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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1794/2015

ATA/777/2015 du 28.07.2015 sur DITAI/448/2015 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1794/2015-LCI ATA/777/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 juillet 2015

3ème section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Romain Felix, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE



EN FAIT

1) A______SA (ci-après : la propriétaire) a pour but « achat, vente, construction, transformation et gestion de tous bâtiments ; études, exécution et entretien de toutes installations de chauffage, ventilation et climatisation ainsi que tous travaux techniques ou d'architecture s'y rapportant ; les investissements dans tous les domaines se rapportant au bâtiment, à l'écologie et au développement durable ».

2) La propriétaire est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de Vernier, avenue B______, qui est en zone de développement industriel et artisanal, dans le périmètre du plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 2_______ adopté le 30 janvier 1991, et sur laquelle est sis l’immeuble - ou villa - C307 destiné à l’habitation (logement).

Selon contrat de bail à loyer du 12 juin 2009, « fixe de trois mois, renouvelable de trois mois en trois mois » et résiliable quinze jours avant l’échéance, elle loue l’entier de cette villa, soit un appartement meublé au rez supérieur et rez inférieur et un autre appartement meublé au 1er étage et dans les combles, à des fins d’habitation, à Z______ Sàrl (ci-après : la locataire), dont les buts selon le registre du commerce sont l’« exploitation d'un établissement de sauna, bains, culture physique, massages, relaxation et soins corporels ainsi que vente de tous produits en rapport avec cette exploitation ».

3) La propriétaire allègue que ces deux appartements étaient initialement utilisés dans le seul but de loger les hôtesses travaillant dans les différents salons de massage de la locataire dans d’autres lieux à Genève, mais qu’au cours des dernières années les activités « commerciales » de cette société dans la villa se sont partiellement développées, une partie des employées y commençant à développer une activité professionnelles dès 11h00 du matin ; cette situation était selon elle parfaitement connue des autorités (brigade des mœurs et État de Genève), qui l’avait longtemps tolérée.

4) Par requête du 29 septembre 2014, la propriétaire a demandé au département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : le DALE ou le département), direction des autorisations de construire, d’autoriser un changement d’affectation partiel de cet immeuble, en ce sens que le rez supérieur servirait désormais à des activités commerciales.

Il n’était pas prévu de modification physique de l’objet.

5) Par décision du 22 avril 2015, le DALE a refusé l’autorisation sollicitée, au motif qu’elle n’était pas conforme à l’art. 4 de la loi générale sur les zones de développement industriel ou d’activités mixtes du 13 décembre 1984 (LZIAM -
L 1 45), en ce sens que les activités visées par le changement d’affectation demandé ne correspondaient pas aux activités artisanales ou industrielles prévues par le PLQ 2______ en force.

6) Par acte du 26 mai 2015, la propriétaire a formé recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) contre cette décision, concluant préalablement à l’octroi des mesures provisionnelles conservatoires au recours et, au fond, à l’annulation de la décision attaquée, principalement au renvoi de la cause au département, subsidiairement à l’octroi de l’autorisation sollicitée.

7) Par acte du même jour, la propriétaire a demandé au DALE de reconsidérer sa décision du 22 avril 2015, l’annuler et, statuant à nouveau, qualifier l’activité exercée par la locataire de conforme à la zone et au PLQ et, en tant que de besoin, octroyer une autorisation de construire pour le changement d’affectation partiel du rez supérieur de la villa en activité industrielles et artisanales.

8) Par courrier adressé le 8 juin 2015 au TAPI, le département s’en est rapporté à justice quant à la requête de mesures provisionnelles du 26 mai 2015.

9) Par décision du 8 juin 2015, le DALE, relevant que l’affectation considérée avait été engagée sans autorisation, a ordonné à la propriétaire de remettre à l’état d’origine en rendant notamment les locaux à leur affectation initiale, dans un délai de soixante jours dès la notification de ladite décision, et lui a infligé une amende administrative de CHF 10'000.-.

10) Par lettre du 12 juin 2015, la propriétaire a adressé au TAPI copie de cette décision, soulignant la nécessité de l’octroi des mesures provisionnelles conservatoires sollicitées.

11) Par décision du 11 juin 2015, notifiée le lendemain, le TAPI a déclaré recevable la requête de mesures provisionnelles, l’a rejetée, a réservé la suite de la procédure ainsi que le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

La propriétaire demandait en substance à pouvoir être mise au bénéfice du changement d'affectation litigieux afin que sa locataire puisse continuer à exercer son activité commerciale dans une villa destinée à l'habitation, ce qui constituerait une anticipation du jugement qu'elle espérait obtenir sur le fond.

12) Par acte expédié le 22 juin 2015 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), la propriétaire a formé recours contre cette décision, concluant à l’annulation de cette dernière et, cela fait, à l’octroi en sa faveur des mesures provisionnelles conservatoires, soit la possibilité pour la locataire de maintenir l’exercice d’activités « commerciales » dans la villa, dans l’attente d’une décision sur le fond concernant le recours déposé par la propriétaire auprès du TAPI le 26 mai 2015, au déboutement du DALE ou tout tiers de toutes autres ou contraires conclusions, le département devant être condamné en tous les frais de la procédure et lui verser une indemnité équitable à titre de dépens.

13) Par courrier du 25 juin 2015, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative sans formuler d’observations.

14) Par lettre du 6 juillet 2015, le DALE s’en est rapporté à justice quant au recours.

15) Par pli du 8 juillet 2015, la chambre administrative a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

16) Pour le reste, les arguments des parties seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) Le recours est recevable relativement à la compétence de la chambre administrative (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) En vertu de l’art. 57 let. c de la de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sont susceptibles d’un recours les décisions incidentes - dont font partie les décisions sur mesures provisionnelles -, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Cela étant, le présent arrêt laissera indécise la question de la recevabilité du recours - étant toutefois relevé que le délai de recours paraît avoir été respecté -, pour les motifs qui suivent.

3) À teneur de l’art. 21 LPA, l’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (al. 1) ; ces mesures sont ordonnées par le président s’il s’agit d’une autorité collégiale ou d’une juridiction administrative (al. 2).

Selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/248/2011 du 13 avril 2011 consid. 4 ; ATA/197/2011 du 28 mars 2011 ; ATA/248/2009 du 19 mai 2009 consid. 3 ; ATA/213/2009 du 29 avril 2009 consid. 2). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

En matière de constructions, la préférence est normalement donnée au maintien de l'état prévalant avant le litige (ATA/833/2012 du 14 décembre 2012 consid. 7a ; ATA/615/2010 du 7 septembre 2010 ; ATA/16/2009 du 13 janvier 2009 consid. 4 ; ATA/510/2008 du 2 octobre 2008 et les arrêts cités).

4) En l’espèce, la recourante prétend qu’elle ne sollicite pas - comme l’aurait compris à tort le TAPI - d’être mise au bénéfice du changement d’affectation partiel demandé au DALE, mais uniquement que l’état de fait prévalant avant le litige soit maintenu.

Ce faisant, elle perd de vue que ni elle-même ni la locataire n’ont un quelconque droit sur lequel fonder l’activité commerciale dont l’autorisation provisoire est demandée. Un état de fait ne peut en aucune façon fonder un tel droit. La tolérance des autorités alléguée ne pourrait porter le cas échéant que sur la question du changement d’affectation partiel et, vu les conditions strictes appliquées à la garantie de la situation acquise (ATA/868/2014 du 11 novembre 2014 consid. 9a et les arrêts cités), une telle tolérance - au demeurant non démontrée - ne pourrait en aucun cas avoir un quelconque effet.

À cet égard, la recourante avait, le 6 novembre 2009, recouru contre une décision du département du 20 octobre 2009 lui ordonnant soit de rétablir une situation conforme au droit, soit de requérir dans un délai de trente jours une autorisation de construire portant sur la modification de l'affectation de la même villa que celle objet du présent litige, la locataire y exerçant selon le département une activité commerciale (« club érotique et escorte »). Elle soutenait alors qu’il n’y avait aucun changement d’affectation de la villa, en ce sens que la locataire n’y exerçait pas d’activité commerciale, mais qu’elle y logeait les « filles » qui travaillaient en d’autres endroits. Dans sa décision du 21 mai 2010 (DCCR/816/2010), la commission cantonale de recours en matière administrative avait retenu cette version des faits, admis le recours et annulé la décision du département.

En demandant sur mesures provisionnelles le maintien d’un état de fait dont elle avait expressément nié l’existence en 2009 et 2010 et qui serait apparu après la décision du 21 mai 2010, sans qu’elle ait sollicité dans les plus brefs délais une autorisation de changement d’affectation partiel, la recourante adopte un comportement contradictoire ou abusif contraire à l’art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101)
(ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; 134 V 306 consid. 4.2).

Quoi qu’il en soit, même en l’absence d’un tel comportement, l’octroi des mesures provisionnelles que la propriétaire sollicite reviendrait exactement à permettre à la locataire d’y exercer l’activité objet de la demande de changement d’affectation partiel refusé par l’intimé et, partant, à allouer à la recourante le plein de ses conclusions au fond de manière provisoire, ce qui n’est précisément pas permis.

Il est sans pertinence que le refus des mesures provisionnelles sollicitées puisse conduire le cas échéant la locataire à résilier son contrat de bail et que la recourante ait, dans une telle hypothèse, des difficultés à louer la villa à d’autres locataires.

5) Vu ce qui précède, le recours, infondé, sera rejeté.

6) Un émolument de procédure de CHF 1’000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), aucune indemnité de procédure ne lui étant allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 22 juin 2015 par A______ SA contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 11 juin 2015 ;

met à la charge d’A______ SA un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Felix, avocat de la recourante, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :