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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1794/2015

ATA/1231/2017 du 29.08.2017 sur JTAPI/80/2016 ( LCI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1794/2015-LCI ATA/1231/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 août 2017

3ème section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Romain Felix, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 janvier 2016 (JTAPI/80/2016)


EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : A______, la recourante ou la propriétaire) est une société anonyme de droit suisse ayant son siège à B______, dont le but est « achat, vente, construction, transformation et gestion de tous bâtiments ; études, exécution et entretien de toutes installations de chauffage, ventilation et climatisation ainsi que tous travaux techniques ou d'architecture s'y rapportant ; les investissements dans tous les domaines se rapportant au bâtiment, à l'écologie et au développement durable ».

2) A______ est propriétaire de la parcelle n° 1______ (ci-après : la parcelle), feuille 1______, commune de B______, située en zone de développement industriel et artisanal. Précédemment, la parcelle était en 5ème zone.

3) Sur cette parcelle se trouvent plusieurs bâtiments, dont l’un (n° 2______) destiné (initialement) à du logement. Il s’agit d’une villa.

4) La parcelle fait partie du plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 3______adopté par le Conseil d’État le 30 janvier 1991. Ce PLQ prévoit la réalisation d’un bâtiment R+3 consacré à des activités artisanales ou industrielles, avec un degré de sensibilité OPB IV sur la parcelle.

5) C______ SARL (ci-après : C______ ou la locataire) était, depuis son inscription le 28 avril 2009, une société à responsabilité limitée de droit suisse, ayant son siège à Genève, dont le but était « exploitation d'un établissement de sauna, bains, culture physique, massages, relaxation et soins corporels ainsi que vente de tous produits en rapport avec cette exploitation ». Elle a été radiée du registre du commerce de Genève le 5 août 2016, en raison d’un transfert de son siège à D______ (NW).

6) Le 12 juin 2009, A______ et C______ ont signé un contrat de bail à loyer pour un appartement meublé au rez-supérieur et rez-inférieur, et pour un appartement meublé au 1er étage et dans les combles, à partir du 1er juillet 2009, situés dans le bâtiment précité. La rubrique relative à la destination des locaux mentionnait « habitation et autres ».

7) Le 28 juillet 2009, la commune de B______ a interpellé le département des constructions et des technologies de l’information, devenu le département de l’urbanisme, puis le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : le département), au sujet de l’ouverture d’un « club érotique et escorte », en face d’une école primaire, à la suite de l’inquiétude de plusieurs habitants de la commune.

8) Le 16 octobre 2009, A______ a écrit au département et à la commune de B______ que les locaux avaient une utilisation comme habitation uniquement. Il n’y avait aucune « activité professionnelle sur place, au sens strict du terme ».

9) Le 20 octobre 2009, le département a exigé du propriétaire, par voie de décision, qu’il rétablisse une situation conforme au droit. La villa était en effet utilisée pour une activité commerciale qui n’était pas compatible avec la zone de développement industriel et artisanal dans laquelle se situait la parcelle concernée.

10) Le 6 novembre 2009, A______ a recouru contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA), dont les compétences ont été reprises par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le 1er janvier 2011.

11) Le 21 mai 2010, la CCRA a annulé la décision (DCCR/816/2010 ; A/4212/2009 LCI). Sur la base des seuls courriers de la propriétaire et de la locataire, le département ne pouvait pas conclure qu’il y avait une activité professionnelle dans la villa. Les personnes logeant dans la villa l’utilisaient comme habitation et exerçaient leur activité professionnelle en d’autres lieux. La villa était donc affectée à du logement, ce qui était conforme à la 5ème zone. Vu la conformité de l’activité à la zone, aucun rétablissement d’une situation conforme au droit n’était nécessaire.

12) Le 30 juin 2010, la propriétaire a confirmé par écrit à la locataire avoir loué la villa dans le but de loger son personnel, en particulier « les filles travaillant pour vous comme hôtesses ». Il s’est déclaré d’accord qu’une partie de la maison soit utilisée occasionnellement comme salon de massage érotique.

13) Ultérieurement, tant selon la propriétaire que la locataire, des activités « professionnelles » des employées de C______ ont eu lieu dans la villa.

14) Le 10 décembre 2013, la brigade des mœurs de la police judiciaire a écrit au département que des salons de massages érotiques étaient exploités dans plusieurs villas, dont celle concernée par la présente procédure. En effet, selon un courrier antérieur du 25 novembre 2013 du conseiller d’État en charge du département au conseiller d’État chargé du département de la sécurité, devenu depuis lors le département de la sécurité et de l’économie (ci-après : DSE) au sujet d’une villa à E______ (non concernée par la présente procédure), l’activité commerciale exercée, c’est-à-dire l’exploitation d’un salon de massages érotiques, n’était pas conforme à l’affectation de la zone villa.

15) Le 13 juin 2014, le département a informé la locataire avoir été saisi d’une plainte du DSE, selon laquelle la locataire exercerait une activité commerciale dans la villa.

16) Le 8 octobre 2014, A______ a déposé auprès du département une demande d’autorisation de construire par procédure accélérée (ci-après : APA) 41’053 portant sur un changement d’affectation du bâtiment précité, afin que le rez supérieur puisse être occupé par une activité commerciale. Aucune modification physique de l’objet n’était prévue.

17) Le 28 novembre 2014, la direction de la planification directrice cantonale et régionale a formulé un préavis négatif, car une telle affectation (« commerce ») n’était pas conforme à la zone et au PLQ, qui prévoyaient des constructions industrielles et artisanales.

18) Les autres préavis (police du feu, mensuration officielle, inspection des constructions) étaient favorables, avec ou sans conditions. L’office cantonal du logement et de la planification foncière, lui-même rattaché au département, a répondu que le changement prévu n’était pas soumis à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). La commune de B______ n’a pas été consultée.

19) Le 22 avril 2015, le département a refusé de délivrer l’APA 41’053 pour non-conformité à l’art. 4 de la loi générale sur les zones de développement industriel ou d’activités mixtes du 13 décembre 1984 (LZIAM - L 1 45) et à l’art. 21 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700).

20) Le 26 mai 2015, A______ a recouru auprès du TAPI (procédure A/1794/2015), en sollicitant des mesures provisionnelles. A______ a également sollicité du département qu’il reconsidère sa décision, notamment parce que l’activité exercée pouvait être qualifiée d’artisanale.

21) Le 8 juin 2015, le département a ordonné la remise en état des locaux utilisés par C______ dans un délai de soixante jours et a condamné A______ à une amende de CHF 10'000.- (infraction I/5400).

22) Le 11 juin 2015, le TAPI a rejeté la requête de mesures provisionnelles.

23) Le 8 juillet 2015, A______ a recouru auprès du TAPI contre la décision du 8 juin 2015 (procédure A/2452/2015).

24) Le 28 juillet 2015, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours dirigé contre le refus des mesures provisionnelles (ATA/777/2015). La propriétaire adoptait un comportement contradictoire ou abusif contraire à l’art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101), car elle demandait le maintien d’un état de fait en 2015 dont elle avait nié l’existence en 2009 et 2010 et au sujet duquel elle n’avait pas sollicité dans les plus brefs délais une autorisation de changement d’affectation partiel. En outre, l’octroi des mesures provisionnelles reviendrait à permettre à la locataire d’exercer l’activité faisant l’objet de la demande de changement d’affectation partiel, de sorte que la recourante obtiendrait le plein de ses conclusions au fond de manière provisoire.

25) Le 28 janvier 2016, le TAPI a joint les causes A/1794/2015 et A/2452/2015, déclaré recevables les recours et les a rejetés. Il a mis à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.-. Le département pouvait traiter la requête par le biais de la procédure accélérée et ne devait pas solliciter le préavis de la commune. La parcelle litigieuse était soumise, par renvoi de l’art. 30 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT – L 1 30), à la LZIAM et à son règlement d’application ; la recourante n’avait présenté aucun élément démontrant que sa situation présentait un caractère exceptionnel et important susceptible de justifier que l’intérêt public au respect de l’affectation de la zone cède le pas face à son intérêt pécuniaire de louer l’immeuble à C______ ; elle n’avait pas démontré que les services proposés par la locataire contribueraient significativement à la réduction des mouvements pendulaires et à l’accroissement du bien-être des travailleurs, clients et fournisseurs de la zone (art. 5 et 8 du règlement sur les activités admissibles en zone industrielle ou de développement industriel, respectivement en zone de développement d'activités mixtes du 21 août 2013 – RAZIDI – L 1 45.05). La décision du 8 juin 2015 ordonnant la remise en état était suffisamment motivée ; elle respectait les conditions fixées par la jurisprudence, car notamment aucune promesse n’avait été donnée à la propriétaire par les autorités compétentes ; la tolérance des activités par la brigade des mœurs ne signifiait pas que le changement d’affectation au sens du droit des constructions était admissible. L’ordre de remise en état était apte à permettre le respect du droit de l’aménagement du territoire et ne violait pas la liberté économique. Le montant de l’amende de CHF 10'000.- était justifié, notamment par le fait que la recourante avait été assistée d’un avocat depuis 2009 et qu’elle avait alors été rendue attentive aux bases légales applicables.

26) Le 29 février 2016, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI sur le fond. Elle a conclu à l’annulation du jugement du TAPI, à l’annulation des décisions du département du 22 avril 2015 et du 8 juin 2015 et à la délivrance de l’autorisation de construire de changement d’affectation partiel d’habitation en activité commerciale du rez-supérieur de la villa. Elle a également pris des conclusions subsidiaires.

Le changement de zone villa à zone industrielle et artisanale de la parcelle découlait des graves nuisances sonores provenant du trafic aérien, très proche et bruyant. Le 16 octobre 2009, A______ avait nié l’existence de toute activité professionnelle dans la villa, car cette dernière était exclusivement utilisée pour loger des personnes employées par la locataire. Ultérieurement, des activités « commerciales » de la locataire s’étaient partiellement développées dans la villa ; une partie des employées de la locataire y déployait une activité professionnelle dès 11 heures du matin, ce qui était connu des autorités (« brigade des mœurs et État de Genève »). L’« établissement » exploité par la locataire dans la villa existait depuis environ cinq ans.

En ce qui concernait le refus de l’autorisation de construire, le département s’était calqué sur le préavis du 28 novembre 2014 de la direction de la planification directrice cantonale et régionale ; ni l’autorité décisionnelle, ni l’autorité de préavis n’avaient examiné la possibilité d’une dérogation dans le cas d’espèce et le TAPI ne devait pas exercer son pouvoir d’examen avec retenue dans le cas d’espèce. S’agissant de la dérogation, il était peu probable que la propriétaire puisse relouer immédiatement la villa à d’autres locataires au même loyer (CHF 5'500.- par mois) ; en cas de résiliation du bail, la locataire pourrait la contester et obtenir, cas échéant, jusqu’à six ans de prolongation. Sur le fond, l’art. 5 al. 1 RAZIDI comprenait quatre conditions pour l’octroi d’un régime d’exception ; l’énumération des entreprises pouvant bénéficier de ce régime n’était qu’exemplative. La locataire était une prestataire de services. Elle était utile aux utilisateurs des zones industrielles, car elle avait du succès ; elle y avait augmenté son activité, en étant à dessein ouverte pendant les heures de bureau. Comme l’établissement exploité par la locataire existait depuis environ cinq ans, ses activités étaient pérennes et sa fréquentation continue ; son succès permettait de réduire le trafic vers les zones urbaines. Enfin, l’activité de la locataire répondait à l’accroissement du bien-être des utilisateurs, d’autant plus qu’elle se trouvait dans une zone animée par des travailleurs souvent stressés. Par conséquent, une autorisation de construire pour un changement d’affectation partiel d’habitation en activité commerciale devait être accordée.

En ce qui concernait l’ordre de remise en état et l’amende administrative prononcés le 8 juin 2015, l’interdiction d’exercer une activité commerciale n’était alors pas établie. En effet, la propriétaire avait formé recours, le 26 mai 2015, contre le refus de l’autorisation de construire en sollicitant expressément des mesures provisionnelles visant au maintien de la situation en l’état. Parmi les cinq conditions cumulatives résultant de la jurisprudence au sujet de l’art. 129 let. e de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) s’agissant de la remise en état, deux n’étaient pas remplies. Ainsi, le comportement ambivalent des autorités avait perturbé la propriétaire ; cette dernière avait retenu de la décision de la CCRA qu’une « activité commerciale de peu d’envergure pouvait être tolérée » ; l’activité professionnelle dans la villa avait été perpétuée « de manière irrégulière selon les périodes d’affluence », tout en étant « croissante ». La tolérance de la brigade des mœurs à son égard la confortait dans la conformité à la loi de l’utilisation des locaux, même si c’était le « comportement de l’autorité dans la précédente cause » qui l’avait induite en erreur. Les assurances de la brigade des mœurs étaient fiables et les autorités communiquaient entre elles les comportements considérés comme douteux. La soudaine urgence à rétablir la situation d’origine, à savoir la remise en état dans un délai de soixante jours, était incompréhensible, chicanière et de mauvaise foi. La pesée des intérêts entre l’intérêt public et l’intérêt privé devait s’effectuer en faveur de la recourante ; en effet, l’intérêt public se limitait au respect de l’affectation de la zone. L’utilisation des locaux étant discrète, aucun signe extérieur ne laissait transparaître la nature des activités exercées dans la villa, lesdites activités étant exercées uniquement à l’intérieur. Si la remise en état des locaux était ordonnée, la propriétaire devrait ordonner à la locataire de cesser toute activité commerciale ou de quitter les lieux ; le chiffre d’affaires de la locataire dépendait de manière significative des recettes générées par l’exploitation de la villa concernée, par comparaison avec les locaux occupés ailleurs. En raison de la situation économique actuelle et de la situation géographique, il était peu probable que la propriétaire puisse louer rapidement la villa à un autre locataire, ce qui impliquerait des pertes locatives. L’ordre de remise en état devait ainsi être annulé.

Enfin, la gravité de l’infraction devait être considérée comme moindre. Dès lors qu’il ne s’agissait pas d’une construction à proprement parler, mais seulement d’un changement d’affectation partiel, non visible de l’extérieur et ne gênant aucun tiers, le montant de CHF 10'000.- apparaissait excessif. La propriétaire n’avait eu aucune intention de ne pas respecter les dispositions administratives ; bien au contraire, elle avait pris les mesures nécessaires en mandatant un cabinet d’architectes pour le dépôt d’une requête en autorisation. Dans un cas similaire, une amende de CHF 3'000.- avait été infligée par le département et confirmée par la chambre administrative ; dans une autre cause, une amende de CHF 3'000.- avait été infligée, mais les voisins s’étaient plaints de nuisances, d’une campagne d’affichage, des trajets incessants, des moteurs allumés de taxis dans les chemins privés, de parking sauvage ou de fenêtres ou rideaux ouverts. Ainsi, l’amende de CHF 10'000.- ne correspondait pas à la pratique du département. Si l’amende devait être maintenue, sa quotité devrait être réduite.

27) Le 8 mars 2016, le TAPI a renoncé à formuler des observations.

28) Le 11 avril 2016, l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC), lui-même rattaché au département, a conclu au rejet du recours.

S’agissant, d’une part, de l’autorisation de construire, l’autorité administrative jouissait d’un large pouvoir d’appréciation dans l’octroi de dérogations ; les exemples figurant à l’art. 5 al. 1 RAZIDI avaient pour point commun d’être essentiels, si ce n’est indispensables aux personnes actives dans ces zones d’affectation que ce soit pour se nourrir, s’informer ou se détendre, accomplir des tâches administratives ou trouver des solutions de garde d’enfant. À l’inverse, les services en relation avec le domaine de la prostitution n’apparaissaient pas essentiels ni indispensables aux personnes actives en zone industrielle ; leur implantation dans ces zones ne permettait pas non plus d’éviter des déplacements inutiles. Enfin, s’agissant d’une activité à proximité d’une école primaire, l’intérêt privé des tiers (parents et enfants) l’emportait sur l’intérêt purement économique de la recourante ou de sa locataire.

S’agissant, d’autre part, de l’ordre de remise en état, l’activité professionnelle déployée dans le bâtiment propriété de la recourante l’avait été sans autorisation de construire préalable. La compétence de la brigade des mœurs ne concernait pas la législation en matière de constructions et d’aménagement du territoire. La recourante, assistée d’un avocat, connaissait la répartition des compétences en la matière, d’autant plus qu’il y avait déjà eu une procédure en 2009. La recourante ayant agi en toute connaissance de cause, l’infraction était grave, ce qui justifiait le montant de l’amende de CHF 10'000.-.

29) Aucune observation complémentaire n’a été déposée par la recourante dans le délai fixé par la chambre administrative au 26 mai 2016.

30) Le 29 mai 2017, le juge délégué a sollicité des pièces supplémentaires de la part du département et lui a fixé un délai pour des observations complémentaires à leur sujet. Les pièces ont été fournies par l’OAC sans nouvelles remarques.

31) Le 13 juillet 2017, la recourante a expliqué qu’en date du 30 juin 2010, elle s’était contentée de se conformer à ce qui avait été toléré par la décision de la CCRA du 21 mai 2010. Il ressortait de cette décision qu’il n’y avait pas à proprement parler d’activité professionnelle exercée dans la villa et, si tel devait être le cas, elle n’était qu’occasionnelle. Actuellement, la villa continuait d’être occupée pour le logement des employées, bien qu’une activité professionnelle s’y soit également développée. Celle-ci restait toutefois de moindre importance par rapport au logement. Au surplus, la recourante a persisté dans les conclusions de son recours du 29 février 2016.

32) Le 18 juillet 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l’art. 14 LAT, les plans d’affectation règlent le mode d’utilisation du sol. Ils définissent en premier lieu les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger.

b. À Genève, l’art. 12 LaLAT précise que pour déterminer l’affectation du sol sur l’ensemble du territoire cantonal, celui-ci est réparti en zones (al. 1), lesquelles sont de trois types (al. 2), à savoir les zones ordinaires (let. a ; voir aussi art. 18 à 27), les zones de développement (let. b ; voir aussi art. 30 à 30B) et les zones protégées (let. c ; voir aussi art. 28).

c. L’art. 19 LaLAT détaille les zones à bâtir. L’art. 19 al. 4 LaLAT prévoit que les zones industrielles et artisanales sont destinées aux constructions industrielles, artisanales et ferroviaires. Ainsi, selon la systématique suivie par le législateur genevois, les zones industrielles font partie des zones à bâtir, qui sont elles-mêmes englobées dans les zones ordinaires au sens des art. 12 et 18 LaLAT (ATA/518/2010 du 3 août 2010 consid. 4b).

d. Selon l’art. 12 al. 4 LaLAT, dont la note marginale est « zones de développement », en vue de favoriser l’urbanisation, la restructuration de certains territoires, l’extension des villages ou de zones existantes, la création de zones d’activités publiques ou privées, le Grand Conseil peut délimiter des périmètres de développement, dits zones de développement, dont il fixe le régime d’affectation. Le Grand Conseil peut créer des zones de développement vouées à des affectations spécifiques qui précisent celles visées aux art. 19, 30 et 30A ou au besoin s’en écartent. À l’intérieur de ces périmètres, le Conseil d’État peut, en vue de la délivrance d’une autorisation de construire, autoriser le département à faire application des normes résultant de la zone de développement, en lieu et place de celles de la zone à laquelle elle se substitue.

e. Selon l’art. 30 LaLAT, les zones de développement sont régies, selon leur affectation, par la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) et par la LZIAM.

f. La LaLAT distingue ainsi les zones industrielles et artisanales « ordinaires » (art. 19 al. 4 LaLAT) et les zones de développement industriel et artisanal (art. 30 LaLAT et LZIAM).

3) La LZIAM a pour but de fixer les conditions applicables à l’aménagement et l’occupation rationnelle des zones de développement industriel, dévolues aux activités industrielles et artisanales (ci-après : activités du secteur secondaire), ainsi que des zones de développement d’activités mixtes, dévolues aux activités des secteurs secondaire et tertiaire, y compris les activités culturelles et festives (art. 1 al. 1 LZIAM). Les zones de développement d’activités mixtes comportent au minimum 60 % des surfaces brutes de plancher dévolues à des activités du secteur secondaire (art. 1 al. 2 LZIAM).

Selon l’art. 4 al. 1 LZIAM, dans les zones de développement industriel et les zones de développement d’activités mixtes, le Conseil d’État peut, en vue de la délivrance de l’autorisation de construire, autoriser l’application des normes de la zone industrielle ou de la zone de développement d’activités mixtes au sens de la LaLAT. Cette décision est subordonnée à l’approbation préalable : a) des plans et règlements directeurs au sens des art. 2 et 3 ou, le cas échéant, d’un PLQ fixant tout ou partie des éléments énoncés dans l’art. 3 LGZD ; b) des conditions particulières applicables au projet présenté, notamment : 1° le prix du terrain, qui doit être agréé sur la base des prix admis dans chaque zone de développement industriel ou d’activités mixtes, 2° les loyers et les prix des locaux industriels ou artisanaux répondant à un besoin d’intérêt général, qui doivent respecter les montants maximums fixés pour chaque zone de développement d’activités mixtes par le Conseil d’État, 3° les loyers et les prix des locaux destinés à des activités tertiaires dans les zones de développement d’activités mixtes, dont les montants doivent être comparables aux prix du marché.

Selon l’art. 4 al. 2 LZIAM, si la demande porte sur une construction ou une installation de peu d’importance ou provisoire, le département peut délivrer d’emblée l’autorisation de construire après en avoir, si nécessaire, fixé les conditions particulières. Tel est par exemple le cas en cas de changement d’affectation d’une carrosserie en une épicerie de type « take away » (ATA/926/2016 du 1er novembre 2016 consid. 13).

4) Le 2 novembre 2011, le Conseil d’État a présenté le projet de loi PL 10’861 modifiant l’ancienne loi générale sur les zones de développement industriel du 13 décembre 1984 (LGZDI, devenue LZIAM). Il s’agissait d’instaurer un nouveau type de zone d’activités (« zone de développement d’activités mixtes »), dans le but de favoriser la mixité entre les activités secondaires et tertiaires et d’assurer ainsi une densification des espaces disponibles et une meilleure intégration des activités aux zones urbanisées (PL 10’861, p. 6). La nouvelle loi 10’861 a été adoptée par le Grand Conseil le 22 mars 2012 et est entrée en vigueur le 28 août 2013.

5) Selon la jurisprudence et la doctrine, les zones industrielles et artisanales regroupent traditionnellement des activités du secteur primaire et secondaire (ATA/518/2010 précité consid. 5 ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, Aménagement du territoire, construction, expropriation, Berne 2001, p. 235 et les références citées). La notion de construction industrielle n'étant pas définie par la loi, il convient de se référer au sens large et commun de ce terme (RDAF 1983, p. 190). Or, une notion large et commune de l'industrie ne se limite pas au travail et à la transformation de la matière mais s'étend à l'ensemble des opérations qui concourent à la production et à la circulation des richesses (ATA/518/2010 précité consid. 5 ; RDAF 1999 I, p. 369).

Il ressort implicitement de la jurisprudence - voir notamment ATA/594/2006 du 14 novembre 2006 consid. 4a et 4b ; ATA/518/2010 précité consid. 4b et 5 - que la définition de l’« industrie » est identique dans les zones (ordinaires) industrielles et artisanales (art. 19 al. 4 LaLAT) et dans les zones de développement industriel et artisanal (art. 30 LaLAT et LZIAM).

6) En l’espèce, la parcelle concernée par la présente procédure est située en zone de développement industriel (art. 30 LaLAT et LZIAM) et non pas dans la nouvelle zone de développement d’activités mixtes, ni d’ailleurs en zone industrielle et artisanale « ordinaire » (art. 19 al. 4 LaLAT).

7) a. Selon la LAT, aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente (art. 22 al. 1 LAT). L'autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone (art. 22 al. 2 let. a LAT) et si le terrain est équipé (art. 22 al. 2 let. b LAT). Le droit fédéral et le droit cantonal peuvent poser d'autres conditions (art. 22 al. 3 LAT). Le droit cantonal règle les exceptions prévues à l'intérieur de la zone à bâtir (art. 23 LAT).

b. Selon l'art. 1 al. 1 let. b LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut notamment, sans y avoir été autorisé, modifier même partiellement le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation.

c. Le terme « transformation » de l’art. 22 al. 1 LAT vise également le changement d’affectation, soit la modification du but de l’utilisation, même lorsqu’il ne nécessite pas de travaux de construction (ATA/1346/2015 du 15 décembre 2015 consid. 6b et les références citées ; au sujet de l’art. 22 LAT : ATF 139 II 134, 140 consid. 5.2 ; au sujet de l’art. 24 LAT : ATF 119 Ib 222, 227 consid. 3a ; ATF 113 Ib 219, 223 c. 4d ; ATF 108 Ib 359, 361 consid. 3a ; Alexander RUCH, art. 22, in Heinz AEMISEGGER/Pierre MOOR/Alexander RUCH/Pierre TSCHANNEN [éd.], Commentaire de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (VLP-ASPAN), 2009, p. 19 n. 34 ad art. 22 LAT ; ATF 132 II 21, 42 consid. 7.1.1 et ATF 127 II 215, 218-219 consid. 3a au sujet de l’art. 24 al. 2 aLAT).

d. La conformité à l’affectation de la zone implique que la fonction de la construction ou installation concorde avec celle de la zone. Il ne suffit pas qu’elle ne soit pas contraire à la destination de la zone (DFJP/OFAT, Étude relative à la LAT, 1981, p. 274 n. 29 ; ATA/822/2015 du 11 août 2015 consid. 12b). L’utilisation de la construction ou de l'installation est pertinente pour juger de la conformité à l’affectation de la zone, en particulier si elle est connue au moment de l’octroi de l’autorisation (ATA/822/2015 précité consid. 12b ; ATA/1019/2014 du 16 décembre 2014 consid. 5a ; ATA/784/2013 du 26 novembre 2013 consid. 6a ; ATA/70/2013 du 6 février 2013 consid. 3a).

8) Dans un arrêt du 15 décembre 2015, la chambre administrative a retenu que la recourante avait l’obligation de requérir une autorisation de construire pour transformer sa villa d’habitation en salon de massage érotique (ATA/1346/2015 précité consid. 12).

Dans un arrêt du 11 août 2015, la chambre administrative a rappelé que la 5ème zone de construction était une zone résidentielle destinée aux villas (ATA/822/2015 précité consid. 8b) et que l’exercice régulier de la prostitution dans des studios d’habitation entrait clairement en contradiction avec cette dernière notion (ATA/822/2015 précité consid. 8c). L’exploitation d’un salon de prostitution dans une villa située en 5ème zone de construction constituait un changement de destination de la villa, soumis à autorisation (ATA/822/2015 précité consid. 8d, 12, 13 et 14).

Dans un arrêt du 14 novembre 2006, la chambre administrative a examiné un recours dirigé contre une décision du département ordonnant de cesser l’exploitation d’un salon de massage dans un bâtiment situé à B______, dans la zone de développement industriel et artisanal de F______ (ci-après : la G______). Selon l’art. 19 al. 4 LaLAT, les zones industrielles et artisanales étaient destinées aux constructions industrielles, artisanales et ferroviaires. Les termes « artisanal » et « industriel » faisaient référence à des activités des secteurs primaire et secondaire. Selon l’art. 4 al. 1 du plan directeur de la G______, adopté le 28 août 1991 par le Conseil d’État, les terrains situés dans le périmètre de la G______ étaient destinés à des constructions affectées à des activités industrielles, artisanales, de distribution en gros et d’entreposage de matériel ou de marchandises sous abri et en locaux fermés. L’implantation de certaines activités de services, telles que restaurants, guichets bancaires et offices postaux, pouvait être autorisée à titre exceptionnel (art. 4 al. 6 du plan directeur). L’art. 16 prévoyait que le département pouvait déroger, après consultation de la commune et de la commission d’urbanisme, aux dispositions des plan et règlement directeurs de la G______, si les circonstances le justifiaient. C’était dès lors à juste titre que le département avait admis que les activités exercées par le salon de massage n’étaient pas conformes à la zone industrielle et artisanale (ATA/594/2006 précité consid. 4a et 4b). En outre, aucune circonstance ne justifiait l’octroi d’une dérogation selon l’art. 26 al. 1 LaLAT (ATA/594/2006 précité consid. 5).

Dans un arrêt du 31 août 2012, le Tribunal fédéral a confirmé que l’exercice régulier de la prostitution entrait clairement en contradiction avec la notion d’habitation (arrêt du Tribunal fédéral 1C_237/2012 du 31 août 2012 consid. 2).

Dans un arrêt du 7 juin 2016 portant sur un contrôle abstrait du règlement communal de la commune de Payerne sur l’exercice de la prostitution, le Tribunal fédéral a expliqué qu’une concentration des salons de prostitution en-dehors des quartiers où l'habitat est prépondérant et dans des locaux conformes à une affectation commerciale permettrait aux habitants de la commune de passer des nuits plus calmes et à leurs enfants de ne pas être confrontés à la prostitution durant la journée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_862/2015 du 7 juin 2016 consid. 7.1.1). Il n’a pas vu en quoi la pratique de la prostitution dans des bâtiments situés hors des zones à prépondérance d'habitat, et dont l'affectation est commerciale, péjorerait les conditions d'exercice de la prostitution (arrêt du Tribunal fédéral 2C_862/2015 précité consid. 7.1.2).

9) En l’espèce, il résulte de ce qui précède que le changement d’affectation d’une villa en salon de massage est une « transformation » sujette à autorisation dans son principe.

Sur la base de la jurisprudence précitée, une telle activité n’est pas conforme à la zone villa, ni à la zone de développement industriel et artisanal.

10) Il faut par conséquent examiner si une dérogation est envisageable.

11) a. Selon l’art. 26 al. 1 LaLAT, lorsque les circonstances le justifient et s’il n’en résulte pas d’inconvénients graves pour le voisinage, le département peut déroger aux dispositions des art. 18 et 19 LaLAT quant à la nature des constructions. En zone industrielle et artisanale (ordinaire), des activités culturelles ou festives peuvent être autorisées à ces conditions.

Du point de vue de la systématique de la LaLAT, cet article - qui concerne les zones ordinaires - n’est cependant pas applicable directement à la zone de développement industriel et artisanal.

La chambre de céans l’a cependant mentionné dans des litiges concernant une zone de développement industriel et artisanal (ATA/518/2010 précité consid. 4c ; ATA/594/2006 précité consid. 4a et 5) ; elle a cependant conclu que, l’activité visée étant conforme à la zone, la question de la dérogation ne se posait pas (ATA/518/2010 précité consid. 7 in fine).

b. En revanche, l’art. 1 RAZIDI, norme secondaire concrétisant l’art. 1 LZIAM et définissant les activités admissibles dans les zones concernées, connaît un régime d’exception à l’art. 5 RAZIDI.

12) Le RAZIDI a été adopté par le Conseil d’État le 21 août 2013 et est entré en vigueur le 28 août 2013. Il n’a pas fait l’objet d’un communiqué de presse du Conseil d’État. Il n’était pas en vigueur au moment où la chambre de céans a rendu son arrêt précédent sur un sujet proche (ATA/594/2006 précité).

Selon l’art. 1 RAZIDI, dans les zones industrielles ou de développement industriel (ci-après : zones industrielles), les surfaces brutes de plancher sont destinées à des activités économiques à vocation industrielle, artisanale ou technologique (ci-après : activités industrielles ou secteur secondaire) (al. 1).

Les activités de stockage ou d’entreposage, sans transformation de produits ou marchandises de poids ou de dimensions particulièrement élevés, peuvent être également admises, principalement dans les parties reliées au chemin de fer des zones industrielles (al. 2).

Les entreprises qui, à teneur des al. 1 et 2, sont admissibles dans les zones industrielles peuvent y installer des activités non industrielles (notamment administratives), si celles-ci sont nécessaires au déploiement de leur(s) activité(s) principale(s) et même, dans les zones industrielles ordinaires, si les activités industrielles ne s'exercent pas sur place. S'agissant des zones de développement industriel, l'utilisation des surfaces brutes de plancher à des fins non industrielles (notamment administratives) par une entreprise du secteur secondaire ne peut pas dépasser, à l'échelle du canton, 50 % des surfaces brutes de plancher occupées par cette entreprise dans les zones de développement. Sont réservées les situations existantes avant l'entrée en vigueur du RAZIDI au titre des droits acquis (al. 3).

Les surfaces brutes de plancher occupées dans les zones de développement visées à l'al. 3 comprennent celles situées en zones de développement industriel, ainsi que celles situées en zones de développement d'activités mixtes et dévolues au secteur secondaire. (al. 4).

Des logements ne peuvent être aménagés dans les zones industrielles que s’ils sont nécessaires à assurer la garde ou la surveillance des bâtiments pour des raisons de sécurité ou de salubrité (al. 5).

13) Selon l’art. 5 al. 1 RAZIDI, en dérogation à l'art. 1, un régime d’exception peut être conféré à certaines entreprises prestataires de services utiles aux utilisateurs des zones industrielles (travailleurs, clients, fournisseurs), si l'implantation de ces entreprises en zone industrielle est susceptible de contribuer significativement à la réduction des mouvements pendulaires et à l'accroissement du bien-être des utilisateurs. Le régime d’exception pourra être accordé notamment en faveur de tea-rooms et cafés-restaurants, d'épiceries, d'agences de distribution de tabacs et journaux, de guichets bancaires, de fitness, d'offices postaux, ou encore de garderies d’enfants.

Selon l’art. 5 al. 2 RAZIDI, des activités culturelles ou festives sont admissibles par voie dérogatoire. Dans les zones de développement industriel, un pourcentage maximum de surfaces brutes de plancher admissible pour ce type d'affectation est fixé par le plan directeur de zone de développement industriel.

14) En l’espèce, comme mentionné ci-dessus, la prostitution n’est pas considérée comme une activité industrielle ou artisanale. Selon le Tribunal fédéral, il s’agit d’une activité commerciale. Lorsqu’elle est exercée en zone d’habitation, des conflits peuvent cependant survenir avec les voisins. Dès lors que l’activité est légale et expressément autorisée par la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49), il convient de faire en sorte qu’elle puisse être exercée en certains lieux, sans que le droit de l’aménagement du territoire ne l’interdise partout pour non-conformité aux différentes zones.

De ce point de vue, selon le Tribunal fédéral, il est envisageable qu’elle se déroule davantage en dehors des zones d’habitation qu’à l’intérieur de celles-ci. Il faut donc se demander si, lorsqu’une demande de dérogation à la zone de développement industriel est sollicitée, le principe de proportionnalité et son sous-principe de nécessité ne commandent pas qu’une telle autorisation soit délivrée, plutôt que refusée pour aboutir à un transfert de cette activité en zone urbaine 1, 2 ou 3.

Dans la situation d’espèce, il n’y a eu qu’un seul préavis négatif, à savoir celui de la direction de la planification directrice cantonale et régionale. La motivation de ce préavis négatif était particulièrement brève, puisqu’elle était tautologique en indiquant que l’affectation n’était pas conforme à la zone prévoyant des constructions industrielles et artisanales. Il n’y a pas davantage eu d’instruction des conditions posées par la LZIAM, respectivement le RAZIDI.

De ce point de vue, la motivation du TAPI est déjà plus élaborée, puisqu’il a procédé à une pesée des intérêts entre la dérogation et l’intérêt privé du propriétaire.

L’absence de travaux concrets de transformation n’a pas davantage été prise en considération ; en effet, la requête APA se justifiait uniquement par l’exigence légale selon laquelle il convenait de solliciter une autorisation pour un changement d’affectation.

Il convient de retourner le dossier au département pour poursuivre l’instruction, notamment l’applicabilité de l’art. 4 al. 2 LZIAM, respectivement celle de l’art. 5 al. 1 RAZIDI.

Dans ce contexte, il faudra tenir compte du fait qu’il n’est pas contesté que la locataire de la recourante effectue des prestations de services.

Pour ces motifs, le recours devra être admis, et la cause renvoyée au département pour poursuivre l’instruction et fixer éventuellement des conditions pour autoriser le changement d’affectation (en termes de publicité, de nuisances, d’horaires, etc…).

15) Selon l’art. 14 LZIAM, les art. 129 à 138 LCI, sont applicables, par analogie, en cas d’inobservation de la LZIAM, des plans et règlements directeurs ou des décisions prises en application de ces dispositions légales ou réglementaires.

16) Selon l’art. 129 LCI, dans les limites des dispositions de l’art. 130 LCI, le département peut ordonner, à l’égard des constructions, des installations ou d’autres choses les mesures suivantes : a) la suspension des travaux ; b) l’évacuation ; c) le retrait du permis d’occupation ; d) l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter ; e) la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition.

17) En l’espèce, l’admission du recours a pour effet que les mesures administratives des art. 129 et suivants LCI ne doivent pas être examinées.

Cela implique l’admission du recours s’agissant de l’ordre de remise en état pour le futur. Formellement, le jugement du TAPI sera annulé sur ce point. Il n’est pas nécessaire de renvoyer le dossier au TAPI à ce sujet, la chambre de céans pouvant elle-même annuler l’ordre de remise en état prononcé par le département le 8 juin 2015.

Selon le résultat de l’instruction par le département et, en cas de nouveau refus de délivrance d’une autorisation, le département pourra – simultanément à sa décision – rendre un nouvel ordre de remise en état.

18) Cela étant, la recourante a attendu plus de 4 ans avant de solliciter la dérogation nécessaire, le changement d’affectation datant de l’année 2010 au plus tard. En effet, il est établi que, par courrier du 30 juin 2010, le propriétaire lui-même a « autorisé » le locataire à changer l’affectation des lieux. La demande d’APA 41’053 n’a été déposée auprès du département que le 8 octobre 2014. Cela signifie ainsi que l’affectation commerciale des locaux entre 2010 et 2014 en tout cas n’était pas conforme.

19) Il convient donc d’examiner si l’amende de CHF 10'000.- se justifie.

20) a. Aux termes de l’art. 137 LCI, est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant à la LCI, aux règlements et aux arrêtés édictés en vertu de ladite loi, ainsi qu'aux ordres donnés par le département dans les limites desdits loi, règlements et arrêtés (al. 1) ; le montant maximum de l’amende est de CHF 20'000.- lorsqu’une construction, une installation ou tout autre ouvrage a été entrepris sans autorisation mais que les travaux sont conformes aux prescriptions légales (al. 2) ; il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction ; constituent notamment des circonstances aggravantes la violation des prescriptions susmentionnées par cupidité, les cas de récidive et l'établissement, par le mandataire professionnellement qualifié ou le requérant, d'une attestation, au sens de l'art. 7 LCI, non conforme à la réalité (al. 3).

b. Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/319/2017 du 21 mars 2017 consid. 3c ; ATA/829/2016 du 4 octobre 2016 consid. 15b ; ATA/611/2016 du 12 juillet 2016 consid. 10b et les références citées).

c. En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif. On doit cependant réserver celles qui concernent exclusivement le juge pénal (ATA/319/2017 précité consid. 3d ; ATA/829/2016 précité consid. 15c ; ATA/611/2016 précité consid. 10c et les références citées).

Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence. Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu’en cas d’excès ou d'abus. Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst. ; ATA/319/2017 précité consid. 3d ; ATA/829/2016 précité consid. 15c ; ATA/611/2016 précité consid. 10b et les références citées).

L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/319/2017 précité consid. 3d ; ATA/829/2016 précité consid. 15d ; ATA/611/2016 précité consid. 10d et les références citées).

21) En l’espèce, s’agissant du principe de l’amende, il faut retenir que la propriétaire a attendu plus de quatre ans pour déposer une demande d’autorisation. La propriétaire connaissait la situation juridique applicable, puisqu’elle avait fait l’objet d’une procédure administrative en 2009-2010 pour une problématique similaire. La décision initiale avait été annulée par la CCRA car la villa litigieuse était, alors, utilisée comme logement et non comme local professionnel.

Le 30 juin 2010, la propriétaire avait expressément et par écrit autorisé la locataire à utiliser la maison comme salon de massage. L’accord pour une utilisation occasionnelle ne peut être mis au crédit de la propriétaire, d’autant plus que le mot « occasionnellement » n’était pas défini et que ce courrier de la propriétaire avait été rédigé très peu de temps après la décision de la CCRA du 21 mai 2010. Autrement dit, moins de deux mois après avoir obtenu gain de cause auprès de la CCRA pour une villa utilisée comme logement, la propriétaire validait l’utilisation pour des activités professionnelles, même occasionnelles.

Vu le comportement concret de la propriétaire, le principe de l’amende doit donc être confirmé.

22) S’agissant de la quotité de l’amende, la jurisprudence récente retient ce qui suit.

Dans un arrêt du 4 octobre 2016 concernant des travaux de rénovation et de modification de la surface d’un bâtiment en zone agricole, le TAPI a réduit l’amende de CHF 30'000.- à CHF 20'000.- et la chambre de céans a confirmé ce montant. Elle a notamment tenu compte de l’absence de bonne foi de la partie recourante, car cette dernière n’avait informé le département qu’après une dénonciation et que les avis d’ouverture de chantiers et les APA pour des travaux mineurs visaient à induire le département en erreur sur la réalité des travaux exécutés (ATA/829/2016 précité consid. 16).

Dans un arrêt du 12 juillet 2016 concernant un garage fermé édifié sans autorisation sur une parcelle sise en zone de protection des rives de l’Arve, le TAPI a réduit l’amende de CHF 3'000.- à CHF 1'500.- et la chambre de céans a confirmé ce montant (ATA/611/2016 du 12 juillet 2016 consid. 10e).

Dans un arrêt du 28 juin 2016 concernant le comblement d’un mur de soutènement effectué sans autorisation, la chambre de céans a confirmé une amende de CHF 5'000.- (ATA/558/2016 du 28 juin 2016 consid. 5).

Dans un arrêt du 12 avril 2016 concernant des constructions érigées sans autorisation sur une parcelle sise en zone agricole et en partie en zone d’assolement, la faute du recourant a été qualifiée de grave en raison de la récidive et du nombre de constructions non autorisées. Le montant de l’amende de CHF 20'000.- a été confirmé sur le principe ; la réduction à CHF 12'000.- ne résulte que de la situation financière du recourant (ATA/303/2016 du 12 avril 2016 consid. 10e).

Dans un arrêt du 15 décembre 2015, l’amende de CHF 3'000.- pour l’exploitation d’un salon de prostitution dans une villa sise en 5ème zone de construction a été confirmée par la chambre de céans. Il était reproché à tout le moins une négligence à la recourante, qui ne s’était pas renseignée auprès de l’autorité compétente sur la nécessité d’une autorisation de construire (ATA/1346/2015 précité consid. 12).

Dans deux arrêts du 11 août 2015, l’amende de CHF 3'000.- pour l’exploitation d’un salon de prostitution dans une villa sise en 5ème zone de construction a aussi été confirmée par la chambre de céans (ATA/822/2015 précité consid. 15e ; ATA/824/2015 du 11 août 2015 consid. 14e).

Dans un arrêt du 2 juin 2015, le département avait infligé deux amendes de CHF 2'500.- pour défaut du dépôt d’une demande d’autorisation, respectivement pour réalisation d’une construction sans autorisation. La chambre administrative a annulé la deuxième amende en application du principe ne bis in idem ; la première a cependant été confirmée tant dans son principe que dans sa quotité (ATA/569/2015 du 2 juin 2015 consid. 28).

23) En l’espèce, il convient de tenir compte du fait que la propriétaire a attendu plus de quatre ans avant le dépôt de la requête en autorisation, sa réaction faisant suite à une interpellation de la locataire par le département. La propriétaire a ainsi préféré conserver ses revenus locatifs avant de solliciter une autorisation ; elle connaissait le contexte légal, vu la procédure administrative à laquelle elle avait participé en 2009-2010. Le montant devra néanmoins être réduit ; la chambre administrative considère qu’un montant de CHF 4'000.-, soit CHF 1'000.- par an, est adéquat. Le résultat paraît correct, dès lors que dans les cas d’exploitation d’un salon de prostitution en zone villa, une amende de CHF 3'000.- avait été confirmée.

24) L’amende sera ainsi réduite de CHF 10'000.- à CHF 4'000.-.

25) En ce qui concerne les frais, la recourante obtient gain de cause sur le principe de l’octroi d’une dérogation et de l’annulation de la remise en état, mais pas sur la contestation de l’amende. L’émolument sera ainsi fixé à CHF 500.-.

26) Une indemnité de procédure réduite, de CHF 500.-, sera accordée à la recourante.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 février 2016 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 janvier 2016 ;

 

au fond :

admet partiellement le recours ;

annule le chiffre 4 du jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 janvier 2016 ;

cela fait, statuant à nouveau, renvoie le dossier au département de l’aménagement, du logement et de l’énergie pour qu’il poursuive, au sens des considérants, l’instruction de la requête en autorisation ;

annule l’ordre de remise en état du 8 juin 2015 ;

confirme le principe d’une amende à A______ SA et en fixe le montant à CHF 4'000.- ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge d’A______ SA ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500 :- à A______ SA, à la charge de l’État de Genève ;

rejette le recours pour le surplus ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Felix, avocat de la recourante, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, juge, M. Hofmann, juge suppléant.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :