ont agi en libération de dette contre D______, concluant, sous suite de frais, à ce que le Tribunal:

-          dise que A______ SA ne doit pas les sommes de 7'300'000 fr. et 7'000'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2015 réclamées dans la poursuite n. 1______ du 20 novembre 2015 et que ladite poursuite n'ira pas sa voie,

-          dise que B______ ne doit pas les sommes de 7'300'00 fr. et 7'000'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2015 réclamées dans la poursuite n. 2______ du 20 novembre 2015 et que ladite poursuite n'ira pas sa voie, et

-          condamne D______ à verser à A______ SA la somme de 12'660'779 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mai 2013 à titre de réparation du dommage.

q. D______ a requis la simplification du procès, en relevant que la demande de dommages-intérêts n'avait pas été soumise à la conciliation et qu'elle était donc irrecevable. D______ a également contesté disposer de la légitimation passive à l'action en libération de dettes, puisqu'elle n'était plus créancière.

r. Le Tribunal a limité la procédure aux questions relatives à la légitimation passive de D______ et à la recevabilité de la demande, en tant qu'elle portait sur la condamnation de la banque à payer 12'660'779 fr. plus intérêts à A______ SA à titre de dommages et intérêts.

s. Par jugement JTPI/19154/2018 du 5 décembre 2018, le Tribunal a déclaré la demande irrecevable en tant qu'elle tendait à la condamnation de D______ à payer à A______ SA la somme de 12'660'779 fr. plus intérêts à titre de réparation du dommage subi (ch. 1 du dispositif), déclaré pour le surplus recevable l'action en libération de dette formée par A______ SA et B______ contre D______ (ch. 2), rejeté ladite action en libération de dette (ch. 3), mis les frais judiciaires à la charge de B______ et A______ SA (ch. 4), condamné ceux-ci à verser des dépens à D______ (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

En substance, le Tribunal a retenu que la demande était irrecevable, faute de conciliation préalable. S'agissant de l'action en libération de dette, la qualité de partie de D______ ne pouvait être rectifiée en raison notamment du risque de confusion entre les deux sociétés dont les noms étaient similaires.

t. Par arrêt ACJC/1557/2019 du 11 octobre 2019, la Cour de justice a confirmé ce jugement, considérant notamment qu'une substitution de partie était exclue et que l'action en libération de dette devait être rejetée en raison de l'absence de légitimation passive de D______.

L'irrecevabilité de la demande en paiement n'était quant à elle plus litigieuse en appel.

u. Par arrêt 4A_601/2019 du 25 novembre 2020, le Tribunal fédéral a annulé l'arrêt ACJC/1557/2019 précité et renvoyé la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Il a considéré notamment que le transfert de patrimoine de D______ à D______/E______ n'était pas opposable à B______ et A______ SA au jour de l'ouverture de l'action et que D______ ne pouvait valablement se prévaloir de ce transfert pour contester sa qualité pour défendre.

v. Par arrêt n. ACJC/237/2021 du 5 février 2021, la Cour de justice a préalablement ordonné la substitution des parties, D______/E______ prenant la place de D______. Au fond, elle a annulé les chiffres 3 à 6 du dispositif du jugement JTPI/19154/2018 du 5 décembre 2018 et renvoyé la cause au Tribunal pour nouvelle décision sur l'action en libération de dette.

La Cour a considéré que, dès lors que la légitimation passive de la banque était désormais admise, le respect du principe du double degré de juridiction commandait que le Tribunal statue à nouveau sur le fond.

w. Le Tribunal a entendu les parties à l'audience de comparution personnelle du 9 octobre 2023.

w.a B______ a notamment déclaré qu'il avait emprunté des fonds auprès de l'actionnaire de H______ LTD, mais qu'il ignorait que celui-ci n'était pas le bénéficiaire économique déclaré du compte de ladite société dans les livres de D______. Lui-même n'était pas personnellement impliqué dans la procédure pénale conduite par le Ministère public de la Confédération. Il avait été entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements. Il n'avait cependant pas pu payer les intérêts, car tous ses comptes étaient bloqués. Il n'avait pas d'autres fonds pour payer les intérêts. Il avait des avoirs nantis auprès de la banque et avait proposé cette alternative, laquelle avait été refusée. Il avait également demandé à la banque de solliciter du Ministère public de la Confédération qu'il lève les séquestres sur ses comptes, mais cela lui avait également été refusé. Il avait demandé un prêt supplémentaire, qui pouvait être garanti par son appartement à Genève. Cette proposition avait également été refusée. Finalement la banque avait mis un terme au contrat, ce qui avait aggravé la situation. La propriété de F______ avait également fait l'objet d'une saisie par le Ministère public de la Confédération. Il y avait eu des tractations avancées avec une cliente intéressée à racheter ce bien. La saisie du Ministère public de la Confédération avait fait échouer cette vente.

w.b J______, représentant D______/E______, a notamment expliqué qu'un formulaire A avait été dûment rempli lors de l'ouverture du compte de H______ LTD et que la banque n'avait aucune raison de douter de cette relation. Par la suite, et surtout à partir de 2013, il y avait eu un certain nombre de "red flags" qui avaient fait penser que le réel ayant droit économique de ce compte était une autre personne. Lorsque la banque accordait un prêt pour un bien immobilier, ce prêt était par ailleurs garanti par l'objet immobilier lui-même. Dans le cas présent, il s'était avéré que la garantie immobilière ne suffisait pas, à sa connaissance, à garantir le prêt, c'est pourquoi une garantie mobilière supplémentaire avait été demandée pour le garantir. S'il y avait des intérêts de retard, la banque n'était pas obligée de réaliser les gages mobiliers pour payer les intérêts. L'objectif restait le même, les garanties devaient servir à protéger le prêt principal. Il appartenait à l'emprunteur de payer les intérêts avec ses autres sources de revenus.

x. Le Tribunal a également entendu trois témoins cités par B______ et A______ SA, en relation avec les projets de vente de la villa de F______.

y. Les parties ont persisté dans leurs conclusions lors de l'audience de plaidoiries finales orales du 9 octobre 2023, à l'issue de laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger.

D.           Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que la banque avait valablement résilié le contrat de crédit hypothécaire du 19 août 2010. Elle disposait ainsi d'une créance en remboursement du crédit hypothécaire de 14'300'000 fr. consenti aux parties demanderesses. Ces dernières ne disposaient quant à elles pas d'une créance susceptible d'être opposée en compensation. D'une part, leur demande en paiement de 12'660'779 fr. plus intérêts avait été déclarée irrecevable par jugement n. JTPI/19154/2018 du 5 décembre 2018, dans un point du dispositif (ch. 1) qui n'avait pas été annulé par la Cour de justice, ni par le Tribunal fédéral. D'autre part, il n'était pas démontré que la banque aurait omis de procéder correctement à l'identification de l'ayant droit économique des comptes de H______ LTD, ni qu'elle aurait violé par-là ses obligations contractuelles envers les parties demanderesses. Il n'était pas davantage établi que la banque aurait commis un acte illicite à leur détriment. Par conséquent, aucune compensation ne pouvait être admise. La banque ne commettait par ailleurs aucun abus de droit en réclamant le remboursement des prêts litigieux. Elle n'était notamment pas tenue de recouvrer les intérêts dus par le biais des avoirs remis en nantissement. Le fait qu'elle ait préféré dénoncer le contrat de prêt plutôt qu'obtenir des levées partielles de saisies pénales auprès du Ministère public de la Confédération pour le paiement des intérêts échus, relevait au surplus de son appréciation personnelle de la situation économique. Par conséquent, l'action en libération de dette devait être rejetée.

EN DROIT

1.             1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance, lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions atteint 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, le jugement entrepris est une décision finale et la valeur litigieuse devant le Tribunal s'élevait à 14'300'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai utile de trente jours, dans la forme écrite prévue par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 145 al. 1 let. c et 311 al. 1 CPC) et auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ) l'appel est recevable de ces points de vue.

1.3 S'agissant d'un appel, la Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

Cependant, elle ne traite en principe que les griefs soulevés, à moins que les vices juridiques soient tout simplement évidents (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_258/2015 du 21 octobre 2015 consid. 2.4.3).

2.             Au cours de la procédure d'appel, les actifs et passifs de la partie intimée ont été transférés par fusion à une autre entité et ladite partie intimée a été radiée du registre du commerce. Avant d'examiner plus précisément le sort de l'appel, il convient d'examiner les conséquences de ces actes.

2.1 En l'absence d'aliénation de l'objet du litige, la substitution de partie est subordonnée au consentement de la partie adverse; les dispositions spéciales prévoyant la succession d'un tiers aux droits ou obligations des parties sont réservées (art. 83 al. 4 CPC).

Sous l'angle procédural, la fusion a pour conséquence la substitution de par le droit fédéral, indépendamment du droit de procédure. Peu importe que dans la décision cantonale attaquée, la société reprise ait encore été – à tort – mentionnée, dès lors que la fusion produit ses effets de par la loi et doit d'office (dès qu'elle est connue) être prise en considération (arrêts du Tribunal fédéral 4A_215/2009 du 6 août 2009 consid. 3.1 et 4A_610/2014 du 30 mars 2015 consid. 4.2.2).

2.2 En l'espèce, les appelants ont déclaré expressément consentir au remplacement de l'intimée D______/E______ par C______, compte tenu de la fusion survenue dernièrement. Cette fusion impose d'elle-même une telle solution, conformément aux principes rappelés ci-dessus.

Par conséquent, il sera préalablement procédé à la substitution de D______/E______ par C______.

3.             L'intimée conteste tout d'abord la recevabilité de l'appel, au motif que les griefs des appelants ne satisferaient pas aux exigences de motivation applicables.

3.1 Il incombe à l'appelant de motiver son appel (art. 311 al. 1 CPC), c'est-à-dire de démontrer le caractère erroné de la motivation attaquée. Pour satisfaire à cette exigence, il ne lui suffit pas de renvoyer aux moyens soulevés en première instance, ni de se livrer à des critiques toutes générales de la décision attaquée. Sa motivation doit être suffisamment explicite pour que l'autorité d'appel puisse la comprendre aisément, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision que l'appelant attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 141 III 569 consid. 2.3.3; 138 III 374 consid. 4.3.1). La motivation de l'appel constitue une condition de recevabilité, qui doit être examinée d'office; Lorsque l'appel est insuffisamment motivé, l'autorité n'entre pas en matière (arrêts du Tribunal fédéral 5A_247/2013 du 15 octobre 2013 consid. 3.1; 4A_651/2012 du 7 février 2013 consid. 4.2).

3.2 En l'espèce, dans leur écriture d'appel, les appelants exposent expressément les motifs pour lesquels le jugement entrepris devrait selon eux être annulé, ainsi que ceux pour lesquels leur action en libération de dette devrait être admise, et ce tant pour des raisons de forme que de fond. Leur argumentation ne consiste pas en un simple "copié-collé" de leurs écritures de première instance, étant observé que les appelants ne pouvaient notamment pas prévoir que la désignation de leur partie adverse en première page du jugement entrepris différerait de celle indiquée dans le dispositif de ce même jugement. Seules les conclusions des appelants en paiement d'une somme de 12'660'779 fr. plus intérêts ne font l'objet d'aucun développement, de sorte que leur recevabilité est douteuse, ce que l'intimée ne relève cependant pas. La question peut toutefois demeurer ouverte, dès lors que lesdites conclusions devront en tout état être rejetées, pour les motifs indiqués ci-dessous. Pour le surplus, l'appel sera déclaré recevable et il convient d'entrer en matière sur les griefs des appelants.

4.             Les appelants sollicitent l'annulation du jugement entrepris, au motif que la page de garde dudit jugement ne mentionne pas la banque qui était alors la partie défenderesse, mais une autre entité. L'intimée soutient pour sa part qu'il s'agit d'une erreur de plume et sollicite que la Cour procède à sa rectification, ou ordonne au Tribunal de la rectifier.

4.1 En vertu de l'art. 238 let. c CPC, la décision désigne les parties et les personnes qui les représentent.

L'indication correcte des parties vise essentiellement à s'assurer que la décision a été rendue à l'égard des bonnes personnes. Des inexactitudes de nature purement formelle ne remettent pas en cause la validité de la décision. En effet, lorsqu'il n'existe dans l'esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l'identité des parties à la procédure et que tout risque de confusion peut être écarté, une simple rectification de la décision est possible (ATF 131 I 57, consid. 2.3; arrêts du Tribunal fédéral 4A_129/2014 du 1er mai 2014 consid. 2.5 et 5D_22/2012 du 21 juin 2012 consid. 3.1). En revanche, une décision prononcée à l'égard d'une partie qui – sans que l'on puisse lui reprocher d'avoir fait défaut au sens des art. 147, 223 ou 234 CPC – n'a pas pu participer à la procédure est nulle (Heinzmann/Braidi, Petit commentaire de procédure civile, 2020, n. 20 ad art. 238 CPC).

4.2 En l'espèce la page de garde du jugement entrepris indique par erreur comme partie défenderesse D______, qui avait été initialement assignée, alors que la substitution de cette partie et son remplacement par D______/E______ a été précédemment ordonnée par arrêt de la Cour de céans du 5 février 2021, ce que reflètent correctement le dispositif et le corps de la décision entreprise.

Compte tenu de l'arrêt ainsi rendu, il ne pouvait exister aucun doute dans l'esprit du juge et des parties quant à l'identité de la partie qui était désormais défenderesse au présent procès. Celle-ci, soit D______/E______, a par ailleurs pleinement participé à la procédure dès le prononcé de la substitution susvisée, l'un de ses représentants ayant notamment été entendu lors de l'audience de comparution personnelle du 9 octobre 2023. Par conséquent, il faut admettre que la désignation incorrecte de la partie concernée en page de garde du jugement entrepris constitue une inexactitude purement formelle, qui ne remet pas en cause la validité du jugement entrepris, conformément aux principes rappelés ci-dessus. Il est de surcroît rappelé que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif dudit jugement (cf. ATF 106 II 117 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 5G_1/2021 du 10 juin 2021 consid. 3).

Pour le bon ordre, et dès lors que la Cour ne peut pas procéder elle-même à la rectification nécessaire (cf. art. 318 al. 1 CPC a contrario), il sera ordonné au Tribunal d'y procéder (cf. ég. art. 334 CPC). Ce dernier ne sera toutefois pas invité à préciser que C______ se substitue désormais à D______/E______, comme le sollicite l'intimée, dès lors que le jugement entrepris demeure formellement prononcé à une date antérieure à cette seconde substitution (laquelle est formellement ordonnée dans le cadre du présent arrêt, comme indiqué au consid. 2 ci-dessus).

5.             Sur le fond, les appelants ne contestent pas que l'intimée soit titulaire d'une créance de 14'300'000 fr. envers eux, ensuite de la dénonciation du crédit hypothécaire litigieux. Ils ne soutiennent par ailleurs plus qu'ils disposeraient d'une créance en dommages-intérêts susceptible d'être opposée en compensation à la créance en remboursement de l'intimée. Ils reprochent seulement au Tribunal de ne pas avoir retenu que l'intimée commettait un abus de droit en poursuivant le recouvrement de sa créance en remboursement du prêt.

5.1 A teneur de l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. Cette règle permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 143 III 279 consid. 3.1; 135 III 162 consid. 3.3.1 et les arrêts cités).

Il y a notamment abus de droit lorsqu'une institution juridique est utilisée à des fins étrangères au but même de la disposition légale qui la consacre, c'est-à-dire quand elle est invoquée pour servir des intérêts qu'elle ne veut précisément pas protéger (ATF 138 III 401 consid. 2.4.1; 137 III 625 consid. 4.3; 135 III 162 consid. 3.3.1). L'exercice d'un droit peut également être abusif s'il contredit un comportement antérieur, qui avait suscité des attentes légitimes chez l'autre partie (venire contra factum proprium; ATF 130 III 113 consid. 4.2, JdT 2004 I 296).

L'abus de droit doit être admis restrictivement, comme l'exprime l'adjectif "manifeste" utilisé dans le texte légal (ATF 143 III 279 consid. 3.1; 135 III 162 consid. 3.3.1 et les arrêts cités). Il incombe à la partie qui se prévaut d'un abus de droit d'établir les circonstances particulières qui autorisent à retenir cette exception (ATF 134 III 52 consid. 2.1 in fine et les arrêts cités).

5.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que les appelants ont cessé de s'acquitter des intérêts dus sur le prêt litigieux, ce qui a conduit l'intimée à dénoncer ledit prêt au remboursement, comme le lui permettaient les termes du contrat conclu avec les intimés (en fait, consid. C let. d.c). Les appelants reprochent toutefois à l'intimée d'avoir choisi de résilier le prêt dans son ensemble, plutôt que d'avoir cherché à recouvrer le montant des intérêts dus sur le produit des gages constitués en sa faveur, en particulier sur les avoirs du compte bancaire faisant l'objet d'un nantissement. A cet égard, s'il est vrai que l'acte de nantissement prévoyait que le droit gage s'étendait également aux intérêts échus (en fait, consid. C let. d.b), aucune disposition contractuelle ou légale ne contraignait cependant l'intimée à recouvrer les arriérés d'intérêts par ce biais avant d'exercer son droit à la résiliation du prêt, ce que les appelants ne soutiennent d'ailleurs pas. Contrairement à ce que plaident ces derniers, on ne voit pas non plus en quoi l'intimée aurait commis un abus de droit en ne cherchant pas à se désintéresser prioritairement sur le produit du compte nanti, sachant que ce compte faisait l'objet d'un séquestre ordonné par les autorités pénales, susceptible d'entraver sa réalisation au profit de l'intimée.

A ce propos, c'est en vain que les appelants reprochent à l'intimée d'être en quelque sorte à l'origine du séquestre susvisé de leur compte, ce qui les aurait empêchés de s'acquitter des intérêts dus. En particulier, il n'est pas établi que l'intimée aurait manqué à son obligation de diligence lors de l'identification du bénéficiaire économique d'un autre compte ouvert au nom de la société tierce H______ LTD, avec laquelle les appelants sont entrés en relation. A supposer même que tel soit le cas, un tel manquement, survenu dans le cadre d'une relation totalement étrangère à celle des parties, ne constituerait à l'évidence pas une violation par l'intimée de ses obligations contractuelles envers les appelants. Il ne saurait davantage engager la responsabilité extra-contractuelle de l'intimée à leur égard, les normes bancaires éventuellement violées, soit notamment les art. 5 à 9 LBA, n'ayant pas pour but de protéger les intérêts patrimoniaux particuliers des appelants (cf. ATF 133 III 323 consid. 5.1).

En tout état, les allégations des appelants selon lesquelles ils se seraient fiés au fait que la société H______ LTD disposait d'un compte dans les livres de l'intimée pour accepter d'entrer en relation avec elle ne sont étayées par aucun élément probant. Aucune attitude contradictoire de l'intimée ne peut être retenue à ce propos. Il n'incombait pas davantage à l'intimée d'entreprendre de quelconques démarches pour aider les appelants à obtenir la levée du séquestre pénal de leurs avoirs, l'intimée n'ayant là encore aucune obligation contractuelle ou extra-contractuelle en ce sens. Il est au demeurant douteux que l'intimée ait été en mesure d'obtenir une telle levée, les appelants ne donnant pas d'explication sur la manière dont celle-ci aurait pu, selon eux, y parvenir.

Par conséquent, aucun abus de droit ne peut être reproché à l'intimée dans le cadre de la résiliation du prêt litigieux et c'est à juste titre que le premier juge a retenu que ce motif ne pouvait pas être opposé aux prétentions de celle-ci en recouvrement des sommes dues. Le grief sera donc pareillement écarté et le jugement entrepris sera confirmé en tant qu'il a débouté les appelants des fins de leur action en libération de dette.

6.             Bien qu'ils ne soutiennent plus disposer d'une créance en dommages-intérêts à l'encontre de l'intimée, les appelants concluent encore néanmoins à la condamnation de l'intimée à leur payer une somme de 12'660'779 fr. plus intérêts.

Comme l'a relevé le Tribunal, la demande des appelants a cependant été déclarée irrecevable sur ce point par jugement JTPI/19154/2018 du 5 décembre 2018. Or, le chiffre concerné du dispositif (ch. 1) n'a pas été annulé par la Cour de céans, ni par le Tribunal fédéral, contrairement aux ch. 3 à 6 du dispositif du même jugement. Le ch. 1 susvisé est donc entré en force, ce que les appelants ne contestent d'ailleurs pas, et ceux-ci ne sont ainsi plus fondés à réclamer le paiement de la somme susvisée dans le cadre du présent procès.

Le jugement entrepris sera dès lors également confirmé en tant qu'il a débouté les appelants de leurs conclusions à ce titre.

7.             Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 90'000 fr. (art. 19 al. 3 LaCC; art. 13, 17 et 35 RTFMC) et mis à la charge conjointe et solidaire des appelants, qui succombent (art. 105 al. 1, art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés à due concurrence avec l'avance de frais fournie par ceux-ci, qui demeure dans cette mesure acquise à l'Etat, et il sera ordonné aux Services financiers de restituer aux appelants le solde de leur avance, soit 126'000 fr. (art. 111 al. 1 CPC).

Les appelants, pris conjointement et solidairement, seront également condamnés à verser à l'intimée la somme de 100'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 96, 105 al. 2 et 111 al. 2 CPC; art. 23 LaCC; art. 85 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 al. 1 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Préalablement :

Ordonne la substitution de parties, C______ prenant la place de D______/E______ dans la procédure.

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 22 janvier 2024 par B______ et A______ SA contre le jugement JTPI/14130/2023 rendu le 1er décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8591/2017.

Au fond :

Ordonne au Tribunal de rectifier la page de garde du jugement entrepris, en ce sens que la partie défenderesse est D______/E______ et non D______.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 90'000 fr., les met à la charge de B______ et de A______ SA, pris conjointement et solidairement, et les compense à due concurrence avec l'avance de frais fournie par ceux-ci, qui demeure dans cette mesure acquise à l'Etat de Genève.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer à B______ et A______ SA le solde de leur avance, soit 126'000 fr.

Condamne B______ et A______ SA, pris conjointement et solidairement, à payer à C______ la somme de 100'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Emilie FRANÇOIS, greffière.


 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.