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Décisions | Chambre civile

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C/8760/2021

ACJC/1458/2022 du 03.11.2022 sur ORTPI/604/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8760/2021 ACJC/1458/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 3 NOVEMBRE 2022

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, recourante d'un jugement rendu par la 21ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 mai 2022, comparant par Me Bernard CRON, avocat, LEXPRO, rue Rodolphe-Toepffer 8,
1206 Genève, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, comparant par
Me François MEMBREZ, avocat, WAEBER AVOCATS, rue Verdaine 12,
case postale 3647, 1211 Genève 3, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance de preuve ORTPI/8760/2021 du 20 mai 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a notamment admis l'interrogatoire des parties, comme moyen de preuve pour A______ (chiffre 4 du dispositif), l'interrogatoire et la déposition de B______ et l'audition de Me C______ comme moyens de preuve pour cette dernière (ch. 5 let. a et b).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 9 juin 2022, A______ a formé recours contre cette ordonnance, reçue le 30 mai 2022, concluant à son annulation en ce qu'elle écarte le témoignage de Me D______ des moyens de preuve qu'elle a sollicités, et cela fait, conclut à ce que l'audition du précité soit ordonnée, sous suite de frais et dépens.

b. Par réponse du 4 juillet 2022, B______ a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

c. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 7 septembre 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. a. E______ et B______ se sont mariés le ______ 1976 à F______ (France).

b. Ils ont signé à Genève une convention de divorce le 28 septembre 2005. E______ était représenté par D______, avocat, et B______ par C______, avocat.

Selon l'article 3 de la convention, E______ s'engageait à verser à son épouse, par mois et d'avance, le montant de 7'000 fr. et ce sans limite dans le temps.

Les parties s'opposent sur la question de savoir si cette obligation s'arrêtait avec le décès de E______ ou si elle passait aux héritiers de celui-ci.

Les parties ont également convenu que la collection comprenant les robes, les fourrures, les accessoires et les bijoux fantaisie était la propriété de B______ (art. 7). En cas de vente de tout ou partie de la collection (en dépôt pour une durée de dix ans auprès du Musée G______), E______ aurait droit à la moitié du produit de vente net et détiendrait en conséquence une créance à l'égard de B______ à ce titre (art. 8).

c. E______ est décédé le ______ 2018. Il avait institué A______ et D______ exécuteurs testamentaires.

Le 25 juin 2018, les précités se sont vu délivrer chacun un certificat d'exécuteur testamentaire de l'hoirie de E______:

Par courrier du 1er juillet 2019 à la Justice de Paix, D______ a résilié son mandat d'exécuteur testamentaire.

d. Par requête de conciliation du 27 avril 2021 au Tribunal, A______, en qualité d'exécutrice testamentaire agissant pour le compte de la succession de E______, a notamment assigné B______ en paiement de la somme de EUR 46'134,10, plus intérêts. Après l'échec de la tentative de conciliation du 2 septembre 2021, la cause a été portée devant le Tribunal le 16 novembre 2021.

Le montant réclamé correspondrait à la moitié du produit de la vente d'éléments de la collection, visée par l'art. 7 de la convention de divorce et serait dû en application de l'art. 8 de celle-ci.

e. Par réponse du 1er avril 2022, B______ a conclu à l'irrecevabilité de la demande ainsi qu'à son rejet. Elle a fait valoir, entre autres, que l'art. 8 de la convention de divorce n'était pas applicable, dans la mesure où, au moment de la vente, la collection n'était plus en dépôt auprès du Musée d'art et d'histoire. La succession de E______ ne disposait en conséquence d'aucune créance à son encontre. Si le Tribunal admettait l'existence d'une telle créance, elle y opposait en compensation sa créance en versement de la contribution mensuelle de 7'000 fr., due par la succession postérieurement au décès de son ex-époux et qui ne lui avait pas été versée.

f. Lors de l'audience de débats d'instruction du 12 mai 2022, A______ a sollicité l'audition de D______ à titre de témoin, B______ celle, notamment, de C______. L'avocat de la précitée a déclaré qu'il n'avait pas de commentaire particulier à faire sur l'audition de D______.

Par courrier du lendemain au Tribunal, l'avocat de B______ a cependant précisé que D______ ne pourrait être entendu que comme partie, vu sa qualité d'exécuteur testamentaire.

D. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a motivé son refus d'entendre D______ par une appréciation anticipée des preuves, "au vu des allégués pour lesquels cette audition était requise, des pièces d'ores et déjà produites à la procédure, et de la pertinence des allégués de fait, au regard des questions juridiques qui devront être tranchées par le Tribunal, à savoir la portée des clauses litigieuses de la convention de divorce du 28 septembre 2005".

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats. Elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps (Jeandin, op. cit., n. 14 ad art. 319 CPC).

En l'espèce, l'ordonnance entreprise est une ordonnance d'instruction, relevant de l'administration des preuves, au sens de l'art. 319 let. b CPC.

1.2 Cette ordonnance peut faire l'objet d'un recours dans les dix jours à compter de sa notification (art. 321 al. 1 et 2 CPC), délai qui a été respecté en l'espèce.

1.3 Il reste à déterminer si la décision querellée est susceptible de causer à la recourante un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC (cf. infra consid. 2), les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées (cf. Jeandin, op. cit., n. 18 ad art. 319 CPC).

2. La recourante fait valoir qu'en ordonnant l'audition de C______ et non celle de D______, le Tribunal commettrait un traitement inéquitable choquant et arbitraire des parties, avantageant l'intimée à son détriment. Il aurait dû soit admettre l'audition des deux conseils ayant assisté les parties lors de la signature de la convention de divorce qu'il convenait d'interpréter, soit la refuser pour les deux.

L'intimée soutient que la qualité d'exécuteur testamentaire de D______ s'oppose à son audition en qualité de témoin, et que le Tribunal a pour le surplus procédé à une juste appréciation anticipée des preuves.

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1; ACJC/1311/2015 du 30 octobre 2015 consid. 1.1; ACJC/351/2014 du 14 mars 2014 consid. 2.3.1).

En résumé, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, la recourante n'expose pas en quoi l'ordonnance querellée, en tant qu'elle écarte une offre de preuve par témoin, est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. Pour ce motif déjà le recours est irrecevable, un tel dommage n'apparaissant pas d'emblée.

En tout état, si la recourante devait persister à considérer que le Tribunal a écarté, à tort, un moyen de preuve pertinent pour l'issue du litige, elle pourra diriger son grief contre la décision finale par la voie de l'appel. L'instance d'appel aura la possibilité d'administrer des preuves (art. 316 al. 3 CPC) ou de renvoyer la cause en première instance pour complément d'instruction (art. 318 al. 1 let. c CPC). Ainsi, la recourante ne subit pas de préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance querellée, puisqu'elle conserve ses moyens dans le cadre de l'appel contre le jugement au fond. Conformément aux principes rappelés supra, la seule prolongation de la procédure par le fait que l'instance d'appel pourrait, le cas échéant, retourner le dossier au Tribunal pour complément d'instruction, ne cause pas de dommage difficilement réparable à la recourante. Il en va de même des éventuels frais supplémentaires que pourrait engendrer un renvoi de la procédure devant le premier juge. Pour le surplus, la recourante n'a pas rendu vraisemblable, ni même allégué, que le témoin dont l'audition est requise ne pourrait plus être entendu si la procédure devait se prolonger.

Il suit de là que le recours est irrecevable, de sorte qu'il n'y pas lieu d'examiner plus avant en quelle qualité D______ devrait être entendu.

3. Les frais judiciaires de recours, arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 RTFMC), seront mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera par ailleurs condamnée à payer à l'intimée la somme de 1'000 fr., débours et TVA inclus, à titre de dépens de recours (art. 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; 85, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance
ORTPI/604/2022 rendue le 20 mai 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8760/2021.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser la somme de 1'000 fr. à B______ à titre de dépens du recours.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD et
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.