Le mardi 22 novembre, 310 juges prud'hommes nouvellement élus ont prêté serment au Victoria Hall devant le Conseil d'Etat. Après le discours de Mme Isabel ROCHAT, Conseillère d'Etat chargée du département de la sécurité, de la police et de l'environnement, la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire (CGPJ) s'est exprimée par la voix d'un de ses membres. Les propos de M. Jean REYMOND sont reproduits ci-dessous.
Monsieur le Président du Conseil d’Etat,
Madame la Conseillère d’Etat,
Mesdames et Messieurs les juges et conciliateurs prud’hommes,
Mesdames et Messieurs les invités,
D'aucuns se seront demandés en quel honneur un juge du Tribunal civil, parfaitement inconnu à Genève, devrait prendre la parole au cours de cette cérémonie. Eh bien je commencerai bien peu modestement à répondre à cette question en vous racontant qu'avant de devenir juge professionnel, j'ai bien usé mon pantalon sur les bancs de la prud'homie. Trois ans greffier auxiliaire vacataire, six ans secrétaire juriste dans cette juridiction, trois ans juge prud'hommes dont une en qualité de président. C'est donc une vie commune de plusieurs années qui me vaut aujourd'hui l'honneur de discourir devant vous.
Bien plus sérieusement et institutionnellement, c'est en ma qualité de magistrat membre de la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire que j'interviens aujourd'hui, membre choisi pour sa proximité avec la juridiction des PH. Ainsi, au nom de la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire, je viens donc, Mmes et MM. les juges et conciliateurs PH, vous féliciter de votre accession à la magistrature et vous souhaiter la bienvenue au sein du Pouvoir judiciaire!
Ces mots de bienvenue s’adressent bien entendu au bon tiers d’entre vous qui prêtez serment pour la première fois aujourd’hui. Ils s’adressent également à ceux d’entre vous, la majorité, qui siégez déjà depuis plusieurs années à la juridiction des prud’hommes.
En effet, cette cérémonie d'assermentation 2011 s’intègre dans un contexte un peu particulier puisque la juridiction des prud’hommes vient de connaître certainement la plus grande des mutations qu’elle ait eu à vivre depuis sa longue existence.
Et je crois que l'on peut parler de bienvenue dans un monde nouveau pour l'ensemble d'entre vous.
Lorsque l’on se replonge dans la loi organique sur les conseils de prud’hommes de 1890. On se rend compte que jusqu’en 1999 la juridiction des prud’hommes n’a pas connu de grande révolution et ce sont à peu près les mêmes principes qui ont régi son existence et sa procédure pendant près d'un siècle. Cette juridiction a ainsi toujours connu la laïcité et une procédure simplifiée. Avec la loi de 1999, sous la pression d’un monde de plus en plus technicisé, la première grande évolution a eu lieu. La conciliation a été fortement modifiée et surtout il a été exigé des présidents qu’ils suivent une formation. Mais fondamentalement, la juridiction a continué à être régie par une loi spécifique et une procédure propre toujours empreintes des principes de 1890.
Aujourd’hui, la codification fédérale de la procédure aura eu raison de cette simplicité procédurale. Votre métier change. Le Pouvoir judiciaire est conscient de l'investissement particulièrement important consentis par des juges laïcs pour adapter leur connaissances.
Mais avez-vous le choix? Le serment du magistrat est là pour vous le rappeler : rigueur, assiduité, diligence. Ce sont les termes de l'excellence qui sont exigés de vous. Vous l'avez promis au Conseil d'Etat devant qui vous venez de prêter serment. Le justiciable l'attend de vous. La commission de gestion du pouvoir judiciaire a toute confiance en vous.
Et puisque nous en sommes au stade de l'apologie du sacrifice et du don de soi, je me dois d'introduire une petite page publicitaire à mon discours. Certaines inquiétudes se font jours du côté de la Cour de justice du fait du peu de candidats pour siéger à la Chambre d'appel des prud'hommes.
Présentez-vous! Le fonctionnement même des institutions dépend de votre capacité à repourvoir ces postes. Ceux d'entre vous qui ont déjà beaucoup donné à la juridiction et qui souhaitent continuer à mettre l'expérience accumulée dans un contexte moins passionné que la première instance, au service d'une autorité de recours de qualité, je vous invite à faire le pas.
A propos de qualité, je souhaitais également saluer le formidable travail effectué par votre présidente et vice-président Mme ZEDER AUBERT et M. SCHEIDEGGER, ainsi que par le greffe de la juridiction, pour vous assurer une transition aussi peu douloureuse que possible.
De son côté, la Commission du Pouvoir judiciaire a à cœur et continuera d'avoir à cœur de soutenir au mieux ces efforts et de vous fournir les moyens pour que le mandat de juge et conciliateur prud'hommes qui s'ouvre devant vous soit une expérience enrichissante et un apport à la vie publique du canton.
Ces mots de bienvenue, j’aurais également voulu vous les adresser au nom d’un Pouvoir judiciaire serein. Hélas, et rien ne sert de vouloir le nier, la justice ne connaît pas sa période la plus tranquille en cet automne 2011. Un Ministère public bien chahuté a occupé le devant de la scène médiatique depuis plusieurs semaines.
Sans vouloir faire l'impasse sur de réelles difficultés que cette juridiction endure en cette première année procédure pénale fédérale, cette cérémonie est le lieu de souligner l'existence d'un autre monde judiciaire, plus discret, mais qui représente peut-être la part la plus sensible du travail judicaire. La justice administrative, celle qu'on oublie toujours, et la justice civile. Une justice à laquelle chacun est ou peut être amené à faire appel : comme partie à un contrat de bail, comme voisin, comme conjoint, comme consommateur, comme petit entrepreneur, et comme travailleurs ou comme employeur.
Vous êtes près de 300 dans cette salle, ce n'est pas rien. Vous traitez un contentieux volumineux à l'instar des autres juridictions civiles. Cette justice doit quotidiennement forger son image par le service qu'elle offre dans l'ombre des prétoires et non à la une des journaux. Cette justice mérite et les soucis du Ministère public ne doivent pas éclipser ses efforts et ses attentes. Cette justice qui doit pouvoir bénéficier de bases saines pour continuer à satisfaire.
Ces bases saines, ce sont des moyens adéquats qui lui sont alloués. Mais aussi des gens passionnés et compétents. C'est là la pierre qu'il vous est demandé d'apporter à l'édifice. C'est le sens du serment que vous venez de prêter. Et comme se le disent les anciens greffiers auxiliaires de la juridiction des prud'hommes avec nostalgie lors qu'ils se retrouvent : "c'était quand même quelque chose ces prud'hommes".
Et c'est bien tout ce que je souhaite à ce Tribunal, que l'on puisse encore dire longtemps à Genève : les prud'hommes "c'est quelque chose quand même".
Merci de votre attention.
Jean REYMOND
Membre de la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire