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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/161/2009

ATA/518/2010 du 03.08.2010 ( LCI ) , ADMIS

Parties : DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION / FEDERATION DES ASSOCIATIONS DES QUARTIERS ET D'HABITANTS, COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE ADMINISTRATIVE, FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE QUARTIER ET D'HABITATIONS, IMPLENIA DEVELOPMENT SA
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/161/2009-LCI ATA/518/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 3 août 2010

1ère section

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

et

IMPLENIA DEVELOPMENT S.A.

représentée par Me François Bellanger, avocat

contre

FÉDÉRATION DES ASSOCIATIONS DE QUARTIERS ET D'HABITANTS
représentée par Me Pierre Bayenet, avocat

et

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE


EN FAIT

1. Par requête datée du 15 mai 2003 et enregistrée le 28 mai 2003 sous dossier DD 98'541, Zschokke Développement S.A. a requis l'autorisation de construire un bâtiment industriel ainsi que des dépôts et des parkings en sous-sol, sur la parcelle 155 feuille 7 de la commune de Lancy, alors propriété de Zschokke Entreprise Générale S.A.

Ce bâtiment était destiné à accueillir l'ensemble du personnel administratif et technique des sociétés du groupe Zschokke. Le 30 juin 2006, Zschokke Développement S.A. a été radiée du registre du commerce car elle a été absorbée par Implenia Real Estate S.A., devenue depuis Implenia Development S.A. (ci-après : Implenia).

2. La parcelle en cause est située en zone de développement industriel et artisanal, la zone de fond étant la 5e zone de constructions. Elle est régie par le plan localisé de quartier n° 29'234A-543, adopté par le Conseil d'Etat le 5 mars 2003 (ci-après : PLQ) et actuellement en force. Il prévoit l'implantation d'une construction de R+4+S sur la plus grande partie de la parcelle avec une surface brute de plancher (ci-après : SBP) de 19'930 m2 ainsi qu'un bâtiment d'un seul niveau de 400 m2 au plus. Le gabarit du bâtiment est limité à 21 mètres, étant précisé que les superstructures sont autorisées.

Ce plan fixe également un taux de référence pour les places de parking en sous-sol à 159 places pour les utilisateurs des futurs bâtiments et 80 places pour les visiteurs, soit en principe un total de 239 places de stationnement, le nombre total de places ne pouvant en tout état dépasser 290 places.

3. Par arrêté du 21 janvier 2004, le Conseil d'Etat a autorisé l'application des normes de la zone industrielle au bâtiment à construire sous dossier DD 98'541.

4. Par décisions du 30 janvier 2004, publiées le 4 février 2004 dans la Feuille d'Avis Officielle (ci-après : FAO), le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après : DAEL) dont les compétences en la matière ont été reprises depuis lors par le département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : DCTI), a accordé l'autorisation de construire sollicitée de même qu'une autorisation de démolir M 5288. Le même jour, une autorisation d'abattage d'arbres a également été délivrée.

Ces autorisations n'ont pas fait l'objet de recours et sont aujourd'hui en force.

5. Dans le courant de l'année 2005, des contacts ont eu lieu entre Zschokke Développement S.A. et Procter & Gamble International Operations S.A. (ci-après : Procter & Gamble), qui cherchait un bâtiment d'une certaine importance, à proximité de ses bâtiments actuels, pour regrouper une partie de son personnel, suite notamment à l'achat des sociétés Wella et Gilette.

6. Procter & Gamble, dont le but social consiste à « fabriquer, importer, exporter, acheter, vendre, distribuer, emballer, transformer et s'occuper de manière générale du commerce des produits finis, sous-produits, produits semi-finis, substances et matériaux de toute sorte, notamment dans le domaine des détergents, produits d'entretien pour tissus et vêtements, produits d'entretien ménager, couches-culottes, serviettes hygiéniques et autres produits à base de papier, produits de soin et d'hygiène corporelle, produits cosmétiques, produits alimentaires, produits chimiques, médicaments, produits pharmaceutiques, médicaments en vente libre et produits similaires », s'est en particulier intéressée au bâtiment visé par l'autorisation de construire N° DD 98'541.

7. Dans ce cadre, Procter & Gamble a pris contact avec différents services de l'Etat, de même qu'avec la Fondation pour les terrains industriels (ci-après : FTI) en vue de déterminer quelles étaient les démarches pour pouvoir s'y installer.

8. A cette fin, Procter & Gamble a écrit le 1er juillet 2005 à la FTI en rappelant que, s'il était vrai que la recherche de base de toutes ses marques s'effectuait dans les laboratoires dont disposait la société autour du globe, un des rôles spécifiques du siège régional de Genève était la gestion du développement commercial de tous les produits. En conséquence, bien qu'il n'y ait pas de laboratoire avec éprouvettes et blouses blanches, beaucoup d'innovations commerciales et de développements seraient effectués et gérés depuis le Petit-Lancy. L'activité de la société étant évolutive, il était difficile de prévoir avec exactitude quelle proportion d'employés serait dévolue à des tâches non-administratives. Selon une estimation conservatrice, une proportion de 25 % des emplois prévus dans ce bâtiment, soit environ deux cents personnes sur huit cents, serait constituée d'ingénieurs et de techniciens dont les activités ne seraient pas purement administratives. Selon les prévisions, 35 % des surfaces occupées seraient consacrés à des fonctions non-administratives.

9. Par pli du 21 juillet 2005, Procter & Gamble a interpellé directement le Conseil d'Etat en joignant copie du courrier adressé à la FTI afin de s'assurer que son installation dans le bâtiment précité interviendrait dans le respect de la loi.

Le site actuel de Procter & Gamble, situé déjà au Petit-Lancy, resterait le siège principal et le centre administratif à Genève alors que dans le nouveau bâtiment prendraient place la gestion du développement des connaissances, les recherches marketing, le stockage des produits industriels, ainsi que la gestion de la qualité et de la sûreté des produits et l'information technique des produits industriels. Ce deuxième site au Grand-Lancy aurait l'avantage de permettre à la société de remplir ses engagements en matière de mobilité douce.

10. Après différents contacts avec Procter & Gamble, le 2 septembre 2005 la FTI a adressé un courrier au DCTI.

Une partie des activités de Procter & Gamble était conforme à l'affectation de la zone industrielle et artisanale. Il s'agissait notamment des laboratoires de recherche sur le comportement du consommateur, nécessitant, d’une part, le stockage de marchandises et, d’autre part, la mise en place de zones importantes pour simuler les espaces de vente en vue de tester les produits, les activités des ingénieurs spécialisés dans le « design » et la conception et l’organisation des réseaux de distribution des produits industriels, ainsi que le service informatique.

L'usage du futur bâtiment serait conforme à l'affectation de la zone de développement industriel et artisanal, pour autant que les trois conditions suivantes soient remplies : toutes les activités administratives devaient être concentrées dans le bâtiment dont disposait déjà Procter & Gamble, la société s'engageait à orienter toutes les activités de recherche et techniques dans le futur bâtiment et il y aurait une prépondérance de ce type d'activités dans celui-ci.

11. Par pli du 28 septembre 2005, la FTI a confirmé à Procter & Gamble qu'elle préavisait favorablement sa demande d'implantation en zone de développement industriel et artisanal en reprenant les conditions insérées dans son courrier du 2 septembre 2005 au Conseil d'Etat. En conséquence, les affectations des surfaces dans le bâtiment en cause devaient lui être soumises avec précision afin qu'elle puisse se déterminer sur leur compatibilité avec la zone. La position des différents départements était réservée.

12. Le 25 octobre 2005, la société a répondu à la FTI en manifestant sa volonté de respecter les conditions qu'elle avait posées dans son courrier du 2 septembre 2005.

13. Dans un courrier du 23 novembre 2005 adressé à Procter & Gamble, le Conseil d'Etat, prenant en compte les éléments fournis par la société, a estimé que l'implantation de cette dernière dans le nouvel immeuble était conforme aux dispositions légales et réglementaires régissant la zone industrielle.

14. Entre-temps, par requête du 4 octobre 2005, enregistrée le 11 du même mois sous dossier DD 98'541/2, Zschokke Développement S.A. a sollicité la délivrance d'une autorisation de construire complémentaire ayant l'objet suivant :

- modification de la disposition intérieure des deux niveaux de sous-sols ;

- modification des façades nord, est et sud au niveau du rez-de-chaussée et d'un élément vertical de la façade ouest ;

- création d'un niveau de liaison en attique dans le bâtiment B entre les bâtiments A et C et suppression des puits de lumière.

15. Dans le cadre de l'instruction de cette requête, les préavis suivants ont, en particulier, été recueillis :

- la commune a rendu un préavis favorable en date du 8 novembre 2005 ;

- la FTI s'est déclarée favorable aux modifications du projet initial le 1er novembre 2005 ;

- la direction de l'aménagement du territoire a rendu un préavis favorable aux conditions d'équipement émises dans le cadre de l'autorisation initiale, réservant pour le surplus le préavis de la FTI.

16. L'autorisation requise a été délivrée par décision du DCTI du 30 janvier 2006, publiée dans la FAO du 3 février 2006.

Dans le procès-verbal du comité de direction du DCTI du 30 décembre 2006, référence était faite au courrier du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005 jugeant l'implantation de Procter & Gamble compatible avec les dispositions légales régissant la zone industrielle.

17. Par acte du 6 mars 2006, la Fédération des associations de quartiers et d'habitants (ci-après : FAQH) a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions, devenue depuis lors la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission), contre cette autorisation complémentaire de même que contre le courrier du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005, qu'elle qualifiait de décision, concluant à leur annulation.

La « décision » du Conseil d'Etat constituait une dérogation inadmissible et illégale à l'affectation de la zone industrielle. Quant au projet, il contreviendrait aux normes de l'environnement, dans la mesure où le nombre d'emplois allait quadrupler dans le périmètre concerné et qu'aucune étude d'impact n'avait été réalisée sur le nombre de places de parking qui allait diminuer fortement au détriment du voisinage. Enfin, l'attique ne paraissait pas conforme au PLQ.

18. Dans leur réponse conjointe du 21 avril 2006, Zschokke Développement S.A. et Zschokke Entreprise Générale S.A. ont contesté la recevabilité du recours et de la lettre du 7 mars 2006, faute pour la FAQH d'avoir respecté le délai de recours ; elles ont également contesté la recevabilité du recours en tant qu'il visait une « décision » du Conseil d'Etat ; enfin, la FAQH n'avait pas qualité pour recourir. Sur le fond, les intimées ont conclu subsidiairement au rejet du recours.

19. Par décision du 8 septembre 2006, notifiée aux parties par pli recommandé du 22 du même mois, la commission a déclaré irrecevable le recours de la FAQH.

20. Le 23 octobre 2006, la FAQH a recouru contre cette décision auprès du tribunal de céans.

21. Par arrêt du 24 avril 2007 (ATA/190/2007), le Tribunal administratif a admis le recours de la FAQH et renvoyé la cause à la commission pour nouvelle décision sur le fond, à savoir sur le bien fondé de l'autorisation de construire complémentaire, ainsi que sur la qualification juridique du courrier émanant du Conseil d'Etat daté du 23 novembre 2005 et, cas échéant, son caractère nul.

22. Le 30 mai 2007, Implenia a interjeté contre cet arrêt un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui l'a rejeté par arrêt du 28 novembre 2007 (Arrêt du Tribunal fédéral 1_C 141/2007). La procédure a donc été renvoyée à la commission, qui en a repris l'instruction pour statuer au fond.

23. Entre-temps, le 17 août 2007, le DCTI a délivré à Implenia un permis d'occuper provisoire en réservant l'examen, par les autorités compétentes, de toute demande d'autorisation qu'impliquait l'exploitation ou l'utilisation conformément à leur destination, des constructions ou installations autorisées.

24. Au cours de l'audience d'instruction du 25 janvier 2008, il s'est avéré que dans l'intervalle deux nouvelles autorisations de construire avaient été accordées :

a. DD 98541/3-5 du 8 décembre 2006 portant sur la modification des aménagements intérieurs du bâtiment.

b. DD 98541/4-5 du 31 août 2007 portant sur la modification des canalisations extérieures et des aménagements extérieurs ainsi que sur la construction de garages à vélos, de murets et de clôtures.

Ces deux autorisations n'ont fait l'objet d'aucun recours et sont entrées en force.

25. Par décision du 3 décembre 2008, communiquée aux parties par pli recommandé le 17 décembre 2008 et notifiée au DCTI le lendemain, la commission a annulé l'autorisation de construire complémentaire DD 98541/2 et constaté la nullité de la « décision du Conseil d'Etat » du 23 novembre 2005.

La lettre du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005 devait être qualifiée de décision, dans la mesure où elle avait pour effet d'accorder une dérogation à l'affectation prévue par le PLQ régissant le périmètre et que, pour le surplus, la direction de la police des constructions, actuellement office des autorisations de construire, s'était fondée sur cette lettre pour délivrer un permis favorable en vue de l'octroi de l'autorisation de construire. Cette décision était nulle, le Conseil d'Etat n'ayant pas compétence en la matière.

Enfin, l'autorisation de construire complémentaire était annulée parce qu'elle n'était pas conforme au PLQ sous l'angle de l'affectation administrative projetée.

26. Le 16 janvier 2009, le DCTI a recouru contre de la décision précitée auprès du Tribunal administratif.

La commission s'était fondée sur la volonté exprimée par Procter & Gamble de s'installer dans le bâtiment litigieux pour admettre que l'autorisation de construire complémentaire impliquait un changement d'affectation du bâtiment litigieux. Or, en réalité, ladite autorisation avait uniquement pour objet des modifications du projet initial qui avait entériné la vocation industrielle du bâtiment. Celles-ci étaient de nature purement constructive et n'entraînaient pas de changement de destination par rapport à celle initialement prévue. L'autorisation de construire initiale, en force, était conforme aux normes de la zone de développement et au PLQ. L'autorisation de construire complémentaire portait sur des changements mineurs et n'avait recueilli que des préavis favorables. En conséquence, c'était de manière arbitraire, en tenant compte d'éléments qui n'avaient rien à voir avec l'autorisation complémentaire, que la commission avait annulé ladite autorisation. Partant, la décision de la commission devait être annulée.

La lettre du Conseil d'Etat ne constituait pas une décision mais une simple réponse à une interpellation d'un administré, ne produisant aucun effet juridique. Contrairement à l'avis de la commission, le Conseil d'Etat n'avait pas statué sur une demande de dérogation au PLQ ni à la destination de la zone considérée. Il s'était borné à considérer que l'implantation de Procter & Gamble en zone industrielle et artisanale était conforme aux dispositions légales et réglementaires régissant ladite zone.

27. Le même jour, Implenia a également interjeté recours auprès du tribunal de céans contre la décision de la commission.

Le courrier du Conseil d'Etat n'était pas une décision et n'avait aucun lien juridique avec l'autorisation querellée. La construction était conforme à l'affectation de la zone et au PLQ. Le DCTI n'avait pas à examiner qui était le futur utilisateur de l'immeuble, l'objet d'une autorisation de construire étant de déterminer ce qui pouvait être construit et non comment le bâtiment était utilisé. Enfin, l'octroi de l'autorisation de construire était indépendant du futur utilisateur du bâtiment. Il n'y avait donc aucun lien juridique entre l'autorisation querellée et la question de l'utilisation ultérieure du bâtiment par un tiers.

28. Le 2 février 2009, le juge délégué a prononcé la jonction des deux procédures sous le numéro de cause A/161/2009.

29. La FAQH a conclu au rejet des recours par acte du 23 février 2009. Dans ces écritures elle a également sollicité un transport sur place.

Les modifications architecturales de l'autorisation querellée, bien que minimes, visaient à rendre le bâtiment idoine à abriter des activités relevant plutôt du secteur tertiaire.

D'après l'autorisation initiale, le bâtiment avait une affectation industrielle. A la suite de la prise de position du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005, et avec son accord, le bâtiment avait été modifié en bureaux administratifs. Il y avait donc eu changement effectif d'affectation du bâtiment. Le Conseil d'Etat avait accordé de fait une dérogation aux normes de la zone industrielle ainsi qu'au PLQ. Dans la mesure où, s'il n'y avait pas eu le courrier du Conseil d'Etat, la police des constructions n'aurait pas accordé l'autorisation querellée, ce courrier faisait partie intégrante du dossier d'autorisation de construire. Ce courrier constituait bien une décision puisqu'il conférait à Procter & Gamble le droit de s'installer dans ces locaux.

30. Par plis du même jour, le DCTI et Implenia ont persisté dans leurs conclusions respectives et se sont ralliés chacun aux conclusions de l'autre.

31. Le 22 mai 2009, le juge délégué a invité Implenia à lui faire parvenir un descriptif des activités déployées par Procter & Gamble dans l'immeuble querellé.

32. Dans un courrier du 12 juin 2009, Procter & Gamble a exposé que le rôle spécifique du bâtiment concerné consistait en l'organisation du développement industriel de tous les produits qu'elle commercialisait, ainsi que la coordination et la planification de la production industrielle des produits pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique, y compris l'approvisionnement en matières premières.

Ces activités impliquaient des études du marché et du comportement des consommateurs, des études en laboratoire virtuel ainsi que la présentation des produits en magasins virtuels et la simulation de ventes de produits. Il y avait également le design des emballages ainsi que l'activité de conception et de développement de nouvelles marques ou produits et de leurs emballages. Elles comportaient également le développement et l'organisation de nouveaux réseaux pour permettre la distribution de produits. Des surfaces importantes étaient nécessaires à ces activités ainsi qu'au stockage des produits et matériaux utilisés dans les simulations.

Par ailleurs, c'était dans ces locaux que s'effectuaient également la gestion des divers fournisseurs pour l'achat des matières premières et matériaux d'emballage ainsi que les tests de ces derniers pour une grande partie des usines de la société. La coordination et la planification de la production étaient également orchestrées depuis l'immeuble de Lancy ainsi que le suivi de la production des différentes usines, le suivi de tests et la gestion des risques ainsi que de la réglementation de la technique de production et du développement des produits. Toutes ces activités étaient assistées d'une équipe administrative et d'un support informatique.

33. En date du 9 novembre 2009, Implenia a transmis au juge délégué le permis d'occuper qui lui avait été délivré par le DCTI le 28 octobre 2009.

Le bâtiment était désigné comme un bâtiment industriel avec dépôts et parkings en sous-sol. Le document réservait l'examen, par les autorités compétentes, de toute demande d'autorisation qu'impliquait l'exploitation ou l'utilisation, conformément à leur destination, des constructions ou installations présentement autorisées.

34. Par courrier du 11 novembre 2009, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 11 décembre 2009 pour formuler toute requête complémentaire.

35. Dans le délai imparti, les recourants ont persisté dans leurs conclusions tandis que la FAQH a sollicité une nouvelle fois un transport sur place, les informations fournies par Procter & Gamble ne lui ayant pas permis de se rendre compte des activités déployées dans l'immeuble par la société, celle-ci n'ayant pas indiqué exactement quelles surfaces étaient dévolues à la production industrielle.

36. Le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger par pli du 22 décembre 2009.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Dans son écriture du 23 février 2009, la FAQH a sollicité un transport sur place. Elle a persisté dans cette demande par pli du 11 décembre 2009. Il ne sera pas donné suite à cette requête. Conformément aux principes dégagés par la jurisprudence en relation avec l'art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le tribunal considère qu’au vu des éléments à sa disposition cette mesure n'est pas nécessaire et que le dossier est en état d’être jugé (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_56/2010 du 9 avril 2010 consid. 3.3 et les références citées ; ATA/23/2007 du 23 janvier 2007 consid. 4).

3. Selon les recourants, la demande d'autorisation complémentaire, qui était limitée à trois éléments du bâtiment, consistait en de simples adaptations architecturales qui ne changeaient pas la nature du bâtiment autorisé initialement. Elle ne changeait donc pas l'affectation du bâtiment. Partant, c'était à juste titre que le DCTI avait accordé l'autorisation de construire querellée, indépendamment de l'installation de Procter & Gamble dans les locaux, dès lors que les constructions autorisées étaient conformes à l'affectation de la zone.

Le PLQ adopté selon la LGZD est un plan d'affectation. A ce titre, il a une force obligatoire, tant pour les administrés que pour les autorités. Cela implique que les projets de construction faisant application des normes de la zone de développement doivent se conformer au PLQ, aussi longtemps que les dispositions qu'il contient n'ont pas été révoquées ou modifiées ; ces dispositions s'appliquent donc à toute modification apportée ultérieurement aux bâtiments et autres aménagements construits en application de la zone de développement. Cela est notamment valable en ce qui concerne la destination des locaux, qui doit correspondre aux prescriptions du plan (A. MAUNOIR, Les zones de développement dans le canton de Genève, Fédération des syndicats patronaux, Genève, 1999 p. 33).

Au vu de ce qui précède, s'il est évident que lorsqu'il examine une requête en autorisation de construire, le DCTI doit vérifier si la construction ou les modifications apportées à un bâtiment déjà existant sont conformes à l'affectation de la zone, in casu industrielle et artisanale, il ne peut pas faire abstraction de l'utilisation qui sera faite de ce bâtiment, si celle-ci est connue au moment de l'octroi de l'autorisation. C'est ce qu'a déjà implicitement admis le tribunal de céans dans une jurisprudence ayant trait à l'aménagement d'une halle sise en zone industrielle et artisanale en vue de la diffusion de musique électronique (ATA/23/2007 du 23 janvier 2007).

En conséquence, s'il est vrai que les modifications prévues par la demande d'autorisation de construire complémentaire ne changeaient pas la vocation industrielle et artisanale du bâtiment, le DCTI ne pouvait pas faire abstraction de l'installation de Procter & Gamble dans le bâtiment concerné. En effet, il résulte des pièces du dossier, et en particulier du procès-verbal de la séance de son comité de direction du 30 décembre 2006, que le DCTI connaissait les projets d'installation de la société ainsi que l'utilisation qu'elle entendait faire du bâtiment.

Il y a donc lieu d'examiner si c'est à juste titre que le DCTI a accordé l'autorisation de construire complémentaire.

4. a. Conformément à l’art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l’autorité compétente. L’autorisation est délivrée si la construction ou l’installation est conforme à l’affectation de la zone et si le terrain est équipé (art. 22 al. 2 LAT ; B. WALDMANN/P. HÄNNI, Raumplanungsgesetz. Bundesgesetz vom 22. Juni 1979 über die Raumplanung (RPG), Berne 2006, p. 520 ; P. ZEN-RUFFINEN/C. GUY-ECABERT, Aménagement du territoire, construction, expropriation, Berne 2001, p. 207 et 211).

b. L’art. 19 al. 4 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) prévoit que les zones industrielles et artisanales sont destinées aux constructions industrielles, artisanales et ferroviaires. Selon la systématique suivie par le législateur genevois, les zones industrielles font partie des zones à bâtir, qui sont elles-mêmes englobées dans les zones ordinaires au sens des art. 12 et 18 LaLAT. Lorsque les circonstances le justifient et s’il n’en résulte pas d’inconvénients graves pour le voisinage, le département peut, par voie d’autorisation exceptionnelle, déroger aux dispositions relatives à la nature des constructions en zone à bâtir, conformément à l’art. 26 al. 1 LaLAT.

c. La résolution du litige passe, dans un premier temps, par l’examen de la compatibilité avec la zone industrielle de l’établissement litigieux. En cas de réponse négative à cette question, il convient de déterminer si l’octroi d’une dérogation au sens de l’art. 26 al. 1 LaLAT peut entrer en considération.

5. Les zones industrielles et artisanales regroupent traditionnellement des activités du secteur primaire et secondaire (P. ZEN-RUFFINEN/C. GUY-ECABERT, op. cit., p. 235 et les références citées). La notion de construction industrielle n'étant pas définie par la loi, il convient de se référer au sens large et commun de ce terme (RDAF 1983, p. 190). Or, une notion large et commune de l'industrie ne se limite pas au travail et à la transformation de la matière mais s'étend à l'ensemble des opérations qui concourent à la production et à la circulation des richesses (RDAF I 1999, p. 369).

Il résulte du but social de Procter & Gamble qu'il s'agit d'une société active dans la fabrication, la distribution et la commercialisation de produits finis et semi-finis. Son activité répond donc à la définition de l'industrie telle que rappelée ci-dessus. Certes, la fabrication des produits n'est pas effectuée dans les locaux en cause mais d'autres activités qui se déroulent dans le bâtiment litigieux sont en relation avec le développement et la distribution des produits qu'elle commercialise et répondent donc ainsi à une vocation industrielle. C'est d'ailleurs cette spécificité qui a été prise en compte par la FTI dans ses courriers des 2 et 28 septembre 2005. Toutefois, une part de l'activité que la société déploie dans ces locaux est de type administratif. Il ne faut cependant pas perdre de vue que ce type d'activité reste en relation avec la vocation industrielle de la société en tant qu'il sert de support à la commercialisation des produits qu'elle distribue. Elle entre ainsi également dans la définition d'activité industrielle rappelée ci-dessus. Le cas d'espèce, très particulier, se distingue ainsi de l'aménagement de secrétariats d'associations professionnelles plus manifestement en relation avec des prestations de service qui n'avait pas été jugé conforme à l'affectation de la zone industrielle et artisanale (P. ZEN-RUFFINEN/C. GUY-ECABERT, op. cit., p. 236 et les références citées).

Pour le surplus, il sied de rappeler que les préavis recueillis lors de l'examen de la requête en autorisation complémentaire qui est au cœur du litige étaient tous positifs et que les deux autorisations complémentaires déposées par la suite ont été accordées (le 8 décembre 2006 et le 31 août 2007 respectivement) et sont entrées en force.

La décision querellée doit être annulée sur ce point.

6. Reste à qualifier le sens et la portée du courrier du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005.

a. Le courrier du Conseil d’Etat est postérieur à la requête ayant donné lieu à l’autorisation de construire complémentaire litigieuse. Il est adressé à Procter & Gamble qui souhaite installer une partie de ses activités dans le bâtiment devant être aménagé afin de les accueillir. Il figure au dossier d’autorisation du DCTI.

b. Le Grand Conseil peut délimiter des périmètres de développement, dits zones de développement, dont il fixe le régime d’affectation. A l’intérieur de ces périmètres, la délivrance d’autorisations de construire selon les normes d’une zone de développement est subordonnée, sous réserve des demandes portant sur des objets de peu d’importance ou provisoires, à l’approbation préalable par le Conseil d’Etat d’un plan localisé de quartier (art. 2 al. 1 let. a de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 - LGZD - L 1 35). La procédure d’adoption d’un PLQ prévoit notamment sa soumission à une enquête publique (art. 6 al. 1 LGZD). Le DCTI est compétent pour délivrer les autorisations de construire principales ou complémentaires (art. 2 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05 - et art. 10A du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 - RALCI - L 5 05 01) et pour contrôler la conformité des requêtes en autorisation de construire avec les plans localisés de quartier (art. 3 al. 4 LGZD).

Au vu de ce qui précède, il est indéniable que le Conseil d’Etat n’est pas l’autorité compétente pour attester de la conformité de l’implantation d’une société dans un bâtiment et donc des activités qu’elle entend y développer, avec les dispositions légales et réglementaires régissant une zone de construction (ATA/190/2007 du 24 avril 2007).

En conséquence, quelle que soit la qualification juridique que revêt le courrier du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005, il est en réalité dépourvu de toute portée juridique dans l'issue du litige. En effet, s'il s'agit d'une simple assurance donnée par une autorité à la demande d'un administré, elle ne déploie pas d'effet juridique. S'il s'était agi d'une décision, elle aurait été rendue par une autorité incompétente et, partant, serait nulle. La commission ayant tranché cette question et les recourants ayant contesté la qualification de décision retenue par la commission, il y a toutefois lieu d'entrer en matière.

7. Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (Arrêt du Tribunal fédéral 1C.408/2008 du 16 juillet 2009 consid. 2 ; ATA/311/2009 du 23 juin 2009 consid. 4 ; ATA/42/2007 du 30 janvier 2007 consid. 4 ; ATA/602/2006 du 14 novembre 2006 consid. 3 ; ATA/836/2005 du 6 décembre 2005 consid. 2 ; P. MOOR, Droit administratif, Vol. 2, Berne 2002, p. 214, n. 2.2.3.3 ; B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 334-344). Ces dernières peuvent constituer des cas limites et revêtir la qualité de décisions susceptibles de recours, lorsqu’elles apparaissent comme des sanctions conditionnant ultérieurement l’adoption d’une mesure plus restrictive à l’égard du destinataire. Lorsque la mise en demeure ou l’avertissement ne possède pas un tel caractère, il n’est pas sujet à recours (ATA/644/2002 du 5 novembre 2002 consid. 3b ; ATA/241/2000 du 11 avril 2000 consid. 4 ; A. KÖLZ/ I. HÄNER, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 2ème éd., Zürich 1998, p. 181; F. GYGI Bundesverwaltungsrechtspflege, Berne 1983, p. 136). Pour qu'un acte administratif puisse être qualifié de décision, il doit revêtir un caractère obligatoire pour les administrés en créant ou constatant un rapport juridique concret de manière contraignante. Ce n'est pas la forme de l'acte qui est déterminante mais son contenu et ses effets (A. GRISEL, Traité de droit administratif, vol II, Neuchâtel 1984, p. 860 ss ; B. BOVAY, op.cit., p. 78).

Selon la commission, le courrier du Conseil d'Etat est une décision parce que malgré le fait que la FTI ait considéré que l'activité de Procter & Gamble n'était pas conforme à l'affectation de la zone industrielle et artisanale, ce document a permis de déroger à l'affectation prévue par le PLQ. Il a donc déployé des effets juridiques.

Il y a lieu de rappeler que le courrier du Conseil d'Etat répond à une interpellation de Procter & Gamble du 21 juillet 2005 en dehors de toute demande en autorisation de construire. Il ressort des courriers de la FTI, et en particulier de celui du 2 septembre 2005 adressé au département, que cette dernière considérait qu'une partie des activités de la société était conforme à l'affectation de la zone et que l'usage du bâtiment serait conforme à l'affectation de la zone si trois conditions étaient remplies. Par courrier du 25 octobre 2005 à la FTI, Procter & Gamble a manifesté sa volonté de se conformer aux conditions posées par la FTI. C'est à la lumière de ces échanges de courriers que le Conseil d'Etat a estimé que l'implantation de Procter & Gamble était compatible avec les dispositions légales régissant la zone industrielle et artisanale.

En conséquence, loin de constituer une dérogation, le courrier du Conseil d'Etat s'est borné à indiquer, qu'au vu des éléments dont il disposait, l'implantation de la société était compatible avec les normes régissant la zone industrielle. Ce faisant cependant, le Conseil d'Etat se bornait à exprimer une opinion, à l'instar des autorités de préavis sollicitées dans le cadre d'une demande en autorisation. Il s'ensuit que le courrier querellé n'a donc pas déployé d'effets juridiques et ne constitue pas une décision.

Enfin, l'activité déployée dans le bâtiment étant compatible avec l'affectation de la zone, ainsi que cela a été exposé ci-dessus, il n'y avait de toute manière pas lieu à l'octroi d'une dérogation.

La décision de la commission sera donc annulée sur ce point également.

8. Au vu des éléments précités, il y a lieu de confirmer l'autorisation de construire délivrée par le DCTI, le projet de construction étant conforme aux dispositions légales applicables.

Il résulte de ce qui précède que les recours seront admis et la décision de la commission annulée.

9. Vu l'issue du litige, un émolument de procédure, en CHF 2’000.-, sera mis à la charge de la FAQH. Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à Implenia, à la charge de la même intimée (art. 87 LPA).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 16 janvier 2009 par le département des constructions et des technologies de l'information et par Implenia Development S.A. contre la décision du 3 décembre 2008 de la commission cantonale de recours en matière administrative ;

au fond :

les admet ;

annule la décision du 3 décembre 2008 de la commission cantonale de recours en matière administrative ;

rétablit l'autorisation de construire délivrée le 30 janvier 2006 ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de la Fédération des associations de quartiers et d'habitants ;

alloue à Implenia Development S.A. une indemnité de CHF 2'000.- à la charge de la Fédération des associations de quartiers et d'habitants ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au département des constructions et des technologies de l'information, à Me François Bellanger, avocat d'Implenia Development S.A., à Me Pierre Bayenet, avocat de la Fédération des associations de quartiers et d'habitants, ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy et Junod, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

M. Tonossi

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :