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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2639/2022

JTAPI/114/2024 du 12.02.2024 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
Normes : LEI.30.al1.letb; OASA.31.al1; CEDH.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2639/2022

JTAPI/114/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 février 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Me Daniel MEYER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur B______, né le ______ 1950, et Madame A______, née le ______ 1965, ont fui la Russie pour Israël entre 1991 et 1992.

2.             Apatrides à leur arrivée au Canada en 1993, ils se sont vus reconnaître le statut de réfugiés par les autorités de ce pays le 6 août 1993 avant d’obtenir, en 1997, la nationalité canadienne.

3.             Les intéressés se sont mariés à Montréal le ______ 1993. Aucun enfant n’est né de cette relation.

4.             À teneur du registre fédéral des étrangers SYMIC, en date du 13 février 2003, Mme A______ et M. B______ ont déposé une demande d'asile en Suisse auprès de la représentation Suisse à Montréal, alléguant que leur sécurité n'était plus assurée au Canada, laquelle a été refusée par décision du 19 février 2003.

5.             Mme A______ et M. B______ sont arrivés en Suisse le 2 mars 2003.

6.             Il ressort du dossier qu’à compter de cette date, les précités ont régulièrement adressés de nombreux courriers à diverses autorités helvétiques et genevoises ainsi qu’à des personnalités politiques cantonales et fédérales afin de solliciter notamment la délivrance, voire la reconnaissance de l’existence d’un permis de séjour ou d’établissement en leur faveur. Lesdits courriers mentionnaient, pour la plupart, comme adresse des intéressés une poste restante, soit dans le canton de Genève, soit dans celui d’Argovie, et, pour certains d’entre eux, des adresses chez des particuliers domiciliés dans le canton. Les réponses de certaines des autorités et personnalités interpellées figurent en outre à la procédure.

7.             Par demande du 1er mai 2006, le Ministère public de la Confédération a sollicité auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) la prise des mesures qui s’imposaient afin de mettre fin au séjour en Suisse de Mme A______ et M. B______, tous deux en séjour illégal à Genève.

8.             À teneur du rapport de la police genevoise du 2 juin 2008, le lieu de séjour des précités en Suisse n’avait pu être déterminé à ce jour, de sorte que ceux-ci n’avaient pas pu être auditionnés, étant précisé qu’ils avaient été contrôlés dans le canton, les 29 avril 2003 au foyer C______ et le 4 septembre 2007 au D______.

9.             Par décision du 14 août 2009, les autorités du canton d'Argovie ont prononcé leur renvoi de Suisse.

10.         Par pli du 6 février 2012 portant la mention « remise en mains propres au guichet », Mme A______ et M. B______ ont été convoqués à une audition dans les locaux de l’OCPM le 10 février 2012 en vue d’effectuer un examen de leur situation.

11.         Entendus par l’OCPM le 10 février 2012, les précités ont indiqué avoir été contrôlés quelques fois par la police depuis leur arrivée en Suisse. Nonobstant la transmission à l’OCPM d’un formulaire M signé par leurs soins le 6 février 2012 selon lequel ils vivaient chez Madame E______ à une adresse dans le canton, ils ne résidaient pas toujours chez cette dernière. Dès lors qu’ils ne pouvaient pas rester longtemps chez les personnes qui les hébergeaient ou que ceux-ci ne les autorisaient pas à communiquer leur adresse, ils avaient toujours eu une poste restante en Suisse.

12.         En date du 22 mars 2012, l’OCPM, se référant à la requête déposée par Mme A______ et M. B______ le 6 février 2012, leur a refusé l'octroi d'une autorisation de séjour et a prononcé leur renvoi, tout en leur impartissant un délai au 22 juin 2012 pour quitter le sol helvétique.

À teneur de cette décision, selon leurs dires, les précités avaient découvert un trafic international d’enfants en 2001 au Canada, ce dont ils avaient averti divers organismes et instances canadiennes ; ils avaient quitté ce pays pour venir en Suisse car leurs vies y étaient en danger ; dès leur arrivée sur le sol helvétique le 25 mars 2003, ils avaient immédiatement informé la police de l’aéroport avoir été témoins d’un trafic d’enfants et souhaiter demeurer durablement en Suisse. Lors d’un contrôle par la police fribourgeoise le 29 juillet 2005, ils avaient déclaré vivre comme des « SDF » et être démunis de titre de séjour. Pour le surplus, le 30 septembre 2005, l’office fédéral des migrations, devenu le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) leur avait indiqué qu’ils ne bénéficiaient d’aucune autorisation d’établissement, que leur séjour touristique dans ce pays était échu depuis longtemps et qu’ils devaient quitter le sol helvétique dans les meilleurs délais. Le 5 décembre 2005, le Juge d’instruction fribourgeois les avait tous deux condamnés à une peine d’emprisonnement de trente jours avec sursis de deux ans pour séjour illégal. Début mars 2009, ils auraient quitté Genève pour aller vivre à Baden (Argovie). Depuis cette date, ils vivaient à la rue, parfois à ______[BE] ou à ______[ZH], et dormaient chez l’habitant, tout en résidant principalement à Genève, où ils auraient toujours conservé une poste restante. À teneur du formulaire M signé par les intéressés le 6 février 2012, ils vivaient à Genève chez Mme E______, sans être toutefois en mesure, comme indiqué dans leur courrier du 27 février 2012, de produire un formulaire d’entrée locataires y relatif, dès lors qu’ils ne restaient pas longtemps chez les personnes qui les accueillaient. Le 9 juin 2009, le chef du Département de l’économie et de l’intérieur d’Argovie leur avait précisé qu’aucun titre de séjour ne leur avait été délivré et qu’ils devaient quitter la Suisse d’ici le 31 août 2009. Selon le courrier adressé par les intéressés le 25 janvier 2012 à Monsieur F______, Conseiller administratif de la ville d’Onex, ils avaient sollicité la délivrance de permis d’établissement fondé sur leur statut de réfugiés au Canada. Ils souhaitaient demeurer en Suisse car ils se sentaient toujours menacés au Canada, dès lors que les personnes qu’ils avaient dénoncées n’avaient pas été punies. Ils ne voulaient pas déposer de demandes d’asile mais souhaitaient bénéficier du statut de réfugiés politiques au Canada pour vivre à Genève. Démunis de moyens financiers propres, ils vivaient de la générosité des personnes rencontrées.

Partant, ils ne pouvaient invoquer le statut de réfugiés pour obtenir un titre de séjour en Suisse dès lors qu'ils possédaient la nationalité canadienne. Pour le surplus, leur situation ne représentait pas un cas d'extrême gravité. Enfin, aucun élément concret ne démontrait qu’ils seraient effectivement en danger en cas de retour au Canada.

13.         Mme A______ et M. B______ ont été entendus par la police le 22 décembre 2014 en qualité de prévenus, notamment s’agissant de leur statut illégal en Suisse.

14.         Suite à sa condamnation, au même titre que son épouse, par ordonnance pénale du 27 janvier 2015, à une peine privative de liberté de trois mois pour violation de domicile et séjour illégal du 18 mai 2010 au 21 décembre 2014, un ordre d’écrou a été émis le 20 mars 2015 à l’encontre de M. B______.

15.         Une décision d'interdiction d'entrer en Suisse (ci-après : IES) - valable jusqu'au 28 janvier 2019 - a en outre été rendue à l’encontre de Mme A______ et de M. B______ le 29 janvier 2016.

Cette décision a été envoyée par l’OCPM à l’adresse, chez un particulier, indiquée par Mme A______ et M. B______ sur l’en-tête d’un courrier adressé par leurs soins le 24 juin 2017 à Monsieur le Conseiller d’État G______, par pli recommandé du 31 juillet 2017 ; cet envoi lui étant revenu avec la mention « non réclamé », cet office l’a à nouveau renvoyé, le 23 août 2017 par pli simple, à la même adresse.

16.         Interpellé par la police le 23 octobre 2017 et auditionné le même jour, M. B______ a été, à teneur de la fiche de renseignements établie le 9 novembre 2017 par la police à l’attention de l’OCPM, libéré le 7 novembre 2017 de H______ « suite amendes payées ». La rubrique « Remarque » de cette fiche précisait : « Etranger faisant l’objet d’une interdiction d’entrée en Suisse valable au 28.01.2019, notifiée le 23.08.2017. L’intéressé a été mis au trottoir sur instruction de l’OCPM ».

17.         Par ordonnance pénale du 24 octobre 2017 devenue exécutoire, le Ministère public du canton de Genève a condamné M. B______ à une peine pécuniaire de cent-vingt jours-amende pour infraction à l’art. 115 al. 1 let. b LEI (séjour illégal du 28 janvier 2015 au 23 octobre 2017).

18.         Par jugement du Tribunal de police du 9 février 2018 prononcé suite à l’opposition formée contre l’ordonnance pénale du 27 janvier 2015, Mme A______ et M. B______ ont été reconnus coupables d'infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr) pour la période du 9 février 2011 au 21 décembre 2014. La procédure des chefs de violation de domicile et de séjour illégal pour la période du 9 février 2011 au 21 décembre 2014, retenus dans l’ordonnance pénale du 27 janvier 2015, a quant à elle été classée.

19.         Selon la feuille d’enquête établie par l’OCPM le 13 avril 2018, M. B______ ne résidait pas à l’adresse – située au domicile d’un tiers - communiquée par ses soins lors de la demande de consultation de leur dossier auprès de cet office du 30 novembre 2017.

20.         En date du 14 décembre 2021, Mme A______ et M. B______ ont déposé auprès de l'OCPM, sous la plume de leur conseil, une demande de régularisation de leur condition de séjour pour cas de rigueur.

Vivant en Suisse depuis plus de dix-huit ans, ils y étaient parfaitement intégrés professionnellement et socialement. Ils n’avaient jamais émargé à l’aide sociale ; ils dispensaient des cours, pour lesquels ils se faisaient parfois rémunérer « au chapeau » et bénéficiaient du soutien d’églises. Ils ne présentaient en outre aucun danger pour l’ordre public, n’ayant commis aucune infraction pénale en Suisse, à l’exception de condamnations en lien avec leur statut administratif. Ils parlaient couramment le français et participaient et organisaient des activités au sein des paroisses de ______[GE], de ______[GE] et de ______[GE], notamment en lien avec l’accueil de sans-abris et la lutte contre le racisme. Ils organisaient régulièrement des expositions de calligraphie chinoise et de peinture dans l’établissement médico-social (ci-après : EMS) I______ ainsi que différentes activités hebdomadaires pour les personnes âgées et/ou à mobilité réduite. Leur engagement dévoué depuis plusieurs années en faveur de personnes démunies démontrait leur intégration particulièrement remarquable, ce d’autant qu’ils se trouvaient eux-mêmes dans une situation précaire.

Ils n’avaient jamais caché leur séjour aux autorités, dès lors qu’ils avaient déclaré leur présence sur le territoire dès leur arrivée à l’aéroport. Une décision de renvoi avait finalement été rendue à leur encontre le 22 mars 2012, soit près de dix ans après leur arrivée, mais celui-ci n’avait jamais été exécuté. Il en allait de même quant à la décision d’IES prononcée en 2016, désormais échue et qui n’avait jamais été mise en œuvre par les autorités suisses, lesquelles avaient, par conséquent, toléré leur présence en Suisse. Leurs possibilités de réintégration au Canada, où ils n’avaient vécu que huit ans, étaient inexistantes. Ils n’y avaient aucune famille ni proche susceptibles de les aider à se réintégrer après une si longue absence, étant rappelé qu’ils étaient âgés de 56 et 71 ans et avaient passé les dix-huit dernières années en Suisse. Partant, il leur serait impossible de s’y construire un nouveau réseau comparable à celui créé en Suisse. Enfin, il convenait de prendre en compte les traumatismes importants vécus dans ce pays, qui les avaient poussés à fuir.

21.         Le 13 mai 2022, l'OCPM a informé les intéressés de son intention de refuser leur requête et de prononcer leur renvoi de Suisse. Il leur a imparti un délai de trente jours pour faire usage de leur droit d’être entendu.

Ils ne s'étaient pas conformés à la décision de renvoi des autorités argoviennes du 14 août 2009 ni à celle de l'OCPM du 22 mars 2012 et les autorités suisses n'avaient pas pu exécuter lesdits renvois, dès lors que les adresses fournies n'étaient pas réelles. Ils ne pouvaient se prévaloir des années de séjour écoulées entre 2009 et 2022, la continuité de leur séjour pendant ces années n'ayant pas été prouvée à satisfaction. S'agissant de leurs revenus, ils n'avaient pas été en mesure de justifier d'un emploi fixe mais étaient rémunérés « au chapeau » lorsqu'ils dispensaient des cours. Par ailleurs, ils n'avaient pas non plus démontré avoir une adresse de domicile fixe à Genève. Ils n'avaient pas démontré une intégration socioculturelle particulièrement remarquable, puisqu'ils n'exerçaient pas d'activité lucrative fixe et qu'ils étaient sans domicile fixe, vivant au gré de la générosité des personnes rencontrées et des églises fréquentées. Ils n'avaient pas créé des attaches aussi profondes et durables avec la Suisse qu'ils ne puissent plus quitter ce pays sans devoir être confrontés à des obstacles insurmontables et ne plus raisonnablement envisager un retour au Canada. En outre, ils n'avaient pas respecté l'ordre juridique suisse en n'ayant pas obtempéré, à deux reprises, aux décisions de renvoi prises à leur encontre et en demeurant illégalement sur le territoire. Enfin, ils n'avaient pas apporté d'éléments concrets permettant de conclure que leur vie serait effectivement en danger en cas de retour au Canada. Dans ces circonstances, ils ne remplissaient pas les critères relatifs à un cas individuel d'extrême gravité.

22.         Par courrier du 15 juin 2022, Mme A______ et M. B______ ont fait valoir leur droit d'être entendus, sous la plume de leur conseil.

S'agissant de leur collaboration, ils n'avaient jamais caché leur séjour aux autorités. Au contraire, dès leur arrivée en 2003, ils s'étaient adressés à différentes instances, demandant la régularisation de leur séjour et s'étaient d'ailleurs rendus en personne au guichet de l'OCPM. Ils n'avaient jamais eu connaissance de la décision de renvoi du canton d'Argovie. À aucun moment entre 2003 et 2012, les autorités ne leur avaient notifié une décision de renvoi alors qu'elles avaient connaissance de leur séjour illégal.

Leur métier d'artistes leur permettait d'animer des ateliers dans des EMS ou dans le cadre d'événements et ils organisaient plusieurs expositions par mois. La popularité de ces activités et la facilité avec laquelle ils participaient à ces manifestations prouvaient leur intégration remarquable mais aussi qu'ils pourraient facilement se faire rémunérer pour leur travail si leur statut était régularisé. Ils ne se contentaient pas de vivre au gré de la générosité des personnes rencontrées et des églises fréquentées mais offraient des services aux personnes qui les hébergeaient, notamment dans le domaine du travail domestique.

S'agissant d'un retour au Canada, ils avaient vécu plus de dix-huit ans en Suisse alors qu'ils n'avaient séjourné que huit ans au Canada et l'état de santé précaire de M. B______ constituait un obstacle supplémentaire à leur renvoi.

23.         Par décision du 24 juin 2022, l'OCPM a refusé de soumettre leur dossier avec un préavis positif au SEM pour les motifs invoqués dans son courrier d'intention du 13 mai 2022. Leur renvoi, possible licite et raisonnablement exigible, a été prononcé, un délai au 24 août 2022 leur étant imparti quitter la Suisse.

24.         Par acte du 19 août 2022, Mme A______ et M. B______, sous la plume de leur conseil, ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l'encontre de la décision précitée, concluant principalement à son annulation, subsidiairement à ce qu'il soit constaté que l'exécution de leur renvoi n'était pas possible, pas licite ni raisonnablement exigible, et à ce qu'ils soit mis au bénéfice d'une admission provisoire, sous suite de frais et dépens. Ils ont également sollicité leur audition.

Ils séjournaient en Suisse, depuis leur arrivée en 2003, de manière ininterrompue et avaient, depuis lors, relancé à plusieurs reprises les autorités compétentes afin de régulariser leurs conditions de séjour. Durant toutes ces années aucune décision de renvoi ne leur avait été notifiée et aucune tentative d'exécution de renvoi n’avait été effectuée, alors même qu'ils n'avaient jamais cherché à cacher leur adresse de domicile. Par le biais des diverses expositions de peinture réalisées par leurs soins, les autorités n'auraient eu aucune difficulté à les localiser aux fins de s'assurer de leur renvoi. Ils avaient d'ailleurs fait l'objet d'une procédure pénale ayant donné lieu à une condamnation en 2018, lors de laquelle l'exécution de leur renvoi aurait été aisée. Ainsi, dès lors que leur présence en Suisse avait été tolérée, il était abusif et arbitraire de leur reprocher de ne pas avoir respecté l'ordre juridique. Partant, ils pouvaient se prévaloir de la durée - extrêmement longue - de leur séjour en Suisse et leur avenir allait se fonder sur ces dix-neuf dernières années, durant lesquelles ils avaient créé les bases de leur nouvelle existence, et non sur les huit ans passés au Canada. Contrairement aux allégations de l’OCPM, aucune demande d’asile n’avait été déposée par leurs soins en Suisse ou depuis l’étranger, étant relevé qu’aucune décision de refus d’octroi d’asile ne figurait au dossier. Ils avaient toujours fait preuve d'une totale indépendance financière sans avoir jamais eu recours, durant toutes ces années, à l'Hospice général (ci-après : HG). Si, en l'absence de titre de séjour, ils n'avaient pas pu poursuivre leurs activités professionnelles pratiquées dans leur pays d'origine, à savoir restaurateur d'œuvres d'art et enseignant de mathématiques et de peinture respectivement enseignante de français et d'allemand et traductrice, ils étaient toutefois parvenus à intégrer le marché du travail dans les limites de leur situation administrative, en mettant leur temps et leurs compétences au service des communautés religieuses de Genève. Dans ce cadre, ils fournissaient des services tels que l'accueil des personnes vulnérables, la distribution des repas, la dispense de cours de français, l'animation d'ateliers de lecture, peinture, calligraphie chinoise etc. Ils étaient indemnisés soit en espèces soit en nature pour le travail fourni. De par leur investissement et action bénévole, ils assumaient un rôle social important. Le recourant pourrait commercialiser ses œuvres appréciées du public, une fois leur séjour régularisé. Ils résidaient chez une personne seule qui leur offrait le logement en échange de l'entretien de la maison et de leur compagnie. Ils ne faisaient l'objet d'aucune poursuite ni dette et s'étaient toujours conformés aux lois du pays, de sorte que la poursuite de leur séjour ne constituait pas un risque pour l'ordre public.

Leur renvoi au Canada n'était pas exigible dès lors qu'ils y étaient considérés comme des lanceurs d'alerte, au vu de leur combat contre la criminalité envers les enfants, dans le cadre duquel Mme A______ avait dénoncé des faits qu’elle avait constatés au Canada le 17 octobre 2001. À ce titre ils avaient fait l'objet d'intimidations allant jusqu’à menacer leur intégrité physique, ce qui les avait déterminés à fuir le Canada pour se réfugier en Suisse. Leur sécurité n'apparaissant pas assurée au Canada, leur renvoi n'était pas exigible ni, en tout état, possible, vu l'absence d'accord de réadmission entre la Suisse et le Canada. De plus, vu le temps écoulé depuis leur fuite de ce pays, ils n'y avaient conservé aucune attache, de sorte qu'ils y seraient confrontés à d'insurmontables obstacle. Âgés de 72 ans et 57 ans, leur réintégration s'avérerait compliquée. Par surabondance, les soins quotidiens administrés depuis 2017 au recourant afin de limiter toute exacerbation de l'ulcère variqueux à la jambe dont il souffrait représentaient un coût financier important qu’ils ne pourraient assumer en cas de renvoi forcé.

Étaient notamment joints :

-          plusieurs attestations établies par la paroisse protestante de la ______[GE] entre mai 2021 et avril 2022 faisant état, s’agissant des recourants : d’une participation hebdomadaire, en tant que responsable de la cuisine, à J______(ci-après : J______) de novembre 2017 à mars 2020 ; de l’accueil au stand J______ et de l’animation d’ateliers à l’occasion de divers événements en mars 2018, octobre 2018, mars 2019, janvier 2020 et mars 2022 ; d’une animation de K______ lors d’une retraite des communautés de L______ en mai 2019 ; d’une animation de l’atelier hebdomadaire de K______ et de M______ de fin août 2019 à début mars 2020 ; de deux expositions des calligraphies de M. B______ avec des visites guidées animées par Mme A______ de novembre 2019 à janvier 2020 puis dès juin 2020, étant précisé que les vingt-neuf œuvres exposées avaient été offertes par les précités à L______ ; de leur participation à l’animation dans le cadre d’un spectacle au N______ de décembre 2019 à juin 2020 ; de l’accueil lors de la fête de la rentrée à ______[GE] du ______ 2019 ; de témoignages avec présentation des œuvres de M. B______ le ______ 2020 lors d’un culte ; de démonstrations et d’animations lors d’ateliers de calligraphies chinoises et de K______ pour les jeunes de 15-18 ans le ______ 2020 ; de l’accueil-service de O______ à la paroisse le 9 janvier 2020 et d’un témoignage de M. B______ avec démonstration de ses œuvres le 4 avril 2021 au temple de ______[GE] lors de la célébration de Pâques ;

-          une attestation établie par J______ le 28 octobre 2020 confirmant que Mme A______ avait exercé, entre avril 2019 et mars 2020, la fonction de responsable du secteur de cuisine-repas de l’J______ (coordonner l’équipe de cuisiniers, déterminer le menu, prévoir les achats nécessaires selon le budget imparti et le nombres de convives, soit entre cinquante et quatre-vingt personnes, et s’assurer du respect des règles d’hygiène lors de la confection du repas) ;

-          copie du programme des animations hebdomadaires de la résidence « I______ » de février à mars 2021 et de mars à août 2022 dans le cadre desquelles les recourants étaient en charge d’ateliers de M______ et de conférences sur la santé et la spiritualité ;

-          un courrier de remerciements du 1er novembre 2021 du pasteur de la paroisse de P______ pour les présentations de leurs deux expositions de peintures ainsi que plus d’une vingtaine de témoignages élogieux émanant de visiteurs desdites expositions ;

-          un contrat d’occupation établi le 11 octobre 2021 par la paroisse de Q______autorisant les recourants à utiliser, pour une durée indéterminée, une salle du centre paroissial pour leur travail de calligraphie et de peinture et

-          une copie du dossier médical du recourant auprès de la consultation ambulatoire mobile de soins communautaires des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : CAMSCO), état au 17 juin 2022, mentionnant un ulcère variqueux de la jambe droite, les soins y relatifs ayant consisté, du 25 octobre au 6 novembre 2017, en des changements de pansements et administration de soins locaux.

25.         Dans ses observations du 20 octobre 2022, l’OCPM a proposé le rejet du recours.

Les autorités, tant cantonales que fédérales, avaient enjoint les recourants à quitter la Suisse à de multiples reprises. À teneur du SYMIC, contrairement à leurs allégations, les précités avaient bel et bien déposé une demande d’asile en Suisse auprès de la représentation helvétique à Montréal le 13 février 2003, laquelle leur avait été refusée le 19 février 2003, étant rappelé que le fait d’ignorer les décisions de refus ou de renvoi démontrait l’incapacité à se conformer à l’ordre en vigueur et pouvait constituer un motif de révocation d’un titre de séjour. En outre, les recourants avaient échoué à démontrer leur présence continue et effective à Genève. Ils ne pouvaient se prévaloir d’un comportement irréprochable, dès lors qu’ils avaient notamment continué à séjourner en Suisse en faisant fi des décisions (IES, renvoi) prises à leur encontre. Il n’avait pas été prouvé qu’ils seraient effectivement soumis à un risque accru en cas de retour au Canada ni qu’ils ne pourraient recevoir de soutien des autorités sur place. En outre, en l’absence de liens particulièrement intenses avec la Suisse, le facteur médical et les éventuelles difficultés de réintégration dans le pays d’origine ne justifiaient pas, à eux seuls, la reconnaissance d’un cas de rigueur. Le recourant pourrait bénéficier des traitements médicamenteux nécessaires, le système de santé public canadien permettant une couverture universelle pour les services de soins, offerts selon les besoins plutôt que la capacité financière.

26.         Par réplique du 7 décembre 2022, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

Le fait que plusieurs documents – joints – ne mentionnaient pas l’existence d’une prétendue demande d’asile en Suisse démontrait que, contrairement aux allégations de l’OCPM, aucune requête y relative n’avait été déposée. Il était également faux d’affirmer que les autorités les auraient enjoints de quitter le sol suisse à de nombreuses reprises, dès lors qu’entre 2012 et 2022, aucune décision de renvoi et, partant, de mise à exécution, ne leur a été notifiée, la décision de renvoi de mars 2012 n’ayant, pour le surplus, jamais été mise à exécution. Il ne pouvait ainsi leur être reproché d’être restés en Suisse. Leur présence sur le sol helvétique depuis leur arrivée était continue, les pièces au dossier démontrant notamment qu’ils n’avaient eu de cesse de solliciter les autorités genevoises depuis 2003. Ils avaient en outre séjourné en Argovie de fin mars 2009 à janvier 2012, avant de revenir à Genève. Enfin, ils étaient dépourvus de passeports depuis 2005, ce qui empêchait tout voyage hors de Suisse et le jugement pénal du 9 février 2018 – qui les déclaraient coupables de séjour illégal du 9 février 2011 au 21 décembre 2014 - corroborait la continuité de leur séjour.

L’existence d’un risque accru en cas de renvoi au Canada avait été démontré. Dès lors qu’ils avaient fui ce pays en 2003 suite notamment à deux tentatives de meurtres dont ils avaient fait l’objet et que les autorités canadiennes n’avaient pas donné suite à leur dénonciation de trafic d’enfants, ils craignaient de subir des représailles de la part des personnes impliquées dans ce trafic, sans qu’ils ne puissent bénéficier de protection policière. Pour le surplus, leurs âges respectifs constituaient un obstacle majeur à un renvoi dans un pays où ils avaient vécu huit ans, en comparaison des vingt années passées en Suisse. Ainsi, ils s’exposeraient au Canada à des difficultés insurmontables de réinsertion. A contrario, ils pouvaient se prévaloir d’une intégration sociale, culturelle et professionnelle réussie sur le sol helvétique. Il convenait à ce titre de prendre en compte le rôle social important qu’ils tenaient au sein de diverses communautés mais également auprès de particuliers (aide, accompagnement et soutien moral aux personnes âgées, malades ou isolées). Partant, compte tenu des circonstances dans lesquelles ils étaient arrivés en Suisse et les conditions de vie qui étaient les leurs, leur intégration particulièrement remarquable méritait d’être saluée. Ils continuaient, pour le surplus, dans une démarche purement humanitaire, d’animer un programme hebdomadaire autour de la santé et de la spiritualité au sein des I______, d’y donner des conférences chaque semaine sur le M______ et d’œuvrer bénévolement à la préparation et au service de repas gratuits.

Plusieurs documents étaient joints, notamment :

-          un extrait du fichier de l’office fédéral de la police, état au 21 décembre 2014, relatif au recourant mentionnant, dans la rubrique « SYMIC (Asile) » : « No hit » ainsi qu’un courriel du 6 février 2013 de ce même office à Monsieur le Conseiller national R______ précisant notamment que les recourants n’avaient jamais introduit de demande d’asile en Suisse ;

-          une attestation écrite des recourants du 11 novembre 2022 résumant leurs activités associatives, culturelles et bénévoles dans le canton dès novembre 2017 et précisant qu’ils parlaient tous deux le français, la recourante maîtrisant en outre l’allemand et

-          une attestation de la paroisse Q______

-          du 31 octobre 2022 indiquant que les recourants avaient, à sa demande, restauré et réencadré quatre tableaux endommagés ainsi qu’un reçu de cette même paroisse du 28 novembre 2022 d’une somme de CHF 1'500.- de la part des recourants correspondant à la vente de six tableaux de ces derniers.

27.         Par duplique du 10 janvier 2023, l’OCPM a persisté dans ses conclusions, s’agissant notamment de la demande d’asile déposée par les recourants auprès de la représentation diplomatique suisse au Canada, dont l’extrait SYMIC - joint et faisant état d’une « demande d’asile (procédure à l’étranger) » du 3 février 2003 rejetée le 19 février 2023 - démontrait l’existence.

28.         Une première audience de comparution personnelle des parties s’est tenue le 21 juin 2023 devant le tribunal. Lors de celle-ci :

-          le recourant a déclaré qu’il s’était rendu au CAMSCO lors de ses problèmes de circulation sanguine, étant précisé qu’il n’avait désormais plus de problèmes de santé ;

-          la recourante a indiqué qu’elle-même et son époux étaient hébergés depuis presque deux ans par une personne très âgée rencontrant des problèmes de santé à laquelle ils rendaient, en échange, divers services comme des séances de gymnastique, du jardinage et qui appréciait leur compagnie. Précédemment, pendant toutes ces années, ils avaient été hébergés, au gré des propositions, par différentes églises et association caritatives, notamment, lors de leur arrivée à Genève, pendant six ans au foyer de S______, par Q______, par T______ dans le quartier ______[GE] pendant deux ans, par l'association U______ (ci-après : U______) et par la V______. La ville ______[GE] avait mis à leur disposition un local pour y déposer leurs affaires, dans lequel ils avaient parfois dormi. Ils pouvaient toujours être atteints par les autorités à leur adresse en poste restante, qu’ils relevaient chaque semaine. Depuis trois ans, leur adresse officielle était dans l'atelier qu’ils occupaient à la Paroisse Q______ à ______[GE]. Ils n'avaient pas d'assurance-maladie et elle ignorait qui avait payé les frais médicaux de son époux ; ils s’étaient adressés aux services sociaux, qui les avaient dirigés vers le CAMSCO. Pour sa part, elle n’avait pas rencontré de problèmes de santé nécessitant des soins particuliers. Tous deux n’avaient jamais perçu de salaires déclarés aux impôts. Entre 2003 et 2005, ils s’étaient rendus deux fois à l'étranger, en France et en Allemagne, pour y déposer plainte contre le trafic d'enfants qu’ils avaient découvert. Depuis, ils n’étaient jamais sortis de Suisse. En 2005, leurs passeports avaient été confisqués par les autorités fribourgeoises suite à une dénonciation, avant de leur être rendus par les autorités argoviennes, une fois échus. Ils n'avaient jamais eu de téléphone portable avec accès à internet, par choix personnel. Ils possédaient un abonnement TPG depuis deux ans. Elle a formellement contesté avoir déposé une demande d'asile auprès de la représentation suisse à Montréal en 2003 et ne s'expliquait pas comment une telle demande avait pu être enregistrée. Lorsqu’ils avaient décidé de fuir le Canada, ils s’étaient dit qu’ils formaliseraient leur séjour en Suisse une fois sur place. Ils ont sollicité l'audition des personnes susceptibles d'établir la réalité de leur séjour ;

-          l’OCPM a, quant à lui, persisté dans ses conclusions.

Les recourants ont produit plusieurs documents confirmant leur participation régulière à des activités et animations de janvier à juin 2023, y compris la préparation de repas pour les personnes dans le besoin, un mandat d’animation avec le W______ Sàrl portant sur des multiples interventions du 23 janvier au 6 février 2023 moyennant un défraiement de CHF 500.- ainsi qu’un courrier de remerciement du W______ du 7 février 2023 relatif à ces interventions.

29.         Dans le délai imparti, les recourants ont transmis au tribunal, par pli du 5 juillet 2023, les coordonnées de huit personnes susceptibles de confirmer leur présence en Suisse ces dix dernières années.

30.         Lors de l’audience qui s’est déroulée le 1er novembre 2023, ont été entendus en qualité de témoins :

-          Madame X______, qui a confirmé connaître les recourants depuis octobre ou novembre 2014, date à laquelle elle avait pris la gérance d’une boulangerie à ______[GE]. Voyant les recourants passer chaque jour devant leur établissement vers 6h15 du matin, poussant un chariot de la Migros contenant vraisemblablement leurs affaires, elle leur avait proposé un thé, qu'ils avaient au départ poliment refusé. Suite à sa proposition dans ce sens, ils étaient venus quasiment tous les jours chercher les invendus de la veille jusqu'en août 2018, date à laquelle elle avait remis la boulangerie. Elle avait repris la boulangerie de ______[GE] en janvier 2019 et, après la pandémie, avait souvent croisé, à compter d'août 2020, dans le quartier les recourants, qui se rendaient à la paroisse sise ______[GE]. Environ deux mois plus tôt, le recourant lui avait montré ses dessins et proposé d'exposer ses œuvres dans la boulangerie. Son époux, ses employés et elle-même s’étaient pris d'affection pour les recourants, toujours très polis ;

-          Monsieur Y______, qui a confirmé avoir rencontré les recourants entre 2007 et 2020 alors qu’il travaillait à Z______ à ______[GE], où ces derniers étaient clients de la poste restante. N'étant pas toujours au guichet, il ne les avait rencontrés qu'à quelques reprises personnellement, vraisemblablement autour de 2010, pour une question particulière et les avait probablement aperçus dans le hall de la poste à d'autres occasions. Il n’était pas en mesure de préciser la fréquence de leurs venues mais ils devaient vraisemblablement passer une fois par semaine pour relever leur courrier. Suite à la confirmation par la recourante qu’elle n’avait pas souvent rencontré M. Y______ mais davantage Messieurs AA______ et AB______ qui étaient régulièrement au guichet, le témoin a précisé qu’il était exact que ces personnes travaillaient davantage au guichet que lui ;

-          Monsieur AC______, trésorier au sein de l’association U______ venant en aide aux personnes en difficulté, qui a confirmé connaître les recourants, vraisemblablement depuis le 9 septembre 2019. Il les avait vus régulièrement, environ tous les deux mois, dans le cadre de l'association et à titre personnel. Les recourants étaient actifs au sein de cette association et également bénéficiaires des prestations offertes, soit la mise à disposition d’un espace de rencontres et pour exposer des œuvres. Le recourant avait exposé des œuvres à Fribourg et probablement animé des ateliers artistiques. Ils préparaient en outre toutes les semaines des repas dans une paroisse à ______[GE] en 2019 et, vers 2020, avaient exposé des œuvres aux I______. Pendant la pandémie, il était intervenu en faveur des recourants auprès du conseil de la paroisse dont il faisait partie, pour leur procurer un logement dans un immeuble appartenant à cette paroisse. Cette solution de logement qui devait être provisoire, avait duré un an et demi à cause du Covid-19. Il n’avait plus de contacts avec les recourants depuis l'automne 2021, période à laquelle il avait dû insister auprès de ces derniers pour qu'ils quittent le logement prêté, ce qui avait refroidi leurs relations. Lorsqu’il les avait rencontrés, les recourants étaient déjà actifs au sein de l'association U______ mais il ignorait depuis combien de temps ;

-          Monsieur AD______, pasteur retraité, a confirmé connaître les recourants depuis 2017, lorsqu’il avait commencé son activité au sein de la Q______. Il les avait rencontrés à diverses reprises, à l'occasion de rendez-vous de paroisse, de cultes ou autres évènements, en moyenne tous les mois depuis 2017. Il les avait également côtoyés lors de leurs expositions dans les locaux de la ______[GE] et du N______. Il avait développé une relation amicale avec ces derniers, qui participaient à diverses activités de la paroisse et étaient notamment actifs en cuisine et au sein du AE______ qui accueillait des personnes en difficultés, où ils aidaient à la préparation des célébrations et en cuisine. Vers la fin du Covid-19, les recourants disposaient d'un local au sein de la paroisse de ______[GE] dans lequel ils exerçaient leur art, et il les y avait souvent vus jusqu'à sa retraite en mars 2022.

Les recourants ont confirmé que leur santé était bonne et qu’ils n’avaient aucune attache au Canada.

31.         Par écriture du 27 novembre 2023, l’OCPM a persisté dans ses conclusions.

32.         Par écriture du 30 novembre 2023, les recourants ont également persisté dans leurs conclusions.

L’audition de témoins avait permis de confirmer la durée et le caractère continu de leur présence en Suisse, à tout le moins depuis 2007, ainsi que la qualité de leur intégration sur le sol helvétique. Limités par leur statut administratif, ils avaient toujours fonctionné sur la base du bénévolat, de l’entraide et de l’échange mais pourraient, une fois régularisés, vivre de leurs activités, la recourante ayant pour projet et opportunité de travailler en tant que traductrice-interprète auprès des AF______ et de AG______. Le recourant prévoyait quant à lui de vivre de son art tout en complétant ses revenus par une activité ponctuelle de restaurateur artistique. N’ayant jamais fait appel à l’aide sociale, c’était dans cette même dynamique qu’ils envisageaient la suite de leur séjour, leur régularisation leur permettant, pour le surplus, de continuer à contribuer à l’économie helvétique, sous forme salariale. Les possibilités de réintégration au Canada étaient vouées à l’échec, pour les motifs précédemment exposés. Enfin, ils poursuivaient leur implication à Genève par le biais de divers expositions, conférences, ateliers, manifestations et activités et avaient même suivi une formation « Accompagner le vieillissement », utile pour leurs activités de bénévolat, comme démontré par les attestations jointes.

Étaient également produits plusieurs programmes de manifestations auxquelles ils avaient récemment participé, des attestations et remerciements de personnes ayant apprécié l’exposition organisée par leurs soins en septembre-octobre 2023 et la liste des sept expositions réalisées depuis 2019.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Les arguments formulés par les parties à l'appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (arrêts du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1 ; 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 5.1 ; 1C_304/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.1 ; 1C_592/2015 du 27 juillet 2016 consid. 4.1 ; 1C_229/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1 et les arrêts cités), étant rappelé que, saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office et que s'il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA ; cf. not. ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1 et les références citées ; ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; cf. aussi ATF 140 III 86 consid. 2 ; 138 II 331 consid. 1.3 ; 137 II 313 consid. 1.4).

5.             Les recourants concluent, à titre principal, à la délivrance d’un titre de séjour en leur faveur.

6.             La loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants canadiens.

À ce titre et au regard de l’allégation des recourants selon laquelle ils seraient fondés à se prévaloir d’un droit à la délivrance d’un permis de séjour, voire d’établissement, en raison de leur statut de réfugiés au Canada, le tribunal rappelle à toutes fins utiles que le Protocole d'entente du 1er mai 2003 entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement du Canada sur le statut juridique accordé par un pays aux ressortissants de l'autre (FF 2003 4796) – qui n’est pas expressément mentionné par les recourants mais qui apparaît être le seul instrument conventionnel entre la Suisse et le Canada potentiellement pertinent dans le présent cas – ne leur est d’aucun secours. En effet ce Protocole d'entente ne confère aucun droit à une autorisation de séjour ou d’établissement, les États concernés s'engageant, comme indiqué dans son préambule, à « déployer les plus grands efforts pour assurer le plus de réciprocité possible » et ne crée, pour le surplus, aucun droit en faveur des particuliers, comme précisé en son point C.

7.             Il est notamment possible de déroger aux conditions d'admission dans le but de tenir compte des cas individuels d'extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs (art. 30 al.1 let. b LEI).

8.             L'art. 31 al. 1 OASA, qui fixe les critères déterminants pour la reconnaissance d’un cas individuel d’une extrême gravité au sens de la disposition légale précitée, prévoit que lors de l’appréciation d’un cas d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de la situation financière (let. d), de la durée de la présence en Suisse (let. e), de l'état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g).

9.             La jurisprudence développée au sujet des cas de rigueur selon le droit en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007 (art. 13f de l'ancienne ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 - aOLE - RS 142.20) est toujours d'actualité pour les cas d'extrême gravité qui leur ont succédé (ATF 136 I 254 consid. 5.3.1 ; ATA/465/2017 du 25 avril 2017).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, de sorte que les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive et ne confèrent pas un droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 137 II 345 consid. 3.2.1 ; 128 II 200 consid. 4 ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/92/2020 du 28 janvier 2020 ; ATA/465/2017 du 25 avril 2017).

L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question, et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1131/2017 du 2 août 2017 consid. 5e).

La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêt du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; ATA/92/ 2020 du 28 janvier 2020 consid.4f).

10.         Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse et la situation de ses enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral F-2584/2019 du 11 décembre 2019 consid. 5.3 ; F-6510/2017 du 6 juin 2019 consid. 5.6 ; F-736/2017 du 18 février 2019 consid. 5.6 et les références citées ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1130/2017 du 2 août 2017 consid. 5b).

11.         Le simple fait, pour un étranger, de séjourner en Suisse pendant de longues années, y compris à titre légal, ne permet pas d'admettre un cas personnel d'extrême gravité sans que n'existent d'autres circonstances tout à fait exceptionnelles (cf. ATAF 2007/16 consid. 7 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral E-643/2016 du 24 juillet 2017 consid. 5.1 et les références citées ; cf. ég., sous l'ancien droit, ATF 124 II 110 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.540/2005 du 11 novembre 2005 consid. 3.2.1).

L'intégration socio-culturelle n'est en principe pas susceptible de justifier à elle seule l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Néanmoins, cet aspect peut revêtir une importance dans la pesée générale des intérêts (cf. not. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-541/2015 du 5 octobre 2015 consid. 7.3 et 7.6 ; C-384/2013 du 15 juillet 2015 consid. 6.2 et 7 ; Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10), les lettres de soutien, la participation à des associations locales ou l'engagement bénévole pouvant représenter des éléments en faveur d'une intégration réussie, voire remarquable (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-74672014 du 19 février 2016 consid. 6.2.3 in fine ; C-2379/2013 du 14 décembre 2015 consid. 9.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.3 in fine ; cf. aussi Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10).

12.         La reconnaissance de l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité implique que les conditions de vie et d'existence de l'étranger doivent être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d'autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite que l'on ne puisse exiger qu'il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage qu'il a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3).

13.         Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3). La durée du séjour (légal ou non) est ainsi un critère nécessaire, mais pas suffisant, à lui seul, pour la reconnaissance d'un cas de rigueur. Par durée assez longue, la jurisprudence entend une période de sept à huit ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-7330/2010 du 19 mars 2012). Le caractère continu ou non du séjour peut avoir une influence (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5048/2010 du 7 mai 2012). Le Tribunal fédéral a considéré que l'on ne saurait inclure dans la notion de séjour légal les périodes où la présence de l'intéressé est seulement tolérée en Suisse et qu'après la révocation de l'autorisation de séjour, la procédure de recours engagée n'emporte pas non plus une telle conséquence sur le séjour (arrêt du Tribunal fédéral 2C_926/2010 du 21 juillet 2011).

Il est parfaitement normal qu'une personne, ayant effectué un séjour prolongé dans un pays tiers, s'y soit créé des attaches, se soit familiarisée avec le mode de vie de ce pays et maîtrise au moins l'une des langues nationales. Aussi, les relations d'amitié ou de voisinage, de même que les relations de travail que l'étranger a nouées durant son séjour sur le territoire helvétique, si elles sont certes prises en considération, ne sauraient constituer des éléments déterminants pour la reconnaissance d'une situation d'extrême gravité (ATF 130 II 39 consid. 3).

14.         Il sied par ailleurs de rappeler que dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI). Sauf prescription particulière de la loi ou d'un traité international, l'étranger n'a donc en principe aucun droit à la délivrance et au renouvellement d'un permis de séjour pour cas de rigueur. L'autorité compétente dispose d'un très large pouvoir d'appréciation dans le cadre de l'examen des conditions de l'art. 31 al. 1 OASA, dont elle est tenue de faire le meilleur exercice en respectant les droits procéduraux des parties.

15.         Sous l'angle étroit de la protection de la vie privée, l'art. 8 CEDH ouvre le droit à une autorisation de séjour, mais à des conditions restrictives, l'étranger devant établir l'existence de liens sociaux et professionnels spécialement intenses avec la Suisse, notablement supérieurs à ceux qui résultent d'une intégration ordinaire (ATF 130 II 281 consid. 3.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_255/2020 du 6 mai 2020 consid. 1.2.2 ; 2C_498/2018 du 29 juin 2018 consid. 6.1). Lorsque l'étranger réside légalement depuis plus de dix ans en Suisse, il y a lieu de partir de l'idée que les liens sociaux qu'il y a développés sont suffisamment étroits pour qu'il bénéficie d'un droit au respect de sa vie privée. Lorsque la durée de la résidence est inférieure à dix ans, mais que l'étranger fait preuve d'une forte intégration en Suisse, le refus de prolonger ou la révocation de l'autorisation de rester en Suisse peut également porter atteinte au droit au respect de la vie privée (ATF 144 I 266). Les années passées en Suisse dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance ne sont pas déterminantes (ATF 137 II 1 consid. 4.3 ; 134 II 10 consid. 4.3).

16.         Dans un arrêt récent 2C_734/2022 du 3 mai 2023 – désormais publié aux ATF 149 I 207 –, le Tribunal fédéral a expressément admis que la reconnaissance finale d’un droit à séjourner en Suisse issu du droit au respect de la vie privée garanti par l'art. 8 § 1 CEDH pouvait s’imposer même sans séjour légal de dix ans à condition toutefois que le requérant atteste d’une intégration particulièrement réussie.

Ainsi, selon cette jurisprudence (consid. 5.3.4), il n’est « pas exclu qu’une personne étrangère puisse invoquer son droit à la protection de sa vie privée garanti par l’art. 8 CEDH en vue d’obtenir une autorisation de séjour initiale ou un nouveau titre de séjour dans le pays après en avoir perdu un précédent, en alléguant notamment avoir vécu longtemps en Suisse (cf. d’ailleurs ATF 147 I 268 consid. 1 et 4 et arrêt 2D_19/2022 du 16 novembre 2022 consid. 1.2.3), ce même s’il est vrai que le respect de la vie privée garanti par l’art. 8 CEDH ne donne « en règle générale » pas droit à entrer ou à revenir dans le pays (cf. arrêt 2C_89/2022 du 3 mai 2022 consid. 2.2.3) ». D’après cet arrêt toujours (consid. 5.3.5), il serait « contraire à la pratique de la CourEDH de considérer que le droit à la protection de la vie privée au sens de l’art. 8 CEDH ne peut jamais être invoqué à l’appui d’une requête tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour initiale ou d’un nouveau titre de séjour en Suisse. Le Tribunal fédéral a en ce sens explicitement réservé, dans l’ATF 149 I 72, la jurisprudence de la CourEDH selon laquelle le respect d’un tel droit pouvait dans certaines circonstances contraindre l’État à régulariser le statut de personnes étrangères séjournant illégalement dans le pays ou souffrant d’une situation juridique précaire ».

Les principes retenus dans le cadre de l’arrêt précité ont été repris dans plusieurs jurisprudences récentes. À cet égard, l’arrêt du Tribunal fédéral 2D_25/2023 du 12 janvier 2024 précise (consid. 6.1) que lorsque la personne étrangère ne peut se prévaloir de la présomption d’enracinement particulier découlant d’un séjour légal en Suisse d’au moins dix ans, elle doit alors démontrer une intégration hors du commun qui justifierait, exceptionnellement, un droit de séjour issu de l'art. 8 CEDH (ATF 149 I 207 consid. 5.3.1 et 5.3.4; ATF 144 II 1 consid. 6.1; 2D_21/2023 du 18 décembre 2023 consid. 1.1.3).

17.         Le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 par. 1 CEDH n’est pas absolu et une ingérence dans l’exercice de ce droit est possible aux conditions de l’art. 8 par. 2 CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 2C_281/2023 du 11 octobre 2023 consid. 4.4). La mise en œuvre d’une politique restrictive en matière de séjour des étrangers constitue un but légitime au regard de cette disposition conventionnelle (ATF 144 I 266 consid. 3.7). Le refus d’octroyer une autorisation de séjour fondé sur l’art. 8 par. 2 CEDH ne se justifie que si la pesée des intérêts à effectuer dans le cas d’espèce, résolue sur la base d’une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence, fait apparaître la mesure comme proportionnée aux circonstances (ATF 139 I 145 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_674/ 2020 du 20 octobre 2020 consid. 3.2). L’examen de la proportionnalité sous l’angle de l’art. 8 § 2 CEDH se confond avec celui imposé par l’art. 96 LEI (ATF 139 I 31 consid. 2.3.2 ; 139 I 145 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_419/2014 du 13 janvier 2015 consid. 4.3).

18.         Selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l'autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l'établissement des faits ; il incombe à celles-ci d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_1156/2018 du 12 juillet 2019 consid. 3.3).

Lorsque les preuves font défaut ou s'il ne peut être raisonnablement exigé de l'autorité qu'elle les recueille pour les faits constitutifs d'un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_27/2018 du 10 septembre 2018 consid. 2.2 ; 1C_170/2011 du 18 août 2011 consid. 3.2 et les réf. citées ; ATA/99/2020 du 28 janvier 2020 consid. 5b). Il appartient ainsi à l'administré d'établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l'administration de démontrer l'existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a ; ATA/1155/2018 du 30 octobre 2018 consid. 3b et les réf. citées).

19.         En l’espèce, âgés de 73 ans s’agissant du recourant et de 58 ans quant à la recourante, tous deux séjournent en Suisse depuis le 25 mars 2003. Cette date d’arrivée n’est pas contestée, contrairement à la continuité de leur séjour en Suisse depuis lors. À ce propos, le tribunal considère qu’à teneur des éléments au dossier, les recourants, qui supportent le fardeau de la preuve, ont rendu vraisemblable leur présence sans interruption en Suisse depuis 2003. En effet, il ressort tout d’abord du dossier qu’ils ont régulièrement adressé, à compter de cette année-là, de nombreux courriers à diverses autorités helvétiques et genevoises ainsi qu’à des personnalités politiques cantonales et fédérales. Dès lors que certaines des réponses auxdits courriers – qui mentionnaient comme adresse des recourants une poste restante, soit dans le canton de Genève, soit dans celui d’Argovie, et, pour certains d’entre eux, des adresses chez des particuliers domiciliés dans le canton - figurent en outre à la procédure, il convient de retenir que les recourants récupéraient régulièrement, depuis leur arrivée en Suisse, leur courrier en poste restante auprès d’offices postaux helvétiques. Le témoignage de M. Y______, employé à la poste de ______[GE], qui confirme avoir vu les recourants entre 2007 et 2020 lorsque ces derniers venaient chercher leur courrier en poste restante, va d’ailleurs dans ce sens. Pour le surplus, les recourants ont été condamnés, par ordonnance pénale du 24 octobre 2017 et par jugement du Tribunal de police du 9 février 2018, pour séjour illégal dans le canton du 9 février 2011 au 21 décembre 2014 puis du 28 janvier 2015 au 23 octobre 2017, ce qui démontre leur présence continue, à tout le moins durant ces années, en Suisse. De même, les témoins entendus par le tribunal le 1er novembre 2023 ont déclaré, à l’instar de M. Y______ comme vu supra, avoir croisé régulièrement les recourants à Genève, soit d’octobre 2014 à août 2018 puis d’août 2020 au jour de l’audience s’agissant de Mme X______, de 2017 à mars 2022 pour le pasteur AD______ et de septembre 2019 à l’automne 2021 quant à M. AC______. De plus, il ressort des attestations et documents au dossier que les recourants sont régulièrement intervenus, dans le cadre de cours, animations et expositions, dans le canton, où ils bénéficient en outre d’un local, mis à leur disposition par une paroisse, pour y exercer leur art. De surcroît, ils ont expliqué, sans être contredits, être démunis de tout document d’identité valable depuis 2005, suite à la confiscation par les autorités fribourgeoises de leurs passeports, rendus une fois échus par les autorités argoviennes. L’absence de document d’identité valable était ainsi de nature à compliquer tout éventuel séjour à l’étranger, en particulier d’une durée suffisante pour retenir l’existence d’une interruption du séjour en Suisse. Enfin, vu la situation très particulière des recourants, qui disposent de lieux d’hébergement et de moyens de subsistance grâce au soutien et à des procédés d’échange avec un cercle de connaissances qu’ils ont créé dans le canton, l’on peine à voir où ils auraient pu se rendre sans péjorer leurs conditions d’existence actuelles. Partant, il convient de retenir que rien ne laisse à douter de la continuité du séjour des recourants en Suisse depuis mars 2003. Ainsi, il sera considéré que ces derniers vivent sur le sol helvétique depuis près de vingt-et-un ans. La durée de ce séjour - effectué illégalement en Suisse jusqu’au dépôt de leur demande de régularisation du 14 décembre 2021, puis au bénéfice d’une simple tolérance des autorités jusqu’à droit connu sur leur requête précitée – doit ainsi être qualifiée de très longue.

Pour le surplus, il ressort des éléments au dossier que les recourants, initialement originaires de Russie, ont fui ce pays pour aller vivre en Israël de 1991 à 1992. Ils se sont ensuite rendus au Canada en 1993, où ils se sont vus reconnaître le statut de réfugiés cette même année. Dès lors qu’ils étaient, lors de leur arrivée au Canada, apatrides, ils ont obtenu en 1997, la nationalité canadienne. Ils ont ensuite vécu dans ce pays jusqu’en mars 2003, mois de leur arrivée en Suisse. Ainsi, les recourants ont vécu durant environ dix ans, alors qu’ils étaient âgés de respectivement 43 ans et 28 ans, dans le pays dont ils possèdent aujourd’hui la nationalité. Partant, leur situation ne peut être assimilée à celle de ressortissants étrangers qui sont nés et ont passé toute leur enfance et leur adolescence dans le pays dans lequel ils possèdent un droit de séjour. En outre, il sera relevé que les recourants n’ont pas d’enfants ni aucune famille connue, dont il apparaît en tout état peu probable qu’elle se trouverait au Canada, vu le parcours qui les a conduits à venir vivre dans ce pays alors qu’ils étaient eux-mêmes déjà adultes. S’agissant des déclarations des recourants selon lesquelles ils seraient en danger de mort au Canada, celles-ci ne sont pas déterminantes, faute de reposer sur des éléments concrets au dossier, tel qu’un dépôt de plaintes pénales auprès de la police canadienne suite aux deux tentatives de meurtre dont ils allèguent avoir fait l’objet ou aux intimidations invoquées.

Quant à leur situation financière, les recourants ne bénéficient en l’état d’aucuns revenus propres. Ils vivent en effet de la générosité de diverses communautés et organismes du canton ainsi que de celle de particuliers, auxquels ils rendent en retour des services, selon une forme d’échange, comme cela ressort des explications des recourants et des documents au dossier. S’il s’agit là d’un mode de fonctionnement peu usuel, force est de constater qu’il a, s’agissant des recourants, fonctionné avec succès durant plus de vingt ans. En effet, ces derniers n’émargent pas à l’aide sociale et ne font l’objet d’aucune dette ni poursuite, nonobstant l’absence de revenu usuel et régulier. À ce titre, il sera relevé que la recourante ne peut se prévaloir d’une intégration professionnelle en Suisse, dès lors qu’elle n’exerce, comme vu supra, pas d’activité lucrative régulière auprès d’un employeur au sens du droit du travail. Le critère de l'intégration professionnelle n’est pas pertinent s’agissant du recourant, qui a dépassé l’âge légal de la retraite en Suisse.

S’agissant de l’intégration sociale des recourants, outre le fait qu’ils maîtrisent tous deux le français, ainsi que l’allemand quant à la recourante, ne font l’objet d’aucune poursuite, dette ni condamnations pénales autres que celles en lien avec leur statut administratif, il ressort des nombreuses attestations au dossier qu’ils ont fait preuve d’un investissement social et culturel dans le canton qui peut être qualifié d’excellent. En effet, en sus d’organiser de nombreuses expositions d’ œuvres d’art réalisées par le recourant en faveur de la population genevoise - à satisfaction des visiteurs ayant assisté à celles-ci au vu des attestations au dossier -, ces derniers dispensent, depuis plusieurs années et à un rythme hebdomadaire, et moyennant, dans les cas où leur intervention n’est pas bénévole, une rémunération « au chapeau », divers cours de calligraphie chinoise, de K______ et de Qi Gong, auprès notamment de personnes âgées, fragilisées et/ou isolées, à totale satisfaction des institutions, associations ou EMS qui font appel à leurs services. La recourante participe en outre, à titre de bénévole, de manière régulière depuis plusieurs années, à l’organisation, la préparation et le service de repas, notamment au sein de l’espace d’accueil J______, destinés à des personnes dans le besoin. Il ressort également du dossier, notamment du reçu d’un montant de CHF 1’500.- établi le 28 novembre 2022 par Q______, que les recourants font don à cette dernière des recettes tirées de la vente de certaines de leurs œuvres. Ils se sont encore en outre, en novembre 2023, soit très récemment, formés afin « d’accompagner le vieillissement », conformément à l’attestation y relative figurant au dossier afin d’améliorer, selon leurs explications, la qualité de leurs interventions auprès des personnes âgées.

Force est ainsi de constater, au vu de ce qui précède, que l’engagement des recourants dans la vie associative et socio-culturelle genevoise est particulièrement important. Cet engagement est d’autant plus remarquable au vu de la situation particulière et hors du commun qui est la leur telle que décrite plus haut, qui ne les empêchent nullement d’œuvrer au service de la population genevoise, dans une dynamique d’échange telle qu’ils l’ont décrite dans leurs diverses écritures.

Enfin, s'agissant de la situation médicale des recourants, il ressort du dossier de soins du recourant auprès du CAMSCO du 17 juin 2022, que le traitement local nécessaire à l’ulcère variqueux dont il souffrait à la jambe est terminé depuis désormais plus de cinq ans. En outre, rien ne laisse à penser que ce dernier ou la recourante nécessiteraient un traitement médical, ceux-ci ayant au contraire confirmé de manière constante, la dernière fois lors de l’audience du 1er novembre 2023, qu’ils étaient en bonne santé.

20.         La situation des recourants telle que décrite supra tend à s’interroger quant à l’existence d’un cas de rigueur les concernant. Toutefois, le tribunal considère que cette question souffrira de demeurer ouverte, au vu de la conclusion à laquelle il parviendra ci-après dans le cadre de l’examen de leur situation sous l’angle du droit au respect de leur vie privée fondé sur l’art. 8 CEDH.

En effet, si sous l’angle du cas de rigueur, la durée du séjour des recourants en Suisse doit, à défaut d’avoir été effectué au bénéfice d’un titre de séjour, être relativisée tout comme leur intégration sociale et culturelle, sauf à encourager la politique du fait accompli, il en va différemment sous l’angle du respect au droit à la vie privée. Ainsi, sous l’angle du respect au droit à la vie privée, la durée très importante du séjour des recourants en Suisse doit, conformément à la jurisprudence fédérale citée ci-dessus récemment publiée aux ATF, être prise en compte, nonobstant le caractère illégal dudit séjour.

Au vu des éléments exposés plus haut, il convient de constater que les recourants ont fait montre d’une intégration dans le canton qui peut précisément être qualifiée de « hors du commun », pour reprendre les termes de l’arrêt du Tribunal fédéral 2D_25/2023 du 12 janvier 2024 précité. En effet, ces derniers se sont construits une existence, autonome de toute aide sociale, dans le canton, à l’activité socio-culturelle duquel ils contribuent en outre de manière effective et régulière. De plus, ils ont, depuis plus de vingt ans, construit leur vie en Suisse, dans une dynamique certes peu usuelle par rapport à la majorité des ressortissants étrangers séjournant illégalement en Suisse, mais qui, en l’état, leur permet, une fois encore, de vivre sans émarger à l’aide sociale. Désormais âgés de 73 et 58 ans, ils vivent en Suisse depuis plus de vingt ans, soit plus du double de la durée du séjour passé au Canada. Il sera en outre rappelé que les recourants ne sont pas originaires de ce pays, mais en ont obtenu la nationalité suite à la reconnaissance de leurs statuts de réfugiés et d’apatrides. Ainsi, l’existence d’attaches particulières pour ces derniers, qui n’ont en outre pas d’enfants ni famille connue, au Canada ne ressort pas du dossier. A contrario, ils ont réussi à se créer à Genève un cercle de connaissances et un réseau, sur lequel ils peuvent compter et vice-versa, et à y développer une activité sociale et culturelle reconnue, dont rien ne laisse à penser qu’elle pourrait être recréée, dans une mesure similaire, au Canada, si les recourants devaient y être renvoyés.

Doit également être pris en compte l’intérêt public – important – au respect de la législation applicable en matière de droit des étrangers. In casu, il ressort du dossier que deux décisions de refus de titres de séjour et de renvoi ainsi qu’une décision d’IES ont été prononcées à l’encontre des recourants par les autorités helvétiques. Force est de constater que les recourants n’y ont pas donné suite. Ces derniers se prévalent, à ce titre, du fait qu’ils n’auraient pas eu connaissance de ces décisions, eu égard notamment à leur absence de domicile fixe. Une telle situation découlait en effet, comme ils l’ont notamment expliqué à l’OCPM lors de leur audition du 6 février 2012, du fait qu’ils ne résidaient pas toujours chez les particuliers dont ils indiquaient l’adresse sur l’en-tête de leurs divers courriers, voire dont ils indiquaient l’adresse par le biais de formulaires M adressés à l’OCPM. Ils ont cependant précisé, notamment lors de l’audition précitée auprès de cet office, avoir expressément mis en place un système de poste restante afin d’être toujours atteignables. Il apparaît en outre qu’ils relevaient effectivement régulièrement le courrier qui leur était adressé par le biais de cette poste restante et considéraient vraisemblablement, faute d’avoir reçu des informations contraires et étant rappelé qu’ils n’étaient alors pas assistés d’un conseil, être ainsi joignables par les autorités suisses. Fort de ces éléments et au vu des problématiques rencontrées pour notifier aux recourants certains actes, notamment les décisions prononcées à leur encontre, il aurait été possible pour l’OCPM de requérir de ces derniers la communication d’une adresse physique de correspondance dans le canton, à laquelle ils n’auraient pas forcément résidé mais où ils seraient allés relever leur courrier régulièrement, comme ils le faisaient pour leur correspondance en poste restante, ce qui aurait permis de leur notifier valablement les décisions rendues à leur encontre, contrairement à la seule adresse en poste restante mise en place par leurs soins. Il apparaît ainsi que, dans le présent cas, le comportement des recourants découle davantage d’une absence de compréhension du fait que le système de poste restante ne permettait pas de leur notifier certains actes que d’une volonté de se soustraire à toute communication et/ou notification de la part des autorités. En outre, les recourants ayant régulièrement interpellé, de manière spontanée, diverses institutions et personnalités politiques suisses s’agissant de leurs conditions de séjour sur le sol helvétique, il apparaît vraisemblable qu’ils se seraient opposés aux deux décisions de refus et de renvoi rendues à leur encontre s’ils en avaient eu connaissance en temps utile. Quant à la décision d’IES, il ressort du dossier qu’elle a précisément été adressée aux recourants par l’OCPM – environ un an et demi après son prononcé - par pli recommandé à l’adresse – chez un tiers – mentionnée par les recourants en en-tête d’un courrier récent adressé par ces derniers un mois plus tôt à un Conseiller d’État, puis renvoyée par pli simple à cette même adresse suite à son retour postal avec la mention « non réclamé ». Ainsi, il apparaît vraisemblable, vu les explications données à cet office par les recourants en 2012 déjà s’agissant du fait qu’ils n’étaient pas atteignables aux adresses de tiers qu’ils indiquaient, qu’ils n’en aient effectivement pas eu connaissance.

Pour le surplus, force est de constater, au vu de l’ensemble des éléments au dossier, que les recourants n’ont jamais caché l’existence de leur séjour en Suisse aux autorités. Ainsi, en sus du système de poste restante mis en place, par le biais duquel ils se sont avérés effectivement joignables, il sera relevé que ces derniers ont donné suite aux diverses requêtes de l’OCPM. En effet, il ressort du dossier qu’ils se sont notamment rendus à plusieurs reprises, tant aux guichets de l’OCPM que dans les locaux de celui-ci à l’occasion d’une audition, donnant ainsi suite, en 2012, à une convocation qui leur avait été remise en mains propres aux guichets de cet office.

Pour le surplus, il sera relevé que les autorités genevoises n’ont pas été en mesure, durant plus de vingt ans, de mettre fin au séjour illégal des recourants en Suisse. Si l’absence de domicile fixe et la communication d’une seule poste restante n’a certes pas facilité la gestion de leur cas, il n’en demeure pas moins qu’à teneur des éléments au dossier, leur renvoi aurait pu être mis en œuvre à plusieurs reprises durant les vingt années de leur séjour en Suisse. Il sera tout d’abord relevé que, par courrier du 1er mai 2006 déjà, le Ministère public de la Confédération a sollicité auprès de l’OCPM la prise des mesures qui s’imposaient afin de mettre un terme au séjour illégal des recourants en Suisse. Il ressort du rapport de la police genevoise du 2 juin 2008 que les recourants ont été contrôlés dans le canton, notamment en septembre 2007, sans toutefois qu’il ne soit précisé que ces derniers avaient alors été interpellés. Pour le surplus, il n’apparaît pas qu’entre le 14 août 2009, date du prononcé de la décision de renvoi des recourants par les autorités argoviennes, et le 6 février 2012, date à laquelle une convocation à l’audition mentionnée supra a été remises aux recourants en mains propres aux guichets de l’OCPM, des mesures aient été prises afin de mettre en œuvre leur renvoi. En outre, ceux-ci se sont, comme indiqué ci-dessus, présentés de leur plein gré à l’audition précitée le 10 février 2012. Par la suite, le recourant a à nouveau été entendu par la police genevoise le 22 décembre 2014, soit près de deux ans et demi après le prononcé en date du 22 mars 2012, par l’OCPM, d’une décision de renvoi les concernant. Il n’apparaît pas que les autorités aient saisi cette occasion pour tenter de mettre en œuvre la décision de renvoi de 2012, qui avait pourtant été, selon l’OCPM, valablement notifiée aux recourants. Enfin, il ressort de la fiche de renseignements établie par la police le 9 novembre 2017 que le recourant, à l’encontre duquel un ordre d’écrou avait été émis en mars 2015, a été interpellé et auditionné le 23 octobre 2017 puis placé en détention à la prison de H______. Il en a été libéré le 7 novembre 2017, après s’être acquitté de la peine pécuniaire dont il faisait l’objet. La rubrique « Remarque » de cette fiche précise en outre explicitement : « Etranger faisant l’objet d’une interdiction d’entrée en Suisse valable au 28.01.2019, notifiée le 23.08.2017. L’intéressé a été mis au trottoir sur instruction de l’OCPM ». Partant, eu égard au développement qui précède, il ne saurait être retenu que la présence en Suisse des recourants durant toutes ces années découle uniquement de leur prétendue persistance à ne pas se conformer à l’ordre juridique suisse. Enfin, comme exposé précédemment, ces derniers ne constituent pas une charge financière pour la collectivité publique, dès lors qu’ils n’ont, durant vingt ans, jamais émargé à l’aide sociale.

Partant, eu égard au développement qui précède, le tribunal considère que l’intérêt privé des recourants, qui n’émargent à ce jour pas à l’aide sociale et apportent une contribution non négligeable au tissu associatif et culturel genevois, au respect de leur vie privée à pouvoir demeurer en Suisse prévaut. Ainsi, au vu des spécificités toutes particulières du présent cas et en application de la jurisprudence fédérale récente qui confirme qu’un droit à séjourner en Suisse fondé sur le droit au respect de la vie privée entre en ligne de compte même en l’absence d’un séjour légale de dix ans, la décision attaquée porte atteinte au droit au respect de la vie privée des recourants de manière disproportionnée.

Enfin, il sera précisé que le cas des recourants pourra être réexaminé, cas échéant, lors du renouvellement de leurs titres de séjour. Si la situation de ces derniers devait, à ce moment-là, s’être modifiée, s’agissant notamment de leur indépendance financière, il n’apparaît pas exclu que la pesée des intérêts à effectuer entre leur intérêt privé et l’intérêt public de la Suisse conduise alors à une autre solution que celle retenue dans le présent jugement.

21.         En conclusion, le recours sera admis et la décision litigieuse annulée, le dossier des recourants étant renvoyé à l’autorité intimée afin qu’elle le soumette au SEM avec un préavis favorable en vue de la délivrance de titres de séjour.

22.         Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument.

23.         L’avance de frais de CHF 500.- versée par les recourants leur sera restituée, conjointement et solidairement.

24.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée aux recourants, conjointement et solidairement (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

25.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 19 août 2022 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 24 juin 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 24 juin 2022 et renvoie le dossier des recourants à cette autorité pour la suite à y donner au sens des considérants ;

4.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

5.             ordonne la restitution aux recourants, conjointement et solidairement, de leur avance de frais de CHF 500.- ;

6.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations, à verser aux recourants, conjointement et solidairement, une indemnité de procédure de CHF 1’500.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière