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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/172/2024

JTAPI/542/2024 du 06.06.2024 ( LCI ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : CONCLUSIONS;TRANSACTION(ACCORD);PERMIS DE CONSTRUIRE
Normes : LPA.69.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3585/2023 LCI

JTAPI/543/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 6 juin 2024

 

dans la cause

 

A______, représentée par Me Alain MAUNOIR, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

Madame B______, représentée par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC


EN FAIT

1.             Madame B______ est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de C______ (ci-après : la commune).

2.             Cette parcelle se trouve dans le périmètre d’un site inscrit à l’inventaire des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ci-après: ISOS), avec un objectif de sauvegarde A (le plus élevé).

3.             Elle est aussi incluse dans le périmètre du plan de site n° 2______ (ci-après : le plan de site) adopté par arrêté du Conseil d’État du ______ 2017, lequel a, selon son règlement d’application adopté le même jour, pour but de protéger le sud du village de D______, qui figure dans l’ISOS, pour l’ensemble de ses qualités architecturales et paysagères .

4.             Le bâtiment qui est érigé sur cette parcelle bénéficie ainsi, conformément au plan de site, d’une protection accrue dans la mesure où il est prévu qu’il doit être maintenu en raison de ses qualités architecturales ou historiques.

5.             En ______ 2021, par l’intermédiaire d’un architecte, Mme B______ a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande d’autorisation visant la rénovation et transformation de ce bâtiment et l’installation d’une pompe à chaleur ; des places de stationnement étaient également prévues.

6.             Lors de l’instruction de cette demande, enregistrée sous la référence DD 3______, les préavis usuels ont été requis et émis. Le projet a été remanié à cinq reprises pour répondre entièrement aux diverses exigences des instances de préavis.

7.             Par décision globale du ______ 2023, publiée dans la feuille d’avis officielle du même jour, le département a délivré l’autorisation de construire DD 3______.

8.             Par acte du 23 octobre 2023, Monsieur E______ a interjeté recours contre cette décision par devant le tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

Le recours a été enregistré sous le numéro A/4______.

9.             Par acte du 26 octobre 2023, A______ (ci-après : l’association) a aussi interjeté recours contre cette décision par devant le tribunal, concluant implicitement à son annulation.

Ayant pour but la sauvegarde du site historique et architectural de D______, elle avait été fondée en 2019 pour tenter d’éviter l’altération irrémédiable de ce village classé site d’importance nationale à l’inventaire fédéral ISOS, lequel était menacé de toutes parts par des projets immobiliers, notamment au cœur du village, dans l’ancien domaine F______.

L’autorisation querellée prévoyait justement la rénovation et transformation de la ferme du domaine F______. Dans les faits, il s’agissait de créer des nouveaux logements d’habitation dans cette annexe de la maison de maître, qui abritait des locaux agricoles ; il s’agissait par conséquent d’un changement d’affectation. Elle ne s’opposait pas à une transformation de ces locaux pour autant que celle-ci soit respectueuse, ce qui n’était nullement le cas puisqu’il s’agissait ici d’obtenir une rentabilisation maximale au prix d’une altération portant atteinte au site.

La recourante a fait valoir divers griefs.

10.         Le 16 novembre 2023, en réponse à un courrier du tribunal du 6 novembre 2023, l’association a produit ses statuts, adoptés le 29 janvier 2020, la liste de ses membres et la décision de son comité du ______ 2023 de recourir contre l’autorisation querellée.

Selon l’art. 3 de ces statuts, l’association a pour but de faire connaître, de valoriser et de sauvegarder le patrimoine architectural, historique et naturel de D______ et de ses alentours ; de préserver la qualité de vie des habitants du village et de favoriser la convivialité ; de promouvoir la mobilité douce et une agriculture locale saine et respectueuse de la nature.

L’art. 4 des statuts donnait une liste non limitative des activités, à savoir : lutte contre l’enlaidissement du site ou sa banalisation notamment par l’édification de nouvelles constructions, par des mesures d’aménagement inappropriées ou inesthétiques ; lutte contre la pollution et les nuisances sonores, causées en particulier par le trafic ; balades et découvertes du patrimoine architectural et historique, du patrimoine naturel, lecture du paysage ; rédaction d’articles, de brochures, de guides de promenades. Animation villageoise, activités intergénérationnelles et maintien des traditions (Feuillu, cortège de l’Escalade) ; promotion des activités culturelles et encouragement des jeunes artistes ; collaboration avec des organismes poursuivant les mêmes buts.

La liste des treize membres contenait les prénoms et noms des membres ainsi que leur adresse, hormis pour le membre d’honneur dont l’adresse n’était pas indiquée. Il en résulte que six membres sont domiciliés à D______, trois à G______, un à H______ et deux à l’étranger.

11.         Dans ses observations du 29 décembre 2023, l’intimée a conclu, par le biais de son conseil, au rejet du recours et à la confirmation de la décision querellée, le tout avec suite de frais et dépens.

La recourante n’était pas une association d’importance cantonale, n’était pas touchée personnellement dans ses droits par la décision attaquée et la qualité pour recourir ne pouvait pas lui être reconnue en fonction de ses statuts. Ses buts statutaires, et plus particulièrement les buts de préservation, de maintien ou de défense de la « qualité de vie des habitants », à l’instar de la « promotion de la mobilité douce », étaient des notions relevant de motifs d’intérêt général et ne répondaient ainsi ni au critère du caractère particulier de l’atteinte prévu à l’art. 60 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), ni n’entraient dans l’un des trois domaines prévus par l’art. 145 al. 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Quant au but de « sauvegarder le patrimoine architectural, historique et naturel de D______ et de ses alentours », la jurisprudence avait déjà relevé que le fait que la sauvegarde du patrimoine entrait dans les buts statutaires d’une association ne suffisait pas à lui reconnaître un intérêt digne de protection à recourir contre une autorisation de démolir ou une autorisation de construire. Enfin, les conditions d’un recours corporatif n’étaient pas démontrées et a fortiori pas remplies, les statuts de l’association ne prévoyant pas la défense des intérêts de ses membres. Le recours apparaissait manifestement irrecevable.

En outre, même à supposer qu’une interprétation très large de ses statuts lui permettrait de recourir, la décision de recourir n’avait manifestement pas été prise par l’organe compétent de la recourante. En effet, les statuts de l’association, et en particulier l’art. 6 concernant son organisation, ne contenaient aucune indication sur la compétence pour faire valoir des prétentions en justice, de sorte que sa direction devait démontrer que l’association avait valablement pris la décision d’agir en justice et lui avait délégué cette tâche. Or, la recourante n’avait communiqué qu’un « Compte rendu de la séance du comité » daté du ______ 2023, qui était signé uniquement par deux membres, ceux qui avaient d’ailleurs signé le recours, alors que les statuts prévoyaient un fonctionnement du comité de trois à cinq membres. Aucune décision de l’assemblée générale ne déléguant le pouvoir d’ester en justice au comité, de manière générale ou spécifiquement contre la décision litigieuse, n’avait été communiquée. La recourante n’avait pas démontré les circonstances qui justifiaient sa qualité pour recourir.

Au surplus, l’intimée a contesté les griefs de la recourante, alléguant que certains d’entre eux étaient irrecevables.

12.         Dans ses observations du 5 janvier 2024, le département a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et dépens. Il a produit son dossier.

Dans un jugement du ______ 2023 (JTAPI/5______), le tribunal avait déjà dénié la qualité pour recourir de l’association dans la mesure où elle ne remplissait pas les conditions légales et jurisprudentiels pour s’en prévaloir. Il devait en aller de même en l’espèce. La recourante ne démontrait pas en quoi elle serait touchée directement par l’autorisation délivrée, laquelle n’avait aucune incidence concrète et pratique sur son fonctionnement ou son activité et ne l’atteignait pas, d’une façon ou d’une autre, dans ses droits et obligation. De plus, ses statuts ne démontraient pas non plus qu’elle poursuivrait un but visant à offrir une protection ou un avantage particulier en faveur de ses membres, ce qui ne lui permettait dès lors pas de se prévaloir du recours corporatif. Il en allait de même, s’agissant de la mise en œuvre de l’art. 145 al. 3 LCI : outre le fait qu’elle n’était pas d’importance cantonale, l’association n’avait pas uniquement pour but de se vouer aux questions relatives à l’aménagement du territoire et à la protection de l’environnement, mais poursuivait aussi, de manière majoritaire, d’autres objectifs.

Au surplus, le département a contesté les griefs de la recourante.

13.         Par réplique du 29 février 2024, sous la plume de son conseil, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Elle prévoyait parmi ses buts statutaires d’œuvrer par pur idéal pour la valorisation et la sauvegarde du « patrimoine architectural, historique et naturel de D______ et de ses alentours » ainsi que « d’améliorer la qualité de vie », de « promouvoir la mobilité douce et une agriculture locale saine et respectueuse de la nature ». En tant que tels, ces derniers objectifs relevaient très largement de l’aménagement du territoire et de la protection de l’environnement, étant notamment mentionnés à l’art. 1 al. 2 let. c de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700). Les principes régissant l’aménagement du territoire en Suisse faisaient également état de la nécessité de préserver autant que possible les lieux d’habitation des atteintes nuisibles ou incommodantes, telles que la pollution de l’air, le bruit et les trépidations (art. 3 al. 3 let. b LAT) et de maintenir ou de créer des voies cyclables et des chemins pour piétons (art. 3 al. 3 let. c LAT).

Le législateur cantonal avait expressément prévu dans la loi (notamment art. 145 al. 3 LCI) que la qualité pour recourir était également accordée aux associations locales actives depuis plus de trois ans, lorsqu’elles se vouaient « par pur idéal à l’étude de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments, de la nature et des sites ». Le département ne saurait arbitrairement limiter cette qualité pour recourir aux seules associations qui ne mentionneraient qu’un seul et unique but dans leurs statuts. En inscrivant d’autres objectifs, à visée idéale, dans ses statuts, l’association restait dans le champ d’application de l’aménagement du territoire et de la protection du patrimoine historique.

Le jugement JTAPI/5______ faisait l’objet d’un recours, toujours pendant, de sorte qu’il ne saurait servir de justification à une éventuelle décision d’irrecevabilité.

14.         Par duplique du 26 mars 2024, le département a persisté dans ses écritures et conclusions du 5 janvier 2024.

À la lecture des statuts de l’association, il apparaissait difficile d’admettre que la recourante aurait principalement pour vocation de se livrer à la protection du patrimoine, au sens de ce que prescrivait l’art. 145 al. 3 LCI. À ce sujet, le Tribunal fédéral avait précisé que ces associations poursuivaient principalement - et non exclusivement - des buts d’aménagement du territoire et de protection de la nature. Ce caractère principal devait être compris en relation avec la poursuite d’autres buts étrangers à l’aménagement et à la protection de la nature, lesquels devaient néanmoins demeurer accessoires. De plus, il ne suffisait pas que leurs statuts en fassent mention.

Il ne pouvait, en l’espèce, que constater que l’activité de l’association s’adressait essentiellement à ses membres et non à un pur idéal, contrairement à ce qu’elle voulait faire croire dans sa réplique. Ses statuts mettaient en effet en évidence le fait que son but était de favoriser la convivialité et les rencontres entre les habitants du village, d’améliorer la qualité de vie, de faire connaître, de valoriser et de sauvegarder le patrimoine architectural, historique et naturel de D______ et de ses alentours, et de promouvoir la mobilité douce et une agriculture locale saine et respectueuse de le nature (art. 3), alors que ses activités étaient essentiellement orientées vers des balades et découvertes du patrimoine, la rédaction d’articles, de brochures et de guides, le recueil de témoignages, des cours de formation, le jardinage, l’animation villageoise, la promotion d’activités culturelles, la lutte contre les atteintes à la beauté du village, ou la mobilisation pour rendre la rue aux piétons (art. 4). Ainsi, ses buts n’étaient pas principalement orientés vers l’aménagement du territoire et de protection de la nature. Partant, sa qualité pour recourir ne pouvait pas être reconnue.

15.         Le 15 avril 2024, la recourante s’est prononcée sur les observations du département précitées, faisant notamment valoir divers arguments quant à la recevabilité de son recours.

16.         Par duplique du 25 avril 2024, l’intimée a persisté dans l’argumentation et les conclusions prises le 29 décembre 2023.

Elle a notamment réitéré que la recourante n’avait pas qualité pour recourir, soulignant à cet égard que celle-ci n’avait dit mot sur l’absence de décision prise par l’organe compétent s’agissant de la décision d’ester en justice.

Elle n’avait pour le surplus, semblait-t-il, pas engagé de réelle activité depuis sa constitution et la « décision » du comité de recourir indiquait qu’elle avait été prise « d’un commun accord » par ses membres. Or, M. E______, membre du comité, était lui-même recourant en son nom personnel contre la décision entreprise (cause A/4______) et ses arguments étaient strictement identiques à ceux invoqués dans le recours déposé par la recourante, de sorte que cette dernière était manifestement utilisée à des fins privées.

17.         Le 27 mai 2024, la recourante a persisté dans ses précédentes écritures.

Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, elle était légitimée à faire valoir que les valeurs limites d’immission ne seraient pas respectées à l’intérieur des locaux à créer.

La décision attaquée ne portait pas exclusivement sur la transformation du bâtiment cadastré n°6______(et partiellement n° 7______) dans la mesure où elle exigeait que la totalité des places de stationnement liées à l’ensemble des logements situés sur les parcelles nos 8______ et n°9______ prennent place dans la cour historique. Celle-ci n’offrait pas suffisamment d’espace à l’intérieur de son périmètre pour accueillir les places de stationnement requises par la législation, étant précisé que la maison de maître accueillait deux logements. Elle requérait un transport sur place afin notamment de vérifier ce point. En outre, le PAP n’avait pas été établi de manière conforme à la requête de la CMNS, de sorte qu’un nouveau PAP devait être produit afin que cette commission puisse, nantie de ce dernier, formuler un nouveau préavis.

L’allégation selon laquelle il n’existerait aucune possibilité d’accès au bâtiment litigieux depuis la cour historique était inexacte. S’il était vrai que la partie en ferronnerie du portail ornemental avait été retirée il y avait quelques années, il était contesté qu’elle ait été détruite ou supprimée. En tout état, ce portail, y compris ces éléments ornementaux en ferronnerie, se trouvait sur place en octobre 2004, lors de l’établissement du recensement ICOMOS des parcs et jardins historiques de la Suisse. L’apport de l’ensemble du dossier relatif à l’élaboration puis à l’adoption du plan de site, qui exigeait la conservation voire la restitution de ce portail ornemental dans son ensemble, devait être ordonné.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 à 65 LPA.

3.             La recevabilité d’un recours suppose encore que son auteur dispose de la qualité pour recourir.

4.             La qualité pour recourir est reconnue à toute personne atteinte par la décision attaquée et qui dispose d’un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 60 let. b LPA).

Le recourant doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d’être prise en considération avec l’objet de la contestation et retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision attaquée, qui permette d’admettre qu’il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général, de manière à exclure l’action populaire. Cet intérêt digne de protection ne doit pas nécessairement être de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1). Un recours dont le seul but est de garantir l’application correcte du droit demeure irrecevable, parce qu’assimilable à l’action populaire (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/ 2023 du 14 juin 2023 consid. 6.3 ; ATA/665/2023 du 20 juin 2023 consid. 5.3).

5.             En matière de droit des constructions, le voisin direct de la construction ou de l’installation litigieuse a en principe la qualité pour recourir (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_164/2019 du 20 janvier 2021 consid. 1). Les intérêts d’un voisin peuvent être lésés de façon directe et spéciale aussi en l’absence de voisinage direct, lorsqu’une distance relativement faible sépare l’immeuble des recourants de l’installation litigieuse (ATF 121 II 171 consid. 2b). La qualité pour recourir a ainsi été admise pour des distances variant entre 25 et 150 m (ATA/1218/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2c et les références citées).

La proximité avec l’objet du litige ne suffit cependant pas à elle seule à conférer au voisin la qualité pour recourir contre la délivrance d’une autorisation de construire. Les tiers doivent en outre retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision contestée, qui permette d’admettre qu’ils sont touchés dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_727/2016 du 17 juillet 2017 consid. 4.2.3 ; ATA/17/2023 du 10 janvier 2023 consid. 11b). Le recourant doit rendre vraisemblables les nuisances qu’il allègue et sur la réalisation desquelles il fonde une relation spéciale et étroite avec l’objet de la contestation (ATF 125 I 173 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_469/2014 du 24 avril 2015 consid. 2.2 ; 1C_453/ 2014 du 23 février 2015 consid. 4.2 et 4.3).

En particulier, l’intérêt digne de protection des voisins est admis lorsqu’ils se prévalent de normes ayant des effets concrets ou juridiques sur leur situation (ATF 133 II 249 consid. 1.3.2). Tel est notamment le cas des règles régissant la densité et le volume des constructions ainsi que de celles relatives aux distances entre les constructions (ATF 127 I 44 consid. 2d).

6.             Une association a qualité pour recourir à titre personnel lorsqu’elle remplit les conditions usuelles pour que celle-ci soit admise, à savoir lorsqu’elle est touchée dans ses (propres) intérêts dignes de protection, étant rappelé que, de même que pour de simples particuliers, il ne lui est pas possible de recourir pour des motifs d’intérêt général, alors même que, selon ses statuts, elle aurait un but idéal (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 2011, ch. 5.7.2.4 p. 750). En outre, sans être elle-même touchée par la décision entreprise, elle peut être admise à agir par le biais d’un recours - nommé alors recours corporatif ou égoïste - pour autant qu’elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d’entre eux et, enfin, que chacun de ceux-ci ait qualité pour s’en prévaloir à titre individuel. Ces conditions doivent être remplies cumulativement ; elles doivent exclure tout recours populaire. Celui qui ne fait pas valoir ses intérêts propres, mais uniquement l’intérêt général ou l’intérêt public, n’est pas autorisé à recourir. Par conséquent, le droit de recours n’appartient pas à toute association qui s’occupe, d’une manière générale, du domaine considéré. Il doit au contraire exister un lien étroit et direct entre le but statutaire de l’association et le domaine dans lequel la décision litigieuse a été prise. En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l’un de ses membres ou pour une minorité d’entre eux (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; 142 II 80 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_749/2021 du 16 mars 2022 consid. 1.2.1 ; ATA/1077/ 2023 du 3 octobre 2023 consid. 3.3).

La possibilité d’un recours corporatif répond avant tout à un objectif d’économie et de simplification de la procédure, dès lors qu’il est plus rationnel d’accueillir un recours lorsque celui-ci remplace un recours formé individuellement par de multiples parties. Il est vrai que cette solution tend également, dans une certaine mesure, à rétablir un certain équilibre dans l’accès à la justice, en faveur de parties qui, prises individuellement, craindraient une telle démarche. Ces objectifs ne sauraient toutefois être invoqués pour suppléer au défaut des conditions requises de recevabilité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_91/2015 du 16 décembre 2015 consid. 6.4.2 ; ATA/986/2018 du 25 septembre 2018 consid. 3b).

7.             Selon l’art. 60 al. 1 let. e LPA, ont aussi qualité pour recourir les autorités, personnes et organisations auxquelles la loi reconnaît le droit de recourir.

En particulier, l’art. 145 al. 3 LCI prévoit que les associations d’importance cantonale ou actives depuis plus de trois ans, qui, aux termes de leurs statuts, se vouent par pur idéal à l’étude de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments, de la nature ou des sites, ont qualité pour recourir. Il s’agit des personnes morales dont les buts en matière d’aménagement du territoire, de protection de l’environnement ou de protection des monuments, de la nature ou des sites atteignent un certain degré de généralité en relation avec le canton de Genève, respectivement ne se limitent matériellement pas à la préservation d’un seul objet (arrêt du Tribunal fédéral 1C_38/2015 du 13 mai 2015 consid. 4.3). La qualité pour recourir se détermine précisément, selon cette disposition, sur la base d’un examen des buts statuaires de l’association concernée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_382/2020 du 16 novembre 2020 consid. 5 ; 1C_38/2015 du 13 mai 2015 consid. 4.3 ; ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 5g).

La jurisprudence tant fédérale que cantonale a précisé qu’une association dont les statuts poursuivent la défense des intérêts de ses membres sans se vouer exclusivement à l’étude, par pur idéal, de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments et des sites ne peut revendiquer le bénéfice de la qualité pour recourir prévue à l’art. 145 al. 3 LCI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_382/2020 du 16 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1062/2023 du 26 septembre 2023 consid. 2.2.2). Il ne suffit dès lors pas que les statuts mentionnent la protection de la nature et du paysage parmi les buts de l’association pour recourir, mais l’association en cause doit se vouer principalement à la protection de la nature et du paysage ou à des tâches semblables (arrêt du Tribunal fédéral 1P.595/2003 du 11 février 2004 consid. 2.3).

8.             La qualité pour agir d’une association ne saurait être appréciée une fois pour toutes. Il convient notamment de vérifier, périodiquement au moins, si les conditions d’existence des associations sont réalisées, si les buts statutaires sont en rapport avec la cause litigieuse et si la décision d’ester en justice a bien été prise par l’organe compétent (ATA/1062/2023 du 26 septembre 2023 consid. 2.3).

9.             Il incombe à la personne concernée d’alléguer, sous peine d’irrecevabilité de son recours, les faits propres à fonder sa qualité pour agir, lorsqu’ils ne ressortent pas à l’évidence de la décision attaquée ou du dossier en cause (cf. not. ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_554/2019 du 5 mai 2020 consid. 3.1 ; 1C_96/2017 du 21 septembre 2017 consid. 2.1).

10.         En l’espèce, l’association n’est pas directement touchée par l’autorisation de construire, qui n’a aucune incidence concrète et pratique sur son fonctionnement ou son activité et qui ne l’atteint pas, d’une façon ou d’une autre, dans ses droits et obligations. Par ailleurs, le fait « de préserver la qualité de vie des habitants du village », ne constitue pas un avantage pratique pour elle, mais relève de motifs d’intérêt général ne répondant pas à l’exigence du caractère particulier de l’atteinte définie par l’art. 60 al. 1 let. b LPA.

L’association n’établit pas qu’elle remplirait les conditions du recours corporatif. Son but énuméré à l’art. 3 de ses statuts n’indique pas explicitement qu’elle poursuivrait un but visant une protection ou un avantage particulier en faveur de ses membres au sens de la jurisprudence précitée. Il sied au plus de noter qu’au moins la moitié de ses membres ne sont pas domiciliés à D______, de sorte qu’il n’est pas possible d’admettre que la majorité - ou à tout le moins un grand nombre - d’entre eux serait personnellement touchée, en tant que voisin, par la décision attaquée et disposerait de la qualité pour recourir à titre individuel, comme l’exige la jurisprudence.

En outre, l’association, qui n’est à l’évidence pas d’importance cantonale, ne dispose pas non plus de la qualité pour recourir au sens des art. 60 al. 1 let. e LPA et 145 al. 3 LCI. En effet, à lire ses buts et ses activités (art. 3 et 4 des statuts), elle n’a pas uniquement pour buts les questions relatives à l’aménagement du territoire et à la protection de l’environnement, mais poursuit aussi, de manière majoritaire, d’autres objectifs. En tant qu’elle ne se voue pas exclusivement à l’étude de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environne-ment ou à la protection des monuments, de la nature ou des sites, elle ne peut dès lors fonder sa qualité pour recourir sur l’art. 145 al. 3 LCI.

Enfin, le fait que la recourante ait été amenée à déployer une activité plus ou moins régulière dans le domaine de la protection du patrimoine bâti ne modifie en rien le constat effectué ci-dessus. D’une part, la qualité pour recourir se détermine précisément, selon l’art. 145 al. 3 LCI, sur la base d’un examen des buts statuaires (arrêt du Tribunal fédéral 1C_38/2015 du 13 mai 2015 consid. 4.3). D’autre part, ses interventions ont eu lieu dans le cadre des enquêtes relatives à des projets de construction, lesquelles sont ouvertes à tous intéressés (art. 4 LAT et arrêt du Tribunal fédéral 1C_94/2020 du 10 décembre 2020 consid. 2.1), et son recours dans le cadre de la procédure A/4______ a été déclaré irrecevable par le tribunal de céans.

Partant, le recours faisant l’objet de la présente procédure est irrecevable sous l’angle de la qualité pour recourir, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si la décision d’ester en justice a bel et bien été prise par l’organe compétent.

11.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais en CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de l’avance de frais, soit CHF 200.-, lui sera restitué.

Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 700.-, à la charge de la recourante sera allouée à l’intimée (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 26 octobre 2023 par A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

3.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;

4.             condamne la recourante à verser à Madame B______ une indemnité de procédure de CHF 700.- ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Diane SCHASCA et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier