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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2609/2024

JTAPI/834/2024 du 27.08.2024 ( MC ) , REJETE

REJETE par ATA/1102/2024

Descripteurs : INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);PROPORTIONNALITÉ
Normes : LEI.74; CP.160.al1.ch1; LStup.19; CEDH.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2609/2024 MC

JTAPI/834/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 27 août 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            M. A______, né le ______ 1996, est ressortissant de Gambie. Il est titulaire d'un titre de séjour (Italie), n°1______, délivré par la Questura di Lecce (Italie), valable du 2 février 2018 au 2 février 2020.

2.            Le 6 mars 2019, il avait été contrôlé par les services de police genevois, dans le tram 12, à la hauteur de l’arrêt de bus « GRAVESON », en possession de deux parachutes de cocaïne, dissimulés dans ses sous-vêtements, d'un poids total de 11 grammes.

Lors de son audition par la police le lendemain, M. A______ avait déclaré que la drogue saisie en sa possession lui avait été donnée par un homme en France voisine pour qu'il la remette à un tiers en Suisse. Il ne s'était jamais livré à un tel trafic auparavant. Il avait logé deux mois en Suisse avant de loger à B______(France), chez un ami dont il ne connaissait pas le nom et dont il ignorait l'adresse. Il avait admis que rien ne s'opposait à son expulsion de Suisse où il n'avait aucune attache particulière.

3.            Par jugement du tribunal de police du canton de Genève du 30 octobre 2019, M. A______ a été déclaré coupable d'infraction à l'article 19 al. 1 let. b de loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup – RS 812.121) et condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende, sous déduction de quatre jours-amende correspondant à quatre jours de détention avant jugement, montant du jour-amende fixé à CHF 10.-, sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de trois ans.

4.            Le 7 mars 2019, le commissaire de police lui avait fait interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

5.            Par jugement JTAPI/269/2019 du 22 mars 2019, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) avait réduit la durée de l’interdiction cantonale précitée à six mois et confirmé la décision entreprise pour le surplus.

6.            Par décision du Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après : SEM), M. A______ avait fait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse (ci-après : IES) valable du 17 juillet 2020 au 16 juillet 2023, laquelle lui avait été notifiée le 10 août 2020.

7.            A teneur de son casier judiciaire, M. A______ a en outre été condamné par ordonnances pénales du Ministère public du canton de Genève :

-          le 16 juin 2022, pour entrée illégale au sens de l'art. 115 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, sous déduction d'un jour-amende correspondant à un jour de détention avant jugement, montant du jours-amende fixé à CHF 10.-, renonciation à révoquer le sursis accordé le 30 octobre 2019 par le tribunal de police et prolongation du délai d'épreuve d'un an. Un avertissement formel lui a en outre été adressé ;

-          le 19 août 2022, pour entrée illégale au sens de l'art. 115 al. 1 let. a LEI, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, sous déduction d'un jour-amende correspondant à un jour de détention avant jugement, montant du jour-amende fixé à CHF 10.-, renonciation à révoquer le sursis accordé le 30 octobre 2019 par le tribunal de police.

8.            Le 2 août 2024, M. A______ a été interpellé par la police genevoise alors qu'il se trouvait à la Place des Volontaires, à l'intersection avec la rue de la Coulouvrenière.

Il ressort du rapport de renseignements du 3 août 2024 que les observations policières ont permis de constater l'arrivée progressive d'une douzaine d'individus de type africain dans le secteur, avec comme point de ralliement la Place des Volontaires. La plupart d'entre eux se sont ensuite rendus sur divers points de vente de stupéfiants présumés, placés le long de la rue de la Coulouvrenière. L'attention des policiers s'est toutefois concentrée sur deux individus, ultérieurement identifiés en les personnes de M. A______ et de Monsieur C______, également ressortissant gambien, lesquels étaient adossés à un bâtiment l'un à côté de l'autre. Il a en outre été observé, à plusieurs reprises, certains desdits présumés dealers quitter leurs lieux de vente présumés, venir au contact de MM. A______ et C______ et effectuer des échanges avec ces derniers, avant de repartir sur les emplacements présumés de deals, laissant penser que les vendeurs de drogue s'approvisionnaient en stupéfiants auprès de MM. A______ et C______. Il a en outre été observé qu'après chaque prise de contact, M. A______ se rendait à proximité d'un vélo placé à moins de cinq mètres de lui pour récupérer quelque chose qu'il remettait ensuite à l'une ou l'autre des personnes qui était venue à son contact.

Forts de ses constatations, les policiers ont procédé à l'interpellation simultanée de MM. A______ et C______.

La palpation effectuée sur M. C______ a révélé la présence de cocaïne et d'ecstasy. La sacoche qu'il détenait était en outre remplie de marijuana, conditionnée dans des sachets mini-grip et emballés dans de l'aluminium.

Aucun stupéfiant n'a été saisi en possession de M. A______. L'intéressé détenait toutefois une clé dans sa poche, CHF 65.40 et un téléphone portable de marque SAMSUNG. Questionné à ce sujet, il a déclaré oralement qu'il s'agissait de sa clé d'appartement à B______(France). Cependant, la police a rapidement été en mesure de déterminer que cette clé ouvrait le cadenas du vélo auprès duquel M. A______ s'était régulièrement rendu. Ce vélo était muni d'une sacoche accrochée au cadre. Dans cette sacoche, ont été saisis 51.3 gr de marijuana, conditionnés en 19 sachets ; 97 pilules d’ecstasy, conditionnées dans deux sachets mini-grip ; 64.1 gr de haschich, conditionnés en 32 boules. Les vérifications conduites ultérieurement ont révélé que le cycle en question avait été volé entre le 30 avril 2018 et le 12 mai 2018 à Estavayer-le-Lac et qu'une plainte pénale avait été déposée par son détenteur. M. A______ a refusé la fouille par la police des données de son téléphone portable.

9.            Entendu par la police le 2 août 2024, M. A______ a contesté toute implication dans les faits lui étant reprochés. Il était venu sur cette place voir des amis. Il était arrivé en Suisse le jour-même depuis B______(France) en tram. Il ne connaissait pas leurs noms, mais uniquement leurs prénoms. La clé saisie en sa possession lui appartenait. Il s'agissait de la clé du cadenas de son vélo qui se trouvait à B______(France). Il ne comprenait pas pourquoi cette clé fonctionnait aussi sur le cadenas du vélo saisi dès lors qu'il ne s'agissait pas du sien. La sacoche saisie ne lui appartenait pas. La drogue non plus. A la question de savoir comment il expliquait que la drogue saisie en possession de M. C______ était conditionnée de façon similaire à celle saisie dans la sacoche, il a répondu qu'il ne savait pas. L'argent lui appartenait. Il aidait une personne à faire un travail et celle-ci lui donnait de l'argent en échange. Il ne connaissait pas son nom.

S'agissant de sa situation personnelle, il a déclaré qu'il résidait à B______(France). Sa compagne et leurs enfants âgés de cinq et deux ans vivaient également à B______(France). Il avait vécu en Suisse il y a longtemps. Il y était venu pour la première fois en 2017. Il n'avait jamais fait de demande d'autorisation de séjour en Suisse. Il ne reconnaissait pas avoir séjourné en Suisse sans autorisation. Son passeport se trouvait à son domicile. Ses deux sœurs vivaient en Afrique et ses cinq frères en Europe. Il n'avait aucune famille en Suisse. Il aimait la Suisse, mais il n'entendait pas y rester sans autorisation. Il avait fait une école d'arabe. Il n'avait pas trop d'autre diplôme. Il cherchait un travail. Il avait été arrêté deux fois en Suisse. Il n'avait pas d'antécédent à l'étranger.

10.        Entendu par le Ministère public le 3 août 2024, l'intéressé a confirmé ses premières déclarations à la police. Il contestait les faits reprochés. Son titre de séjour italien était en cours de renouvellement. Il n'avait aucune attache avec la Suisse.

11.        Par ordonnance pénale du Ministère public du 3 août 2024, il a été condamné pour recel (art. 160 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0)), délit à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c et d LStup) et entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI), à une peine privative de liberté de 90 jours, sous déduction d'un jour de détention avant jugement.

12.        Le 3 août 2024 à 15h20, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au Canton de Genève) pour une durée de 18 mois.

13.        Par courrier du 13 août 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a formé opposition contre cette décision auprès du tribunal.

14.        M. A______ a été dûment convoqué le 23 août 2024 pour être entendu par le tribunal.

15.        Lors de cette audience, M. A______ a confirmé qu'il maintenait son opposition. Il a déclaré être né le 1er janvier 1996 en Gambie. Il ne se rappelait pas quand il était arrivé en Italie, mais c'était il y a longtemps, vraisemblablement en 2013. Il était titulaire d'un permis de séjour en Italie. Dans son souvenir, il avait obtenu ce permis en 2014. Il savait que son permis de séjour était échu, mais il était en cours de renouvellement. Il avait perdu sa carte d'identité italienne pour ressortissant étranger. Il n'avait pas eu besoin d'obtenir un titre de voyage italien car il avait un passeport gambien valable.

Il avait travaillé en Italie. Il avait quitté l'Italie car il n'y avait pas de travail. Désormais, il travaillait à B______(France) où il était arrivé il y a quelques mois. Il y faisait de « petits boulots ». Parfois, il travaillait à la ferme, d'autres fois, il aidait à charger des containers. Il n'avait pas de « vrai travail ». Il gagnait parfois € 45.- ou € 50.- par jour en faisant ces « petits boulots ». L'interprète avait mal traduit ses déclarations à ce sujet lors de son audition à la police. Il n'avait pas d'autre source de revenu. Il y a des mois durant lesquels il ne gagnait pas même un Euro. D'autres mois, il pouvait gagner jusqu'à € 2'000.-.

Il n'avait pas vécu en Italie avec son épouse et leurs deux enfants âgés de cinq et deux ans. Ces derniers vivaient à B______(France) avec leur mère. Le couple, qui n'était pas marié, avait rencontré des difficultés et s'était séparé. Il reconnaissait leur premier enfant comme le sien, pour leur cadet, il n'en savait rien. C'était la raison de leur séparation. Il ne payait rien pour l'instant à son ex-compagne pour les enfants. Il vivait à proximité de ses enfants à D______(France), dans un lotissement, à E______(France).

Il avait sa petite-amie en Suisse, à Genève. Il n'avait pas de famille en Suisse, à l'exception de sa copine. Ses frères vivaient en Europe et ses sœurs en Gambie.

Il avait effectivement un casier judiciaire. Il reconnaissait avoir été condamné le 30 octobre 2019 pour trafic de stupéfiants. Le 7 mars 2019, il avait fait l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois, interdiction dont la durée avait été réduite à six mois par la tribunal suite à l'opposition qu'il avait formée à l'encontre de cette mesure. Il était en outre exact qu'il avait également fait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse valable du 17 juillet 2020 au 16 juillet 2023.

Il a admis avoir violé cette interdiction d'entrée en Suisse à tout le moins à une reprise pour y voir sa copine. Il pensait avoir fait « appel » de sa condamnation avec l'aide de son avocat.

Il savait qu'il n'avait pas le droit d'entrer et de séjourner en Suisse. C'était la raison pour laquelle il avait fait appel à un avocat. Sa copine vivait à Genève et ils avaient décidé de se marier.

A B______(France), il partageait la chambre qu'il occupait avec d'autres personnes. Il n'avait pas d'espace privé. S'il voulait avoir cet espace intime, il devait visiter sa copine à Genève. C'était la raison pour laquelle il s'était adressé à son avocat.

Après lui avoir fait remarquer qu'une demande d'autorisation de séjour de durée limitée en vue de préparer son mariage avec sa copine − ressortissante étrangère titulaire d'un permis de séjour à caractère durable en cours de renouvellement vu les pièces déposées à l'audience − devait être déposée depuis l'étranger auprès de l'état civil, il a répondu que le couple était « sur le point de le faire ». Avec l'aide de son conseil, il a ajouté que sa petite amie, Madame F______, n'avait actuellement pas la possibilité de quitter Genève pour des raisons professionnelles.

Il avait également des amis à Genève, mais ce n'était pas à cause d'eux qu'il voulait venir à Genève, mais pour y voir sa copine. Il n'avait pas mentionné Mme F______ à la police car les policiers lui avaient posé les questions qu'ils souhaitaient lui poser.

S'agissant des faits ressortant de l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public à son encontre le 3 août 2024, il les contestait. Il avait d'ailleurs formé opposition à cette ordonnance pénale.

Il avait été interpellé Place des Volontaires, non pas parce qu'il s'adonnait au trafic de stupéfiants, mais parce que c'était l'un des lieux où la communauté africaine de Genève se réunissait. Il en allait de même de la rue de la Coulouvrenière et du quartier des Pâquis. Il voulait parler avec le Procureur. Avec l'aide de son conseil, il a ajouté qu'il ne contestait pas qu'il y avait dans son dossier des soupçons le reliant à un trafic de stupéfiants. Il voulait pouvoir voir sa petite amie et que l'interdiction soit annulée. À B______(France), il n'avait aucune intimité et tout le monde avait besoin de son espace intime.

Il était retourné en Gambie faire son passeport. En Gambie, il existait deux types de passeports : l'un pour ceux qui vivaient à l'étranger, l'autre pour ceux qui vivaient dans le pays. Son passeport lui avait été délivré le 16 mai 2024. Il confirmait avoir fait la demande alors qu'il se trouvait en Gambie.

La représente du commissaire de police a relevé que M. A______ était au bénéfice d'un permis italien - cas spécial, c’est-à-dire que la demande d'asile déposée par l'intéressé avait été rejetée, mais qu'il avait été considéré que le renvoi en Gambie de M. A______ ne pouvait pas être exécuté pour certaines raisons. Or, au cours de l'audience, M. A______ avait expliqué qu'il était retourné en Gambie en mai 2024 à tout le moins pour renouveler son passeport de sorte que les autorités italiennes pourraient ne pas renouveler son permis de séjour. Un renvoi Dublin pourrait en outre, cas échéant, être prononcé par la Suisse afin que M. A______ soit renvoyé vers l'Italie.

M. A______ a déposé à l'audience les pièces suivantes :

- copie de son permis de séjour (Italie) « CASI SPECIALI », n°1______, délivré le 2 février 2018 par la Questura di Lecce, valable jusqu'au 2 février 2020 ;

- copie de son passeport gambien, délivré le 16 mai 2024 et valable jusqu'au 16 mai 2029 ;

- copie du titre de séjour autorisation B, avec activité lucrative autorisée, de Madame F______, n°2______, valable jusqu'au 6 avril 2023 ;

- copie d'échanges de courriels entre Madame F______ et l'OCPM à teneur desquels le dossier de la précitée était revenu du SEM et transféré auprès du secteur livrets afin qu'elle reçoive son titre de séjour renouvelé ;

- copie d'une attestation manuscrite, signée par Mme F______, non datée, à teneur de laquelle cette dernière attestait de sa relation avec lui. Le couple était ensemble depuis 2021. Ils étaient actuellement fiancés. Elle vivait à Genève, lui à B______(France), en colocation. Il était difficile de se voir en France en toute intimité. Elle travaillait actuellement en qualité de « représentante d'organisation au sein de l'ONU » et il lui était impossible de quitter le territoire genevois. Par ailleurs, tous leurs amis et famille se trouvaient à Genève. Elle sollicitait la reconsidération de l'interdiction prononcée à l'encontre de son futur mari afin qu'ils puissent entamer leur vie à deux et se marier.

Avec l'aide de son conseil, M. A______ a précisé que cette attestation avait été établie par Mme F______ le 23 août 2024.

Par l'intermédiaire de son conseil, M. A______ a conclu à la réduction de la durée de la mesure d'interdiction, à laquelle il ne s'opposait pas dans son principe, à six mois et à ce que son périmètre soit réduit afin de lui permettre de se rendre, depuis B______(France), chez sa petite amie, Mme F______, domiciliée au G______ 3______ Genève.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de la mesure tant dans sa durée que son étendue géographique.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Selon l'article 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée s'il n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics. Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants, en particulier à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019consid. 3.1 ; 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1).

5.             L'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues par l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

6.             L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

7.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics, plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

8.             Les étrangers dépourvus d'une autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner de telles mesures n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. En particulier, des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; ATA/233/2018 du 13 mars 2018 consid. 4b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/885/2016 du 20 octobre 2016.

9.             D'après la jurisprudence, un simple soupçon fondé de participation à un trafic de stupéfiants, même en l'absence d'une condamnation pénale, peut suffire à asseoir une mesure d'interdiction d'accès à un territoire déterminé (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014). Un tel soupçon - indépendamment du fait que la condamnation pénale y relative soit contestée et, donc, non définitive - peut découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à la propre consommation de l'intéressé (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un ressortissant étranger qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (cf. arrêt 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.3 ; voir aussi ATA/629/2016 du 21 juillet 2016 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014).

10.         Sous réserve de circonstances particulières, les fiancés ou les concubins ne sont en principe pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1035/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1 ; 2C_207/2012 du 31 mai 2012 consid. 3.3 ; Mareva MALZACHER, Droit des étrangers : les effets de la dissolution de la famille, in Plaidoyer 5/13 du 23 septembre 2013, p. 46). Il faut que les relations entre les concubins puissent, par leur nature et leur stabilité, être assimilées à une véritable union conjugale pour bénéficier de la protection de l'art. 8 § 1 CEDH (Peter UEBERSAX, Die EMRK und das Migrationsrecht aus der Sicht der Schweiz, in Bernhard EHRENZELLER/Stephan BREITENMOSER [éd.], La CEDH et la Suisse, 2010, p. 203 ss et p. 219 ss ; Patrice HILT, Le couple et la Convention européenne des droits de l'homme, 2004, n. 667; ATA/171/2016 du 25 février 2016 consid. 11e).

11.         Les mesures interdisant de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

Elles doivent être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. Elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c).

12.         L'art. 74 LEI ne précise pas la durée de la mesure. Celle-ci doit répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3).

Appliqué à la problématique de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEI, le principe de proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d’une telle mesure ainsi que sa durée. Il convient de vérifier, dans chaque cas d’espèce, que l’objectif visé par l’autorité justifie véritablement l’interdiction de périmètre prononcée, c’est-à-dire qu’il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre (cf. ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 du 5 août 2021 consid.3.4.2 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.2).

L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

13.         La chambre administrative de la cour de justice a confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois notifiée à un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022 ; cf. aussi ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

Elle a également confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre un étranger qui avait des projets de mariage avec une ressortissante suisse. La chambre de céans a notamment considéré que la poursuite de sa relation de couple pouvait se faire à l'extérieur du canton, au demeurant exigu, voire depuis et dans le pays d'origine du recourant, via les moyens de communication modernes ou à l'occasion d'une visite de sa compagne (ATA/481/2022 du 5 mai 2022).

Enfin, la chambre administrative a confirmé une interdiction de pénétrer dans l’ensemble du territoire genevois pour une durée de douze mois d’un étranger formant depuis trois ans une communauté de vie avec son amie à Genève. La chambre de céans a notamment relevé que son amie pourrait le rencontrer dans un autre canton (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021).

14.         En l'espèce, M. A______ ne conteste pas, à juste titre, le prononcé de la mesure dans son principe. En effet, ce dernier, qui a contesté toute participation à un trafic de stupéfiants le 2 août 2024, a admis qu'il existait à son encontre des soupçons suffisants de participation à un trafic de stupéfiants qui justifiaient, dans son principe, le prononcé de dite mesure d'interdiction. Il a en outre admis avoir déjà été condamné à trois reprises en Suisse depuis 2019, notamment pour trafic de stupéfiants le 30 octobre 2019. Il a également reconnu avoir fait l'objet d'une première mesure d'interdiction territoriale le 7 mars 2019 et avoir violé, à tout le moins à une reprise, l'interdiction d'entrée en Suisse prononcée à son encontre, valable du 17 juillet 2020 au 16 juillet 2023.

Aussi, seul est litigieux le respect du principe de la proportionnalité dans le choix de la durée, soit 18 mois, et du périmètre, soit l’entier du canton, par le commissaire de police.

S’agissant du périmètre, M. A______ ne peut se prévaloir d’aucun motif pour expliquer sa présence sur le territoire genevois. Il a admis qu’il habitait à E______(France), en France voisine et que ses enfants et son ex-compagne résidaient à B______(France). Il n'avait pas de permis de séjour l'autorisant à résider en France. Il faisait des « petits boulots » en France. Il n'avait aucune source de revenu légal. Il n'avait pas de famille en Suisse.

Comme rappelé supra, sous réserve de circonstances particulières, les fiancés ou les concubins ne sont en principe pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH. Il n'apparaît pas que le cas d'espèce présente des circonstances particulières. En effet, rien ne s’oppose à ce que M. A______ entretienne sa relation avec Mme F______, titulaire d'un permis B, à l'extérieur de Genève, par exemple en France voisine, selon des modalités qu'il leur revient de définir. L'absence d'intimité alléguée ne constitue au surplus pas une entrave suffisante à l'exercice de cette relation qui, selon les explications de M. A______ et de Mme F______, a été initiée en 2021 dans des circonstances vraisemblablement similaires et se poursuit depuis lors. A cela s'ajoute que dites circonstances pourraient être limitées dans le temps si, comme M. A______ en a informé le tribunal, le couple était sur le point de déposer une demande de permis de séjour en vue du mariage dont la durée de traitement moyenne est de six à huit mois.

Sur ce point encore, il sera relevé que, contrairement à ce qu'a indiqué M. A______ lors de l'audience qui s'est tenue le 23 août 2024, à teneur de la base de données de l'OCPM dans sa teneur au 23 août 2024, Mme F______ est domiciliée H______ 4______, I______, soit au centre du quartier des J______, lieu notaire du trafic de stupéfiants à Genève, et non au K______ 3______ L______.

M. A______ ne prétend, pour le reste, pas qu’une interdiction de pénétrer dans l'ensemble du canton de Genève le priverait d’un accès à des ressources élémentaires, ce dernier ayant confirmé, à plusieurs reprises, que son unique source de revenu provenait de « petits boulots » qu'il réalisait à B______(France).

Ainsi, l’interdiction de périmètre, étendue à l’ensemble du canton, sera confirmée.

Certes, la durée de dix-huit mois prononcée par l'autorité intimée est assez longue. Cependant, deux aspects du dossier la légitiment. D'une part, M. A______ a déjà fait l'objet en 2019 d'une décision identique. Cette décision était supposée avoir non seulement un effet immédiat, en éloignant M. A______ du territoire genevois, mais également un effet d'avertissement à plus long terme, en lui montrant que cette mesure pourrait s'appliquer à nouveau en cas de récidive et surtout pour une durée possiblement plus longue. Or, M. A______ s'est manifestement montré indifférent à cet avertissement, ou en a du moins sous-estimé l'importance, de sorte qu'il serait inapproprié de lui donner raison en faisant abstraction de l'antécédent qui vient d'être rappelé. D'autre part, il ressort des propres explications de M. A______ que ce dernier s'est vraisemblablement rendu à Genève à de multiples reprises depuis 2021 pour y passer du temps avec Mme F______ alors qu'il savait faire l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse, ce que démontrent ses condamnations des 16 juin 2022 et 19 août 2022, et qu'il pourrait être tenté de continuer à agir de la sorte à l'avenir.

En conséquence, au regard des éléments qui précèdent, la durée de 18 mois prononcée respecte le principe de proportionnalité.

15.         Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______ pour une durée de 18 mois.

16.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

17.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 13 août 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 3 août 2024 pour une durée de 18 mois ;

2.             la rejette ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 3 août 2024 à l'encontre de Monsieur A______ pour une durée de 18 mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

 

Genève, le

 

La greffière