Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/6064/2019

ACJC/626/2021 du 10.05.2021 sur JTPI/9547/2020 ( OS ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6064/2019 ACJC/626/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 10 MAI 2021

 

Entre

Madame A______, domiciliée Foyer E______, ______, appelante d'un jugement rendu par la 2ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 6 août 2020, comparant par Me Laïla BATOU, avocate, rue des Pâquis 35, 1201 Genève, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

1) La mineure née B______, représentée par ses parents adoptifs, intimée,

2) Les parents adoptifs de la mineure née B______, autres intimés,

comparant tous par Me François MEMBREZ, avocat, rue Verdaine 12, case
postale 3647, 1211 Genève 3, en l'étude duquel ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/9547/2020 du 6 août 2020, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a déclaré irrecevable l'action en annulation de l'adoption formée le 20 février 2019 par A______ à l'encontre de la mineure née B______ et des parents adoptifs de la mineure B______, dont les identités sont couvertes par le secret de l'adoption (chiffre 1 du dispositif), a arrêté les frais judiciaires à 960 fr., mis à la charge de A______ et les a provisoirement laissés à la charge de l'Etat de Genève, sous réserve de la décision du Service de l'assistance juridique (ch. 2), n'a pas alloué de dépens (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B.            a. Le 14 septembre 2020, A______ a formé appel contre le jugement du 6 août 2020, reçu le 11 août 2020, concluant à son annulation, à ce qu'il soit constaté que l'action en annulation de l'adoption déposée le 12 février 2019 était recevable et au renvoi de la cause au Tribunal, pour instruction, les frais de la procédure devant être mis à la charge de l'Etat. Préalablement, elle a conclu à ce qu'un curateur soit désigné, chargé de représenter la mineure B______.

b. Dans leur réponse du 19 octobre 2020, les parents adoptifs de la mineure B______, ainsi que cette dernière, représentée par les premiers, ont conclu, à la forme, à l'irrecevabilité de l'appel (pour défaut de motivation) et, sur le fond, à son rejet.

c. Les parties ont été informées par avis du greffe de la Cour du 17 novembre 2020 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier soumis à la Cour de justice :

a. A______, née le ______ 1992 au Nigéria, ressortissante de ce pays, est arrivée en Suisse apparemment au début du mois d'avril 2017, en provenance d'Italie, sans visa ni documents d'identité.

Elle a tout d'abord vécu à H______ (Vaud).

b. Le 9 mai 2017, A______ a consulté le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne (Vaud), accompagnée d'un intervenant de l'Association "C______", active dans l'accompagnement des travailleuses du sexe. Selon les pièces figurant à la procédure, A______ avait consulté pour une demande d'interruption volontaire de grossesse, laquelle était toutefois tardive. Les documents remplis par le CHUV font état d'un "déni de grossesse" et mentionnent en outre ce qui suit : "précarité, travailleuse du sexe, sans assurance, sans permis de séjour".

A______ a donné naissance, le ______ 2017, dans l'ambulance qui la conduisait à l'hôpital, à une fille prénommée B______.

Il ressort d'un rapport de consultation établi par le CHUV le 24 mai 2017 que A______ était arrivée seule en Suisse deux mois plus tôt. Elle était sans domicile fixe et avait vécu chez des amies. Elle ne s'était pas doutée qu'elle était enceinte et s'était rendue auprès de l'association "C______" car elle ne se sentait pas bien; l'association l'avait alors adressée au planning familial du CHUV où sa grossesse avait été mise en évidence. L'enfant avait été conçue au Nigéria, avec un homme dont elle était séparée et avec lequel elle n'avait plus de contacts. Elle avait très mal réagi à l'annonce de sa grossesse et avait songé à avaler du poison lorsqu'elle avait compris qu'il était trop tard pour l'interrompre, mais avait renoncé à cette idée lorsqu'elle avait appris qu'elle pourrait faire adopter son bébé et lui offrir ainsi une vie meilleure. Le rapport d'entretien du 24 mai 2017 mentionne toutefois le fait que A______ ne souhaitait pas donner sa fille à l'adoption car elle désirait rester sa mère et entretenir des contacts avec elle, même si l'enfant était placée, "dans l'attente d'avoir un plan pour elle et sa fille".

Le dossier médical établi par le CHUV mentionne en outre ce qui suit : "patiente ne souhaite pas garder le bébé, quand elle en parle, pleure...souhaite lui donner une vie meilleure"; "actuellement au foyer C______, demande d'adoption mais encore ambivalente". Les notes du dossier médical de A______ précisent enfin ce qui suit : "patiente travailleuse du sexe (a priori contrainte)"; "consciente que situation actuelle ne lui permet pas d'avoir son bébé avec elle, voudrait réfléchir à un projet pour pérenniser sa situation sociale et maintenir le lien avec son bébé".

c. Par courrier du 24 mai 2017 adressé à la Justice de paix, le CHUV a signalé en urgence la situation de A______ et B______, précisant que la mère, qui avait conscience de l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de prendre en charge sa fille, s'y était toutefois déjà attachée et ne pouvait plus envisager de la donner en adoption; des alternatives, telles que le placement, avaient été évoquées.

d. A______ a quitté la maternité du CHUV, sans l'enfant, le 26 mai 2017 et un horaire a été aménagé pour qu'elle puisse lui rendre visite. Elle est revenue voir sa fille le 29 mai 2017. Le personnel soignant a noté qu'elle souhaitait que la mineure soit placée dans une famille jusqu'à ce que sa situation s'améliore.

A______ a à nouveau rendu visite à sa fille le 1er juin 2017. Le personnel soignant a noté qu'elle lui avait confié penser tout le temps à l'enfant et se questionner à son sujet. Elle souhaitait désormais que B______ soit adoptée afin qu'elle puisse avoir un avenir meilleur, mais la décision était très difficile à prendre, car l'enfant lui manquait quand elle n'était pas auprès d'elle. A______ avait également indiqué devoir penser à sa propre vie et laisser B______, car elle occupait toutes ses pensées.

e. A______ a rencontré un assistant social du Service de protection de la jeunesse du canton de Vaud les 29 mai et 2 juin 2017.

Par courrier du 2 juin 2017, ce même service a transmis à la Justice de paix du district de H______ un courrier manuscrit de A______, dans lequel elle déclarait donner son enfant à l'adoption.

Ledit courrier a la teneur suivante :

"To who it may concern

I, A______, born in Nigeria on ______ 1992, declare that I am the mother of B______, born in Lausanne on ______, 2017.

I hereby declare that I give my daughter B______ for adoption.

I ask that the authorities handle the case with discretion.

I ask the autorities name a legal representative from the Office des curatelles et tutelles professionnelles, H______.

Lausanne, June 2 2017

A______ c/o C______, ______ [VD]"

Dans son courrier du 2 juin 2017, le Service de protection de la jeunesse du Canton de Vaud précisait en outre que A______ était accompagnée, dans toutes ses démarches, par Monsieur D______, intervenant social travaillant auprès de l'association "C______", lequel était présent au moment de la rédaction, par A______, du courrier reproduit ci-dessus; deux assistants sociaux, dont l'un maîtrisait l'anglais, étaient également présents.

f. A______ a été interpellée dans la nuit du 30 au 31 mai 2017 par une patrouille motorisée de la police. Conduite au poste, elle a expliqué subvenir à ses besoins depuis son arrivée en Suisse en se prostituant et travailler pour son compte. A cette occasion, elle a été informée de ce qu'elle devait quitter la Suisse avant le 10 juin 2017.

g. Par ordonnance de mesures d'extrême urgence du 8 juin 2017, la Justice de paix du District de H______ [VD] a institué une curatelle de représentation provisoire en faveur de l'enfant B______ et désigné en qualité de curatrice une assistante sociale auprès de l'Office des curatelles et tutelles professionnelles, afin de représenter la mineure dans la procédure d'adoption.

h. Le juge de paix du District de H______ a convoqué une audience le 6 juillet 2017, à laquelle A______, la directrice de l'association "C______", un interprète français-anglais et la curatrice de l'enfant ont participé.

Lors de cette audience, A______ a confirmé à deux reprises sa volonté de donner son enfant en adoption, précisant qu'elle prenait cette décision en toute liberté. Elle a été informée de ce que, conformément à l'art. 265b al. 2 CC, elle pouvait révoquer son consentement dans un délai de six semaines, soit jusqu'au 17 août 2017.

Selon les informations fournies par la curatrice de la mineure, celle-ci était placée au sein d'une famille d'accueil dans le J______ [région].

La directrice de l'association "C______" a précisé qu'elle soutenait A______ dans différentes démarches. Elle l'avait rencontrée vers la fin de sa grossesse et n'avait jamais eu l'occasion de discuter avant de la question de l'adoption.

A l'issue de l'audience, A______ a confirmé avoir compris la traduction effectuée par l'interprète, lequel avait traduit les propos des différents intervenants.

i. Le 6 juillet 2017, A______ a été condamnée par le Ministère public de l'arrondissement de H______ à une peine de 90 jours-amende à 30 fr. avec sursis pendant deux ans pour entrée illégale, séjour illégal et activité lucrative sans autorisation. L'intéressée a affirmé n'avoir pas eu connaissance de cette ordonnance pénale au moment de son prononcé.

Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) a prononcé une décision d'interdiction d'entrée à son encontre, valable du 20 octobre 2017 au 19 octobre 2020, laquelle n'a toutefois pas pu être notifiée à l'intéressée au moment de son prononcé.

A______ a une nouvelle fois été interpellée par la police le 2 octobre 2017 et a fait l'objet d'une seconde ordonnance pénale pour séjour illégal et activité lucrative sans autorisation prononcée le 31 octobre 2017, par laquelle elle a été condamnée à une peine de 90 jours-amende à 30 fr., le sursis accordé le 6 juillet 2017 étant révoqué. Il ressort de l'ordonnance que celle-ci n'a pu être notifiée à A______, sans domicile connu.

j. Par décision du 29 août 2017, la justice de paix du district de H______ a pris acte du consentement définitif, faute de révocation dans le délai légal, par A______, à l'adoption par un tiers anonyme de son enfant B______. La justice de paix a, en outre, fait abstraction par anticipation du consentement du père inconnu de la mineure, levé la curatelle instaurée en faveur de l'enfant, retiré l'autorité parentale à la mère, institué une tutelle en faveur de l'enfant, nommé en qualité de tutrice une assistante sociale de l'Office des curatelles et des tutelles professionnelles, les tâches confiées à la tutrice consistant à veiller à ce que l'enfant reçoive les soins personnels, l'entretien et l'éducation nécessaires, ainsi qu'à assurer sa représentation légale, en particulier pendant la procédure d'adoption et à gérer ses biens avec diligence.

k. Après avoir initialement séjourné dans une famille d'accueil, l'enfant B______ a été adoptée par des tiers dont l'identité est couverte par le secret de l'adoption. Selon ce qui ressort du dossier communiqué à la Cour, l'adoption a été prononcée le 16 mai 2019 et est devenue définitive et exécutoire le 6 juin 2019.

D. a. Depuis le mois d'avril 2018, A______ est hébergée au foyer le E______ à Genève, lequel offre par ailleurs un accompagnement psychosocial à des femmes seules ou accompagnées de leurs enfants, victimes de violence conjugale, de traite d'êtres humains, menacées de crime d'honneur ou de mariage forcé, en situation de précarité, de changement ou de réorientation (https://www.hospicegeneral.ch/fr/fondation-E______).

Elle a par ailleurs été aidée par l'Association I______, laquelle a pour but de référer les victimes et de les accompagner à la fois vers les services médicaux, sociaux, juridiques compétents ou vers des solutions de formation, de recherche d'emploi et d'intégration adaptés à leurs besoins (https://www.I______.ch/accompagnement).

Ladite association l'a mise en contact avec le F______, qui a formé pour son compte une demande de permis de séjour provisoire. Selon une attestation délivrée le 22 août 2018 par l'Office cantonal de la population et des migrations, elle a été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour de type L.

b. Elle allègue avoir reçu, le 23 avril 2018, un message anonyme menaçant sur son téléphone portable, qu'elle avait alors définitivement éteint et avoir coupé tous contacts avec sa famille, qui cherchait à savoir où elle se trouvait et dont elle craignait qu'elle ne soit sujette à des pressions.

c. Le 17 mai 2018, A______, représentée par un conseil, a déposé une plainte pénale pour traite d'êtres humains auprès du Ministère public central du canton de Vaud, lequel a ouvert une procédure.

d. A______ a été entendue les 25 et 28 septembre 2018 par le Ministère public central du canton de Vaud. Selon l'extrait incomplet du procès-verbal versé à la procédure, elle a notamment expliqué qu'une tierce personne ("G______") l'avait aidée à quitter son pays d'origine pour vivre en Europe, afin de faire quelque chose de mieux de sa vie. Pour cela, elle avait dû promettre, en respectant un rituel traditionnel faisant intervenir la magie ("juju"), de payer la personne qui allait avancer l'argent nécessaire à son voyage. Elle avait été prise en charge par des inconnus et avait effectué le voyage vers l'Europe dans des conditions extrêmement difficiles. A______ a ensuite expliqué avoir dû se prostituer en Suisse; elle remettait une grande partie de l'argent qu'elle gagnait à un réseau de traite d'êtres humains. Lorsqu'elle avait appris qu'elle était enceinte, elle avait eu peur; elle craignait que les tiers qui l'exploitaient apprennent qu'elle avait un enfant. Elle a ajouté que donner l'enfant à l'adoption n'était pas son intention.

e. Dès le 28 septembre 2018, le conseil de A______ s'est adressé au CHUV, ainsi qu'à l'Office des curatelles et tutelles professionnelles de Lausanne (en date du 9 octobre 2018) afin d'obtenir le dossier médical de sa mandante, ainsi que le dossier relatif au placement en vue d'adoption de la mineure B______.

f.a Le 28 octobre 2018, A______ a été interpellée dans un train Genève- K______ [Italie] à la hauteur de L______ [VD] et il a été relevé qu'elle ne possédait ni passeport, ni visa valables et qu'elle avait séjourné en Suisse sans autorisation depuis le 3 octobre 2017. La décision d'interdiction d'entrée en Suisse, valable du 20 octobre 2017 au 19 octobre 2020, qui n'avait pu lui être notifiée au moment de son prononcé, lui a été adressée en date du 15 novembre 2018 par le Secrétariat d'Etat aux migrations.

Par ordonnance du 3 décembre 2018, le Ministère public de l'arrondissement de La Côte a ordonné le classement de la procédure pénale dirigée contre A______ pour séjour illégal.

f.b Le 21 novembre 2018, A______, représentée par son conseil, a déclaré auprès du Ministère public de l'arrondissement de H______ former opposition à l'encontre de l'ordonnance pénale prononcée le 6 juillet 2017, alléguant ne l'avoir jamais reçue. A______ a été convoquée à une audience le 10 janvier 2019.

Par avis du 25 janvier 2019, le Ministère public de l'arrondissement de H______ a informé A______ de ce qu'il s'apprêtait à rendre une ordonnance de classement.

g. Par courrier du 13 décembre 2018, le conseil de A______ a requis de la Justice de paix du district de H______ une copie intégrale du dossier d'adoption de l'enfant B______ et a été redirigé vers l'Etat civil, autorité compétente pour prononcer l'adoption, auquel un courrier a été adressé le 18 décembre 2018, puis le 10 janvier 2019.

Par pli du 18 janvier 2019, la Direction de l'état civil a indiqué au conseil de A______ n'avoir aucun dossier d'adoption ouvert en faveur de B______.

Dans un nouveau courrier adressé le 21 janvier 2019 à la Justice de paix du District de H______, le conseil de A______ a sollicité une copie du dossier d'adoption ou, à défaut, l'autorisation de pouvoir le consulter. Le 23 janvier 2019, la Justice de paix du district de H______ a rejeté la requête du conseil de A______ visant à pouvoir consulter l'intégralité du dossier d'adoption de l'enfant B______, indiquant avoir pris acte du consentement définitif de la mère biologique à l'adoption et avoir institué une tutelle en faveur de l'enfant. Toutes les données du dossier postérieures à cette période comportaient des informations soumises au secret de l'adoption (art. 268b CC). Certaines pièces de la procédure, listées dans le courrier du 23 janvier 2019, étaient transmises au conseil de A______.

E. a. Le 18 février 2019, A______ a formé auprès du Tribunal de première instance une action tendant à l'annulation de la décision prononçant l'adoption de l'enfant née B______ le ______ 2017 à Lausanne et à la rectification en ce sens des inscriptions portées au registre de l'état civil, avec suite de frais judiciaires et dépens. Subsidiairement, elle a conclu à ce que le défaut de consentement à l'adoption de la mineure susmentionnée soit constaté. L'action était dirigée contre l'enfant née B______, ainsi que contre ses parents adoptifs, dont l'identité et le domicile étaient couverts par le secret de l'adoption.

A______ a notamment allégué que le consentement qu'elle avait donné à l'adoption de sa fille n'était pas valable, au motif qu'elle se trouvait, à ce moment-là, sous l'empire d'une crainte fondée. Elle vivait en effet dans la crainte de représailles concrètes de la part du réseau qui la surveillait sur sa personne et sur sa vie, ainsi que sur celles de sa fille; elle avait en outre peur d'être frappée par le "juju", qui, selon la croyance des jeunes femmes d'origine nigériane, pouvait nuire tant à sa santé physique que psychique, voire porter atteinte à sa vie, dans l'hypothèse où elle ne parviendrait pas à rembourser la dette contractée lors de son voyage pour l'Europe. Elle craignait également d'être frappée à travers son enfant si elle était contrainte de l'emmener avec elle, ou d'être elle-même atteinte et de la laisser sans ressources. Elle avait en outre peur d'être expulsée vers le Nigéria, ce qui aurait eu pour effet de la remettre en contact avec le "jujuman" qui avait effectué le rituel magique avant son départ pour l'Europe.

Elle a également allégué avoir découvert sa grossesse trois semaines seulement avant d'accoucher, de sorte qu'elle n'avait pas eu le temps de se préparer à la naissance de sa fille. Or, elle avait exprimé à plusieurs reprises le fait qu'elle désirait rester la mère de son enfant, ce qui avait été retranscrit par le personnel du CHUV les 24 et 29 mai 2017. Ce n'était toutefois que quatre jours plus tard qu'elle avait établi le document manuscrit par lequel elle déclarait vouloir donner sa fille à l'adoption, revirement qui aurait dû donner lieu à des investigations complémentaires. Or, ni la police, ni l'équipe médicale du CHUV, ni la représentante du Service de protection de la jeunesse, ni la Justice de paix n'avaient cru bon d'investiguer la situation et "la matérialité du consentement à l'adoption". Si ces différents intervenants et autorités avaient identifié que A______ se trouvait sous l'empire d'une crainte fondée, ils l'auraient vraisemblablement encouragée à considérer l'option d'un placement en famille d'accueil pour l'enfant et le report d'une décision d'une importance telle que le consentement à l'adoption.

En ce qui concernait le respect des délais fixés à l'art. 269b CC, il convenait de faire partir le dies a quo du moment où la crainte fondée s'était dissipée. Or, cette crainte n'avait commencé à se dissiper qu'après sa première audition, en qualité de plaignante, par les autorités de poursuite pénale, à savoir le 25 septembre 2018. En effet, entre sa sortie du réseau dont elle était victime, en avril 2018, et cette audition de septembre 2018, A______ avait vécu dans la terreur de ne pas se réveiller le matin ou de perdre la raison. Ses démarches avaient ensuite été interrompues par son arrestation le 28 octobre 2018 et la procédure qui avait fait suite à cette interpellation. Il avait également été difficile d'obtenir les éléments de base du dossier, de sorte qu'il fallait admettre que A______ avait agi dans les délais prescrits. Pour le surplus, elle ne souhaitait pas que sa fille soit arrachée aux liens sécurisants qu'elle avait vraisemblablement établis avec ses parents adoptifs, mais elle estimait qu'une solution devait être trouvée, permettant de ménager les intérêts en présence et de concilier ceux potentiellement contradictoires de la mineure B______, à savoir son droit de connaître ses parents biologiques et d'être élevée par eux, ainsi que d'avoir un lien avec ses origines ethniques et culturelles et son droit à la sécurité et à la continuité des liens affectifs qu'elle avait développés depuis son plus jeune âge. Les art. 268e et 300 CC offraient vraisemblablement des pistes à explorer.

b. Par ordonnance du 11 juin 2019, le Tribunal a invité la Justice de paix du district de H______ à lui communiquer l'identité et le domicile de la mineure née B______, ainsi que de ses parents adoptifs ou, à défaut, toute information permettant la notification aux parties défenderesses de l'action en annulation de l'adoption. Lesdites démarches ont permis au Tribunal de retrouver la mineure et ses parents adoptifs.

c. Dans leur réponse du 20 décembre 2019, les parents adoptifs de la mineure née B______ et cette dernière, représentée par les premiers, ont conclu à l'irrecevabilité de l'action en annulation de l'adoption et, au fond, à son rejet, avec suite de frais et dépens. Ils ont allégué que la requête était tardive, la date à prendre en considération étant, a minima, celle du dépôt de la plainte pénale, soit le 17 mai 2018. En effet, à partir de ce moment-là, A______ avait été très entourée, à tel point qu'elle avait été en mesure d'initier une procédure pénale, de sorte qu'il y avait lieu d'admettre que la prétendue crainte fondée s'était dissipée. Or, l'action en annulation avait été déposée neuf mois plus tard.

d. Par ordonnance du 9 janvier 2020, le Tribunal a limité la procédure à la question de la recevabilité de l'action en annulation de l'adoption et imparti à A______ un délai pour se déterminer sur cette question.

e. Dans ses déterminations du 13 mars 2020, A______ a conclu à ce que son action en annulation de l'adoption soit reçue, à ce qu'un curateur de représentation soit désigné à l'enfant née B______ aux fins de sauvegarder ses intérêts dans la procédure, à ce qu'il soit ordonné à ses parties adverses de produire, dans le respect du secret de l'adoption, la preuve de la date du prononcé de l'adoption, à ce qu'une expertise familiale soit ordonnée, en désignant à cet effet un spécialiste des questions d'adoption et à ce que divers témoins mentionnés dans ses écritures soient entendus. Pour le surplus, A______ a persisté dans ses précédentes conclusions.

f. Les autres parties en ont fait de même le 20 mai 2020, tout en relevant que le Code civil ne prévoyait pas la possibilité de désigner un curateur de représentation à l'enfant dans les procédures tendant à l'annulation du prononcé d'une adoption.

g. Exception faite des échanges d'écritures, la procédure n'a donné lieu à aucun acte d'instruction.

F. a. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a considéré, au vu des éléments qui ressortaient des explications de A______ et des pièces produites, que ce n'était pas tant la crainte du réseau de traite d'êtres humains, ou encore du "juju", qui l'avait décidée à donner son enfant à l'adoption, mais plutôt la situation personnelle et financière dans laquelle elle se trouvait au moment de la naissance non désirée de sa fille, étant précisé qu'elle subvenait à ses besoins en travaillant de manière illégale à H______ en tant que prostituée. Par ailleurs, pendant la procédure ayant conduit à ce que l'enfant soit donnée à l'adoption, A______ n'était pas seule, mais assistée par des professionnels et par conséquent entourée, soutenue et conseillée. Force était de constater que la menace dont A______ se prévalait désormais n'avait jamais été évoquée lors de la décision de confier sa fille à l'adoption, de sorte qu'il n'apparaissait pas que cette situation puisse être constitutive d'une crainte fondée. Par ailleurs et même à supposer qu'une telle crainte ait existé, le délai relatif de six mois de l'art. 269b CC était largement échu au moment du dépôt de l'action en annulation de l'adoption le 18 février 2019. A______ était en effet hébergée dans un foyer depuis le mois d'avril 2018 et aidée par une association de soutien aux victimes de traite et d'exploitation, ainsi que par le Centre social protestant, puis par une avocate et de nombreuses démarches judiciaires avaient été initiées en sa faveur. Si, en mai 2018, A______ avait trouvé les ressources nécessaires pour former une plainte pénale à l'encontre de ceux qui lui inspiraient une crainte fondée, il était incompréhensible qu'elle n'ait pas pu former une action en annulation de l'adoption. Ainsi, le délai de six mois avait commencé à courir à compter du dépôt de la plainte pénale, soit le 17 mai 2018, et était par conséquent échu au moment du dépôt de l'action en annulation de l'adoption. Il n'y avait enfin pas lieu à restitution du délai, les procédures pénales et administratives auxquelles A______ avait dû faire face entre le 28 octobre 2018 et le 29 janvier 2019 ne constituant pas des justes motifs rendant son retard excusable.

Le premier juge a enfin considéré, même à supposer qu'une crainte fondée ait existé et que l'action ait été introduite à temps, que le bien de l'enfant à conserver l'environnement stable et sécurisant qui était le sien depuis de longs mois était prioritaire et devait l'emporter.

b. Dans son acte d'appel, A______ fait grief au Tribunal d'avoir retenu qu'elle avait subvenu à ses besoins en travaillant de manière illégale à H______ comme prostituée, laissant ainsi entendre qu'elle avait exercé ce métier librement et qu'elle pouvait disposer du produit de son travail, alors que tel n'était pas le cas. L'appelante fait également grief au Tribunal de ne pas avoir fait figurer dans le jugement la date du prononcé de l'adoption de l'enfant B______, alors que cet élément était essentiel pour déterminer la recevabilité de son action en annulation de l'adoption. L'appelante reproche en outre au premier juge d'avoir nié l'existence d'une crainte fondée de façon purement abstraite, sans avoir donné suite à ses offres de preuve, ce qui était constitutif d'une violation de son droit d'être entendue. Elle a, pour le surplus, repris les arguments développés devant le Tribunal concernant sa situation de victime d'un réseau de traite d'êtres humains et le fait qu'elle était sous la menace d'un préjudice sérieux, à savoir des représailles "magiques" sur sa santé mentale ou sa vie. Elle se trouvait par conséquent, au moment du consentement donné à l'adoption de son enfant, dans une crainte fondée. Le dépôt de la plainte pénale ne constituait pas le résultat de la dissipation de ladite crainte, mais sa prémisse, un tel acte ayant même fréquemment pour conséquence d'accroître significativement la crainte de représailles. L'appelante a également nouvellement soutenu avoir subi une certaine pression des intervenants sociaux, le dépôt d'une plainte pénale étant la condition posée à la poursuite de sa prise en charge par les structures d'accueil, explications qui ne figuraient pas dans ses écritures devant le Tribunal. L'appelante a ajouté avoir offert de prouver, devant le Tribunal, l'état de terreur dans lequel elle se trouvait jusqu'à sa première audition par le Ministère public.

Enfin, c'était également sur la base d'une constatation incomplète des faits que le Tribunal avait écarté l'argumentation subsidiaire fondée sur l'existence de justes motifs de restitution du délai pour agir. Or, les procédures pénales et administratives dont elle avait fait l'objet à partir du 28 octobre 2018 avaient été à l'origine d'un effondrement psychologique lié à un phénomène de victimisation secondaire, effondrement qui l'avait provisoirement privée des ressources mentales et émotionnelles nécessaires pour engager une procédure en annulation de l'adoption et ce n'était que le 10 janvier 2019 qu'elle avait compris que les premières seraient prochainement classées, conduisant à l'admission probable de son recours contre la décision administrative. L'effondrement psychologique dont elle avait été victime, survenu durant l'automne 2018, devait par conséquent justifier une restitution du délai relatif.

L'appelante a enfin reproché au Tribunal de s'être prononcé sur la question de l'intérêt supérieur de l'enfant, sans aucune instruction au fond sur ce point.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC).

L'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC). Les délais légaux et les délais fixés judiciairement ne courent pas du 15 juillet au 15 août inclus (art. 145 al. 1 let. b CPC).

En l'espèce, l'appel, formé contre une décision ayant mis un terme à la procédure, dans le délai utile (lequel, en raison des féries judiciaires, n'a commencé à courir que le 16 août 2020) et selon les formes prescrites, est recevable.

1.2 L'appel peut être formé pour violation du droit et constatation inexacte des faits (art. 310 CPC); le pouvoir de cognition de la Cour est par conséquent complet (ATF 138 III 374).

1.3 Compte tenu de la nationalité étrangère de l'appelante, la procédure contient un élément d'extranéité. Selon l'art. 77 al. 3 LDIP, l'action en annulation d'une adoption prononcée en Suisse est régie par le droit suisse, ce qui n'est contesté par aucune des parties.

Les tribunaux compétents pour connaître d'une action relative à la constatation ou à la contestation de la filiation sont aussi compétents pour juger de la contestation de l'adoption (art. 75 al. 2 LDIP).

Les tribunaux suisses de la résidence habituelle de l'enfant ou ceux du domicile de l'un des parents sont compétents pour connaître d'une action relative à la constatation ou à la contestation de la filiation (art. 66 LDIP).

En l'espèce, il ressort de la procédure que l'enfant et les parents adoptifs, contrairement à l'appelante, ne sont pas domiciliés dans le canton de Genève. Les intimés n'ont contesté, ni devant le Tribunal, ni devant la Cour, la compétence des tribunaux genevois pour connaître de la présente cause, de sorte que cette compétence sera admise.

1.4 Les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard; ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (art. 317 al. 1 let. a et b CPC).

En l'espèce, l'appelante a allégué pour la première fois devant la Cour avoir subi une certaine pression des intervenants sociaux, le dépôt d'une plainte pénale ayant été la condition posée à la poursuite de sa prise en charge par les structures d'accueil. Il s'agit là d'un fait nouveau qui ne figurait pas dans les écritures de première instance, ni dans les déclarations faites devant le Tribunal, l'appelante n'ayant pas expliqué les raisons qui l'auraient empêchée d'exposer ces faits en première instance déjà. Au vu de ce qui précède, lesdites allégations ne seront pas prises en considération, étant par ailleurs relevé qu'elles ne sont pas pertinentes pour l'issue de l'appel.

2.             2.1.1 Un enfant mineur peut être adopté si le ou les adoptants lui ont fourni des soins et ont pourvu à son éducation pendant au moins un an et si toutes les circonstances permettent de prévoir que l'établissement d'un lien de filiation servira le bien de l'enfant (...) (art. 264 al. 1 CC).

L'adoption (d'un enfant mineur) requiert le consentement du père et de la mère de l'enfant (art. 265a al. 1 CC). Le consentement est déclaré, par écrit ou oralement, à l'autorité de protection de l'enfant du domicile ou du lieu de séjour des parents ou de l'enfant et doit être consigné au procès-verbal (al. 2). Le consentement ne peut être donné avant six semaines à compter de la naissance de l'enfant (art. 265b al. 1 CC). Il peut être révoqué dans les six semaines qui suivent sa réception (al. 2).

2.1.2 Lorsque, sans motif légal, un consentement n'a pas été demandé, les personnes habilitées à le donner peuvent attaquer l'adoption devant le juge, si le bien de l'enfant ne s'en trouve pas sérieusement compromis (art. 269 CC).

L'adoption plénière confère à l'adopté des liens de filiation similaires à ceux établis entre les parents et leur propre enfant. De ce fait, elle est en principe indissoluble, contrairement à l'adoption simple du droit antérieur. (...). Aujourd'hui, seule une procédure judiciaire, aux conditions restrictivement énumérées aux art. 269 et 269a CC, permet d'annuler les liens adoptifs. (...). L'art. 269 CC ouvre l'action en annulation à toute personne ou autorité dont le consentement exigé par la loi n'a pas été requis ou a été refusé. Certaines situations sont assimilées au défaut de consentement, dont notamment le consentement entaché d'un vice de la volonté au sens des art. 23 ss CO (Schoenenberger, in CR CCI, 2010, ad art. 269 n. 2, 4 et 5).

2.1.3 Si l'une des parties a contracté sous l'empire d'une crainte fondée que lui aurait inspirée sans droit l'autre partie ou un tiers, elle n'est point obligée (art. 29 al. 1 CO).

La crainte est réputée fondée lorsque la partie menacée devait croire, d'après les circonstances, qu'un danger grave et imminent la menaçait elle-même, ou l'un de ses proches, dans sa vie, sa personne, son honneur ou ses biens (art. 30 al. 1 CO).

La menace ne vise qu'un but : arracher à la victime la conclusion du contrat. Des menaces quelconques ou des situations dangereuses et risquées qui peuvent être le motif de la conclusion d'un contrat ne le rendent pas annulable, pour autant qu'elles ne soient pas instrumentalisées par l'autre partie pour contraindre la victime. (...). La menace doit être sérieuse et effective. (...). La menace doit avoir un effet déterminant (causal) sur la conclusion du contrat. Peut-être n'est-elle pas l'unique motif, mais elle doit être au moins une condition sine qua non, dans le sens d'une condition négative qui permet de déduire que, sans menace, le contractant n'aurait pas consenti au contrat (Schmidlin, in CR CO I, 2ème éd. 2012, ad art. 29 et 30 CO, n. 5, 7 et 12).

Le contrat entaché d'erreur ou de dol, ou conclu sous l'empire d'une crainte fondée, est tenu pour ratifié lorsque la partie qu'il n'oblige point a laissé s'écouler une année sans déclarer à l'autre sa résolution de ne pas le maintenir, ou sans répéter ce qu'elle a payé (art. 31 al. 1 CO). Le délai court dès que l'erreur ou le dol a été découvert, ou dès que la crainte s'est dissipée (art. 31 al. 2 CO).

2.1.4 L'action en annulation de l'adoption doit être intentée dans les six mois à compter du jour où le motif en a été découvert et, dans tous les cas, dans les deux ans depuis l'adoption (art. 269b CC).

Les délais pour agir sont brefs, puisqu'il s'agit de protéger le lien de filiation établi par l'adoption. L'écoulement du temps (délai absolu) estompe la gravité des vices ou lacunes en question, au profit du caractère durable de la relation juridique fondée sur l'adoption. Par ailleurs, il est important de clarifier rapidement la situation lors de la constatation d'un vice (délai relatif), afin de ne pas laisser planer trop longtemps l'incertitude sur la relation parentale créée par l'adoption (Meier/Stettler, Droit de la filiation, 6ème éd. 2019, n. 433).

Dans le cas d'une adoption soumise à l'ancien droit, le Tribunal fédéral avait considéré que les règles du CO sur les vices du consentement s'appliquaient par analogie, avec une prise en compte des particularités de l'acte. Comme il l'avait déjà retenu à propos de l'annulation de la reconnaissance d'un enfant illégitime par son auteur dans un arrêt paru au JdT 1954 I 98, le Tribunal fédéral a confirmé qu'une dérogation aux art. 23 ss CO n'était justifiée que si elle s'imposait catégoriquement, cette remarque valant aussi pour le délai dans lequel il fallait se prévaloir du vice du consentement (JdT 1976 I 635 ss).

2.1.5 La décision d'annulation rétroagit à l'entrée en force du prononcé d'adoption (Schoenenberger, op. cit. ad art. 269b CC n. 6).

2.1.6 Pour simplifier le procès, le tribunal peut notamment limiter la procédure à des questions ou des conclusions déterminées (art. 125 let. a CPC).

2.2.1 L'appelante ne soutient pas que la procédure imposée par les art. 265a et 265b CC n'aurait pas été formellement respectée, de sorte qu'il n'y a pas lieu de revenir sur ce point.

2.2.2 L'appelante fait tout d'abord grief au Tribunal d'avoir retenu qu'elle avait subvenu à ses besoins en travaillant de manière illégale à H______ comme prostituée, alors qu'elle avait rendu vraisemblable avoir été victime de traite d'êtres humains et avoir été, de ce fait, privée de son libre arbitre. Ce point a toutefois été sans incidence sur le jugement du Tribunal et est sans pertinence pour l'issue de la présente procédure, de sorte qu'il ne se justifie pas de s'y attarder davantage.

L'appelante fait ensuite grief au Tribunal de ne pas avoir fait figurer dans son jugement la date du prononcé de l'adoption de l'enfant B______. Il ressort toutefois du considérant 20 de la partie EN FAIT du jugement attaqué que la procédure d'adoption était définitive depuis le 6 juin 2019. Dans le présent arrêt, la Cour a complété l'état de fait en précisant que l'adoption a été prononcée le 16 mai 2019. C'est dès lors cette date qui sera prise en considération par la Cour de justice au regard des délais fixés par l'art. 269b CC.

2.2.3 L'appelante reproche ensuite au Tribunal d'avoir nié l'existence d'une crainte fondée et de s'être prononcé sur l'intérêt de l'enfant sans avoir donné suite à ses offres de preuve sur ces deux points.

Par ordonnance du 9 janvier 2020, le Tribunal a limité la procédure à la seule question de la recevabilité de l'action en annulation de l'adoption. Dès lors, dans le jugement attaqué, il aurait dû se limiter à examiner ce seul point. Or, le Tribunal s'est livré, en dépit de la limitation de la procédure, à des considérations excédant la question visée par son ordonnance du 9 janvier 2020 et portant d'une part sur l'existence d'une crainte fondée et d'autre part sur l'intérêt de l'enfant, points qui n'auraient pas dû être abordés à ce stade. Au demeurant, il n'était pas nécessaire, pour statuer sur la recevabilité de l'action, de trancher la question de l'existence d'une crainte fondée. Il suffisait en effet, en admettant qu'elle ait existé, de déterminer à partir de quel moment on pouvait retenir qu'elle s'était dissipée, ce que le Tribunal a par ailleurs fait dans une autre partie de son raisonnement.

Le grief de l'appelante est par conséquent fondé sur ce point. Il est toutefois sans conséquence sur l'issue de la procédure, le jugement devant, quoiqu'il en soit, être annulé pour un autre motif.

2.2.4 Le Tribunal a retenu que le délai relatif de six mois fixé à l'art. 269b CC n'avait pas été respecté, au motif que même s'il fallait admettre que l'appelante avait été en proie à une crainte fondée, celle-ci s'était dissipée au plus tard au mois de mai 2018, de sorte que son action en annulation de l'adoption, déposée au mois de février 2019, soit après un délai d'environ neuf mois, était tardive.

La Cour ne partage pas cette analyse.

Il convient tout d'abord de relever que l'appelante se prévaut, par analogie, de l'art. 30 CO, l'art. 31 CO prévoyant que la crainte fondée peut être invoquée dans un délai d'une année dès qu'elle s'est dissipée. Ce délai d'une année entre par conséquent en conflit avec le délai de six mois prévu par l'art. 269b CC. Même en admettant que dans les cas d'annulation d'une adoption fondés sur les art. 23ss CO appliqués par analogie il conviendrait de tenir compte du délai de six mois et non du délai d'une année, l'art. 269b CC imposant des délais brefs afin de protéger le lien de filiation établi par l'adoption, la présente affaire présente la particularité suivante: l'action en annulation de l'adoption, formée au mois de février 2019 par l'appelante, est antérieure au prononcé de l'adoption, intervenu le 16 mai 2019 et devenu définitif le 6 juin 2019. Autrement dit, le jugement attaqué a déclaré irrecevable pour cause de tardiveté une action en annulation d'une adoption qui n'avait pas encore été prononcée au moment du dépôt de l'action visant son annulation.

Le cas d'espèce justifie par conséquent de faire application des principes qui se dégagent des arrêts du Tribunal fédéral cités ci-dessus (JdT 1954 I 98 et JdT 1976 I 635 ss), quand bien même ceux-ci ont été rendus alors que l'actuel droit de l'adoption et notamment l'art. 269b CC n'étaient pas encore en vigueur, à savoir qu'une dérogation aux art. 23 ss CO n'est justifiée que si elle s'impose catégoriquement, cette remarque valant également pour le délai dans lequel le vice du consentement doit être invoqué. Il sera rappelé que la brièveté des délais prévus à l'art. 269b CC, soit plus particulièrement le délai relatif de six mois, a pour but, selon la doctrine, de ne pas laisser planer trop longtemps l'incertitude sur la relation parentale créée par l'adoption, ce qui implique que celle-ci ait été prononcée. Or, tel n'était pas le cas en l'espèce puisqu'au moment du dépôt de son action par l'appelante le lien de filiation entre les parents adoptifs et l'enfant B______ n'avait pas encore été créé, quand bien même la mineure se trouvait déjà chez eux dans le cadre de son placement en vue d'adoption, lequel a duré, conformément à l'art. 264 al. 1 CC, au moins une année. Dans la présente cause, le fait de faire courir le délai relatif de six mois de l'art. 269b CC à partir du mois de mai 2018 aboutit à un résultat incohérent, à savoir retenir que le délai pour agir en annulation de l'adoption était échu avant même le prononcé de celle-ci.

On pourrait néanmoins s'interroger sur la recevabilité de la demande, formée en février 2019, alors que l'adoption n'avait pas encore été prononcée. Il résulte toutefois de la procédure que l'appelante, en dépit des démarches effectuées par son conseil, n'a obtenu aucune information utile sur la procédure d'adoption. Elle n'a appris que le prononcé de l'adoption était définitif et exécutoire depuis le 6 juin 2019 qu'après avoir introduit son action devant le Tribunal. Il ne saurait par conséquent lui être reproché d'avoir agi prématurément.

Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu d'admettre que l'action de l'appelante, formée dans le délai d'une année prévu à l'art. 31 CO appliqué par analogie, même en prenant comme date de départ le mois de mai 2018 (date la moins favorable à l'appelante retenue par le Tribunal pour admettre la dissipation d'une éventuelle crainte fondée), était recevable. Une telle solution se justifie d'autant plus que, conformément à ce qui ressort du dossier, les démarches effectuées par l'appelante, par l'entremise de son conseil, visant à déterminer si, quand et où l'adoption de la mineure avait été prononcée, ont duré plusieurs mois, sans avoir donné aucun résultat utile et sans que cette durée puisse lui être imputée.

Le jugement attaqué sera par conséquent annulé et la cause retournée au Tribunal pour instruction au fond sur l'existence d'une crainte fondée ainsi que sur le bien de l'enfant au sens de l'art. 269 CC et nouvelle décision.

3.             3.1.1 Les frais sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).

Le tribunal peut s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation notamment lorsque des circonstances particulières rendent la répartition en fonction du sort de la cause inéquitable (art. 107 al. 1 let f CPC).

3.1.2 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

3.2.1 En ce qui concerne les frais de première instance et dans la mesure où le jugement attaqué a été annulé, il appartiendra au Tribunal de les fixer et de les répartir lorsqu'il statuera à nouveau.

3.2.2 Les frais judiciaires d'appel seront fixés à 960 fr. (art. 13, 32 et 35 RTFMC). Ils devraient, conformément à l'art. 106 al. 1 CPC, être mis à la charge des parties intimées. Il paraît toutefois inéquitable de leur faire supporter les frais d'une procédure qu'ils subissent malgré eux, du seul fait qu'ils sont les parents adoptifs de l'enfant biologique de l'appelante. Ainsi, les frais judiciaires d'appel seront laissés à la charge de l'Etat.

Pour les mêmes motifs, il ne sera pas alloué de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/9547/2020 rendu le 6 août 2020 par le Tribunal de première instance dans la cause C/6064/2019.

Au fond :

Annule le jugement attaqué et cela fait :

Retourne la cause au Tribunal de première instance pour instruction au fond dans le sens des considérants et nouvelle décision.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 960 fr. et les laisse à la charge de l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Roxane DUCOMMUN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.