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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/17806/2023

AARP/365/2025 du 08.10.2025 sur JTCO/20/2025 ( PENAL ) , ADMIS

Recours TF déposé le 11.11.2025, 6B_910/2025
Recours TF déposé le 12.11.2025, 6B_915/2025
Recours TF déposé le 12.11.2025, 6B_915/2025
Recours TF déposé le 12.11.2025, 6B_915/2025
Descripteurs : MEURTRE;DOL ÉVENTUEL;HOMICIDE PAR NÉGLIGENCE;TORT MORAL
Normes : LCR.91.al2.leta; LCR.90.al3; CPP.117; CP.111; CP.47; CP.43; CP.19.al2; CP.49; CP.66; CPP.122; CO.41; CO.43
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17806/2023 AARP/365/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 17 septembre 2025 (dispositif)
complété le 8 octobre 2025 (arrêt motivé)

 

A______, domicilié c/o B______, ______, comparant par Me C______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTCO/20/2025 rendu le 6 février 2025 par le Tribunal correctionnel,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

D______, E______ et F______, parties plaignantes, comparant par Me Claudio FEDELE, avocat, Saint-Léger Avocats, rue de Saint-Léger 6, case postale 444, 1211 Genève 4,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 6 février 2025, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO) l'a reconnu coupable de meurtre (art. 111 du Code pénal [CP]), de violation fondamentale des règles de la circulation routière (art. 90 al. 3 de loi fédérale sur la circulation routière [LCR]) ainsi que de conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 al. 2 let. a LCR), lui infligeant une peine privative de liberté de six ans et demi (sous déduction de la détention avant jugement), tout en ordonnant son expulsion de Suisse pour une durée de 10 ans, frais de la procédure à sa charge. Les premiers juges l'ont également condamné à payer à D______, E______ et F______ CHF 50'000.- chacun plus intérêts (tort moral) ainsi que le montant de CHF 47'000.- (couverture des dépenses nécessaires occasionnées à tous trois par la procédure).

b. A______ entreprend les points du dispositif du jugement consacrés au verdict de culpabilité, à la peine, au prononcé de l'expulsion, et au montant de l'indemnité pour tort moral allouée aux parties plaignantes. Il conclut à la déqualification des faits qualifiés de meurtre en homicide par négligence, à la réduction de la peine, en raison de la susdite requalification ainsi que de l'admission d'une responsabilité « particulièrement restreinte », et, pour le premier motif, de l'indemnité pour tort moral.

c.a.a. Selon l'acte d'accusation du 12 novembre 2024, il est reproché ce qui suit à A______ :

Le 14 août 2023 vers 20h00, A______ circulait au volant du véhicule de marque G______ immatriculé 1______/Pologne sur la route de Collex en direction de la route des Fayards en état d'ébriété qualifié présentant un taux d'alcool minimal dans le sang situé entre 2.08 g/kg et 2.88 g/kg. À la hauteur du numéro 90 de la route de Collex, il a très fortement accéléré afin de réaliser une manœuvre de dépassement téméraire de trois véhicules qui le précédaient manquant de perdre la maîtrise de son véhicule au moment de se rabattre à la hauteur de l'îlot central situé avant le passage sous l'autoroute A1. Arrivé à la hauteur du second l'îlot central, situé après le passage sous l'autoroute A1, à une vitesse minimale estimée entre 80 km/h et 133 km/h, il a heurté avec la roue avant droite une bordure en béton et a perdu la maîtrise de son véhicule. Ce nonobstant, le prévenu a poursuivi sa route en roulant partiellement sur la bande herbeuse située sur sa droite, parcourant de la sorte une distance d'environ 73.5 mètres, avant de regagner entièrement la chaussée. À cet endroit il est venu percuter, à une vitesse estimée entre 70 km/h et 85 km/h, l'arrière du cycle au guidon duquel se trouvait H______ lequel circulait normalement au centre de la bande cyclable sur la route de Collex en direction de la route des Fayards.

Percuté par l'arrière, H______, a été projeté sur le capot du véhicule puis sur la chaussée. En raison du choc, la victime a subi les lésions corporelles décrites dans le rapport d'autopsie du 2 avril 2024, en particulier, un traumatisme crânien et facial sévère avec de multiples fractures du crâne et du massif facial, des contusions cérébrales, un œdème massif et des saignements intracrâniens, lésions qui ont conduit à son décès le ______ août 2023.

L'acte d'accusation retient que A______ a intentionnellement tué H______, tenant pour possible que son comportement irresponsable au volant de son véhicule (alcoolémie, vitesse, dépassement téméraire) puisse occasionner un accident de la circulation et tuer une personne et en l'acceptant au cas où cette éventualité se produirait.

c.a.b. Subsidiairement, ledit acte propose la qualification juridique d'homicide par négligence, renvoyant aux circonstances sus-décrites et retenant que les graves violations des règles de la circulation routière commises ont fait perdre au prévenu la maîtrise de son véhicule et percuter violemment l'arrière du cycle au guidon duquel se trouvait H______, ce a une vitesse estimée entre 70 km/h et 85 km/h. Le prévenu a ainsi violé ses devoirs de prudence.

c.b. L'acte d'accusation reprochait encore au prévenu d'avoir, toujours dans le susdit contexte :

- circulé alors qu'il présentait un taux d'alcool minimal dans le sang situé entre 2.08 g/kg et 2.88 g/kg ;

- fortement accéléré au niveau du n° 90 de la route de Collex afin d'effectuer un dépassement téméraire des trois véhicules qui le précédaient ; au niveau de l'îlot situé après le passage sous l'autoroute A1 circulé à une vitesse excessive estimée entre 80 km/h et 133 km/h sur un tronçon limité à 60 km/h, puis perdu la maîtrise de son véhicule et heurté une bordure en béton ; après avoir heurté la bordure de béton, quitté partiellement la chaussée en roulant sur la bande herbeuse à droite sur une distance de 74.5 mètres puis regagné complètement la chaussée à une vitesse estimée entre 70 km/h et 85 km/h. A______ a agi intentionnellement car il savait, ou ne pouvait ignorer, que ce comportement constituait de grands risques, dont il s'est consciemment accommodé, il a sciemment mis en danger la sécurité, la santé et la vie des autres usagers de la route, en créant un risque important d’accident, cela par la vitesse excessive, un dépassement téméraire de trois véhicules, la perte de maîtrise de son véhicule, et alors même qu’il était sous l’influence d’alcool, étant précisé que le risque s'est réalisé, A______ ayant percuté H______, cycliste, lequel est décédé.

Ces faits, jugés avérés par le TCO, ne sont pas contestés en appel, pas davantage que la qualification juridique de violation fondamentale des règles de la circulation routière (mais à l'exclusion de l'aggravante de l'art. 90 al. 4 LCR soutenue dans l'acte d'accusation) ainsi que de conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool.

B. i. Faits établis

Les faits suivants sont établis par les éléments du dossier et incontestés par les parties, étant précisé que leur description est en très grande partie empruntée au jugement de première instance :

a. Citoyen polonais, A______ a travaillé à I______, dans le Canton de Genève, notamment pour J______, de 2010 à 2020, à raison de neuf mois chaque année, faisant des allers-retours entre la Pologne et la Suisse, en voiture. À partir du mois de mars 2023, il a derechef été employé par J______, puis dès le mois de juin 2023, concurremment par K______, toujours dans la région de I______. Il logeait au domicile de sa sœur, sis no. ______ rue 2______, à L______ [GE].

b. Le 14 août 2023, A______ a ingéré une bière avec le repas de midi, puis une deuxième en fin d’après-midi. Il est rentré à son domicile à la fin de sa journée de travail, où il s'est trouvé seul, sa sœur était en vacances, avec sa famille. Il n'avait alors pas l'intention de ressortir et, partant, de conduire. Il a consommé encore quatre à six bières et, à tout le moins, une demi-bouteille de vin.

c. À 19h52 il a appelé l'un de ses deux employeurs, K______. La conversation a fait naître chez lui un besoin urgent de s’entretenir en face à face avec son patron afin de régler un point d’ordre professionnel ou concernant un possible logement. Il est dès lors sorti précipitamment, oubliant même d'emporter son permis de conduire, et a pris le volant de sa voiture.

d. A______ présentait dans son organisme, au moment critique, intervenu quelques minutes après son départ, une concentration d’éthanol comprise entre 2.08 g/kg et 2.88 g/kg, tandis que celle de la victime était nulle (et que celle-ci n'avait pas non plus consommé d'autres substances, les analyses toxicologiques ayant uniquement mis en évidence celles administrées lors des soins prodigués).

e. La route de Collex, sur le tronçon considéré, comporte deux voies de circulation (sans marquage de séparation). Elle passe sous le pont supportant l'autoroute A1. Deux îlots se dressent en son centre, avant et après le passage sous le pont, le premier, dans le sens de circulation en direction de la France, abritant un passage pour piétons. Aussitôt après le second, une bande cyclable commence, toujours en direction de la France. La route est rectiligne, à l'exception des chicanes formées par les deux îlots. Une bordure en béton est présente de chaque côté de la route, au niveau des îlots, puis une bande herbeuse. La vitesse est limitée à 60 km/h. Au jour et à l'heure des événements, soit aux environs de 20h00, les conditions de circulation étaient bonnes, la route était sèche et il faisait beau. Le soleil se couchait derrière la crête du Jura mais la position de l'astre n'a pas eu d’incidence directe sur la visibilité du conducteur vers l’avant ou, tout au plus, une incidence limitée, selon le rapport technique du Groupe audio-visuel accident (GAVA).

f. En provenance de la route de Valavran, au volant de sa voiture G______, A______ s’est engagé, à une vitesse, mesurée, de l’ordre de 30 à 45 km/h, sur la route de Collex (direction France) et s’est placé devant le véhicule conduit par M______, de sorte que celui-ci l’a dépassé. Durant cette manœuvre, le prévenu s’est mis à accélérer, a dépassé à son tour la voiture de M______ et, dans le même mouvement, deux véhicules qui les devançaient, conduits par N______ et O______. Sa vitesse était alors à tout le moins 80 km/h.

Juste avant le premier îlot, A______ s’est rabattu devant le véhicule de tête, soit celui de O______, sans freiner.

Il a dès lors emprunté le passage situé sous l’autoroute A1 et est arrivé à la hauteur du second îlot. Roulant toujours à une vitesse élevée, soit entre 80 km/h et 93 km/h, il a percuté, avec sa roue avant droite, la bordure en béton située sur le côté droit de la chaussée, étant précisé qu'à dire d'expert, la vitesse seule n'explique pas ce choc. Ledit heurt a endommagé les deux jantes de la voiture du côté droit et causé l'éclatement du pneu avant droit. A______ a alors perdu la maîtrise de son véhicule, lequel est partiellement sorti de la route, les deux roues droites se retrouvant sur la bande herbeuse qui la longe. L'automobiliste a néanmoins continué de rouler, sans freiner, à une vitesse indéterminée, mais d’au moins 70 km/h, parvenant en définitive à regagner entièrement la chaussée. Il a ensuite embouti le cycliste H______, qui circulait normalement devant lui, sur la bande cyclable, étant précisé que la distance parcourue entre le choc contre la bordure et la zone de collision avec le cycliste a été d’environ 73.5 mètres. H______ a été projeté sur le véhicule de A______, lequel l'a ainsi aperçu pour la première fois alors qu’il était contre son pare-brise, puis sur la chaussée, à une distance de projection plausible d’environ 25 mètres.

Après la collision, A______ a encore roulé sur une distance d’environ 39 mètres, avant de s'immobiliser.

g. Il est sorti de son véhicule, et a cherché, d’une manière inappropriée, à venir en aide à H______. Les secours ont été appelés par des personnes présentes, parmi lesquelles P______, qui a effectué les premiers gestes de soin sur la victime.

h. H______ a été grièvement blessé, présentant les multiples lésions mises en évidence par les médecins-légistes dans leur rapport d’autopsie du 2 avril 2024, soit en particulier un traumatisme crânio-cérébral sévère récent, prédominant à gauche, avec notamment des fractures plurifragmentaires de la calotte crânienne, de la base du crâne et du massif facial. Il est décédé desdites lésions, le ______ août 2023 à 01h05. Né le ______ 1999, il était âgé de 24 ans.

i. Les expertises techniques pratiquées sur la voiture de A______ et sur le cycle de H______ n’ont révélé aucune défectuosité susceptible d'avoir joué un rôle dans la collision et aucun élément du dossier n'évoque une quelconque faute commise par la victime.

Au nombre des dégâts présents sur la voiture, il sied de mentionner que les jantes du côté droit étaient déformées et le pneu avant droit éclaté.

ii. Éléments probatoires, encore pertinents à ce stade, recueillis en cours de procédure

j.a. Lors de son audition par la police, intervenue le 15 août 2023 entre 5h41 et 6h25, A______ a indiqué qu'à son retour à son domicile, après 17h20, il avait « jeté » la poubelle, pris un bain, et bu quatre à cinq canettes de bière d’une contenance de 33 cl. et possiblement l'entier d'une bouteille de Gewurztraminer, sans rien manger, son dernier repas remontant au déjeuner (un kebab). Un ami l'avait appelé, lui proposant un travail dont il voulait parler avec lui. Pressé de le voir, il était aussitôt parti de son domicile. Sur la route, sous ou après le pont, il avait dépassé un véhicule, malgré le fait que « normalement » on ne pouvait pas le faire. Pour lui, il n'avait doublé qu'un véhicule, non plusieurs, et il ne se souvenait pas de sa vitesse. Il avait touché le trottoir lors du dépassement et perdu le contrôle de son véhicule. Soudain, il avait aperçu le cycliste sur le pare-brise de son véhicule. Il avait voulu lui prêter secours mais comme d'autres personnes s'étaient arrêtées et lui enjoignaient de « dégager » il s'était assis et les avait observées alors qu'elles prêtaient secours à la victime. Il était très fatigué à cette période, peut-être parce qu'il cumulait deux emplois. Il ne s'était pas rendu compte de ce que son comportement routier cumulé avec son état d'ébriété qualifié pouvait mettre en danger la vie d'autrui voire causer la mort [ndr : réponse négative à la question ainsi ténorisée] et il n'avait pas eu l'intention de « faire cela ». Il avait pris le volant pour se rendre à I______, à 10 minutes de trajet, et les risques qu'il avait pris n'en « valaient pas la peine », mais il n'avait pas « vraiment senti qu'il était ivre ». Interrogé sur ses antécédents judiciaires, il a évoqué un accident de voiture qu'il avait causé, à l'âge de 24 ans, en tournant à gauche et en percutant un objet.

j.b. Au cours de l'instruction préliminaire, A______ a d'abord mentionné qu'il avait bu trois verres de rosé durant la journée, soit deux lors du déjeuner et un troisième en fin d'après-midi, avant d'évoquer derechef plutôt une bière à midi et une seconde, postméridienne, toutes deux de 33 cl, pour enfin indiquer qu'il ne savait plus ce qu'il avait ingéré. Il a été à peu près constant sur la consommation intervenue après son retour à son domicile, avec des incertitudes sur la quantité de Gewurztraminer (une demi-bouteille ; pas toute la bouteille ; le contenu de trois verres à whisky).

L'ami qui l'avait appelé pour lui proposer du travail ainsi qu'un logement était K______, lequel l'employait déjà à nourrir ses chevaux. Il lui avait demandé de venir le voir et le prévenu avait eu tort de ne pas lui dire qu'il n'était pas en état de le faire. Cela étant, il ne s’était « pas senti très bourré » et le lieu du rendez-vous était trop éloigné pour qu’il pût s’y rendre à pied. Par la suite, A______ a dit qu'il ne se souvenait plus de qui avait été à l'origine de la conversation téléphonique avec K______, tout en affirmant qu'il voulait discuter avec lui de son travail durant les deux semaines à venir, car il devait aussi tenir compte des besoins de son autre employeur. Dans une troisième version, il expliquera qu'il avait oublié de dire à K______ qu'il ne pouvait pas venir travailler le lendemain matin tôt en raison de ses engagements à l'égard de J______. Il l'avait donc appelé et son interlocuteur lui avait demandé de se déplacer pour discuter ou plutôt, il avait lui-même décidé de le faire, l'autre homme lui ayant simplement dit qu'ils en parleraient. Il avait été angoissé par l'échange, craignant de ne pas pouvoir s'exécuter à l'égard de K______ alors qu'il avait besoin de travailler et que ses journées de labeur duraient de 12 à 14 heures.

Il n'était pas « tout le temps » dans ses habitudes de boire autant ; il se contentait généralement d'une ou deux bières quotidiennes, parfois plus, parfois pas du tout. Cependant, il pouvait consommer le week-end autant qu'il l'avait fait le soir du 14 août 2023. En fait, il pouvait ingérer jusqu'à dix bières après le travail, car ce n'était pas fort et se buvait comme de l'eau. Il avait un « petit problème » avec l'alcool et devait aller chez les alcooliques anonymes. Ultérieurement, il dira cependant qu'il n'avait pas de problème de consommation, ayant arrêté la vodka en 2022, car cela le rendait violent. Il était sensible et avait mal vécu des événements personnels (divorce, rupture avec sa copine). En principe, il ne conduisait pas après avoir bu ; certes, au cours de la journée du 14 août 2023, il l'avait déjà fait alors qu'il avait pris du vin rosé, mais il n'avait consommé qu'une petite quantité. Titulaire du permis idoine depuis 1998, il savait qu’il était interdit de conduire après avoir bu. Suite à l'accident de la circulation qu'il avait eu, à cause de l'alcool, en Pologne lorsqu’il avait 24 ans, il avait perdu son permis de conduire pendant deux ans. Avant de prendre le volant, il avait pensé qu'il pouvait conduire et s'était dit qu'il allait circuler « doucement », étant conscient de ce qu'il avait ingéré plus que la bière autorisée. Ou plutôt, sur le moment, il n'avait pas pensé au fait qu'il avait trop bu ; il était stressé et avait « fait une connerie » ; en fait, il ignorait qu'il avait bu plus que ce qui était admissible. Avec toutes ces histoires de travail, il était devenu un peu fou. Compte tenu de sa bonne maîtrise de la conduite de tracteurs, il se sentait « plus fort que les autres » au volant.

Il avait d’abord roulé doucement sur le tronçon, ayant d'ailleurs été dépassé par le conducteur français. Au moment de le doubler à son tour, il avait « mis les gaz », dépassant la limite de vitesse et atteint les 80 à 90 km/h, puis il avait vu les îlots, étant précisé qu'il connaissait bien cette route pour l'emprunter souvent. Il ne se souvenait pas des deux autres véhicules également dépassés, ni d'un coup de klaxon, mais il avait mis de la musique. Il ne se rappelait pas avoir roulé sur la bande herbeuse. Il avait dû perdre la maîtrise en raison de la vitesse et du fait qu'il s'était rabattu après la manœuvre de dépassement. Selon une version, il pensait avoir ralenti lorsqu'il était en perte de maîtrise et se souvenait avoir dû bouger son volant pour redresser sa voiture. Dans une autre, il ignorait pourquoi il n'avait pas freiné, émettant l'hypothèse qu'il avait pu être aveuglé par le soleil ou encore à cause du risque d'être percuté par les véhicules qui le suivaient.

Il n’avait pas pour habitude d’avoir une conduite sportive et rapide. Normalement, il roulait doucement, respectant les limites, et ne dépassait que sur l’autoroute.

Lors de sa première audition par le MP, A______ s'est d'emblée enquis de l'état de la victime. Par la suite, il a indiqué qu'il se sentait très mal et voulait payer pour ses actes. Il aurait souhaité prendre la place du cycliste ainsi que payer pour réparer, mais ce n’était pas l’argent qui donnait la vie. Il se savait responsable de l'accident et aurait changé de place avec H______. Il était « une merde et un connard ».

j.c. À l'audience de jugement, le prévenu a déclaré à plusieurs reprises qu'il n'avait pas « fait exprès » de tuer la victime.

La voiture était pour lui un moyen de transport et il avait confiance au volant, y compris de tracteurs. Il s'était bien fixé pour règle de ne pas conduire s'il avait consommé davantage qu'une bière. Il souhaitait rectifier une déclaration faite devant le MP car il avait voulu dire qu'il aurait pu consommer jusqu'à dix bières en une soirée, non que cela lui arrivait. Du reste, à la période des faits, il ne buvait pas en journée, dès lors qu'il travaillait, et se contentait de deux bières le soir.

Il admettait que c'était lui qui avait appelé K______, à teneur du dossier. Ses variations à ce sujet étaient dues à l'imprécision de ses souvenirs. Il se rappelait que, lors de l'appel téléphonique, il avait dit à son patron qu'il n'allait pas pouvoir travailler pour lui les deux prochaines semaines, étant mobilisé par J______. Celui-là lui avait dit de venir en parler et il avait compris que cela signifiait tout de suite. Pour lui, le sujet était important car il était « l'esclave de ces gens ». Il se sentait écartelé entre ses deux employeurs et pensait beaucoup à la situation. De ce fait, et aussi parce qu'il était seul, il avait trop bu ce soir-là.

Il connaissait bien la route de Collex, à son sens très facile, et avait déjà observé la présence de cyclistes sur la bande à eux réservée.

Il était « encore en bon état » au moment de partir, ce qu'il avait fait un peu dans la précipitation, oubliant notamment de prendre son permis de conduire. Il ne se souvenait pas s'il avait eu un moment d'hésitation, mais il n'avait pas pensé à utiliser un autre moyen de transport que sa voiture. Il ne ressentait les effets de l'alcool ni physiquement ni psychologiquement lorsqu'il avait pris le volant et estimait que son taux d'alcoolémie ne s'était élevé que par la suite. Il n'avait pas été conscient de ce qu'il n'était pas en conformité avec la loi et avait surestimé sa capacité à conduire.

Sa faible vitesse initiale était peut-être due à une mauvaise conduite. Il ne se souvenait pas du trajet jusqu'au dépassement. Il n'y avait pas eu de « jeu » entre M______ et lui. Peut-être avait-il été énervé d'être doublé mais il ne s'en souvenait pas. Il ne lui paraissait en tout cas pas possible qu'il eût ri, comme décrit par ce témoin. A______ ne se souvenait toujours pas des deux autres voitures également dépassées, selon le dossier. Il pensait avoir entrepris cette manœuvre parce qu'il était pressé, qu'il n'y avait pas de voiture venant en sens inverse et parce que l'alcool avait dû « taper » fort, vu la chaleur. La vitesse évoquée de 80 km/h ou 90 km/h au moment du dépassement lui paraissait correcte. Il n'avait pas été conscient des risques pris au vu de la configuration des lieux. Il se rappelait avoir perdu le contrôle de sa voiture avant d'aller taper la bordure, ce qui avait causé l'éclatement de son pneu. Il était vrai qu'un conducteur qui aurait réagi et braqué à temps n'aurait probablement pas heurté cette bordure et il n'excluait pas avoir possiblement roulé à une vitesse maximale de 124 km/h à 133 km/h lors du choc contre cette structure. Le prévenu avait pensé que s'il freinait, d'autres véhicules allaient emboutir le sien. Il n'avait pas le souvenir d'avoir roulé sur une bande herbeuse. Il avait continué de rouler parce qu'il n'avait pas vu le cycliste. Il en ignorait la raison, mais reconnaissait qu'il y avait un lien avec son alcoolisation. S'il l'avait vu, il aurait tout fait pour l'éviter, en freinant. Cela s'était passé très vite, en une fraction de seconde.

Ensuite, il ne se souvenait de rien, si ce n'est qu'il était sorti de sa voiture pour aider. Dans ce contexte, il avait notamment voulu éviter que le jeune homme n’étouffe dans son sang, et donc tenté de le mettre en position latérale. Il avait donné sa trousse de secours, mais n'en n'avait pas renversé le contenu, l'ayant simplement ouverte et laissée à côté de la victime.

Le prévenu avait appris de son conseil la gravité des lésions de H______. Il continuait de regretter de l'avoir tué et demandait en permanence pardon à Dieu. Il lui était arrivé de penser à mourir, mais il fallait vivre. Il aurait voulu prendre la place de la jeune victime car, contrairement à elle, il avait déjà vécu la moitié de sa vie. Il a demandé pardon aux parties plaignantes – aux conclusions civiles desquelles il a acquiescé dans le principe, s'en remettant au TCO s'agissant du quantum –, étant précisé qu'il avait rédigé deux courriers à leur attention en cours de procédure. Il savait qu'elles vivaient un véritable drame, qu'il souhaiterait réparer, s'il savait comment faire. Il ignorait comment il pourrait vivre avec ce qu'il avait fait. Il était détruit par la prison.

j.d. A______ a produit en première instance et en appel deux certificats de suivi medico-psychothérapeutique du Service de médecin pénitentiaire de l’Établissement de La Brenaz a teneur desquels la prise en charge, de type pluridisciplinaire, avait débuté le 1er septembre 2023, à la demande du patient, et se poursuivait, celui-ci s’investissant avec assiduité. L’addiction à l’alcool du prévenu et ses liens de nature causale avec son développement affectif, relationnel et professionnel en étaient des axes centraux. A______ se montrait critique envers lui-même, sans chercher à minimiser ses comportements inadaptés et leurs conséquences pour les victimes directe et indirectes. Conjointement avec le Service de réinsertion et du suivi pénal – lequel avait également délivré une attestation de suivi produite devant les premiers juges – il élaborait au sujet d’un avenir en Pologne dans un environnement stable et abstinent. La poursuite d’une prise en charge globale de la santé psychique et physique avec pour objectif l’abstinence totale à l’alcool était souhaitée par l’intéressé (premier certificat, qui mentionne également qu’aucun signe de consommation en détention n'avait été observé) et préconisée (second certificat).

k. Pour K______, A______ travaillait à I______ depuis une vingtaine d'années dans le domaine de l’agriculture. Il avait accepté de l'engager à l'essai, à temps partiel et en fonction de ses disponibilités, à compter du mois de juin 2023, sur proposition de J______, qui n'avait plus assez de travail pour lui. Par la suite, il avait envisagé de le garder à son service et de mettre une chambre à sa disposition. Il devait encore en parler avec J______, pour lequel A______ allait également continuer de travailler. Ce dernier était au courant. Le 14 août 2023, à 19h52, le prévenu l'avait appelé mais il n'avait pas compris ce qu'il souhaitait lui dire, se trouvant sur son tracteur occupé à faucher un champ où le réseau était mauvais. Le témoin ne se souvenait pas exactement de la conversation, d'une durée de quatre minutes et six secondes, mais elle concernait des meubles pour le nouveau logement, et il n'avait pas demandé à son employé de venir, vu l'heure, outre qu’ils devaient se voir le lendemain matin. Du reste, s'il avait attendu son arrivée et ne l'avait pas vu venir, il l'aurait appelé, ce qui n’avait pas été le cas. Lorsqu'ils travaillaient ensemble, A______ et lui prenaient une bière à midi et une à la fin de l'activité ; pour le surplus, il ne l'avait vu consommer que de l'eau.

l. J______ a globalement confirmé les déclarations de A______ et K______ sur l'activité du premier, qu'il avait employé saisonnièrement durant dix ans car il était ponctuel et fiable, une bonne personne. Le 14 août 2023, le prévenu avait travaillé pour lui. Ils avaient chacun bu une bière, non du vin rosé lui semblait-il, pendant le déjeuner, ainsi que mangé un kebab. D'une manière générale, ils prenaient deux bières par jour, lors des pauses de 10h30 et 15h30, et il ignorait si le prévenu en consommait également à midi. Il était convenu que le lendemain matin, l’ouvrier irait s'occuper des chevaux de K______ puis le rejoindrait.

m. Selon ses déclarations, le soir des faits, M______ avait dépassé la G______ de A______ lorsqu'elle s'était engagée devant lui sur la route de Collex à une très faible vitesse, de peut-être 30 km/h (police) ou 45 km/h (MP). Durant la manœuvre, le prévenu avait cependant accéléré, ce qui avait contraint le témoin à faire de même. Il pensait avoir atteint les 60 à 70 km/h (police) ou 70-75 km/h (MP) lorsqu'il s'était rabattu. Il avait alors vu dans son rétroviseur que l'autre conducteur riait. Puis, celui-ci avait entrepris de le dépasser à son tour, de même que les deux véhicules qui le précédaient. Devant le MP, il a estimé la vitesse de dépassement initiale à 90 km/h, précisant que le conducteur devait encore accélérer pour achever la manœuvre avant d'atteindre le premier îlot, ou alors rouler à contre-sens. Après l'accident, dont il n'avait pas été témoin, A______ semblait fortement alcoolisé et était retourné à sa voiture pour prendre sa trousse de secours qu'il avait posée sur le cycliste, ou plutôt en avait déversé le contenu sur lui.

n.a. Alors que N______ circulait sur la route de Collex à la limite de la vitesse autorisée, un véhicule avait surgi « à fond » sur sa gauche, si rapidement qu'elle ne l'avait pas vu arriver ou, dans une autre description, comme « un boulet de canon qui allait fracasser ». Le souvenir du son du moteur était encore traumatisant pour elle à la date de son audition par le MP. Elle avait donné plusieurs coups d'avertisseur, se disant que le conducteur était fou et allait tuer quelqu'un. Il s'était rabattu devant la voiture qui la précédait, avant le premier îlot. Elle avait vu le véhicule faire un sursaut à la hauteur du second. Devant le MP, elle a précisé qu'il devait alors rouler à 100 km/h et était parti en zigzags serrés. Il avait tapé quelque chose, peut-être le trottoir. Elle n'avait pas vu ses feux de freinage s'allumer, ni entendu de bruit de coups de frein. Après l'accident, qu'elle n'avait pas vu, elle avait constaté que le prévenu était "bourré". Il voulait déplacer la victime (police) ou la secouait (MP) et ne s'écartait pas alors même qu'on le lui demandait. Lorsqu'une femme qui s'était mise à prodiguer les premiers soins avait demandé un t-shirt, A______ était retourné à sa voiture et en était revenu avec sa trousse de secours dont il avait renversé le contenu à hauteur des jambes du jeune blessé. Il avait le visage rouge et ne comprenait pas les signes qu'elle lui faisait, marmonnant des sons incompréhensibles.

n.b. Au moment du dépassement, N______ était en train de faire un message vocal. On y entend qu’elle disait qu'il était 20h00 et qu'il faisait 30 degrés, lorsqu’elle avait donné un coup de klaxon et s'était écriée « Il y a un taré qui vient de passer. Il veut tuer des gens lui. Il veut clairement tuer des gens. Mais qu’il se fracasse. Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu… ».

o. Le conducteur du troisième véhicule dépassé par A______, O______, estimait qu'il roulait à ce moment à 55 km/h contre 100 km/h pour la voiture du prévenu, dont le témoin précisera devant le MP que le son du moteur était fort, ce qui indiquait qu'il était monté dans les tours. Le conducteur avait pu se rabattre sans difficulté, le premier îlot étant encore distant de 50 ou 60 mètres, mais O______ l'avait dans son esprit qualifié de « connard », vu le danger représenté par la chicane. A______ avait perdu le contrôle de sa voiture en arrivant à la hauteur de celle-ci (police) ou « chassé de l'arrière » (MP), était parvenu à se reprendre, mais avait de nouveau perdu la maîtrise en atteignant la seconde chicane et avait tapé dans le trottoir. Le témoin avait vu des débris voler mais A______ ne s'était arrêté qu'après 100 à 150 m. Il ne l'avait ni vu ni entendu freiner. Sur les lieux de l'accident, dont il n’avait pas été témoin, A______ était dans un état second, répétant un mot en polonais signifiant possiblement « putain », et présentait des signes extérieurs d’ébriété à sa manière de s’asseoir, de bouger ou de réagir. Lorsque l’infirmière qui prodiguait les soins avait demandé un tissu ou un mouchoir, le prévenu était allé chercher une trousse de secours qu’il avait jetée au sol, de sorte que son contenu s'était éparpillé par terre.

p. P______ occupait la place passager d'une voiture, conduite par son époux, circulant dans le sens inverse. Elle avait observé, en face, un véhicule qui effectuait des zigzags « à la manière d’une Formule 1 ou d’une autre voiture de course » et s'était dit que le chauffeur était fou. La voiture s'était ensuite mise à rouler les deux roues droites sur la bande herbeuse, toujours en zigzagant. Devant le MP elle ajoutera que la vitesse était excessive. Il ne lui semblait pas que le conducteur eût freiné. Lorsqu'elle avait vu le cycliste sur la bande cyclable, elle avait compris ce qui allait inévitablement arriver (police), inexorablement, vu l'absence de freinage et la voiture étant « lancée comme une balle de fusil », ce qui avait été choquant (MP). Le vélo de la victime avait en effet été heurté à l'arrière et celle-ci avait été soulevée dans les airs puis avait rebondi sur le toit. Le témoin avait distinctement entendu le choc, mais aucun son marquant un coup de frein, notamment des crissements de pneu. Au contraire, le moteur de la voiture n'avait cessé de vrombir fort et elle estimait sa vitesse à 80-90 km/h. Vu sa qualité d'infirmière, elle était allée prodiguer les premiers secours et avait constaté que le prévenu, qui était fortement aviné – difficultés de préhension et d'élocution (police), également yeux vitreux et posture avachie (MP) –, tentait de manipuler la victime. Il avait même pris sa tête entre ses mains et lui parlait – devant le MP, elle a indiqué qu'il s'accrochait à elle et lui demandait de se réveiller. Tout au long de son intervention, l'homme avait été envahissant, expliquant ce qu'il fallait faire et empêchant les gestes de la secouriste (police) ou s'était écarté, tout en disant « ce n’est pas comme ça, ce n’est pas comme ça ». À un moment, il était venu jeter une boîte sur les jambes de la victime.

q. Q______ avait entendu son épouse manifester de la surprise à la vue de la « voiture folle », qui tanguait et heurtait les bordures, des deux côtés de la chaussée. Ce témoin a évoqué un « rouleau compresseur », arrivant « à fond », peut-être entre 70 et 80 km/h. L’avant du véhicule avait percuté de plein fouet l’arrière du vélo. Suite à cela, il n'y avait pas eu de bruit de freinage brusque. Lorsque le témoin avait rejoint la victime, le prévenu était accroupi et avait pris sa tête dans ses mains, qu'il manipulait, ainsi que son corps. Il l'avait soulevée et lui avait parlé avant de la reposer. Devant le MP, le témoin ajoutera que le prévenu critiquait les gestes des personnes qui intervenaient. Avec l'aide d'autres personnes, Q______ avait tenu le conducteur à l'écart. Celui-ci était ensuite allé chercher une trousse de secours dans sa voiture et l’avait jetée sur le jeune homme, sans violence. Il semblait éméché et avait des attitudes étranges (police) ou plutôt, il sautait aux yeux qu'il avait bu, compte tenu de sa gestuelle et de sa parole (MP).

r. B______ a exposé que son frère, A______, dont elle était très proche, ne buvait, quand il le faisait, que quelques verres le soir, par exemple une à trois bières, s'il travaillait le lendemain. Il pouvait consommer davantage le week-end et supportait cela. Il avait, cela étant, eu « un petit problème d'alcool pendant un petit mois » en 2023, traversant une période difficile et étant tendu. Il attendait en effet la mise à disposition d'un logement par son employeur, lequel n'était pas clair à ce sujet comme en ce qui concernait son travail pour lui. Tout se bousculait dans la tête de A______. Avant cela, il était reparti en Pologne, mais il n’avait pas réussi à trouver du travail et leur père avait exercé de la pression afin qu'il revînt en Suisse gagner de l’argent. Il était également en pleine procédure de divorce, son épouse l'empêchait d'avoir des contacts avec l’enfant dont il n’était pas le père biologique mais qu'il avait élevé, et il s'était séparé de sa copine.

A______ était un conducteur prudent, et elle n'avait jamais eu peur lors de longs trajets en voiture avec lui. Il avait déjà eu un accident quand il était jeune, raison pour laquelle il ne conduisait jamais s'il avait bu.

Le prévenu lui avait indiqué qu'il avait très peu de souvenirs des faits. Son patron lui avait demandé de venir. Selon lui, il lui avait pourtant dit qu'il avait bu. Elle était sûre qu’il avait roulé vite ; « il était en colère ». À son retour de vacances, elle avait trouvé la lumière ainsi que la machine à laver allumées et constaté que son frère avait omis de prendre ses effets (porte-monnaie, téléphone, sac), de sorte qu'elle pensait qu'il était parti dans la précipitation.

Il avait toujours les yeux en larmes quand ils évoquaient l'accident, répétant qu’il n'avait pas voulu tuer ce garçon et n'avait pas fait exprès. Il était décidé à ne plus toucher à l’alcool et se sentait très mal. Il souhaitait s’excuser auprès de la famille, mais celle-ci ne voulait rien entendre de lui.

s. Les parents et la sœur du défunt ont évoqué leur intolérable souffrance :

s.a. La maman avait appris le décès de son enfant par un communiqué de presse du MP. À l’hôpital, il avait fallu passer par la difficile discussion de l’arrêt des soins. La famille avait encore traversé une épreuve supplémentaire en apprenant que le cerveau de H______ avait été prélevé lors de l’autopsie – un échange de courriels entre le conseil de D______ et le Centre universitaire de médecine légale atteste de ce que cette circonstance l’avait particulièrement perturbée. D______ avait été en arrêt de travail durant quatre mois puis avait dû reprendre son activité de secrétaire pour le garage familial, en raison des contraintes liées à la couverture d’assurance, mais se contentait de tenir la comptabilité depuis son domicile. La procédure était une bataille, dont elle espérait voir la fin lors des débats de première instance. Elle ne pourrait jamais pardonner l’homme qui, par sa faute, avait détruit la famille. Ils ne faisaient que tenter de survivre, « dans une vie parallèle ».

À teneur d’une attestation de suivi psychologique du 30 janvier 2025, D______ présentait, depuis le décès de son fils, des symptômes marqués de choc post-traumatique (flashbacks et cauchemars récurrents liés à l’accident), des sentiments de colère, tension, révolte, ne pas être entendue et considérée, des difficultés d’endormissement, des pleurs et de la tristesse, de l’anxiété, notamment une peur constante pour ses enfants et une absence de confiance dans la vie.

s.b. Son époux devait passer tous les jours devant les lieux de l’accident, sis à 700 mètres du domicile familial. Après un arrêt maladie d’un mois, il avait repris son activité au garage, à 50%, puis à 100% depuis le mois de décembre 2023. Il dormait peu, ne suivait pas de thérapie mais s’entretenait au téléphone avec un ami médecin. Désormais, il « rusait et jonglait avec la vie ». Toute la famille avait perdu le sourire et en avait pris « à perpétuité ». E______ avait été bouleversé de recevoir les effets de son fils dans un sac poubelle.

H______ avait été admis à [la Haute école de] R______. Il avait été le pilier de la famille et il manquait « un pied à une table ». Il était un être solaire.

s.c. F______ a relaté que son frère, indispensable dans sa vie et dont elle avait été très proche, et elle avaient projeté d’effectuer ensemble leurs études universitaires, lui en mathématiques. Elle avait dû commencer ce parcours seule, à l’automne 2023 et avait été perturbée par la confrontation à des cas de conduite en état d’ébriété abordés en cours, de sorte qu’elle avait pris une année de pause. Ses parents l’avaient envoyée à l’étranger pour lui permettre de prendre un peu de distance, de « respirer » mais cela n’avait pas suffi. Elle avait des insomnies, de l’hyporexie, faisait des cauchemars et était sous traitement médicamenteux. Le plus jeune de la fratrie, fusionnelle, ne parvenait pas à intégrer que H______ était parti ou à en parler, et elle se battait désormais pour lui. H______ avait souffert tout au long de son agonie. Il était « parti sans son cerveau, sans ses cheveux, sans son tatouage et il n'avait plus son visage, il n'avait plus rien ».

L’attestation de la psychologue produite en première instance évoque un suivi depuis la mi-octobre 2024, la patiente présentant des signes de stress post-traumatique chronique (souvenirs envahissants, irritabilité, difficultés de concentration et mémorisation nuisant aux études, évitement des activités précédemment partagées avec son frère, tendance à fuir le contact avec les émotions et sommeil perturbé par des épisodes de stress intense). Elle était également affectée par des symptômes du trouble du deuil prolongé (profonde douleur face à la perte de son frère, engourdissement émotionnel, sentiment d’avoir perdu une partie d’elle-même et grande difficulté à accepter la mort). F______ se sentait perdue, peinait à retrouver un sens à son parcours académique et s’isolait socialement. Le quotidien était particulièrement éprouvant à la date de l’établissement de l’attestation, en raison de la réactivation du traumatisme induite par l’imminence des débats.

t. Des amis de la famille ont témoigné en première instance notamment du caractère solaire du défunt, de sa proximité avec ses parents et sa sœur et de la profondeur de la souffrance de chacun.

u.a. Le MP a mis en œuvre une expertise technique réalisée par S______ SA [centre d'expertises de sécurité routière]. À ce stade de la procédure, on rappellera qu’il en résulte en substance que :

- la distance entre le choc contre la bordure et la collision avec le cycliste était d’au minimum 73.5 mètres ;

- aucune trace de freinage n’avait été relevée ;

- lors de la collision, la vitesse de l’automobiliste pouvait être estimée à 70 km/h au minimum, 85 km/h au maximum, et celle du cycliste entre 20 et 25 km/h ;

- faute d’éléments permettant d’identifier quel avait été le comportement du prévenu avant la collision (accélération[s] ; vitesse constante ; freinage[s]), seules des suppositions étaient possibles s’agissant de la vitesse de la voiture sur les quelques 73 mètres ayant séparé le choc contre la bordure et l’accident mortel ; la vitesse initiale pouvait être estimée entre 93 km/h (pas de freinage mais décélération après le choc avec la bordure et vitesse au moment de l’accident de 85 km/h), voire moins, et 124 à 133 km/h (en cas de freinage maximal sur toute la distance).

u.b. Lors de son audition par le MP, l’auteur du rapport a précisé qu’à une vitesse maximale de 124-133 km/h et vu son taux d’ébriété, le prévenu se serait exposé à un fort risque de perte de maîtrise à l’approche du second îlot ; il en était de même en prenant en considération une vitesse inférieure, la rapidité à braquer ou tourner le volant étant déterminante. À une vitesse normale, un conducteur était en mesure d’arrêter son véhicule sur 70 mètres, soit, dans le cas présent, éviter d’emboutir le cycliste. En revanche, à 120 km/h cela était impossible. A______ aurait également pu éviter l’accident en quittant plus rapidement la bande herbeuse mais encore eût-il fallu qu’il perçût la présence du cycliste, étant rappelé qu’à partir d’un taux de 0.5 ‰, le temps de réaction était augmenté de 50% ce qui aurait été déjà trop. Il n’y avait pas d’étude du taux de réaction pour un taux d’alcoolémie supérieur à 2 ‰.

On ne pouvait pas exclure que le prévenu eût freiné du fait qu’aucune trace l’attestant n’avait été observée, car la police pouvait en avoir manqué et, en tout état, cela n’était pas toujours visible.

En l’absence de freinage, mais le pied levé, la vitesse de 80 à 93 km/h était la plus plausible au moment du choc contre la bordure en béton.

u.c. Dans un rapport complémentaire, l’expert a retenu que, pour pouvoir éviter d’emboutir la victime sans autre action que celle de lever le pied, A______ eût dû rouler au plus à 44 km/h au moment où il avait touché la bordure en béton. En revanche, s’il avait actionné le frein suite audit choc, avec un temps de réaction 1.5 seconde vu l’état d’ébriété, il aurait pu éviter l’accident avec une vitesse initiale d’au maximum 79 km/h.

La vitesse maximale théorique permettant de négocier le passage du second îlot était d’environ 102 km/h de sorte qu’une vitesse élevée n’expliquait pas le heurt de la bordure. Du reste, aucune action sur le volant n’étant nécessaire si l’automobiliste serrait à droite de l’îlot, sur une ligne dès lors pratiquement droite.

v. Bien que cela ne modifie pas l’issue de la cause, il sera encore précisé que la juridiction d’appel a constaté, sur une image satellite consultée sur Internet (Carte de I______ de satellite // Suisse, Canton de Genève), que la bande cyclable garnit la chaussée déjà avant les deux îlots, en provenance de [la route de] Valavran. Elle paraît s’interrompre à une hauteur dissimulée, sur l’image, par des arbres et reprend après le second îlot.

C. a. Lors des débats d’appel, A______ a dit avoir compris que ce qu’il avait commis était « très mauvais ». Aujourd’hui, il ne se comporterait pas de la sorte, mais à l’époque des faits, il buvait beaucoup, il était alcoolique. Il était exact qu’il s’était fixé pour règle de ne pas conduire s’il avait consommé davantage qu’une bière de 33 cl, afin de respecter la loi et a concédé, non sans difficulté, qu’il connaissait la raison d’être de la limitation légale. Lorsque K______ l’avait appelé, il avait pensé qu’il « devait » aller le voir. Ils étaient censés parler de son travail et de son logement et il ignorait pourquoi il s’était dit que cela devait se faire aussitôt. Le prévenu a d’abord affirmé qu’il savait pertinemment qu’il avait bu plus qu’une petite bière mais qu’il était encore en bon état au moment de sortir de chez lui et connaissait bien la route de sorte qu’il était certain qu’il n’y aurait pas d’accident puis a expliqué qu’il n’avait pas eu une telle réflexion et s’était ainsi exprimé dans l’intention de répondre aux questions de la Cour. En définitive, il pouvait uniquement dire qu’il avait commis la plus grande erreur de sa vie en prenant le volant alors qu’il avait consommé de l’alcool. Il a concédé s’être énervé lorsque M______ l’avait dépassé et ne se souvenait pas pour quel motif il ne l’avait pas dit à la police. Il ne s’était pas arrêté lorsqu’il s’était retrouvé les deux roues droites sur la bande herbeuse parce que cela était arrivé très vite, en une ou deux secondes, et qu’il ne s’était rendu compte ni de ce que son pneu avait éclaté ni de ce qu’il roulait sur l’herbe. Se voyant rappeler ses précédentes déclarations, il a confirmé avoir également craint d’être embouti par les véhicules circulant derrière lui. Il comprenait qu’on lui reprochait non pas d’avoir intentionnellement tué H______ mais bien d’avoir roulé dans des circonstances telles qu’il devait se rendre compte de ce que quelque chose de ce genre pourrait arriver, et il était d’accord avec cela. Néanmoins, lorsqu’il avait initié la manœuvre de dépassement, il se sentait « bien » et n’avait pas envisagé qu’il pourrait causer un accident.

Il souhaitait totalement indemniser la famille de la victime mais n’y parviendrait pas. Il lui demandait « très profondément » pardon, conscient de ce qu’elle traversait par sa faute. Il vivait lui-même des moments difficiles, mais ce n’était pas comparable. Il était mort avec H______. Un jour, il sortirait de cet enfer et trouverait une façon de réparer.

b. À la demande de la Cour, D______ a confirmé qu’aussi bien H______ que F______ vivaient encore avec leurs parents à la date de l’accident. H______ n’était plus là en chair et en os mais il était constamment présent. Toute la famille avait été détruite. F______ et T______ ne parvenaient pas à parler de leur frère, car cela était trop douloureux. Ils vivaient tous dans un « monde parallèle », il manquait une « pièce du puzzle », qui ne sera pas restituée, mais ils souhaitaient que quelque chose de positif sorte de ce qu’il était arrivé, que H______ devînt un modèle, fit jurisprudence, les personnes capables de conduire en état d'ébriété ou en excès de vitesse y renonçant par crainte de la sanction. Le défunt était un battant, et, à son image, sa famille voulait aller jusqu’au bout, même si cela lui causait une énorme souffrance.

c.a. La défense persiste dans ses conclusions, ajoutant qu’elle s’oppose au prononcé de l’expulsion et plaide la circonstance atténuante du repentir sincère.

Le conseil des parties plaignantes et le MP concluent au rejet de l’appel, le premier produisant une note d’honoraires au titre de conclusions en indemnisation pour la procédure d’appel.

c.b. Les arguments plaidés seront discutés au fil des considérants qui suivent, dans la mesure de leur pertinence.

D. a. A______, est né le ______ 1980 en Pologne, dont il est originaire. Il est divorcé, sans enfant. Son père est le seul membre de sa famille vivant encore en Pologne, tandis que sa sœur demeure toujours à L______, avec son époux. Tous deux lui rendent visite en prison.

Le prévenu a suivi une scolarité obligatoire puis une formation de mécanicien, sanctionnée d’un diplôme. Ainsi que déjà évoqué, il partageait, à la date de son interpellation, son temps entre la Pologne et la Suisse depuis 2010, travaillant en qualité d’ouvrier agricole saisonnier, et réalisant, en dernier lieu, un salaire horaire net de l’ordre de CHF 20.- à 25.-. Il a obtenu un permis de séjour délivré par le Canton de Neuchâtel en août 2022.

Il a indiqué avoir commencé à boire de l’alcool à l’âge de 20 ans et que sa consommation est devenue problématique lorsqu’il a connu des difficultés conjugales. Selon ses déclarations et les certificats de suivi produits, il reconnaît aujourd’hui qu’il souffre d’alcoolisme, est abstinent durant sa détention et se dit déterminé à le rester ainsi qu’à poursuivre la thérapie. Il présente en outre une obésité de grade I, un diabète de type 2 non insulino-requérant et mentionne un traitement médicamenteux visant à maitriser le taux de cholestérol, à soulager des troubles du sommeil, ainsi qu’un état dépressif.

A______ est affecté, à tout le moins depuis l’audience de première instance, à l’atelier boulangerie de son lieu de détention.

Après avoir évoqué, devant les premiers juges, un projet d’entreprise de pêche, en Pologne, voire en Suisse, il a indiqué en appel souhaiter désormais « venir en aide aux personnes qui rencontrent des problèmes sur la route » c’est-à-dire faire du dépannage automobile, ce dans son pays natal.

b. A______ n’a pas d’antécédent inscrit au casier judiciaire suisse.

Il a spontanément évoqué en cours de procédure une condamnation consécutive à un accident qu’il avait causé en Pologne, à l’âge de 24 ans. Selon sa description, il avait conduit en état d’ébriété (1 ‰), sur une route enneigée, et percuté une statue, subissant une fracture à la main. Il s’était vu infliger une peine privative de liberté avec sursis pendant deux ans, outre un retrait de permis de même durée. Il l’avait récupéré après cinq ans, réussissant l’examen à la première tentative.

E. Le défenseur d’office du prévenu dépose un état de frais pour la procédure d’appel facturant des opérations pour un total de 14 heures et 30 minutes dont 30 minutes de rédaction de l’annonce [recte : déclaration] d’appel, outre des débours par CHF 70.- (facture HUG). Les débats ont duré quatre heures. En première instance, il avait été taxé pour près de 95 heures d’activité.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La juridiction d’appel n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. À raison, l’appelant ne conteste pas sa condamnation des chefs de violation fondamentale des règles de la circulation routière (art. 90 al. 3 LCR) et conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 al. 2 let. a LCR). Il est ainsi acquis que, comme retenu dans le jugement non entrepris à cet égard, le 14 août 2023 aux environs de 20h00, le prévenu :

- a conduit alors qu’il présentait un taux d'alcool minimal dans le sang d’au moins 2.08 g/kg (cf. cependant infra consid. 3.4 pour une discussion plus ample du taux d’alcool) ;

- a entrepris un dépassement téméraire de trois véhicules ;

- s’est rabattu de manière peu contrôlée et sans freiner, avant un premier îlot formant une chicane sur la route ;

- a percuté une bordure en béton à la hauteur d’un second îlot, alors qu’il circulait à une vitesse de 80 à 93 km/h sur un tronçon limité à 60 km/h, et perdu la maîtrise de sa voiture ;

- a continué de rouler, sans aucun contrôle de sa voiture, dont les jantes et un pneu avaient été endommagés suite audit heurt, partiellement sur une bande herbeuse longeant la droite de la chaussée, sur une distance de 73,5 mètres, sans freiner, à une vitesse d’au moins 70 km/h ;

- a percuté le cycliste H______ qui roulait normalement sur la bande cyclable devant lui, le blessant mortellement.

3. 3.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

3.2.1. L'art. 111 CP réprime le comportement de la personne qui en aura intentionnellement tué une autre. Sur le plan subjectif, l'auteur doit avoir l'intention de causer par son comportement la mort d'autrui, le dol éventuel suffisant.

Quant à lui, l'art. 117 CP envisage le comportement de la personne qui aura également causé la mort, mais par sa négligence. Cette disposition suppose donc la réunion de trois conditions : le décès d'une personne, une négligence et un lien de causalité entre la négligence et la mort (ATF 122 IV 145 consid. 3 ; arrêt du tribunal fédéral 6B_1371/2017 du 22 mai 2018 consid. 1.1).

3.2.2. Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 ; ATF 133 IV 9 = JdT 2007 I 573 consid. 4.1 131 IV 1 consid. 2.2 ; 130 IV 58 consid. 8.2). Le dol éventuel peut aussi être retenu lorsque l'auteur accepte par indifférence que le danger créé se matérialise ; le dol éventuel implique ainsi l'indifférence de l'auteur quant à la réalisation de l'état de fait incriminé (Ph. GRAVEN / B. STRÄULI, L'infraction pénale punissable, 2e éd., Berne 1995, n. 156 p. 208).

Pour déterminer si un comportement imprévoyant doit être qualifié de dol éventuel et, en conséquence, être puni comme une infraction intentionnelle, il faut déterminer si l'auteur s'est accommodé de la survenance d'un fait qui n'est pas soumis à son contrôle direct, comme en particulier d'un résultat ; en l'absence d'aveux convaincants, il faut se fonder principalement sur les circonstances extérieures du cas d'espèce, et en particulier sur l'importance de la probabilité que survienne le résultat en cause dans le cas d'un comportement du type de celui commis par l'auteur, et sur la gravité de la violation par celui-ci de son devoir de prudence ; ses mobile(s) et la manière dont l'acte a été commis peuvent également constituer des éléments révélateurs. Plus la survenance de la réalisation des éléments constitutifs objectifs de l'infraction est vraisemblable et plus la gravité de la violation du devoir de prudence est importante, plus sera fondée la conclusion que l'auteur s'est accommodé de la réalisation de ces éléments constitutifs, malgré d'éventuelles dénégations. Ainsi, le dol éventuel peut notamment être retenu lorsque la réalisation du résultat devait paraître suffisamment vraisemblable à l'auteur pour que son comportement ne puisse raisonnablement être interprété que comme une acceptation de ce risque (ATF 147 IV 439 consid. 7.3.1 ; 137 IV 1 consid. 4.2.3 ; 134 IV 26 consid. 3.2.2 ; 133 IV 222 consid. 5.3 ; 133 IV 1 consid. 4.1 ; 130 IV 58 consid. 8.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_62/2023 du 7 juin 2024 consid. 2.2.2).

Cette interprétation raisonnable doit prendre en compte le degré de probabilité de la survenance du résultat de l'infraction reprochée, tel qu'il apparaît à la lumière des circonstances et de l'expérience de la vie (ATF 133 IV 1 consid. 4.6). La probabilité doit être d'un degré élevé car le dol éventuel ne peut pas être admis à la légère (ATF 133 IV 9 consid. 4.2.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 6S_127/2007 du 6 juillet 2007 consid. 2.3 – relatif à l'art. 129 CP – avec la jurisprudence et la doctrine citées).

Le dol éventuel est une forme d'intention, qui se distingue de la négligence consciente sur le plan volitif, non pas cognitif. En d'autres termes, la différence entre le dol éventuel et la négligence consciente réside dans la volonté de l'auteur et non dans la conscience. Dans les deux cas, l'auteur est conscient que le résultat illicite pourrait se produire, mais, alors que celui qui agit par négligence consciente escompte qu'il ne se produira pas, celui qui agit par dol éventuel l'accepte pour le cas où il se produirait (ATF 133 IV 9 consid. 4 ; 125 IV 242 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_268/2020 du 6 mai 2020 consid. 1.3).

La distinction entre le dol éventuel et la négligence consciente peut parfois s'avérer délicate, notamment parce que, dans les deux cas, l'auteur est conscient du risque de survenance du résultat. En l'absence d'aveux de la part de l'auteur, la question doit être tranchée en se fondant sur les circonstances extérieures, parmi lesquelles figurent la probabilité, connue de l'auteur, de la réalisation du risque et l'importance de la violation du devoir de prudence. Plus celles-ci sont élevées, plus l'on sera fondé à conclure que l'auteur a accepté l'éventualité de la réalisation du résultat dommageable. Peuvent aussi constituer des éléments extérieurs révélateurs, les mobiles de l'auteur et la manière dont il a agi (ATF 133 IV 9 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_268/2020 du 6 mai 2020 consid. 1.3).

3.2.3. En cas d'accident de la circulation routière ayant entraîné des lésions corporelles et la mort, le dol éventuel ne doit être admis qu'avec retenue, dans les cas flagrants pour lesquels il résulte de l'ensemble des circonstances que le conducteur s'est décidé en défaveur du bien juridiquement protégé. Si tel est en principe le cas en présence d'une course-poursuite, lorsque les circonstances permettaient de retenir que la perte de maîtrise du véhicule par l'auteur était inévitable ou que l'issue fatale dépendait du hasard (arrêt du Tribunal fédéral 6B_987/2017 du 12 février 2018 consid. 3.2), on sait aussi, par expérience, que les conducteurs sont enclins, d'une part, à sous-estimer les dangers et, d'autre part, à surestimer leurs capacités, raison pour laquelle ils ne sont pas conscients, le cas échéant, de l'étendue du risque de réalisation de l'état de fait (ATF 133 IV 9 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019 du 2 avril 2019 consid. 5.1 et références citées). En outre, par sa manière risquée de conduire, un conducteur peut devenir sa propre victime. C'est pourquoi, en cas de conduite dangereuse, par exemple en cas de manœuvre de dépassement téméraire, on admet en principe qu'un automobiliste, même s'il est conscient des conséquences possibles et qu'il y a été rendu formellement attentif, pourra naïvement envisager – souvent de façon irrationnelle – qu'aucun accident ne se produira. L'hypothèse selon laquelle le conducteur se serait décidé en défaveur du bien juridiquement protégé et n'envisagerait plus une issue positive au sens de la négligence consciente ne doit par conséquent pas être admise à la légère (ATF 130 IV 58 consid. 9.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019 du 2 avril 2019 consid. 5.1).

3.2.3.1. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a admis le meurtre par dol éventuel dans les cas suivants :

-          il a jugé que, à l’instar de celui qui perd la maitrise de son véhicule lors d’une course-poursuite ou entreprend un dépassement « à l’aveugle » sur une route sinueuse (cf. infra), un conducteur avait consciemment et volontairement adopté un comportement qui rendait l'issue fatale inévitable, la survenance du décès d’un piéton ayant essentiellement dépendu du hasard, dans une situation où il avait conduit à une vitesse très excessive et s'était livré à une course-poursuite en pleine ville, utilisant la route comme terrain de jeu, en cherchant à comparer ses talents de conducteur et la puissance de son véhicule à ceux de son rival. Cet objectif avait primé les conséquences possibles, à savoir la mort d'un tiers, mais également la propre sécurité du recourant et celle de son passager (arrêt du Tribunal fédéral 6B_987/2017 du 12 février 2018 consid. 3.2) ;

-          lors d'une course-poursuite improvisée entre deux véhicules dans le canton de Lucerne, un conducteur avait tenté de dépasser l'autre à l'entrée d'un village à une vitesse comprise entre 120 et 140 km/h, perdu la maîtrise de son véhicule et percuté deux piétons qui étaient décédés. À cette vitesse et au vu des circonstances, la perte de maîtrise était inévitable. De plus, il fallait s'attendre à la présence de piétons sur la chaussée, les faits s'étant déroulés un vendredi soir en été, de sorte que le meurtre par dol éventuel avait été retenu pour les deux conducteurs en tant que co-auteurs (ATF 130 IV 58 consid. 9.1.1) ;

-          dans le cadre d'une course-poursuite décidée à l'avance sur une autoroute dans le canton de Zurich, le conducteur se trouvant en première position avait freiné, à l'approche d'une sortie d'autoroute, et, en appuyant plusieurs fois sur la pédale de frein, indiqué à l'autre participant qu'il fallait ralentir en raison de la présence d'un véhicule roulant à la vitesse réglementaire devant lui. Toutefois, le prévenu avait dépassé les deux véhicules par la droite, sur la bande d'arrêt d'urgence, à une vitesse entre 170 et 200 km/h, perdu la maîtrise de son véhicule, heurté la glissière de sécurité des deux côtés et fait plusieurs tonneaux avant de s'arrêter, son passager étant décédé sur le coup. Dans ces circonstances, le conducteur, qui connaissait les lieux et qui avait pour seul but de sortir vainqueur de la course, ne pouvait ignorer qu'à cette vitesse et sur ce virage, il perdrait la maîtrise de son véhicule (arrêt du Tribunal fédéral 6S_114/2005 du 28 mars 2006 consid. 1.2) ;

-          s'étant laissé entraîner dans une course-poursuite par un inconnu, qu'il suivait de trop près sur une route sinueuse, de jour, avec de la circulation, un conducteur avait perdu la maîtrise de son véhicule en raison de sa vitesse excessive ou d'un coup de volant, puis percuté une voiture venant en sens inverse, occasionnant la mort de l'occupant de ce véhicule et de sa propre passagère, qui lui avait demandé de cesser la course à plusieurs reprises. L'inexpérience du prévenu, la vitesse et la sinuosité de la route faisaient qu'il ne pouvait pas sérieusement compter sur sa capacité à éviter l'issue fatale, qui ne dépendait ainsi que du hasard (arrêt du Tribunal fédéral 6B_168/2010 du 4 juin 2010 consid. 1.4) ;

-          en plein jour, sur une route sinueuse et sans visibilité menant à un col, un automobiliste avait pris un virage « à l'aveugle » et percuté un motard venant en sens inverse, décédé sur les lieux. Il avait fumé du cannabis la veille et commis de nombreuses violations de la LCR avant l'accident, soit conduire au-dessus des limitations de vitesse, accélérer et freiner brusquement, effectuer plusieurs manœuvres de dépassement téméraires et sans respecter la distance de sécurité avant ni après lesdits dépassements, malgré les protestations de ses passagers. Au vu des circonstances, corroborées par une expertise, il était objectivement impossible qu'il pût réagir et éviter un autre usager de la route sur ce virage, sauf à renoncer à sa manœuvre de dépassement, de sorte que l'issue fatale ressortait du seul hasard (arrêt du Tribunal fédéral 6B_411/2012 du 8 avril 2013 consid. 1.4) ;

-          dans le cadre d'une course-poursuite nocturne, trois automobilistes avaient parcouru une longue distance à très vive allure, sans respecter les principes de prudence, en se dépassant réciproquement à diverses reprises, ainsi que d'autres usagers de la route. Alors que les deux autres se trouvaient sur un autre tronçon, l'un des participants avait percuté, à une vitesse comprise entre 101 et 116 km/h, une voiture qui venait en sens inverse et avait bifurqué sur sa voie pour tourner à gauche, tuant l'un de ses occupants. Le prévenu avait constaté la présence de ce véhicule 130 mètres avant l'impact, alors qu'il roulait entre 116 et 129 km/h, et n'avait pas freiné, partant du principe que le conducteur attendrait avant de s'engager sur sa voie. En s'abstenant de freiner alors que cette manœuvre aurait permis, selon un rapport d'expertise, d'éviter la collision, il avait laissé au hasard la survenance de l'issue fatale (arrêt du Tribunal fédéral 6B_463/2012 du 6 mai 2013 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral a par ailleurs confirmé le verdict de culpabilité pour homicide par négligence, en tant que co-auteur, rendu à l'encontre de l'un des autres participants à la course-poursuite. Ce conducteur, bien qu'il n'eût pas directement causé l'accident, avait contribué à sa survenance de manière causale en influençant la manière de conduire de son comparse, puisqu'il roulait avec ce dernier à grande vitesse et sans respecter les distances de sécurité quelques 740 mètres avant le lieu de l'accident, de sorte que ses actes étaient étroitement liés à l'accident sur le plan temporel et géographique (arrêt du Tribunal fédéral 6B_461/2012 du 6 mai 2013 consid. 5.2 et 5.4).

3.2.3.2. L'intention de tuer par dol éventuel a en revanche été niée dans les affaires suivantes :

-          un conducteur avait pris le volant malgré un taux d'alcoolémie entre 1,94 et 2,15 g/kg, perdu la maîtrise de son véhicule en raison de son ivresse, percuté un véhicule circulant normalement en sens inverse sur un tronçon rectiligne et tué ses deux occupants. Il avait connaissance de sa dépendance à l'alcool puisqu'il avait été condamné à une reprise pour ivresse au volant et qu'il admettait avoir conduit sous l'effet de l'alcool à environ 45 reprises au cours des quatre dernières années. Il faut préciser cependant que seule la peine restait litigieuse devant le Tribunal fédéral, lequel a relevé qu'il s'agissait d'un cas limite entre l'homicide par négligence retenu en l'espèce et le meurtre par dol éventuel (arrêt du Tribunal fédéral 6S_85/2003 du 8 septembre 2003) ;

-          un conducteur avait volontairement heurté latéralement, par vengeance, une voiture à plus de 100 km/h sur une autoroute sèche, plate, rectiligne et dégagée, de nuit, étant précisé que les deux véhicules circulaient entre 100 et 120 km/h. L'accusé était fondé à croire que la victime serait en mesure, par exemple grâce à son habileté, de stabiliser sa voiture partie en léger dérapage à la suite de la collision, ce qu'il était d'ailleurs parvenu à faire en quelques secondes, si bien que la collision n'avait pas eu de conséquences, hormis de légers dégâts matériels. La non-survenance de l'état de fait punissable, c'est-à-dire le décès d'une personne, ne dépendait donc pas exclusivement ou principalement de la chance et du hasard, de sorte que seules les conditions d'une mise en danger de la vie d'autrui étaient réalisées, à l'exclusion de la tentative de meurtre par dol éventuel (ATF 133 IV 1, in JdT 2007 I 566 consid. 4.3 et 4.5) ;

-          le prévenu, qui circulait en dehors d'une localité sur un tronçon rectiligne limité à 80 km/h avec une bonne visibilité, avait volontairement accéléré à une vitesse entre 102 et 114 km/h pour éviter qu'un autre conducteur ne le dépasse. Celui-ci n'avait toutefois pas interrompu son dépassement alors qu'une voiture s'approchait en sens inverse, mais avait également accéléré, ce qui avait entraîné une collision frontale entre le véhicule dépassant et celui qui venait en sens inverse, les conducteurs des voitures entrées en collision étant décédés, sans compter d'autres blessés. Le prévenu, qui s'était lui-même mis en danger par son comportement, comptait sur le fait que l'autre conducteur abandonnerait le dépassement, ce qui aurait dû être sa réaction naturelle puisqu'il lui était loisible de freiner et de renoncer à sa manœuvre (ATF 133 IV 9 consid. 4.2.5) ;

-          un automobiliste roulait entre 130 et 140 km/h sur une route secondaire comportant un virage large suivi d'un tronçon rectiligne ; après avoir perdu la maîtrise de son véhicule, ce dernier était violemment entré en collision avec un pilier en béton, occasionnant la mort de son neveu qui se trouvait à bord. Le meurtre par dol éventuel ne pouvait pas être retenu, parce que le conducteur connaissait bien la configuration de la route à cet endroit et que le véhicule et la chaussée ne rendaient pas inéluctable le dérapage survenu, comme le démontrait la reconstitution effectuée « sans grand problème » par un policier à 120 km/h. Ainsi, la réalisation du risque ne dépendait pas du hasard ou de la chance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_519/2007 du 29 janvier 2008 consid. 3.2) ;

-          un conducteur roulant avec une voiture puissante à 188 km/h sur une route limitée à 100 km/h, avait évité de peu une collision avec un automobiliste venant en sens inverse, puis avait perdu la maîtrise de son véhicule et était sorti de la route, ses deux passagers étant décédés. Selon l'expert mis en œuvre, la perte de maîtrise du véhicule n'était en l'occurrence pas inéluctable (ATF 136 IV 76), la qualification de meurtre par dol éventuel n'ayant pas été soumise au Tribunal fédéral, seule restant litigieuse la question du concours entre homicide par négligence et mise en danger de la vie d'autrui ;

-          dans un arrêt 6B_454/2016 du 20 avril 2017, confirmant un arrêt AARP/551/2015 de la CPAR du 15 décembre 2015, le Tribunal fédéral a conclu que la dernière instance cantonale n'avait pas violé le droit fédéral en excluant le meurtre par dol éventuel pour deux conducteurs ayant à Vernier, au petit matin, accéléré de manière presque constante sur une distance d'environ 525 mètres sur les routes du Nant-d'Avril et de Vernier, jusqu'à des vitesses de plus de 100 km/h dans une zone limitée à 60 km/h, entre un feu de signalisation et le lieu de la collision, tout en ralentissant quelque peu leur allure à l'endroit où les voies de circulation s'incurvaient légèrement sur la droite, l'un des conducteurs refusant catégoriquement de se laisser dépasser tandis que l'autre essayait à tout prix d'effectuer un dépassement par la droite puis par la gauche. La CPAR avait exclu au vu des particularités du cas d'espèce l'existence d'une course-poursuite, à savoir des conducteurs qui ne se connaissaient préalablement pas, l'absence de consensus – même tacite – entre eux sur ce point et la brièveté du parcours, inférieur à 400 mètres, durant lequel ils avaient circulé de façon rapprochée. Aucun élément de la procédure ne permettait par ailleurs de retenir qu'en l'absence d'une collision, les prévenus auraient poursuivi leur parcours.

3.3. En l’espèce, il est vrai que plusieurs éléments, mis en exergue par le MP et les parties plaignantes, sont particulièrement défavorables à l’appelant :

-          celui-ci était parfaitement informé, comme tout conducteur – et même la plupart des non-conducteurs – de ce qu’il est interdit de conduire en état d’ébriété parce que cela rend la conduite dangereuse. Il l’était même mieux que le conducteur ordinaire, ayant déjà causé un accident en état d’ébriété et ayant de ce fait été sanctionné pénalement ainsi que d’un retrait de permis. Il s’était d’ailleurs fixé pour règle de ne pas consommer davantage qu’une bouteille de bière de 33 cl avant de conduire. Or, il était conscient, le soir du 14 août 2023, de ce qu’il avait largement dépassé cette limite. Il sied de rappeler qu’il a été en mesure de décliner avec une certaine précision sa consommation de la journée (deux bières ou verres de rosé avant son retour à domicile ; quatre à six bières et une bonne partie d’une bouteille de Gewurztraminer ensuite). Il a d’ailleurs concédé s’être dit qu’il allait conduire « doucement » et c’est ce qu’il faisait lorsque le témoin M______ l’a dépassé. Nonobstant les effets de l’alcool (cf. infra consid. 3.4), l’appelant était donc encore en mesure de tenir le raisonnement très simple consistant à se dire qu’il ne devait pas prendre le volant car il avait trop ingéré. Il l’a néanmoins fait ;

-          la manœuvre de dépassement entreprise par l’appelant paraît avoir été dictée par la colère consécutive au fait qu’il avait lui-même été doublé par le témoin M______. Cette manœuvre était injustifiée, les véhicules dépassés circulant au maximum de la vitesse autorisée, et téméraire vu 1) l’état d’ébriété du conducteur, 2) le nombre de voitures – trois – à dépasser, 3) la vitesse qu’il a adoptée pour l’exécuter, 4) la proximité de la chicane formée par le premier îlot, lequel abrite de surcroît un passage pour piétons, configuration connue de lui. Comme plaidé du côté de l’accusation et des parties plaignantes, le mots utilisés par deux des conducteurs dépassés, ainsi que l’audio versé au dossier, sont particulièrement évocateurs (l’appelant avait « surgi à fond », comme « un boulet de canon qui allait fracasser » [N______] ; le prévenu méritait le qualificatif de « connard » vu le danger représenté par la chicane et, s’il était parvenu à se rabattre «sans difficulté », il avait néanmoins « chassé de l'arrière » ; en abordant l’îlot [O______] ; « Il y a un taré qui vient de passer. Il veut tuer des gens lui. Il veut clairement tuer des gens. Mais qu’il se fracasse. Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu… » [audio N______]) ; pour sa part, le témoin M______ a estimé la vitesse de dépassement initiale à 90 km/h et a pensé que le prévenu devrait encore accélérer pour parvenir à achever la manœuvre avant d'atteindre l’îlot, ou alors rouler à contre-sens ;

-          passé cette première difficulté, l’appelant ne s’est pas ressaisi : il n’a pas ou guère – n’ayant en tout cas pas freiné – ralenti et a abordé la seconde chicane à une vitesse de 80 à 93 km/h, toujours largement supérieure à celle autorisée. Certes, à dire d’expert, il était théoriquement possible de passer l’aménagement à une telle vitesse ou même à 102 km/h, mais il demeure que la roue avant droite du prévenu a alors heurté la bordure en béton, avec une telle force que les deux jantes ont été déformées et que le pneu a éclaté. Vu, justement, l’indication de l’expert sur la faisabilité théorique – non légale – de la manœuvre, ce choc ne peut que s’expliquer par l’alcoolisation de l’appelant, qui affectait sa capacité de conduire ;

-          l’intéressé a encore roulé sur 73.5 mètres, partiellement en dehors de la chaussée, sans freiner, roulant à une vitesse d’au moins 70 km/h, étant rappelé que tous les témoins ont relevé n’avoir observé ou entendu aucun signe de freinage, qu’aucune trace en ce sens n’a été retrouvée et que le jugement du TCO n’est pas entrepris alors qu’il retient l’absence de freinage au chapitre des violations de l’art. 90 al. 3 LCR. Le conducteur avait alors clairement perdu la maîtrise de son véhicule, qui zigzaguait selon le récit des époux P______/Q______, et on ne comprend pas qu’il n’eût pas entrepris de mettre son véhicule à l’arrêt. Ses explications sur le fait qu’il a craint d’être embouti par les voitures qui le suivaient ne convainquent pas : celles-là avaient respecté la limite de vitesse et il avait donc dû les distancer ; lesdits propos sont confus et peu crédibles vu l’absence générale de souvenirs par ailleurs invoquée ;

-          enfin, et hélas, il a percuté la victime, qu’il n’avait tout simplement pas vue, alors qu’elle circulait normalement, devant lui, sur la bande cyclable.

Comme retenu par les premiers juges, l’appelant a, de la sorte, multiplié des comportements, contraires à la LCR, téméraires et aberrants. Reste à déterminer s’il faut en déduire qu’il s’est décidé en défaveur du bien juridiquement protégé, car l'issue fatale ne dépendait que du hasard et/ou pour d’autres motifs.

3.4. La défense fait valoir à juste titre que toutes les décisions prises par l’appelant, à compter de, et y compris, celle de prendre la route, l’ont été dans un état altéré par son alcoolisation et que celui-ci n’avait, à teneur du dossier, pas l’intention de quitter son domicile lorsqu’il a commencé de boire le soir en question, ni n’avait de raison de penser qu’il était susceptible de le faire. En cela, sa situation est comparable à celles examinées dans la jurisprudence sous l’angle de l’actio libera in causa, dans lesquelles une responsabilité entière n’a pas été admise (ATF 120 IV 169 ; ATF 117 IV 292 ; cf. aussi arrêt non publié 6B_1363/2019 du 19 novembre 2020 consid. 2.42 et 2.4.5 ; L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 36 ad art. 19 CP).

Avec l’appelant, on ne saurait suivre les premiers juges en ce qu’ils ont retenu le taux minimum de concentration d’éthanol de 2.08 g/kg résultant de l’analyse toxicologique au motif que ce serait la mesure la plus favorable à la défense. Cette mesure est certes favorable s’agissant de définir l’étendue de la violation de l'art. 91 LCR. Toutefois, l’enjeu était mineur, le principe de la circonstance aggravante de l’al. 2 let. a de cette disposition étant en tout état acquis (cf. art. 2 let. a de l’ordonnance de l’Assemblée fédérale concernant les taux limites d’alcool admis en matière de circulation routière) ; à l’inverse, l’appelant avait et conserve un intérêt bien plus important à l’admission du taux maximal de 2.88 g/kg, car plus forte était son ébriété, plus grande serait l’atteinte à ses capacités cognitive et volitive avec une conséquence non négligeable tant s’agissant d’identifier dans quelle mesure il a pu envisager et accepter le risque d’homicide (culpabilité) que de qualifier la gravité de sa faute, ce qui a des implications tant au plan de la peine que de son devoir de réparation à l’égard des parties plaignantes. On ne saurait donc retenir la mesure minimale relevée au motif que cela découlerait d’une juste application du principe in dubio pro reo.

Pour autant, ce qu’il faut établir n’est pas tant le taux précis d’alcoolémie de l’appelant, que la mesure dans laquelle ses capacités cognitive et volitive ont pu être affectées. Les indices à disposition sont les suivants :

-          le taux de 2.08 à 2.88 g/kg résultant de l’analyse, soit un taux en tout état élevé ;

-          les déclarations de l’appelant, selon lesquelles il n’avait pas « vraiment senti qu'il était ivre », ou ne s’était « pas senti très bourré », et était « encore en bon état » au moment de partir et « bien » lorsqu’il avait initié la manœuvre de dépassement, l’alcool n’ayant commencé de « taper » qu’à ce moment-là, car il faisait chaud. Ces propos, constants, évoquent une influence modérée ;

-          comme déjà discuté, il ressort également de ses dires qu’il avait une certaine conscience de son état et de son corollaire, soit qu’il n’était pas autorisé à conduire, mais est passé outre, se disant qu’il conduirait lentement (« doucement ») ;

-          l’absence de souvenirs, dont la sincérité globale ne sera pas remise en question, quand bien même l’intéressé a, par moments, donné des informations plutôt précises, car il l’a fait d’une manière donnant à penser qu’il tentait d’apporter des réponses, plutôt que puisait réellement dans sa mémoire. Néanmoins, ces troubles mnésiques pourraient avoir une autre cause que l’état d’alcoolisation, soit le choc et le déni face à sa propre responsabilité ;

-          les déclarations des témoins sur l’aspect et le comportement du conducteur fautif aussitôt après l’accident. Tous ont observé qu’il présentait des signes manifestes d’ébriété (il semblait fortement alcoolisé et avait déversé le contenu de sa trousse de secours sur la victime [M______] ; il était « bourré », visage rouge ne comprenait pas les signes du témoin, marmonnant des sons incompréhensibles, voulait déplacer la victime [ou la secouait], ne s'écartait pas alors même qu'on le lui demandait, avait renversé le contenu de sa trousse de secours à hauteur des jambes du jeune blessé [N______] ; présentait des signes extérieurs d’ébriété à sa manière de s’asseoir, de bouger ou de réagir et avait jeté sa trousse de secours de sorte que le contenu s’était répandu sur le sol [O______] ; il était fortement aviné – difficultés de préhension et d'élocution, yeux vitreux et posture avachie –, tentait de manipuler la victime, à laquelle il demandait de se réveiller, et avait jeté sa boîte de secours sur les jambes de la victime [P______] ; il semblait éméché ou il sautait aux yeux qu'il avait bu, compte tenu de sa gestuelle ainsi que de sa parole, et avait manipulé le corps de même que la tête de la victime, à laquelle il parlait, si bien qu’il avait fallu le tenir à l’écart [Q______]). Néanmoins : l’appelant a expliqué qu’il avait manipulé le corps du cycliste pour le mettre en position latérale de sécurité, ce qui est le signe d’une réflexion en soi raisonnable ; en prolongement, l’incident de la trousse montre qu’il avait compris que la témoin-secouriste demandait du matériel et a produit ce dont il disposait ; le caractère incompréhensible de ses propos doit surtout être mis sur le compte de sa langue étrangère ; le fait de parler au blessé est une manifestation de déni et de désespoir susceptibles d’être présentés également par des personnes parfaitement sobres ;

-          il demeure que, jusqu’au choc avec la bordure en béton, lors du passage du second îlot, l’appelant a été en mesure de conduire et de conserver la maîtrise de son véhicule – au moins partiellement, le témoin O______ ayant évoqué à la fois un rabattement sans difficulté et une manœuvre peu contrôlée, tenant quasiment de la perte de contrôle, l’arrière de son véhicule « chassant » – malgré ses comportements dangereux, ce qui indique que son contrôle de lui-même et ses réflexes étaient en bonne partie préservés ;

-          bien que l’appelant ne l’ait concédé que progressivement et avec difficulté, on sait aujourd’hui qu’il souffre d’alcoolisme, étant suivi pour cela en détention, ce qui indique qu’il était accoutumé à boire. Or, il est notoire que l’accoutumance a pour conséquence de renforcer la résistance aux effets de l’alcool.

En définitive, ces différents éléments conduisent à la conclusion que l’appelant était certainement ivre le soir des faits, présentant une concentration d’éthanol dans le sang de 2.08 à 2.88 g/kg, mais que ses capacités cognitive et volitive n’en étaient que légèrement affectées.

3.5. Il n’empêche qu’elles n’étaient pas entières, sans que cela ne puisse lui être reproché, de sorte que cette légère diminution de sa capacité doit être prise en considération s’agissant de déterminer ce qu’il a envisagé dans cet état.

À cela s’ajoute l’état d’esprit particulier de l’intéressé, qui était préoccupé par l’incertitude de sa situation face à deux employeurs pour lesquels il travaillait sur appel, alors que les besoins du plus ancien semblaient aller en diminuant, ce qu’il espérait combler par un engagement plus important auprès du second, avec de surcroît un possible logement à la clef. Cet état d’esprit, conjugué avec l’effet de l’alcool permet de penser qu’à 19h52, l’appelant a soudainement ressenti le besoin subjectivement – non objectivement – impérieux d’éclaircir les choses avec le second employeur, l’a appelé, et, la conversation se révélant difficile (faiblesse du réseau mais probablement aussi problème de la langue), a conçu de se rendre chez lui.

Enfin, comme les premiers juges ne l’ont pas ignoré, il faut aussi tenir compte de ce que l’appelant était confiant dans ses compétences de conducteur. Il était donc, typiquement, l’un de ces automobilistes enclins à surestimer leurs capacités, raison pour laquelle ils ne sont pas conscients, le cas échéant, de l'étendue du risque de réalisation tel qu’évoqué par la jurisprudence.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments relevant de son for intérieur, il s’avère déjà difficile d’admettre que l’appelant a envisagé, au moment où il circulait sur la route de Collex, que sa conduite était susceptible de causer un accident, qui plus est mortel. Il est tout autant, voire davantage, plausible que, sous l’effet conjugué de l’alcool, de son excessive confiance dans ses compétences de conducteur et de son inquiétude sur sa situation, sentiments sans doute eux-mêmes exacerbés par l’ébriété, il se concentrait uniquement sur le projet d’aller voir son patron.

3.6. En outre, et contrairement à ce qu’a plaidé le conseil des parties plaignantes, on ne peut déduire que l’issue fatale tenait du seul hasard en raison de l’enchaînement de toutes les fautes graves commises.

Jusqu’au heurt avec la bordure en béton, qui a eu pour effet que l’appelant a définitivement perdu la maîtrise de son véhicule peu avant la reprise de la bande cyclable, celui-ci a certes exposé les usagers de la route, possibles cyclistes et lui-même compris, à un grand risque d’accident. Toutefois, la typicité et la gravité d’un tel événement était très variable et rien ne permet d’affirmer que seul le hasard a fait qu’aucun accident possiblement mortel n’est intervenu avant le heurt avec l’accotement en béton. Les comportements adoptés jusqu’au passage du second îlot ne sont par ailleurs pas en lien direct avec la collision avec la victime, laquelle est la conséquence de : la perte de maitrise qui a suivi, l’embardée sur la bordure herbeuse, la non-perception du cycliste et l’absence de freinage.

3.7.1. Il est en revanche exact que lors de cette dernière phase, vu son déroulement, l’issue tenait purement du hasard, soit la présence, ou non, de la victime, sur la bande à elle réservée, à l’instant et à l’emplacement où elle a été emboutie, présence avec laquelle il fallait d’autant plus compter, vu l’existence de cette voie ad hoc, du reste connue de l’appelant.

3.7.2. Il faut donc examiner le comportement et l’intention du prévenu au moment où il a entrepris de négocier le second îlot. Comme retenu ci-dessus, il l’a fait, à rigueur d’expertise, à une vitesse légalement excessive mais à laquelle le passage était encore possible pour un conducteur serrant sa droite (vitesse de 80 à 93 km/h soit inférieure à 102 km/h) de sorte que seule son alcoolisation explique le heurt avec la bordure de béton et la perte de maîtrise.

Ensuite, il n’a pas freiné, se contentant, dans la version la plus favorable, de lever le pied, ni n'a immédiatement entrepris de quitter la bande herbeuse, alors que, à une vitesse d’au plus 79 km/h, l’une comme l’autre action aurait permis d’éviter le tragique accident, toujours à dire d’expert. Ces omissions sont sans doute attribuables au fait que tout s’est déroulé très rapidement (3.78 secondes à 70 km/h mais étant rappelé que le freinage, pour être efficace, eût dû être initié immédiatement après le heurt avec la bordure, soit à l’issue du temps de réaction de 1 seconde pour un conducteur en pleine possession de ses moyens ou d’au moins 1.5 secondes en tenant compte de l’ivresse), que le prévenu n’a pas vu le cycliste, et qu’il était alcoolisé. On se trouve sans doute dans un cas limite, mais au regard de ces circonstances, plus particulièrement de la rapidité des événements, et de la retenue imposée par la jurisprudence, on ne peut pas admettre que le conducteur a envisagé et accepté le risque tel qu’il s’est réalisé (ou un événement similaire) et néanmoins renoncé à freiner fortement ou redresser immédiatement son véhicule.

3.8. En conclusion, force est de constater qu’il n’est pas établi que les conditions permettant de retenir la commission d’un meurtre par dol éventuel sont réunies, de sorte que l’appel doit être admis sur ce point.

3.9. À raison, l’appelant reconnaît qu’il est néanmoins pénalement responsable du décès de la victime.

En multipliant des comportements, contraires à la LCR, téméraires et aberrants, à commencer par la conduite en état d’ébriété qualifiée (ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5 ; ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_466/2016 du 23 mars 2017 consid. 3.1 et les références ; 6B_230/2016 du 8 décembre 2016 consid. 1.1 et les références), il a en effet gravement contrevenu aux règles de prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires, ce dont il pouvait et devait se rendre compte (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 ; ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5 ; ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_197/2017 du 8 mars 2018 consid. 4.1).

Il n’est ni contestable, ni contesté que cette violation du devoir de prudence est blâmable, dans la mesure où il appartenait à l’intéressé de ne pas adopter ledit comportement, l’état d’esprit particulier dans lequel il se trouvait et l’excès de confiance ne constituant nullement une justification. Comme déjà dit, l’état d’ébriété non-fautif a, à l’évidence, également joué un rôle, mais les capacités cognitive et volitive résiduelles de l’appelant étaient suffisantes pour qu’il pût choisir de ne pas agir comme il l’a fait.

Il n’est pas davantage contestable ou contesté qu’il existe un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence, telle que commise à compter du passage du second îlot, et le décès de la victime.

Le jugement est ainsi reformé en ce que l’appelant est reconnu coupable d’homicide par négligence (art. 117 CP) plutôt que de meurtre par dol éventuel. Ce changement de qualification juridique n’entraîne pas le prononcé formel d’un acquittement du chef d’accusation principal écarté, vu le verdict de culpabilité sanctionnant le même complexe de fait que celui tenu pour relevant de l’art. 111 CP selon l’acte d’accusation et le jugement querellé (cf. 144 IV 362 consid. 1.3.1).

4. 4.1. L'art. 2 CP délimite le champ d'application de la loi pénale dans le temps. Son alinéa 1 pose le principe de la non-rétroactivité, en disposant que cette dernière ne s'applique qu'aux infractions commises après son entrée en vigueur. Son alinéa 2 fait exception à ce principe pour le cas où l'auteur est mis en jugement sous l'empire d'une loi nouvelle ; en pareil cas, cette dernière s'applique si elle est plus favorable à l'auteur que celle qui était en vigueur au moment de la commission de l'infraction (lex mitior).

Pour déterminer quel est le droit le plus favorable, il y a lieu d'examiner l'ancien et le nouveau droit dans leur ensemble et de comparer les résultats auxquels ils conduisent dans le cas concret (ATF 134 IV 82 consid. 6.2.1). L'importance de la peine maximale joue un rôle décisif. Le nouveau droit ne doit être appliqué que s'il conduit effectivement à un résultat plus favorable au condamné. Si l'un et l'autre droit conduisent au même résultat, c'est l'ancien droit qui est applicable. Lorsque l'auteur a commis plusieurs actes punissables indépendants, il y a lieu d'examiner pour chacun d'eux quel est le droit le plus favorable (ATF 134 IV 82 consid. 6.2.3 ; ATF
102 IV 196 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_310/2014 du 23 novembre 2015 consid. 4.1.1 in SJ 2016 I 414).

4.2.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

Le juge doit d'abord déterminer le genre de la peine devant sanctionner une infraction, puis en fixer la quotité. Pour déterminer le genre de la peine, il doit tenir compte, à côté de la culpabilité de l'auteur, de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention (ATF 147 IV 241 consid. 3.2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

4.2.2. Conformément à l'art. 19 al. 2 et 4 CP, le juge atténue la peine si, au moment d'agir, l'auteur ne possédait que partiellement la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation à moins que ce dernier n’eût pu éviter la responsabilité restreinte et prévoir l'acte commis en cet état.

Selon la jurisprudence, une concentration d'alcool de 2 à 3 g ‰ entraîne une présomption de diminution de responsabilité, alors qu'une concentration inférieure à 2 g ‰ induit la présomption qu'une diminution de responsabilité n'entre pas en ligne de compte. Il ne s'agit là toutefois que de présomptions qui peuvent être renversées dans un cas donné en raison d'indices contraires (ATF 122 IV 49 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_136/2016 du 23 janvier 2017 consid. 2.3, 6B_616/2015 du 5 avril 2016 consid. 2.3).

4.2.3. Le juge attenue la peine si l'auteur a manifesté par des actes un repentir sincère, notamment s'il a réparé le dommage autant qu'on pouvait l'attendre de lui (art. 48 lit. d CP).

Le repentir sincère n'est réalisé que si l'auteur a adopté un comportement particulier, désintéressé et méritoire. L'auteur doit avoir agi de son propre mouvement dans un esprit de repentir, dont il doit avoir fait la preuve en tentant, au prix de sacrifices, de réparer le tort qu'il a causé (ATF 107 IV 98 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1368/2016 du 15 novembre 2017 consid. 5.1. non publié aux ATF 143 IV 469). Celui qui ne consent à faire un effort particulier que sous la menace de la sanction à venir ne manifeste pas un repentir sincère, il s'inspire de considérations tactiques et ne mérite donc pas d'indulgence particulière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1054/2019 du 27 janvier 2020 consid. 1.1).

4.2.4. Aux termes de l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison d'un ou de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine.

4.2.6. Dans le cas des peines privatives de liberté qui excèdent la limite fixée pour l'octroi du sursis (soit entre deux et trois ans), l'art. 43 CP s'applique de manière autonome. En effet, exclu dans ces cas (art. 42 al. 1 CP), le sursis complet est alors remplacé par le sursis partiel pour autant que les conditions subjectives en soient remplies. Le but de la prévention spéciale trouve alors ses limites dans les exigences de la loi qui prévoit dans ces cas qu'une partie au moins de la peine doit être exécutée en raison de la gravité de la faute commise (ATF 134 IV 1 consid. 5.5.1).

Les conditions subjectives permettant l'octroi du sursis (art. 42 CP), à savoir les perspectives d'amendement, valent en revanche également pour le sursis partiel prévu à l'art. 43 CP dès lors que la référence au pronostic ressort implicitement du but et du sens de cette dernière disposition. Ainsi, lorsque le pronostic quant au comportement futur de l'auteur n'est pas défavorable, la loi exige que l'exécution de la peine soit au moins partiellement suspendue. En revanche, un pronostic défavorable exclut également le sursis partiel. En effet, s'il n'existe aucune perspective que l'auteur puisse être influencé de quelque manière par un sursis complet ou partiel, la peine doit être entièrement exécutée (ATF 134 IV 1 consid. 5.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_129/2015 du 11 avril 2016 consid. 3.1 non reproduit in ATF 142 IV 89).

Pour fixer dans ce cadre la durée de la partie ferme et avec sursis de la peine, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation. À titre de critère de cette appréciation, il y a lieu de tenir compte de façon appropriée de la faute de l'auteur. Le rapport entre les deux parties de la peine doit être fixé de telle manière que la probabilité d'un comportement futur de l'auteur conforme à la loi et sa culpabilité soient équitablement prises en compte. Ainsi, plus le pronostic est favorable et moins l'acte apparaît blâmable, plus la partie de la peine assortie du sursis doit être importante. Mais en même temps, la partie ferme de la peine doit demeurer proportionnée aux divers aspects de la faute (ATF 134 IV 1 consid. 5.6). Ainsi, la faute constitue au premier chef un critère d'appréciation pour la fixation de la peine (cf. art. 47 CP), puis doit être prise en compte de manière appropriée dans un deuxième temps pour déterminer la partie de la peine qui devra être exécutée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1323/2015 du 2 septembre 2016 consid. 1.1 et 6B_713/2007 du 4 mars 2008 consid. 2.3).

4.3.1. La faute de l’appelant, avant prise en considération des effets de son alcoolisation, doit être qualifiée d’assurément grave. Ainsi qu’il résulte de l’état de fait, il a multiplié les comportements téméraires et aberrants, à commencer par décider de prendre le volant alors qu’il connaissait sa consommation d’alcool. Ce faisant, il a violé les règles régissant la circulation routière, lesquelles tendent à protéger la sécurité des usagers de la route, auteur compris, soit un bien juridique collectif et important. Surtout, il a fini par faucher une jeune vie et causer d’intolérables souffrances à ses proches, qui ne s’en remettront jamais totalement. La soudaineté et l’absence de sens de cette mort ajoutent au tragique de l’événement et, sans aucun doute, au sentiment de cruelle injustice des parties plaignantes.

Le condamné a agi par égoïsme, obnubilé qu’il était par son désir d’aller parler de son avenir avec son patron et surestimant ses capacités de conducteur, ce au mépris le plus total de son devoir de prudence et des règles instaurées par la LCR afin d’assurer la sécurité de tous les usagers. Ce faisant, il a notamment causé la tragique issue, dont il n’a certes pas été retenu qu’il l’avait envisagée, mais qu’il eût pu entrevoir.

Si sa situation personnelle peut expliquer ce besoin, exacerbé par l’ivresse, de régler les choses avec l’employeur, cela ne justifie en aucune façon la primauté qui lui a été donnée.

Il n’a pas d’antécédents (encore) inscrits aux casiers judiciaires suisse ou polonais, à teneur du dossier, ce qui est un facteur neutre pour la fixation de la peine.

4.3.2. Ainsi qu’il a été tenu pour établi ci-dessus (consid. 3.4), la concentration d’éthanol dans le sang de l’appelant, comprise entre 2.08 g/kg et 2.88 g/kg, emporte, au vu des circonstances, que sa responsabilité était légèrement diminuée, ce pour l’ensemble des infractions qui lui sont reprochées. Cela entraîne une proportionnelle diminution de la peine, les conditions de l’art. 19 al. 4 CP n’étant pas réalisées.

4.3.3. On ne saurait suivre la défense en ce qu’elle plaide la circonstance atténuante du repentir sincère. Sans doute, le prévenu regrette véritablement l’effroyable conséquence de ses agissements. Il l’a peut-être exprimé maladroitement, et l’on peut comprendre que toute supplique fut inaudible pour les parties plaignantes, mais il n’y a pas de raison de douter de son authenticité. En prolongement, il faut constater que la prise de conscience est bonne. Cela étant, l’appelant n’a pas consenti des efforts satisfaisant les exigences de l’art. 48 let. d CP. Il a certes collaboré à l’enquête, mais ne pouvait guère faire autrement vu les circonstances et la simple adhésion, sur le principe, aux conclusions civiles n’a rien de méritoire, leur admission étant inéluctable. En revanche, il s’est abstenu de verser le moindre montant, fût-ce symbolique, quand bien même il travaille en détention et perçoit donc un pécule. Il n’a ainsi pas consenti le seul véritable sacrifice que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui.

4.3.4. La modification de la LCR entrée en vigueur le 1er octobre 2023 a introduit via l’art. 90 al. 3ter la faculté de ramener la sanction à une peine pécuniaire si l’auteur n’a pas été condamné, au cours des dix années précédant les faits, pour un crime ou un délit routier ayant gravement mis en danger la sécurité de tiers ou ayant entraîné des blessures ou la mort de tiers (étant précisé que la novelle de l’art. 90 al. 3bis LCR n’apporte quant à elle en réalité pas de nouveauté, l’art. 48 CP trouvant précédemment déjà application, conformément à l’art. 333 CP). Le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 90 al. 3ter LCR était une norme potestative (« Kann-Vorschrift » ; ATF 151 IV 188).

En l’occurrence, les conditions en sont remplies, puisque l’appelant n’a pas été condamné, au cours des dix dernières années, pour une infraction telle que celles évoquées par le texte légal. Concrètement cependant, il est estimé que la peine susceptible de sanctionner le comportement de l’appelant contraire à l’art. 90 al. 3 LCR ne saurait être inférieure à une année – avant la réduction dictée par l’art. 19 al. 2 CP –, vu la gravité de la faute, des risques causés tout au long de la trajectoire téméraire de l’appelant, et de celui qui s’est en définitive réalisé, soit l’atteinte au bien juridique ultime. A fortiori, une peine pécuniaire n’entrerait pas en considération, pour les mêmes motifs. L’appelant ne plaide d’ailleurs pas le contraire. Il n’y a dès lors pas lieu d’appliquer le nouveau droit au titre de lex mitior.

4.3.5. Mutatis mutandis, une peine pécuniaire ne saurait pas davantage être envisagée pour l’homicide par négligence ou la conduite sous l'influence de l'alcool, étant derechef souligné que le condamné ne soutient, à cet égard non plus, pas le contraire.

4.3.6. En définitive, il y a donc concours de peines, celles-ci étant toutes trois de même genre. L’infraction abstraitement la plus grave est l’infraction dite « de chauffard », le plafond étant fixé à quatre ans, qui sera sanctionnée d’une peine privative de liberté d’une année, s’y ajouteront 27 mois pour l’homicide par négligence (peine de base : 30 mois) et 9 mois pour la conduite sous l'influence de l'alcool (peine de base : 12 mois), d’où une peine totale de 48 mois, ramenée à 36 mois pour tenir compte de la responsabilité légèrement restreinte.

4.4. L’appelant peut prétendre au bénéfice du sursis partiel, les conditions objectives étant remplies et un pronostic défavorable ne pouvant être posé. Certes, il y a des éléments d’inquiétude : l’alcoolisme, actuellement contenu par la détention et la prise en charge thérapeutique, car il est notoire que les rechutes sont fréquentes ; l’absence de souvenirs qui ne favorise pas la prise de conscience, sans préjudice de ce que l’on ignore si elle est causée par un mécanisme de déni ; le fait que l’appelant n'ait pas tiré toutes les leçons de son antécédent de conduite sous influence de l’alcool en Pologne, certes ancien. Ces facteurs appellent à la prudence et imposent le choix d’un long délai d’épreuve de cinq ans, sans être suffisants pour exclure le prononcé du sursis. Vu la gravité de la faute, la partie ferme de la peine sera arrêtée à 18 mois.

5. 5.1. Conformément à l'art. 66abis CP, le juge peut expulser un étranger du territoire suisse pour une durée de trois à quinze ans si, pour un crime ou un délit non visé à l'art. 66a, celui-ci a été condamné à une peine ou a fait l'objet d'une mesure au sens des art. 59 à 61 ou 64 CP.

Cette mesure prévue par la loi qui, par essence, s'ajoute à la peine proprement dite, fait partie intégrante de la sanction à prononcer (ATF 143 IV 168 consid. 3.2 = SJ 2017 I 433). L'expulsion judiciaire pénale de l'art. 66abis CP – qui ne diffère pas fondamentalement de l'expulsion prescrite en son temps par l'art. 55 al. 1 aCP (ATF 123 IV 107 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_607/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.1 ; 6B_770/2018 du 24 septembre 2018 consid. 1.1) – ne contredit pas l'interdiction de la double peine qui découle notamment de l'art. 6 CEDH (AARP/202/2017 du 16 juin 2017 consid. 2.5).

Il s'agit d'une Kann-Vorschrift (G. MÜNCH / F. DE WECK, Die neue Landesverweisung, in Art. 66a ff. StGB, Revue de l'avocat 2016, p. 163 ; G. FIOLKA / L. VETTERLI, Landesverweisung nach Art. 66a StGB als strafrechtliche Sanktion, cahier spécial, Plädoyer 5/16, p. 86 ; AARP/185/2017 du 2 juin 2017 consid. 2.2 ; AARP/179/2017 du 30 mai 2017 consid. 3.1.2).

Le juge est donc libre, sans autre justification, de renoncer à l'expulsion facultative (M. BUSSLINGER / P. UEBERSAX, Härtefallklausel und migrationsrechtliche Auswirkungen der Landesverweisung, cahier spécial, Plaidoyer 5/2016, p. 98). À l’inverse, il ne peut l’ordonner que si ce prononcé respecte le principe de la proportionnalité ancré aux art. 5 al. 2 et 36 al. 2 et 3 Cst. (ATF 139 I 145 consid. 2.4 ; 139 I 31 consid. 2.3.3 ; 135 II 377 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1044/2023 du 20 mars 2024 consid. 4.1.5 ; 6B_122/2023 du 27 avril 2023 consid. 1.1.4).

5.2. L’appelant vient régulièrement travailler en Suisse depuis plus d’une dizaine d’années. Sa sœur y réside, avec sa famille. Il s’était toujours, avant les faits, bien comporté. Il a été admis que le pronostic n’était pas défavorable, même si des facteurs d’inquiétude subsistent. Dans ces circonstances, il convient de retenir que l’expulsion, en définitive facultative vu le changement de qualification juridique, ne s’impose pas, ce que paraît considérer le MP également, dans la mesure où il n’a pas abordé la question. Il y sera donc renoncé.

6. 6.1. En qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale ; le même droit appartient aux proches de la victime (art. 122 al. 1 et 2 CPP). Le tribunal saisi de la cause pénale statue sur les conclusions civiles lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu (art. 126 al. 1 let. a CPP).

6.2. En matière de circulation routière, le mode et l'étendue de la réparation du préjudice, tant matériel que moral, se déterminent sur la base des art. 58 et 59 LCR, qui fixent les conditions de la responsabilité du détenteur et du conducteur de véhicules automobiles (ATF 132 III 249 consid. 3.1 ; 124 III 182 consid. 4d). Le renvoi aux dispositions de la loi fédérale complétant le code civil suisse (CO), prévues à l'art. 62 LCR vise ainsi uniquement celles qui arrêtent les modalités de la réparation du tort moral (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. MIZEL/ O. RISKE/ B. RUSCONI/ A. BUSSY, Code suisse de la circulation routière commenté, 5ème éd., Bâle 2024, ad art. 59 LCR), dont le principe est consacré par l'art. 47 CO.

Selon cette dernière disposition, conjuguée avec l’art. 43 al. 1 CO applicable par analogie, parmi les éléments à prendre en considération, figurent avant tout le genre et la gravité de la lésion, l'intensité et la durée des répercussions sur la personnalité de la personne concernée, le degré de la faute de l'auteur (cf. art. 43 al. 1 CO applicable par analogie) ainsi que l'éventuelle faute concomitante du lésé. À titre d'exemple, une longue période de souffrance et d'incapacité de travail, de même que les préjudices psychiques importants sont des éléments déterminants (ATF 141 III 97 consid. 11.2 ; 132 II 117 consid. 2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2018 du 13 février 2019 consid. 3.1.2).

S’agissant plus particulièrement du degré de la faute, une réduction de l’indemnité n’est possible qu’en présence d’une faute légère voire moyenne de l’auteur (L. THEVENOZ/ F. WERRO (édits), Commentaire romand, Code des obligations I, 3ème édition, Bâle 2021, n. 12 ad art. 43 CO).

6.3.1. L'indemnité due à titre de réparation du tort moral peut être fixée selon une méthode s'articulant en deux phases. Si le Tribunal fédéral admet cette méthode, à condition qu'elle ne conduise pas à une standardisation ou une schématisation des montants alloués, il ne l'impose pas non plus (ATF 132 II 117 consid. 2.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1218/2013 du 3 juin 2014 consid. 3.1.1). Dans la première phase, le juge examine la gravité objective de l'atteinte pour fixer un montant de base indicatif selon le degré de l'atteinte à l'intégrité. Pour obtenir un montant objectif, le juge compare les faits qui lui sont soumis aux différents cas d'espèce déjà jugés et, en particulier, se fonde sur les tables que la pratique a établies (F. WERRO, La responsabilité civile, 3e éd., 2017, ch. 1426 ss et 1446). Dans la seconde phase, le juge adapte le montant de base, vers le haut ou vers le bas, pour prendre en compte tous les éléments propres au cas d'espèce. De la sorte, le montant finalement alloué tient compte de la souffrance effectivement ressentie par le demandeur, ce qui revient à reconsidérer les éléments déterminants pour décider de l'octroi ou non d'une indemnité en réparation pour tort moral (C. WIDMER LÜCHINGER / D. OSER [éds], Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7ème éd., Bâle 2020, n. 20 ad art. 47 ; F. WERRO, op. cit., ch. 1447. ; A. GUYAZ, Le tort moral en cas d'accident : une mise à jour, SJ 2013 II 215, p. 242s.).

6.3.2. En cas de décès, le juge doit prendre en compte le lien de parenté entre la victime et le défunt. Il se fonde avant tout sur l'intensité des relations que les proches entretenaient avec le défunt et le caractère étroit et harmonieux de ses dernières. En outre, la pratique retient notamment comme autres circonstances pertinentes l'âge du défunt et de ceux qui lui survivent, le fait que le lésé a assisté à la mort, les souffrances endurées par le défunt avant son décès, le fait que ce dernier laisse les siens dans une situation financière sûre, le comportement vil de l'auteur ou au contraire, la souffrance de celui-ci.

Les frères et sœurs comptent parmi les membres de la famille qui peuvent prétendre à une indemnité pour tort moral (ATF 118 II 404 consid. 3b/cc). Cependant, ce droit dépend des circonstances et la pratique en la matière est plutôt restrictive. Le fait de vivre sous le même toit est en particulier un indice important de l'intensité de la relation pouvant exister dans une fratrie, ce qui peut ainsi ouvrir le droit à une indemnisation. Si tel n'est pas le cas au moment du décès du frère ou de la sœur, l'allocation d'une indemnité pour tort moral n'est envisageable qu'en présence de contacts très étroits, seuls susceptibles d'occasionner des souffrances morales exceptionnelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_484/2020 du 21 janvier 2021 consid. 12.1 et les références citées).

6.3.3. La doctrine propose des montants de l’ordre de CHF 40'000.- à CHF 50'000.- pour la perte d'un conjoint, de CHF 27'000.- à CHF 40'000.- pour la perte d’un enfant, de CHF 25'000.- à CHF 40'000.- pour la perte d’un parent et de CHF 5'000.- à CHF 20'000.- pour la perte d’un frère ou d’une sœur (A. GUYAZ, Le tort moral en cas d'accident : une mise à jour, SJ 2013 II 215 ; cf. également K. HÜTTE / P. DUCKSCH / K. GUERRERO, Le tort moral, une présentation synoptique de la jurisprudence, Genève, Zurich, Bâle 2006, affaires jugées de 2001 à 2002 et de 2003 à 2005).

Dans une affaire déjà ancienne, le Tribunal fédéral a rappelé qu’en cas de perte d’un enfant mineur, les tribunaux allouent généralement à chacun des parents une indemnité de CHF 30'000, voire CHF 40'000.- pour la mère d’un jeune enfant ayant assisté à l'accident, notamment si elle s’en était intensivement occupée depuis lors et jusqu’à son décès (arrêt non publié, 6B_369/2012, consid. 2.1.2).

À Genève, une indemnité pour tort moral de CHF 20'000.- a été allouée à chacun des parents d'un fils majeur décédé d'une balle dans le thorax, dans le cas d'un homicide par négligence (AARP/346/2017 du 18 octobre 2017 consid. 4.2). Dans une autre affaire, une indemnité de CHF 40'000.- a été allouée à la mère d'un enfant majeur, victime d'un meurtre (AARP/355/2014 du 19 juin 2014 consid. 4.2). Une indemnité de base de CHF 30'000.- (réduite à CHF 21'000.- en raison de la faute concomitante de la victime) a été accordée au père d'un homme de 37 ans tué par un conducteur de voiture sous l'emprise de l'alcool et de stupéfiants, qui roulait à vive allure dans un quartier au centre de Genève fréquenté la nuit. Le comportement a été considéré d'autant plus grave qu'une fois le choc intervenu avec le piéton, l'auteur avait continué sa route, sans se préoccuper du sort de la personne étendue au sol (AARP/182/2018 du 18 juin 2018 consid. 2.3). La CPAR a alloué CHF 40'000.- à l'épouse d'un cycliste percuté par une fourgonnette sur une voie de campagne, tenant compte de la perte de l'homme qu'elle aimait depuis 50 ans, avec lequel elle avait une grande complicité et des projets de vie future, des circonstances du décès, atroce par sa soudaineté et sa violence, et de la faute commise par la conductrice qui avait agi avec légèreté. Chacun de ses trois enfants adultes avait reçu CHF 20'000.- (AARP/335/2017 du 16 octobre 2017). Dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_1280/2019 évoqué ci-dessus, la Cour avait alloué les montants de CHF 30'000.- à l'épouse du défunt, CHF 15'000.- à chacun de ses parents, et CHF 7'500.- à sa sœur, montants qui tenaient compte de la réduction de 25% sus-évoquée (AARP/326/2019 du 25 septembre 2019). Plus récemment, les enfants, adultes et ayant fondé leur propre famille, d’un cycliste décédé après avoir été embouti par un motard, se sont chacun vus allouer une indemnité de CHF 25'000.- (AARP/418/2023 du 8 novembre 2023, consid. 5.3.6).

6.3.4. Cela étant, toute comparaison avec d'autres affaires doit intervenir avec prudence, dès lors que le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment face au malheur qui le frappe. Une comparaison avec d'autres cas similaires peut cependant, suivant les circonstances, constituer un élément d'orientation utile (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 et l'arrêt cité).

En outre, d'une manière générale, la jurisprudence récente tend à allouer des montants de plus en plus importants au titre du tort moral (ATF 125 III 269 consid. 2a).

6.4.1. Il est indubitable que les époux D______/E______ ont été très sévèrement affectés par la disparition, subite, et particulièrement injuste, car elle n’a tenu qu’au comportement aberrant de l’auteur et à un hasard tragique, de leur fils, à la personnalité décrite comme solaire et qui paraît avoir été un pilier de la famille. L’épreuve cruelle de l’agonie et de la confrontation à la décision déchirante de l’arrêt des soins, suivie de l’incompréhension face au prélèvement du cerveau du défunt, doivent également être prises en considération. Néanmoins, même en tenant compte de toutes les circonstances, ainsi que de la, juste, tendance générale à la hausse dans le domaine de la réparation du tort moral, la somme de CHF 50'000.- allouée en première instance est excessive, dans la mesure où elle excède largement les montants ressortant de la casuistique en cas de décès d’un enfant certes encore jeune, mais néanmoins adulte, sans préjudice de ce qu’elle ne tient pas compte du degré de la faute, qui demeure grave, mais est amoindri du fait de la responsabilité légèrement restreinte, ce que le TCO n’a pas discuté, et en présence, en définitive, d’un homicide par négligence. Il convient dès lors de ramener le montant de l’indemnité pour tort moral à CHF 40'000.‑.

6.4.2. Le principe de l’indemnisation de la sœur de la victime n’est pas non plus contestable, ni contesté, étant rappelé qu’ils vivaient encore tous deux sous le toit familial et étaient particulièrement proches, ayant même envisagé de poursuivre ensemble le chemin de leurs études universitaires, ce qui est peu usuel. Cette partie plaignante a en outre été particulièrement affectée par la disparition de son frère, dans sa santé mentale mais également dans lesdites études, ce qui pourrait avoir un impact durable sur sa vie. Dans son cas également, l’indemnité accordée en première instance est toutefois trop importante, étant rappelé que la jurisprudence est plus restrictive pour les membres d’une fratrie. Aussi, l’indemnité allouée à la sœur de la victime sera ramenée à CHF 30'000.-.

7. 7.1. L’appelant obtient pour l’essentiel gain de cause, seules son argumentation sur le degré de diminution de responsabilité et sur la circonstance atténuante du repentir sincère étant écartée. Les frais de la procédure d’appel seront ainsi laissés à la charge de l’État.

7.2. Il n’y a en revanche pas lieu de le libérer, même partiellement, de ceux de première instance, un verdict de culpabilité pour tous les faits reprochés subsistant.

8. Les conclusions des parties plaignantes en couverture de leurs dépenses nécessaires causées par la procédure d’appel doivent être rejetées, la décision sur le sort des frais de la procédure préjugeant de celle sur les indemnités de procédure au sens des art. 429, 433 et 436 CPP (ATF 147 IV consid. 4.1 et 137 IV 352 consid. 2.4.2).

9. Considéré globalement, l'état de frais produit par le défenseur d'office du prévenu satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale, sous réserve de ce que la rédaction de la déclaration d’appel est couverte par la majoration forfaitaire de 10% destinée à rétribuer les opérations diverses.

Sa rémunération sera partant arrêtée à CHF 4'571.60 pour 18 heures d’activité (CHF 3’600.-) + le forfait (CHF 360.-) + la vacation aller-retour à l’audience (CHF 200.-) + les débours (CHF 70.-) + la TVA (CHF 342.60).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTCO/20/2025 rendu le 6 février 2025 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/17806/2023.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau, le 17 septembre 2025 :

Déclare A______ coupable d'homicide par négligence (art. 117 CP), de violation fondamentale des règles de la circulation routière (art. 90 al. 3 LCR) ainsi que de conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 al. 2 let. a LCR).

Le condamne à une peine privative de liberté de trois ans, sous déduction de la détention avant jugement subie à titre provisoire puis en exécution anticipée de la peine depuis le 14 août 2023 (art. 40 CP et 51 CP).

Dit que la peine privative de liberté est ferme à raison de 18 mois (art. 42 et 44 CP).

Met pour le surplus A______ au bénéfice du sursis partiel et fixe la durée du délai d'épreuve à cinq ans (art. 42 et 44 CP).

L'avertit de ce que, s'il devait commettre de nouvelles infractions durant les délais d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, ce sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Ordonne la libération immédiate de A______.

Renonce à ordonner son expulsion de Suisse.

Prend acte de ce que A______ a, devant les premiers juges, acquiescé aux conclusions civiles dans leur principe (art. 124 al. 3 CPP).

Le condamne à payer, en réparation de leur tort moral, CHF 40'000.- chacun à D______ et à E______, ainsi que CHF 30'000.- à F______, ces trois montants portant intérêts à 5% dès le 14 août 2023 (art. 47 CO).

Prend acte de ce que les premiers juges ont :

-          constaté l'irrecevabilité des conclusions civiles de T______ (art. 118 et 122 al. 2 CPP) ;

-          condamné A______ à payer à D______, E______ et F______ CHF 47'000.- en couverture des dépenses obligatoires occasionnées par la procédure préliminaire et de première instance (art. 433 al. 1 CPP) ;

-          ordonné la confiscation et la destruction de la voiture G______ ainsi que du cycle [de marque] U______ (art. 69 CP) ;

-          rejeté les conclusions du Ministère public en établissement d'un profil ADN (art. 257 CPP) ;

-          mis à charge de A______ les frais de la procédure préliminaire et de première instance, par CHF 31'701.65 (art. 426 al. 1 CPP) ;

-          fixé à CHF 23'562.70 l'indemnité de procédure de Me C______, défenseur d'office de A______, pour ses diligences durant la procédure préliminaire et de première instance (art. 135 CPP).

Statuant le 8 octobre 2025 :

Laisse les frais de la procédure d'appel à la charge de l’État.

Rejette les conclusions en indemnisations des parties plaignantes pour la procédure d’appel.

Arrête à CHF 4'571.60 (TVA comprise) les honoraires et frais de Me C______, défenseur d'office de l’appelant, pour la procédure d'appel.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel, à l'Office cantonal de la population et des migrations, au Service cantonal des véhicules et au Service de la réinsertion et du suivi pénal.

La greffière :

Aurélie MELIN ABDOU

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète
(art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.