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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1314/2015

ATA/926/2016 du 01.11.2016 sur JTAPI/1294/2015 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR ; CONSTRUCTION ET INSTALLATION ; CHANGEMENT D'AFFECTATION ; ZONE INDUSTRIELLE ET ARTISANALE ; CONFORMITÉ À LA ZONE ; NOTION JURIDIQUE INDÉTERMINÉE ; PROCÉDURE D'AUTORISATION ; EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LAT.4.al1 ; LAT.14 ; LAT.22 ; LCI.1.al1.letb ; LCI.3.al7 ; LCI.14.al1.lete ; RCI.3.al3 ; LaLAT.19.al4 ; LZIAM.4.al2 ; LGZD.3.al7 ; RAZIDI.5.al1
Parties : RAMPINI Marco ET AUTRES, RAMPINI Nicolas, RAMPINI Raphael, RAMPINI-ITSOUHOU MADZOU Marina, LECLERC Jacques Roger / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC, BUHLER André
Résumé : Confirmation d'une autorisation de construire s'agissant d'un changement d'affectation d'un garage en une épicerie de type « take-away » en zone de développement industriel et artisanal. Examen de l'application faite de la dérogation relative à la notion de construction de « peu d'importance », dans le cadre de la LZIAM, autorisant le DALE à délivrer une autorisation de construire sans demander l'approbation du Conseil d'État. Confirmation du raisonnement du TAPI concernant les inconvénients graves allégués engendrés par ledit changement d'affectation.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1314/2015-LCI ATA/926/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er novembre 2016

3ème section

 

dans la cause

 

Madame Marina RAMPINI-ITSOUHOU MADZOU et Messieurs Marco RAMPINI, Nicolas RAMPINI et Raphael RAMPINI,
Monsieur Jacques Roger LECLERC,

représentés par Me François Bellanger, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE

et

Monsieur André-Daniel BUHLER

représenté par Me Guy Longchamp, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 novembre 2015 (JTAPI/1294/2015)


EN FAIT

1. Monsieur Roberto VERNACCHIO est propriétaire de la parcelle n° 2'853, feuille 40 de la commune de Vernier, sise au 18, chemin de Champs-Prévost. Sur cette parcelle, se trouve une construction cadastrée comme un atelier.

2. Monsieur Roger LECLERC est propriétaire de la parcelle n° 5'476, sise au 18a, chemin Champs-Prévost, voisine de la parcelle précitée, sur laquelle se trouve son atelier de travail.

3. Madame Marina RAMPINI-ITSOUHOU MADZOU, Messieurs Marco RAMPINI, Nicolas RAMPINI et Raphael RAMPINI (ci-après: les consorts RAMPINI) sont propriétaires des parcelles nos 5'495 et 5'496, situées respectivement à 130, 84 et 143 m de la parcelle de M. VERNACCHIO.

Sur les parcelles nos 5'493 et 5'495, huit bâtiments sont érigés, formant un centre artisanal et de stockage et accueillant une vingtaine d'entreprises locataires.

Aucun des consorts RAMPINI ne vit ni ne travaille sur l'une des parcelles susmentionnées.

4. Toutes ces parcelles se situent en zone de développement industriel et artisanal conformément au plan de zone n° 29'582 dressé par le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (ci-après : DALE) le 14 juillet 2006 et approuvé par le Grand Conseil le 24 septembre 2010.

5. Le 18 août 2014, Monsieur Fernando MATEUS DIAS, exploitant un commerce de restauration chaude de type « take-away » dans un bâtiment érigé sur la parcelle n° 903, propriété de Monsieur Georges PEIRY, sis au 12, chemin de Champs-Prévost, a déposé au DALE une demande d'autorisation de construire en procédure accélérée pour le changement d'affectation d'un garage, exploité par M. VERNACCHIO sur sa propre parcelle n° 2’853, en un commerce d'épicerie et de vente à l'emporter (APA 40'786). La nouvelle exploitation s'étalerait sur une surface d'environ 304 m2.

Le projet consistait à déplacer l'exploitation de M. MATEUS DIAS, dans le but de profiter d'une plus grande surface et d'un accès automobile aisé pour la clientèle, en lieu et place de la carrosserie de M. VERNACCHIO. L'activité déployée consisterait en la préparation quotidienne de plus de trois cents repas chauds, à savoir des poulets rôtis, ou de production alimentaire. Des transformations intérieures du bâtiment et une pose d'installations nouvelles étaient prévues dans le cadre de la nouvelle affectation.

6. À une date non précisée dans le dossier, le bâtiment dans laquelle était exploitée la rôtisserie sur la parcelle n° 903 a brûlé.

7. Durant la phase d'instruction :

- le 18 août 2014, l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT) a émis un préavis favorable ;

- le 20 août 2014, l'inspection de la construction a préavisé favorablement le projet ;

- par préavis du 22 août 2014, la direction de la mensuration officielle s'est déclarée favorable audit projet ;

- après s'être dite défavorable au projet le 22 août 2014, la direction de la planification directrice cantonale et régionale (ci-après : SPI) s'est ravisée et s'est prononcée en faveur du projet « avec dérogations » et sous conditions le 25 février 2015. La dérogation mentionnée était celle prévue à l'art. 4 al. 3 de la loi générale sur les zones de développement industriel ou d’activités mixtes du 13 décembre 1984 (LZIAM - L 1 45) ;

- la police du feu a émis un préavis favorable, sous conditions, le 22 août 2014 ;

- le 26 août 2014, le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) a rendu un préavis favorable ;

- l'office cantonal de l'énergie (ci-après : OCEN) s'est prononcé, le 9 septembre 2014, en faveur du projet, sous conditions ;

- le 15 septembre 2014, la direction générale de l'eau (ci-après : DGEau) a préavisé favorablement ledit projet, sous conditions également ;

- la fondation pour les terrains industriels de Genève (ci-après : FTI) a, le 3 novembre 2014, émis un préavis favorable « avec dérogations » ;

- le 11 novembre 2014, la commune de Vernier a indiqué être favorable au projet ;

- le 19 février 2015, le service de la consommation et des affaires vétérinaires s'est déclaré favorable, sous réserve du respect de dix conditions permettant le respect des dispositions de l'ordonnance du DFI sur l'hygiène du 23 novembre 2005 (OHyg - RS 817.024.1).

Pendant la phase d'instruction du dossier conduite par le DALE, MM. MATEUS DIAS et VERNACCHIO étaient assistés par la société FLC Corporation SA et son administrateur Monsieur André-Daniel BUHLER. À la suite d’un échange de correspondances avec le DALE, M. BUHLER s’est substitué à M. MATEUS DIAS en qualité de requérant de l’autorisation.

8. Par décision du 2 mars 2015, parue dans la feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO), le DALE a délivré à M. BUHLER l'autorisation de construire, n° APA 40'786, dont l'objet était un changement d'affectation. Celle-ci devait néanmoins respecter les conditions faisant partie intégrante de l'autorisation de construire et figurant dans les préavis susmentionnés.

9. Par acte déposé le 20 avril 2015, les consorts RAMPINI ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI), concluant, « sous suite de frais et dépens », à l'annulation de l'autorisation de construire. Le recours a été enregistré sous la référence A/1314/2015.

Le projet litigieux n'était pas conforme à l'affectation de la zone de développement industriel et artisanal. Le plan directeur communal de la commune de Vernier (ci-après : PDCom) affectait cette zone à du développement industriel et artisanal où seules des activités du secteur secondaire étaient autorisées, ce qui était incompatible avec la création d'une épicerie de type « take away ».

Par ailleurs, si M. BUHLER voulait tout de même pouvoir mener à bien son projet, tout en étant en conformité avec la LZIAM, applicable en l'espèce, il était tenu de se faire octroyer une dérogation en vertu de l'art. 4 al. 3 LZIAM. Celle-ci était subordonnée à l'adoption d'un arrêté du Conseil d'État devant prononcer le renoncement à l'établissement d'un plan et règlement directeur ou d'un plan localisé de quartier. Or, ce dernier ne s'était pas prononcé et n'avait pas rendu d'arrêté au sens de l'article précité et de l'art. 3A de la loi sur les constructions et installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). La décision ne mentionnant ni les diverses dérogations susvisées, ni l'arrêté du Conseil d'État, l'autorisation ne respectait pas les normes légales.

Le DALE avait autorisé le projet litigieux sur la base du plan n° 29'975, pas encore adopté, alors qu'il n’était pas conforme au plan de zone en vigueur. Ce dernier n'avait toutefois pas encore été adopté au moment du recours. Il était donc impossible de savoir si et quand le nouveau plan directeur entrerait en vigueur, de sorte que son application anticipée par le DALE violait le principe de la sécurité du droit et de la légalité. De plus, l'autorisation de construire était notamment conditionnée à l'aménagement d'un accès au parking par la parcelle des consorts RAMPINI, ce à quoi ces derniers se seraient de toute façon opposés.

Enfin, ladite autorisation violait les prescriptions légales en matière de sécurité, d'équipement de terrain et d'inconvénients olfactifs dûs à la cuisson de poulets rôtis. En effet, la voie d'accès actuelle à l'épicerie serait encombrée par un trafic important si un tel établissement commercial était autorisé dans une zone industrielle et artisanale. Le parking y afférent ne serait dès lors plus adapté. De plus, un accroissement du danger pour les automobilistes serait aussi généré dû à un manque de visibilité et à une circulation dense de camions sur le chemin Champs-Prévost. Les odeurs liées à l'activité de rôtisserie seraient insupportables pour les gens travaillant ou occupant la zone.

10. Par acte déposé le 20 avril 2015, M. LECLERC a également recouru contre l'autorisation de construire litigieuse, concluant à son annulation « sous suite de frais et dépens ». Ses griefs et son argumentation étaient en tous points similaires à ceux invoqués par les consorts RAMPINI. Le recours a été enregistré sous la référence A/1315/2015.

11. Le 13 mai 2015, les consorts RAMPINI et M. LECLERC ont déposé, par acte conjoint, une requête en mesures superprovisionnelles, avant audition des parties, et provisionnelles, après ladite audition, visant à ordonner l'arrêt immédiat des travaux en cours sur la parcelle n° 2’853 de la commune de Vernier. Ceux-ci avaient débuté alors que le recours bénéficiait de l'effet suspensif.

12. Ils ont obtenu gain de cause par décisions DITAI/369/2015 et DITAI/370/2015 sur mesures superprovisionnelles du 13 mai 2015 puis par décisions DITAI/408/2015 et DITAI/409/2015 sur mesures provisionnelles du 29 mai 2015.

13. Par réponse du 26 mai 2015, M. BUHLER a conclu, « sous suite de frais et dépens », principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet.

Les intéressés n'avaient pas la qualité pour recourir du fait qu'ils n'étaient pas directement touchés par la décision d'autorisation de construire et n'avaient aucun intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée, du moins ils ne le démontraient pas dans leurs écritures.

Le projet litigieux, comprenant notamment la préparation et la cuisson de poulets, était conforme à la zone sur laquelle se trouvait le site car il devait être considéré comme artisanal. Même à considérer ledit projet uniquement comme commercial, il resterait conforme à la zone car il entrerait dans le régime des exceptions prévu à l'art. 5 du règlement sur les activités admissibles en zone industrielle ou de développement industriel, respectivement en zone de développement d'activités mixtes (RAZIDI - L 1 45.05), ledit régime pouvant être accordé en faveur de tea-rooms, café-restaurants ou épiceries notamment. D'ailleurs, la direction de la planification directrice cantonale et régionale avait préavisé favorablement le projet sur la base dudit article.

Si le Conseil d'État avait renoncé à établir un plan et règlement directeur ou un plan localisé de quartier dans un secteur de développement déjà fortement bâti, c'est qu'il en avait la possibilité au sens de l'art. 4 al. 3 LZIAM, ce que le préavis de la direction de la planification directrice cantonale et régionale mentionnait explicitement, de sorte que ledit article n'avait pas été violé.

L'autorisation de construire n'avait pas été délivrée sur la seule base du plan directeur n° 29'975, mais était conforme à l'actuel.

S'il devait manquer un préavis ou une autorisation d'un service de l'État, voire d'un arrêté du Conseil d'État, ce qui était contesté, un tel vice de forme pourrait être réparé en cours de procédure. Partant, l'art. 3A LCI n'avait pas été violé.

Les griefs relatifs à la dangerosité, l'insuffisance des voies d'accès ainsi que les odeurs nauséabondes n'avaient pas été démontrés par les recourants et devaient par conséquent être écartés.

14. Le 23 juin 2015, le DALE a transmis ses observations au TAPI, concluant principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet et reprenant en substance l'argumentation de M. BUHLER.

15. Par réplique du 20 juillet 2015, les consorts RAMPINI ont sollicité un transport sur place et l'audition de témoins tout en persistant dans leurs conclusions.

Ils avaient la qualité pour recourir car les nuisances engendrées aux voisins par la vente de poulets rôtis étaient réelles. Celles-ci étaient constatables car un commerce du même type était installé à quelques mètres de la parcelle litigieuse. L'activité prévue par la nouvelle autorisation de construire consisterait en une vente du même produit, mais à plus grande échelle de sorte que les nuisances s’accroîtraient. Les intéressés étaient dès lors placés dans une relation spéciale avec le projet. Les voisins se plaignaient déjà des nuisances olfactives générées par la rôtisserie existante. L'audition de Monsieur Georges PEIRY était requise en sa qualité de propriétaire, ayant résilié le bail des locaux où se trouvait la rôtisserie à cause des nuisances y afférentes. Par ailleurs, les places de parkings, dont se prévalait le DALE pour affirmer qu'aucune gêne ne serait causée par l'épicerie litigieuse, étaient déjà louées aux travailleurs de la zone et donc non-utilisables pour les futurs clients du commerce.

16. M. BUHLER a dupliqué en date du 1er septembre 2015, persistant dans ses conclusions.

Le bail avait été résilié par les locataires et non par le propriétaire de sorte que ce n'étaient pas des nuisances qui avaient causé la résiliation du bail.

17. Par jugement du 4 novembre 2015, le TAPI a joint les deux procédures sous la référence A/1314/2015 et a rejeté le recours.

La qualité pour recourir des consorts RAMPINI n'était pas donnée, car ils n'étaient que propriétaires des parcelles voisines au projet litigieux et non pas habitants, ni ne travaillaient dans cette zone. Ils ne pouvaient donc pas être directement touchés par les prétendues nuisances avancées par ceux-ci. Leur recours s'apparentait à une action populaire et aurait dû être déclaré irrecevable. Quant à M. LECLERC, à supposer que les nuisances allaient se produire avec certitude ou avec une grande vraisemblance, ce qui était compliqué à établir, et étant donné qu'il exerçait son activité professionnelle sur sa parcelle, directement voisine du futur projet litigieux, sa qualité pour recourir était moins discutable. La question de la qualité pour recourir pouvait demeurer ouverte, vu l'issue des recours.

Les demandes d'instruction complémentaire étaient rejetées, le dossier comprenant les éléments suffisants et nécessaires à l'examen des griefs des recourants et aux arguments des parties.

Étant donné que le projet litigieux portait sur un objet de peu d'importance, au sens de l'art. 4 al. 2 LZIAM, le DALE était fondé à délivrer l'autorisation de construire sans que le Conseil d'État n'ait à rendre un arrêté. Dès lors, la question de la dérogation de l'art. 4 al. 3 LZIAM, et par conséquent la violation invoquée par les consorts RAMPINI et M. LECLERC de l'art. 3A LCI, ne se posait pas.

Même si l'activité litigieuse n'entrait effectivement pas dans la catégorie des activités prévues dans la zone en question, l'art. 1 RAZIDI prévoyait un régime d'exception pouvant être conféré à certaines entreprises prestataires de services utiles aux utilisateurs des zones industrielles (travailleurs, clients, fournisseurs) si l'implantation de ces entreprises en zone industrielle était susceptible de contribuer significativement à la réduction des mouvements pendulaires et à l'accroissement du bien-être des utilisateurs. Ces exceptions pouvaient être accordées notamment en faveur de tea-rooms, cafés-restaurants ou épiceries (art. 5 al. 1 RAZIDI). La FTI, dans son préavis du 11 novembre 2014, avait accordé, conjointement avec le département de la sécurité et de l'économie, une dérogation. En conformité avec cette dernière, le DALE avait, à raison, retenu qu'il était admissible que le « take away » soit considéré comme un café-restaurant ou une épicerie et qu'il puisse s'implanter dans la zone concernée pour en desservir les utilisateurs. Le DALE, jouissant d'un large pouvoir d'appréciation, avait forgé sa décision sur la base de tous les préavis positifs de sorte que le TAPI ne pouvait pas se substituer à son appréciation.

Le changement d'affectation était conforme au plan de zone n° 29'582, en vigueur au moment du prononcé du jugement, la conformité au plan n° 29'975 en gestation n'avait dès lors pas de portée sur le litige.

La publication officielle du 6 mars 2015 dans la FAO ne mentionnait pas la dérogation susmentionnée, mais ceci n'avait causé aucun préjudice aux intéressés car ces derniers avaient pu interjeter recours contre l'autorisation et faire valoir leurs droits devant l'autorité compétente.

Le changement d'affectation querellé pouvait occasionner un plus grand nombre d'aller-venues, mais ceci ne suffisait pas pour considérer que l'équipement de la parcelle litigieuse apparaîtrait comme inadapté, inadéquat et dangereux. Les complications soulevées par les consorts RAMPINI et M. LECLERC n'étaient que le fruit de leur analyse personnelle de la situation, celle-ci étant peu crédible et par ailleurs non-documentée. En tout état, si un tel danger ou une gêne pour la circulation devait être constaté, le DALE pourrait être amené à prendre les mesures qui s'imposeraient au sens des art. 129 et 130 LCI.

En ce qui concernait les nuisances olfactives, le SABRA, ayant avalisé le projet le 26 août 2014, n'avait pas identifié de problème. L'on pouvait raisonnablement attendre du projet litigieux qu'il soit doté d'équipements nouveaux permettant de réduire au maximum les odeurs de poulets rôtis afin d'incommoder le moins possible le voisinage. Les potentielles nouvelles nuisances n'impliqueraient pas une péjoration de la situation pour le voisinage au vu de la zone dans laquelle devait s'implanter cette rôtisserie, celle-là connaissant une pollution émanant des industries présentes. Au même titre que pour la dangerosité de la circulation, si l'installation litigieuse devait émettre des nuisances olfactives inadmissibles, le DALE pourrait prendre les mesures nécessaires pour y remédier.

18. Par actes séparés du 9 décembre 2015, les consorts RAMPINI et M. LECLERC ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité. Ils ont repris leur conclusion en annulation de l'autorisation de construire litigieuse délivrée par le DALE, avec « suite de frais et dépens ». Un transport sur place ainsi que l'audition de témoins étaient à nouveau sollicités.

M. MATEUS DIAS avait, par le passé, déjà exploité un commerce de vente de poulets rôtis à Vernier, sur une parcelle voisine, la n° 903, sans bénéficier d’une autorisation. Les recourants avaient pu constater les nuisances générées par ladite activité.

Les deux actes de recours ont repris en substance l'argumentation développée auparavant en précisant certains points.

La définition d'une construction de peu d'importance était prévue à l'art. 3 al. 3 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01) et le projet litigieux n'entrait pas dans cette définition.

Le projet de rôtisserie, constituant notamment une activité commerciale, ne pouvait pas être considéré comme de peu d'importance et requérait par conséquent l'approbation du Conseil d'État. Ainsi, l'art. 4 al. 2 LZIAM n'étant pas applicable, c'était l'art. 4 al. 3 LZIAM qui trouvait application. La chambre administrative devait examiner les griefs de la violation de cette disposition et, par voie de conséquence, de l'art. 3A LCI traitant de la procédure directrice lorsque plusieurs législations étaient applicables à un projet de construction.

La construction litigieuse entraînerait notamment un immense flux de circulation routière, obligeant les clients à se parquer de manière sauvage sur les bords de la chaussée.

La loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983
(LPE - RS 814.01) était également violée car les nuisances que l'exploitation allait engendrer seraient très incommodantes pour les personnes aux alentours. Lesdites nuisances existaient déjà, du fait de l'existence de la rôtisserie sise 12, chemin de Champs-Prévost. Une nouvelle rôtisserie, dont l'activité se ferait cette fois-ci à grande échelle, ne ferait qu'empirer la situation.

19. Le 14 décembre 2015, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative, sans formuler d'observation.

20. Par réponse du 14 janvier 2016, accompagnée de son dossier, le DALE a conclu au rejet des recours.

Un bâtiment de peu d'importance ne pouvait pas se définir par le biais de l'art. 3 al. 3 RCI. L'application dudit article allait à l'encontre de la volonté du législateur, ce dernier ayant souhaité, au moment de l'adoption de l'art. 4 al. 2 LZIAM, une simplification des procédures de ce type, à savoir celles excessivement et inutilement lourdes, requérant selon l'ancienne législation que le Conseil d'État ait à statuer sur des objets tels que notamment des murs, des piscines, des centrales frigorifiques, couverts à voitures ou des portiques de garage. Or, certains de ces objets ne rentraient pas dans la définition de l'art. 3 al. 3 RCI, tels que les portiques de garage, constituant une activité commerciale.

Par ailleurs, s’agissant en l’espèce exclusivement d’une modification intérieure d’un bâtiment existant, la procédure accélérée s'appliquait à cette autorisation de construire au sens de l'art. 3 al. 7 let. b LCI. Il était intenable, en termes de respect des délais, que le Conseil d'État soit obligé de rendre un arrêté. Il était dès lors logique qu'en attribuant la procédure accélérée à cette autorisation de construire, le changement d'affectation soit considéré comme de peu d'importance, avec les conséquences y afférentes.

L'art. 4 al. 2 LZIAM s’appliquait, en lieu et place des art. 4 al. 3 LZIAM et 3A LCI.

21. Le 18 janvier 2016, M. BUHLER a transmis ses observations.

L'art. 3 RCI ne concernait que les exploitations en zone rurale alors que l'art. 4 LZIAM traitait de la zone en question, raison pour laquelle seule cette disposition devait s'appliquer et non pas celle prévue dans la RCI. Étant donné que la majorité des constructions se trouvant en zone de développement industriel et d'activités mixtes était destinée notamment à l'exercice d'une activité commerciale, si les constructions de peu d'importance visées par l'art. 4 al. 2 LZIAM étaient uniquement des constructions répondant aux critères fixés par l'art. 3 al. 3 RCI, soit notamment des constructions qui ne servaient pas à l'exploitation d'une activité commerciale, l'art. 4 al. 2 LZIAM serait privé de toute portée.

22. Le 18 février 2016, les recourants ont répliqué.

La définition générale de la construction de peu d'importance se trouvait à l'art. 3 al. 3 RCI. Aucun autre article de loi, ni la jurisprudence ne définissait ce type de construction. Laisser ouverte une telle notion indéfinie constituerait une atteinte au principe de la sécurité du droit.

23. En date du 29 mars 2016, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces deux points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Selon la jurisprudence, seuls les voisins dont les intérêts sont lésés de façon directe et spéciale ont l’intérêt particulier requis pour recourir (ATF 133 II 249 consid. 1.3.1 p. 252). Le recourant doit ainsi se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d'être prise en considération avec l'objet de la contestation. La qualité pour recourir est en principe donnée lorsque le recours émane du propriétaire ou du locataire d’un terrain directement voisin de la construction ou de l’installation litigieuse (ATF 121 II 171 consid. 2b p. 174).

b. La chambre administrative fera sienne l'argumentation du TAPI, qui a traité la question sur plus de quatre pages, en ce qui concerne la qualité pour recourir des intéressés. À l’instar du TAPI, la question sera laissée ouverte compte tenu des considérants qui suivent, étant précisé qu’il est effectivement douteux que les consorts RAMPINI, qui n’habitent pas et ne travaillent pas sur leurs parcelles, détiennent la qualité pour agir, ce d’autant plus au vu de l’éloignement de leurs parcelles de celle concernée par le présent litige. M. LECLERC exploite, quant à lui, la parcelle voisine de la construction contestée.

3. Les recourants sollicitent préalablement l'audition de deux témoins et un transport sur place.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1), de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 p. 157). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236).

Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 138 I 232 consid. 5.1 p. 237).

b. En l’espèce, le témoignage de Monsieur Thomas TSCHUDIN de l'entreprise Raymond Stefano SA, locataire d’un bâtiment sur la parcelle des recourants, est supposé démontrer les nuisances qu'engendrerait le projet de rôtisserie litigieux, dès lors que le témoin aurait été exposé à des nuisances similaires, causées par la rôtisserie existante, avant qu’elle ne brûle.

Ce raisonnement ne saurait être suivi. En l'état, il est impossible de prévoir les conséquences que pourrait engendrer la rôtisserie querellée, celle-ci étant encore au stade de projet. Les faits sur lesquels le témoignage sollicité pourrait porter ne sont par ailleurs pas déterminants, dès lors qu’ils porteraient sur l’exploitation, sur une autre parcelle, d’une autre rôtisserie, d’une autre dimension (même moindre), équipée d’autres matériaux, au bénéfice d’autres moyens d’assainissement. En outre, la rôtisserie sise sur la parcelle n° 903 était plus proche de la parcelle des recourants que ne le sera celle projetée. Le seul fait qu’il s’agisse, dans les deux cas, d’une rôtisserie, ne pourrait suffire à emporter la conviction de la chambre de céans sur le caractère prétendument insupportable des odeurs, celles risquant d’émaner du bâtiment querellé n’étant encore qu’hypothétiques. De surcroît, tous les préavis relatifs au projet querellé ont été favorables. L’audition sollicitée n’étant pas de nature à permettre d’établir un fait pertinent pour l’issue du présent litige, il ne sera pas donné suite à cette requête.

En ce qui concerne l'audition de l'inspecteur du SABRA ayant traité la demande d'autorisation de construire, les recourants n’indiquent pas quels éléments supplémentaires pourraient apporter son audition. Ledit service a déjà rendu un préavis, positif, sans observation, dans le cadre de la procédure relative à ladite autorisation de construire, démontrant qu'une analyse notamment de l'impact du projet de rôtisserie sur l'air ainsi que sur les bruits engendrés a été rendue. De surcroît, et compte tenu des considérants qui suivent, son audition n’est pas pertinente.

Un transport sur place devrait, aux dires des recourants, permettre à la chambre de céans de se rendre compte de l’étroitesse de la route ainsi que des désagréments liés à « l’épicerie et rôtisserie litigieuse ». Toutefois, la chambre de céans peut, grâce aux diverses cartes mises à disposition notamment par le système d’information sur le territoire genevois (ci-après : SITG ; https://www.etat.ge.ch/geoportail), se rendre compte de la largeur de la chaussée. Les parties ont par ailleurs versé des photos à la procédure. Enfin, même à le considérer pertinent, le bâtiment servant préalablement d’exploitation de la précédente rôtisserie sur la parcelle n° 903 n’est plus en fonction.

En conséquence, la chambre administrative étant en possession d’un dossier complet, comprenant toutes les pièces utiles à la résolution du litige, il ne sera pas donné suite aux requêtes préalables des recourants.

4. Dans un premier grief, les recourants estiment, à l'inverse du TAPI, que, non conforme à la zone, le projet litigieux n'entrerait pas dans la catégorie des constructions de peu d'importance de l'art. 4 al. 2 LZIAM, dont la définition serait prévue à l'art. 3 al. 3 RCI et que par conséquent, le Conseil d'État était tenu de délivrer un arrêté dans le cadre de la dérogation octroyant l'autorisation de construire au sens des art. 4 al. 3 LZIAM et 3A LCI.

5. a. Selon l'art. 4 al. 1 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700), aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente (art. 22 al. 1 LAT). L'autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone (art. 22 al. 2 let. a LAT) et si le terrain est équipé (art. 22 al. 2 let. b LAT). Le droit fédéral et le droit cantonal peuvent poser d'autres conditions (art. 22 al. 3 LAT).

b. Selon l'art. 1 al. 1 let. b LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut notamment, sans y avoir été autorisé, modifier même partiellement le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation.

c. L'art. 3 RCI a trait à l'exploitation rurale. Selon son al. 3, sont réputées constructions de peu d’importance, à la condition qu’elles ne servent ni à l’habitation, ni à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale, celles dont la surface n’excède pas 50 m² et qui s’inscrivent dans un gabarit limité que l’article réglementaire définit. Dans tous les cas, la surface totale des constructions de peu d’importance ne doit pas excéder 8 % de la surface de la parcelle et au maximum 100 m².

6. a. Selon l’art. 14 LAT, les plans d’affectation règlent le mode d’utilisation du sol. Ils définissent en premier lieu les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger.

b. À Genève, l’art. 12 LaLAT précise que pour déterminer l’affectation du sol sur l’ensemble du territoire cantonal, celui-ci est réparti en zones (al. 1), lesquelles sont de trois types (al. 2), à savoir les zones ordinaires (let. a), les zones de développement (let. b) et les zones protégées (let. c).

c. En conformité avec l’art. 12 al. 2 let. a LaLAT, le territoire du canton est réparti en zones ordinaires dont l’affectation est définie aux art. 19 à 25 LaLAT (art. 18 LaLAT).

L’art. 19 LaLAT détaille les zones à bâtir. L’al. 4 prévoit que les zones industrielles et artisanales sont destinées aux constructions industrielles, artisanales et ferroviaires.

d. Les zones de développement sont régies, selon leur affectation, par la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) et par la LZIAM (art. 30 LaLAT).

7. Selon l'art. 4. al. 1 LZIAM, dans les zones de développement industriel et les zones de développement d’activités mixtes, le Conseil d’État peut, en vue de la délivrance de l’autorisation de construire, autoriser l’application des normes de la zone industrielle ou de la zone de développement d’activités mixtes au sens de la LaLAT. Cette décision est subordonnée à l’approbation préalable :

a. des plans et règlements directeurs au sens des art. 2 et 3 ou, le cas échéant, d’un plan localisé de quartier fixant tout ou partie des éléments énoncés dans l’art. 3 LGZD ;

b. des conditions particulières applicables au projet présenté, notamment :

1° le prix du terrain, qui doit être agréé sur la base des prix admis dans chaque zone de développement industriel ou d’activités mixtes,

2° les loyers et les prix des locaux industriels ou artisanaux répondant à un besoin d’intérêt général, qui doivent respecter les montants maximums fixés pour chaque zone de développement d’activités mixtes par le Conseil d’État,

3° les loyers et les prix des locaux destinés à des activités tertiaires dans les zones de développement d’activités mixtes, dont les montants doivent être comparables aux prix du marché.

Aux termes de l'art. 4 al. 2 LZIAM, si la demande porte sur une construction ou une installation de peu d'importance, le DALE peut délivrer d'emblée l'autorisation de construire après en avoir fixé, si nécessaire, les conditions particulières.

L'art. 4 al. 3 LZIAM prévoit qu'en dérogation à l'al. 1 let. a, le Conseil d'État peut, après consultation du Conseil administratif ou du maire de la commune, renoncer à l'établissement d'un plan et règlement directeur ou d’un plan localisé de quartier au sens de l’al. 1, let. a :

a. dans les secteurs de développement déjà fortement bâtis ;

b. pour des projets de constructions ou installations conformes à des plans directeurs de quartier indiquant l’aménagement souhaité ;

c. pour des projets de constructions ou installations conformes au premier prix d’un concours d’urbanisme et d’architecture réalisé en application de la norme SIA applicable, sur la base d’un cahier des charges accepté par le département chargé de l’aménagement.

8. En l’espèce, la parcelle litigieuse est sise en zone de développement industriel et artisanal et soumise à la LZIAM, ce que les parties ne contestent pas.

9. Est préalablement litigieuse la question de savoir si le changement d’affectation querellé est de « peu d’importance » au sens de l’art. 4 al. 2 LZIAM, les recourants et les intimés se basant sur des définitions différentes.

10. a. La notion de la « construction et installation de peu d'importance », au sens de l'art. 4 al. 2 LZIAM, n’est définie ni par la LZIAM, ni par un règlement.

Les recourants estiment que la notion de « peu d'importance » est prévue à l'art. 3 al. 3 RCI, régissant les constructions en zone rurale.

Cet article n'est toutefois pas susceptible de trouver application dans le cas de l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale, selon les termes mêmes de la disposition. En conséquence, en se limitant à la définition de l’art. 3 RCI, l'on exclurait systématiquement les constructions ou changement d'affectation ayant une destination commerciale, industrielle ou artisanale, de la possibilité d'être considérées comme de peu d'importance et donc de bénéficier de la dérogation prévue à l'art. 4 al. 2 LZIAM, ce qui viderait de son sens l'article précité et serait ainsi contraire à l'esprit de la loi.

De même, les travaux préparatoires relatifs à l’art. 4 al. 2 LZIAM, développés-ci après, ne font jamais mention ni de l’art. 3 al. 3 RCI, ni même du RCI.

b. La jurisprudence, qu'elle ait été rendue sous l’ancienne loi générale sur les zones de développement industriel du 13 décembre 1984 (aLGZDI) ou l'actuelle LZIAM, ne définit pas cette notion dans le cas précis d'un changement d'affectation d'un bâtiment initialement existant sans modification extérieure de la construction. Dans deux affaires récentes, le TAPI a laissé la question ouverte (JTAPI/80/2016 du 28 janvier 2016 et JTAPI/166/2016 du 17 février 2016).

c. La doctrine est également muette à ce sujet.

11. Les termes de « peu d’importance » au sens de l’art. 4 al. 2 LZIAM constituant une notion juridique indéterminée, ils sont soumis à interprétation.

a. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 138 II 557 consid. 7.1 p. 565). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 138 II 217 consid. 4.1 p. 224). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248).

b. L'interprétation d’une notion indéterminée peut être revue librement par la juridiction de recours, lorsque celle-ci s'estime apte à trancher en connaissance de cause. Cependant, si ces notions font appel à des connaissances spécifiques, que l'autorité administrative est mieux à même d'apprécier qu'un tribunal, les tribunaux administratifs et le Tribunal fédéral s'imposent une certaine retenue lorsqu'ils estiment que l'autorité inférieure est manifestement mieux à même d'attribuer à une telle notion un sens approprié au cas à juger. Ils ne s'écartent en principe pas des décisions prises dans ces domaines par des personnes compétentes, dans le cadre de la loi et sur la base des faits établis de façon complète et exacte (ATF 109 IV 211 ; 109 Ib 219 ; ATA/513/2009 du 13 octobre 2009 consid. 9 et les références citées ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n° 463 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, nos 428 et 508 ; Pierre MOOR/Alexandre FLUCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, 2012, n° 4.3.3.2 p. 752).

12. a. Comme précédemment vu, ni une interprétation littérale, ni l’interprétation systématique prônée par les recourants, ne permettent de définir la notion querellée. L'interprétation systématique de la loi basée sur le chapitre trop général de l'« aménagement des zones » dans la LZIAM n'a pas non plus d'utilité dans la définition de la notion de construction de « peu d'importance ».

b. Il ressort des travaux préparatoires relatifs à l'art. 4 al. 2 LZIAM que l'adoption de celui-ci avait pour but d'alléger les procédures en conférant au DALE la possibilité de traiter seul les requêtes en autorisation de construire portant sur des objets de peu d'importance ou provisoire. La modification de l'art. 4 al. 2 LZIAM, renvoyant aux justifications similaires pour la modification analogue de l'art. 2 LGZD, indique que ladite modification a pour objet de simplifier une procédure excessivement et inutilement lourde, notamment quand il s'agit de statuer sur des constructions telles que des murs, des piscines, des centrales frigorifiques, des couverts à voitures, des portiques de lavage ou des cabines de peintures etc. (MGC 1998 49/VII 6451-6452). Ces indications, vagues et ne concernant que des constructions à proprement parler, ne peuvent pas non plus aider à la résolution de la question litigieuse, si ce n'est que, selon la volonté du législateur, une construction avec destination commerciale peut être qualifiée de « peu d'importance » (ex. portiques de lavage) et donc être traitée uniquement par le DALE, sans passer par le Conseil d'État. Il n'est cependant rien précisé concernant les gabarits entrant dans la notion de « peu d'importance » en ce qui concerne les constructions ou les changements d'affectation d'un bâtiment existant déjà en zone de développement artisanal et industriel.

c. Sous un angle téléologique, l’intimé relève avec pertinence que les demandes soumises à la procédure accélérée (art. 3 al. 7 LCI) ne sont pas compatibles, en termes d’organisation et notamment de délais, avec la procédure de l’art. 4 al. 3 LZIAM. Seule celle prévue pour les cas de « peu d’importance » de l’art. 4 al. 2 LZIAM peut être envisagée.

Par ailleurs, la notion de « peu d’importance » apparaît aussi à l’art. 3 al. 7 LGZD en lien avec les modifications d’un PLQ. Or, la jurisprudence relative à cette dernière disposition porte sur des bâtiments dont les gabarits sont proches des immeubles concernés par la LZIAM. Une comparaison entre les deux législations pourrait plus facilement se justifier qu’un rapprochement entre des bâtiments industriels et la zone villa. Les deux législations découlent d’ailleurs toutes deux de l’art. 30 LaLAT, et les travaux préparatoires précités traitent tant de la LGZD que de la LZIAM.

13. En l'espèce, l’autorisation ne porte pas sur une nouvelle construction, mais sur un changement d'affectation, à l'intérieur d'un bâtiment préexistant, dont l'aménagement n'affectera pas l'extérieur dudit bâtiment.

Certes, cette modification interne s'étendrait sur une surface de plus de 300 m2, et prévoirait des installations nouvelles, mais le changement d'affectation concerne une activité initiale de carrosserie en une épicerie de type « take away ».

L’intimé s’est principalement fondé sur l’argument de la procédure accélérée pour considérer que, dans une telle hypothèse, la procédure de l’art. 4 al. 3 LZIAM n’était pas envisageable.

Compte tenu des considérants qui précèdent, c’est sans excès ni abus du pouvoir d’appréciation conféré à l’administration, que celle-ci a considéré que le changement d'affectation de la carrosserie en une épicerie de type « take away » devait être considéré comme de peu d'importance au sens de l'art. 4 al. 2 LZIAM et bénéficier de la dérogation prévue à l'article précité sans que le Conseil d'État soit tenu de se prononcer sur le projet litigieux. Ceci est d’autant plus vrai que tous les services spécialisés de l’État ont émis des préavis favorables, que le département a dûment suivis. Partant, c’est à juste titre que le TAPI a confirmé le bien-fondé, sur ce point, de la décision querellée.

Le grief des recourants sera ainsi rejeté.

14. En ce qui concerne l'application de la dérogation en vue d'un changement d'affectation au cas d'espèce, prévue à l'art. 5 al. 1 RAZIDI, la chambre administrative fera sienne l'argumentation du TAPI, qui ne souffre d'aucune critique, par ailleurs non remise en cause par les recourants. Cet article ainsi que l'art. 8 RAZIDI trouvent indubitablement application dans la situation du projet litigieux, ceux-ci prévoyant un régime d'exception pour les entreprises, en zone industrielle, susceptibles de contribuer significativement à la réduction des mouvements pendulaires et à l'accroissement du bien-être des utilisateurs, telles que des épiceries ou cafés-restaurants. Les conditions énumérées et analysées par le TAPI étaient toutes remplies, de sorte que c'est à juste titre qu'il a considéré que le DALE n'avait pas violé le droit en estimant que l'exploitation d'une épicerie « take away » était conforme à la dérogation en cause.

Le fait que le bâtiment concerné soit au bénéfice de la dérogation de l’art. 5 al. 1 RAZIDI n’est pas de nature à influencer le raisonnement qui précède sur la notion de « peu d’importance » au sens de l’art. 4 al. 2 LZIAM, le bâtiment étant sis dans une zone industrielle et artisanale et soumis aux dispositions qui la régisse.

15. Les recourants invoquent une violation des art. 14 al. 1 let. e LCI et 22 al. 2 let. b LAT. L'activité commerciale prévue par le projet litigieux entraînerait un important trafic supplémentaire sur le chemin Champs-Prévost, accroissant le danger des utilisateurs de la route. Par ailleurs, le parking y afférent ne serait pas adapté à l'utilisation prévue par ledit commerce.

a. Selon l'art. 14 al. 1 let. e LCI, le département peut refuser une autorisation notamment lorsqu’une construction ou une installation peut créer, par sa nature, sa situation ou le trafic que provoque sa destination ou son exploitation, un danger ou une gêne durable pour la circulation.

b. Les dispositions cantonales concernant la limitation quantitative des nuisances n’ont plus de portée propre dans les domaines réglés par le droit fédéral (ATF 117 Ib 157 ; 113 Ib 220). Le droit fédéral laisse subsister les prescriptions cantonales concernant des objectifs particuliers d’urbanisme, notamment ceux concernant les problèmes de circulation routière (ATF 117 Ib 157).

c. Les normes de protection, tel l'art. 14 LCI, sont destinées à sauvegarder les particularités de chaque zone, en prohibant les inconvénients incompatibles avec le caractère d'une zone déterminée ; elles ne visent pas au premier chef à protéger l'intérêt des voisins. La construction d'un bâtiment conforme aux normes ordinaires applicables au régime de la zone ne peut en principe être source d'inconvénients graves, notamment s'il n'y a pas d'abus de la part du constructeur. Le problème doit être examiné par rapport aux caractéristiques du quartier ou des rues en cause (ATA/127/2009 du 10 mars 2009). La notion d’inconvénients graves est une norme juridique indéterminée, qui doit s’examiner en fonction de la nature de l’activité en cause et qui laisse à l’autorité une liberté d’appréciation. Celle-ci n’est limitée que par l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (ATA/924/2010 du 4 mai 2010).

d. Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l’autorité inférieure suit les préavis requis – étant entendu qu’un préavis sans observation équivaut à un préavis favorable – la juridiction de recours doit s’imposer une certaine retenue, qui est fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/162/2014 du 18 mars 2014). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/758/2016 du 6 septembre 2016, consid. 2). Le TAPI se compose de personnes ayant des compétences spéciales en matière de construction, d’urbanisme et d’hygiène publique (art. 143 LCI). Formée pour partie de spécialistes, cette juridiction peut exercer un contrôle plus technique que la chambre administrative.

e. En l'espèce, la parcelle en question avait pour destination première une carrosserie avec un chemin d'accès au chemin de Champs-Prévost. Les divers départements sollicités ont tous rendu un préavis positif concernant le projet, y compris la FTI et le SPI, s'occupant de l'aménagement du territoire. Dans ces conditions, la chambre de céans n'est pas habilitée à mettre en doute l'appréciation d'un service spécialisé qui considère qu'en terme d'équipement, de trafic et de places de parking, le projet est compatible, au détour d'une dérogation, avec la zone de développement. Au besoin, il sera rappelé qu'il ne peut être prédit que la nouvelle affectation changera considérablement le trafic, même s'il est plausible qu'un plus grand nombre d'aller-venues soit envisageable, mais cela, sans que l'équipement de la parcelle n’en devienne forcément inadapté. Il est plutôt crédible que la destination de cette rôtisserie s'adressera aux travailleurs présents aux alentours, et pas réellement « à tous ceux de la rive droite » comme allégué par les recourants, et que par conséquent, ils n'auront pas, à tout le moins pas tous, besoin de se déplacer en voiture. En tout état, les prévisions alarmantes dont se prévalent les recourants ne peuvent être prises en considération par la chambre administrative. À supposer qu'elles se concrétisent et que la rôtisserie cause un danger ou une gêne durable pour la circulation, le DALE sera toujours compétent pour prendre les mesures adéquates pour faire cesser ou estomper ces conséquences.

La problématique du parking n'est pas à même de retenir que la parcelle n'est pas suffisamment équipée. La chambre administrative fait sienne l'argumentation du TAPI, fondée, bien détaillée et développée sur plusieurs pages et rejette par conséquent les griefs de recourants de violation des art. 14 LCI et 22 al. 2 let. b LAT, au demeurant peu développés devant la chambre de céans. Le seul nouvel argument consiste en ce que certaines places préexistantes sont déjà louées à des personnes travaillant dans la zone. Les recourants ne documentent cependant pas leur affirmation de sorte que, même si elle présentait une quelconque pertinence, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, elle ne pourrait pas être prise en considération, étant encore précisé qu’un transport sur place n’aurait pas non plus permis d’établir que les véhicules éventuellement visibles auraient forcément été au bénéfice d’un contrat de bail des places concernées. Enfin, une fois encore, les préavis des instances spécialisées étaient tous positifs, parfois avec conditions, celles-ci ayant dûment été incluses dans l’autorisation délivrée.

16. Enfin, les recourants font grief d'une violation de la LPE car l'activité de la rôtisserie prévue sur la parcelle engendrera des nuisances olfactives incommodantes pour le voisinage.

Le TAPI, dans son jugement querellé, a tranché ce point de manière juste et complète en rejetant ledit grief au motif que les nuisances olfactives alléguées par les recourants ne pouvaient pas être constatées, à l'heure où la rôtisserie n'était encore qu'au stade de projet, et qu'au besoin, le SABRA, ayant préavisé favorablement ledit projet, n'avait pas fait état d'un quelconque problème en ce qui concernait des mauvaises odeurs. La chambre administrative fera sienne l'argumentation du TAPI précitée. Pour le surplus, les recourants n’indiquent pas en quoi le raisonnement du TAPI aurait été erroné, se contentant de se plaindre des futures émanations.

Le grief de violation de la LPE sera ainsi écarté.

17. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

18. Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, sera allouée à M. BUHLER (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, dans la mesure où ils sont recevables, les recours interjetés le 9 décembre 2015 par Madame Marina RAMPINI-ITSOUHOU MADZOU, Messieurs Marco RAMPINI, Nicolas RAMPINI, Raphael RAMPINI et Jacques Roger LECLERC contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 novembre 2015 ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge conjointe et solidaire de Madame Marina RAMPINI-ITSOUHOU MADZOU, Messieurs Marco RAMPINI, Nicolas RAMPINI, Raphael RAMPINI et Jacques Roger LECLERC ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à Monsieur André-Daniel BUHLER, à la charge conjointe et solidaire de Madame Marina RAMPINI-ITSOUHOU MADZOU, Messieurs Marco RAMPINI, Nicolas RAMPINI, Raphael RAMPINI et Jacques Roger LECLERC ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat des recourants, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, à Me Guy Longchamp, avocat de Monsieur André-Daniel BUHLER, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’à l’office fédéral du développement territorial.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :