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Décisions | Chambre civile

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C/10145/2020

ACJC/1686/2023 du 19.12.2023 sur ORTPI/824/2023 ( OO ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : CONDUITE DU PROCÈS;DÉCISION;DOMMAGE IRRÉPARABLE
Normes : CPC.319.letb.ch1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10145/2020 ACJC/1686/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 19 DECEMBRE 2023

 

Entre

A______ AG, sise ______ (Grisons), recourante contre une ordonnance rendue par la 13ème Chambre du Tribunal de première instance du canton de Genève le 6 juillet 2023, représentée par Me Florian SCHMIDT-GABAIN, avocat, SCHMIDT-GABAIN AG, Dufourstrasse 48, case postale, 8024 Zürich,

et

Monsieur B______, domicilié ______, Malte, intimé, représenté par Me C______, avocat.


EN FAIT

A. Par ordonnance de preuve ORTPI/824/2023 rendue le 6 juillet 2023, notifiée à A______ AG le 10 juillet suivant, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a, notamment, refusé la production d'un courriel du 19 décembre 2017 de Me C______, conseil de B______.

B. a. Par acte expédié le 18 août 2023 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ AG a recouru contre cette ordonnance, concluant, avec suite de frais judiciaires et dépens, à ce que le courriel du 19 décembre 2017 de Me C______ soit admis comme moyen de preuve, qu'il soit imparti un délai à B______ et à D______ SRL pour en produire une copie, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour que celui-ci rende une nouvelle ordonnance de preuve concernant ce courriel.

b. Dans sa réponse, B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. Par réplique spontanée du 21 septembre 2023, A______ AG a persisté dans ses conclusions.

d. Les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger par courriers du 11 octobre 2023.

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Par acte déposé le 11 décembre 2020, B______ a saisi le Tribunal d'une demande dirigée contre A______ AG, tendant à ce qu'il soit ordonné à cette dernière, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, de cesser immédiatement toute action causant un trouble à sa possession et à sa propriété sur le tableau de E______ intitulé "F______", à ce que A______ AG soit condamnée à lui payer un montant à titre de dommages-intérêts "d'un montant à dire de justice mais pas inférieur à 45'000 fr.", subsidiairement à ce qu'il soit constaté qu'il est le seul propriétaire de ce tableau.

b. Par réponse du 16 avril 2021, A______ AG a conclu à ce que B______ soit débouté de toutes ses conclusions.

Elle a, notamment, allégué que B______ avait chargé la [galerie] D______ de vendre ce tableau (allégué n° 27).

c. Par réplique du 21 septembre 2021 et duplique du 21 janvier 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

d. A______ AG a déposé plusieurs écritures complémentaires sur nova.

Dans son écriture du 9 août 2022, elle a allégué des faits nouveaux (allégués n° 358 et 386) et produit plusieurs nouvelles pièces, dont la pièce 53 correspondant à une lettre de Me G______ à Me C______ du 29 décembre 2017, dans laquelle il est fait référence à un courriel du 19 décembre 2017 de Me C______. A son allégué n° 382, A______ AG s'est exprimée comme suit : "[B______] ainsi que [D______] seront (…) obligés de déposer comme moyen de preuve le courriel de Me C______ du 19 décembre 2017 mentionné dans la lettre du 29 décembre 2017 étant donné que la lettre du 29 décembre 2017 constitue la réponse directe à ce courriel. Ainsi, la défenderesse offre le courriel de Me C______ du 19 décembre 2017 – dont elle n'avait pas connaissance de l'existence avant – comme moyen de preuve pour chaque allégué pour lequel elle a déjà offert comme moyen de preuve la "convention entre B______ et D______ [orthographe différente]" (production par le Demandeur et D______ [monogramme])".

Ces écritures ont donné lieu à une détermination du 19 octobre 2022 de B______, suivie d'une détermination du 31 octobre 2022 de A______ AG.

e. Par ordonnance rendue le 9 décembre 2022, le Tribunal a déclaré recevable, notamment, la pièce 53 produite le 9 août 2022 par A______ AG, au motif qu'elle en avait reçu une copie et en avait eu connaissance le 3 août 2022, de sorte qu'elle l'avait produite sans retard.

f. Lors de l'audience de débats d'instruction, d'ouverture des débats principaux et de premières plaidoiries tenue le 30 mai 2023 par le Tribunal, A______ AG a sollicité que B______ produise le courriel du 19 décembre 2017 de Me C______, auquel il est fait référence dans sa pièce 53.

g. Aux termes de l'ordonnance entreprise, le Tribunal a considéré que, lors de l'audience du 30 mai 2023, A______ AG avait "nouvellement" demandé que la partie adverse produise le courriel auquel il était référence dans la lettre de Me G______ à Me C______ du 29 décembre 2017 (pièce 53 produite par A______ AG), qu'elle avait pourtant eu connaissance de cette lettre du 29 décembre 2017 en date du 3 août 2022, ainsi que cela avait été admis dans l'ordonnance sur nova du 9 décembre 2022, qu'en attendant le 30 mai 2023 pour requérir la production dudit courriel auquel cette lettre faisait référence, A______ AG n'avait pas agi sans délai au sens de l'art. 229 CPC, de sorte que sa requête en production y relative était tardive.


 

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, CR-CC I, 2023, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, n. 11 ad art. 319 CPC).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a, notamment, écarté un moyen de preuve. Il a ainsi rendu une ordonnance d'instruction, par laquelle il a statué sur le déroulement et la conduite de la procédure. Ladite ordonnance peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

Introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 145 al. 1 let. b et 321 CPC), le recours est recevable de ces points de vue.

2. Les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées, il reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Dans son recours, la recourante fait valoir que le Tribunal aurait constaté les faits de manière inexacte puisqu'il lui aurait échappé qu'elle avait demandé la production du courriel litigieux dans son écriture du 9 août 2022, soit sans retard au sens de l'art. 229 CPC.

L'intimé conteste que la preuve ait été régulièrement offerte et déclare ignorer à l'appui de quels faits la preuve avait été offerte, le "fishing expeditions" n'étant pas admissible. En tout état, il relève que la recourante n'a ni allégué, ni démontré, ni prouvé que l'ordonnance de preuve attaquée lui causerait un préjudice difficilement réparable, un tel préjudice n'existant pas en cas de refus d'une réquisition de preuve.

Dans sa duplique, la recourante souligne que, n'ayant pas connaissance du contenu dudit courriel, il lui est impossible de dire quel serait le préjudice exact du rejet de ce moyen de preuve, mais qu'"il est toutefois évident qu'il est fort probable que le contenu du courriel du 19 décembre 2017 est apte à prouver les allégués pour lesquels il a été invoqué, soit notamment [son] allégué 27" (cf. supra EN FAIT let. C.b). Or, selon elle, s'il était établi que l'intimé avait chargé la [galerie] D______ de vendre le tableau litigieux, les conclusions au fond de ce dernier ne pourraient être que rejetées. Elle considère dès lors que le caractère irréparable du préjudice (et non uniquement difficilement réparable) causé par le refus d'accepter ce courriel comme moyen de preuve est manifeste, dès lors que ce refus pourrait avoir pour conséquence que les faits pour lesquels le courriel du 19 décembre 2017 a été invoqué ne seront pas prouvés. Ainsi, refuser d'ordonner la production du courriel du 19 décembre 2017 comme moyen de preuve en raison du fait que l'on n'aurait pas connaissance de son contenu serait "une contradiction en soi".

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1; JEANDIN, CR-CPC, n. 22 ad art. 319 CPC).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement, puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (SPÜHLER, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 7 ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (COLOMBINI, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JT 2013 III 131 ss, 155). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (parmi plusieurs : ACJC/220/2023 du 13 février 2023 consid. 2.1; ACJC/943/2015 du 28 août 2015 consid. 2.2; ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (BRUNNER, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 13 ad art. 319 CPC).

2.2 En l'espèce, la recourante invoque que son préjudice difficilement réparable résiderait dans le fait que le courriel litigieux permettrait de prouver un fait qui pourrait conduire au déboutement de l'intimé de toutes ses conclusions au fond.

Ce faisant, la recourante ne fait cependant que dénoncer un possible allongement de la procédure et un éventuel accroissement des frais, qui ne constituent pas un préjudice difficilement réparable, au sens des principes rappelés ci-dessus. A supposer que ce courriel soit nécessaire, la recourante ne soutient notamment pas que sa production dans un second temps ne serait plus possible. A supposer que le Tribunal fasse en tout ou en partie droit aux prétentions de l'intimé sur le fond, et ce parce qu'il n'aurait à tort pas donné suite à la réquisition de preuve de la recourante, cette dernière aurait alors la possibilité de s'en plaindre dans le cadre d'un appel sur le fond.

La recourante n'établit, ainsi, pas qu'elle risquerait de subir un préjudice difficilement réparable justifiant de revoir l'ordonnance de preuve entreprise sans attendre la décision à rendre sur le fond.

Il suit de là que la recourante ne se prévaut d'aucune circonstance particulière qui justifierait, à titre exceptionnel, d'ouvrir une voie de recours immédiate contre l'ordonnance de preuve querellée.

Par conséquent, le recours sera déclaré irrecevable.

3. Les frais judicaires du recours seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 24 et 41 RTFMC) et mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais du même montant fournie par celle-ci, qui demeure entièrement acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera en outre condamnée aux dépens de sa partie adverse, lesquels seront arrêtés à 1'200 fr. TVA et débours compris, au regard de l'activité déployée par le conseil de l'intimé (art. 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 al. 1 LaCC; art. 25 al. 1 LTVA; art. 84, 85 al. 1, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Déclare irrecevable le recours interjeté le 18 août 2023 par A______ AG contre l'ordonnance
ORTPI/824/2023 rendue le 6 juillet 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/10145/2020-13.

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ AG et les compense avec l'avance de frais de même montant fournie par celle-ci, qui demeure entièrement acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ AG à payer à B______ la somme de 1'200 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

La présente décision, qui ne constitue pas une décision finale, peut être portée, dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (art. 72 LTF), aux conditions de l'art. 93 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.