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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1085/2022

JTAPI/94/2023 du 25.01.2023 ( LCI ) , ADMIS

REJETE par ATA/601/2023

Descripteurs : ZONE DE VILLAS;PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ;PERMIS DE CONSTRUIRE;POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LCI.59.al3bis
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1085/2022 LCI

JTAPI/94/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 25 janvier 2023

 

dans la cause

 

COMMUNE DE A______, représentée par Me Lucien LAZZAROTTO, avocat, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

Madame et Monsieur B______, représentés par Me Benoît CARRON, avocat, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             Madame Monsieur B______ sont propriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune de A______, située ______. Ce bien-fonds, sis en zone 5, a une surface globale de 494 m².

2.             La villa érigée sur cette parcelle est issue d'un projet de construction de quatre villas contiguës, sises ______, autorisé selon la DD 2______, délivrée le 5 juin 2014.

3.             Dans le cadre d'une demande complémentaire DD 2______/3, les propriétaires des villas sises ______ ont obtenu l'autorisation de construire des piscines extérieures.

4.             La construction des quatre villas y compris les piscines s'est achevée en 2016.

5.             Le 12 janvier 2022, Mme et M. B______ ont déposé une demande d'autorisation de construire auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département), ayant pour objet la construction d'une piscine extérieure sur la parcelle n° 1______, laquelle a été enregistrée sous APA 3______.

La construction projetée portait la surface en pleine terre résiduelle de la parcelle à 122.62 m² ce qui correspondait à un indice de verdure (IVER) de 24.43 % à l'échelle de la parcelle.

6.             Dans le cadre de l'instruction de la requête, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a, en date du 17 janvier 2022, préavisé favorablement le projet sans observation.

7.             Le 10 février 2022, la commission d'architecture (ci-après : CA) a émis un préavis défavorable. Le projet viendrait péjorer et restreindre la surface en pleine terre dont il ne resterait pratiquement plus rien. Dès lors, et bien qu'elle constatait que des piscines avaient été antérieurement autorisées sur deux des trois parcelles voisines, elle laissait le soin à l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC) de « formuler une décision sur la notion d'égalité de traitement ».

8.             L'ensemble des autres instances consultées s'est prononcé favorablement au projet avec ou sans condition.

9.             L'OAC a transmis le préavis de la CA au mandataire de la requérante, qui s'est déterminé par courrier du 23 février 2022 en se référant à un courriel de l'OAC du 6 mai 2021 émis dans le cadre d'un autre dossier et à teneur duquel « ne sont pas concernées [par l'art. 59 al. 3bis LCI] toutes demandes d'autorisation portant sur les piscines, CDPI, places de parking ou similaire, sur des parcelles dont les villas (ou habitat groupé) ont été autorisées avant le 1er janvier 2021 ». Ce courriel rappelait que cette préconsultation consistait en un « simple renseignement » et « ne saurait constituer un préavis anticipé ou un engagement de l'administration ».

10.         Dans son courrier du 23 février 2022, le mandataire des requérants s'est référé au principe de l'égalité de traitement dès lors que deux autres propriétaires des villas de la promotion avaient obtenu l'autorisation de construire une piscine sur leur terrain.

11.         Par décision du 7 mars 2022, le département a accordé l'autorisation sollicitée.

12.         Par acte du 5 avril 2022, la commune de A______ a, sous la plume de son conseil, recouru contre la décision précitée auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation sous suite de frais et des dépens.

Le projet violait le principe de la préservation de la pleine terre tel que concrétisé par l'art. 59 al. 3bis de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Le département avait également ignoré la teneur de son plan directeur (ci-après : PDCom), lequel préconisait une occupation limitée du sol afin d'éviter une trop forte imperméabilisation. En autorisant le projet litigieux, le DT avait excédé son pouvoir d'appréciation. En effet, une pesée des intérêts globale de tous les intérêts publics et privés en présence, y compris ceux exprimés au travers de son PDCom, s'opposait à l'octroi d'une telle autorisation.

13.         En date du 7 juin 2022, le département a transmis son dossier au tribunal accompagné de ses observations. Il a conclu au rejet du recours et à la condamnation de la commune aux dépens de l'instance.

L'art. 59 al. 3bis LCI ne fixait aucun indice de verdure (IVER) minimum. La marche à suivre pour la densification de la zone 5 ne fixait pas non plus de valeur stricte, mais contenait uniquement une valeur cible de 40 %. Il conservait donc un pouvoir d'appréciation en la matière. En l'occurrence, il avait estimé qu'au vu du contexte de la situation existante, il pouvait faire preuve de souplesse dans l'application de cette disposition et considérer que la surface de pleine terre maintenue après la réalisation du projet litigieux s'avérait suffisante au regard des éléments suivants : premièrement, l'autorisation de construire de base portant sur l'édification de quatre villas contiguës avait été délivrée en 2014, soit avant toutes les exigences relatives à l'IVER. Au regard de la proportion de pleine terre existante suite à la réalisation de la DD 2______ et au vu des dimensions du projet et de sa localisation qui permettait le maintien d'une surface végétalisée, l'autorisation de construire pouvait être délivrée. L'IVER existant sur la parcelle, suite à la réalisation de la DD 2______, était déjà nettement inférieur à la valeur théorique de 40 % mentionnée par la marche à suivre. Dès lors, la réalisation du projet en question, lequel concernait une piscine, n'aurait un impact que de 7 % sur l'IVER existant.

Au surplus, la CA avait malgré la teneur défavorable de son préavis du 10 février 2022, laissé le cas à son appréciation compte tenu des deux piscines autorisées sur les parcelles contiguës et du principe d'égalité de traitement. Il avait ainsi considéré que l'autorisation de construire se justifiait, dans la mesure où les deux piscines autorisées sur les parcelles voisines étaient semblables, voire plus importantes en termes de superficie à celle projetée.

Concernant la stratégie communale de densification de la zone 5 de la recourante, elle était en cours d'élaboration dans le cadre de la mise à jour de son PDCom. De plus, celui-ci ne contenait pas de règles concernant la parcelle ou le secteur en question.

La recourante perdait de vue que l'occupation du sol de la parcelle était déjà réalisée par la construction de la villa et que la piscine n'était que de moindre importance. De surcroît, la surface maintenue sur le terrain permettait encore des plantations ; la surface, même sans la réalisation du projet ne permettant au demeurant pas, au vu de sa surface, de grandes plantations à valeur écologique. Le grief de la violation du PDCom devait être rejeté.

14.         En date du 7 juin 2022, les époux B______, sous la plume de leur conseil, se sont déterminés sur le recours. Ils ont conclu à son rejet, sous suite de frais et dépens.

L'OAC avait estimé, aux termes de son appréciation de l'ensemble des circonstances, que le projet de piscine pouvait être autorisé en dépit du préavis négatif non contraignant de la CA et du fait que la parcelle aurait une surface de pleine terre résiduelle de 24.43 %. Le fait que deux des trois voisins disposaient déjà d'une piscine n'était sans doute pas étranger à la décision positive du DT. Par ailleurs, ce projet avait été pensé avec la volonté de conserver un maximum de pleine terre en prévoyant un bassin de taille réduite et une bordure de dalles la moins large possible.

Le PDCom ne faisait pas obstacle à l'octroi de l'autorisation sollicitée et ne produisait aucun effet juridique à l'égard des particuliers. En ce qui concernait la part de pleine terre à respecter, le PDCom ne fixait aucun ratio précis et ne s'opposait pas à ce que la part de pleine terre soit inférieure à 40 %. Il se contentait de prescrire que l'implantation des bâtiments hors sol et en sous-sol dégageant des espaces pouvant recevoir des plantations en pleine terre était privilégiée.

15.         Le 5 juillet 2022, la commune a répliqué. L'OAC perdait de vue que l'objectif de l'art. 59 al. 3bis LCI consistait à lutter contre la consommation excessive du sol et les problèmes d'imperméabilisation de ce dernier. Or, la construction de la piscine impliquerait une imperméabilisation du sol de 75,57 % soit plus des ¾ de la parcelle.

Ses autres arguments seront examinés dans la partie en droit si nécessaire.

16.         Le 14 juillet 2022, les époux B______ ont dupliqué, persistant dans leur argumentation.

17.         Le 29 juillet 2022, le département a adressé sa duplique au tribunal.

Il était en droit de s'écarter du préavis défavorable de la CA, ce d'autant plus que l'art. 59 al. 3bis LCI n'imposait aucunement sa consultation. Pour le surplus, il a persisté dans son argumentation.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 145 al. 2 LCI, la commune du lieu de situation peut recourir contre la délivrance d'une autorisation. La commune a donc la qualité pour recourir contre la décision du département du 7 mars 2022 (APA 3______).

4.             Les arguments formulés par les parties à l'appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1 ; 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 5.1 ; 1C_304/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.1 ; 1C_592/2015 du 27 juillet 2016 consid. 4.1 ; 1C_229/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1 et les arrêts cités), étant rappelé que, saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office et que s'il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA ; cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             La recourante reproche au DT d'avoir contrevenu au principe de la préservation de la pleine terre consacré par l'art. 59 al. 3bis LCI en autorisant la réalisation d'une piscine sur la parcelle des intimés.

Le département se prévaut quant à lui du fait que la disposition précitée ne fixe aucun IVER minimum, que la marche à suivre pour la densification de la zone 5 ne fixe pas de valeur stricte mais ne contiendrait qu'une valeur cible de 40% et que par ailleurs, disposant d'un large pouvoir d'appréciation en la matière, il a tenu compte du contexte et de la situation existante.

6.             L’art. 1 al. 1 LCI précise que sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé élever en tout ou partie une construction ou une installation (let. a). Par ailleurs, dès que les conditions légales sont réunies, le département est tenu de délivrer l’autorisation de construire (art. 1 al. 6 LCI).

7.             L'art. 59 al. 3bis LCI, adopté le 1er octobre 2020, dispose qu'une surface en pleine terre, à savoir dénuée de toute construction en surface ou en sous-sol et non revêtue, de la parcelle ou du groupe de parcelles considérées par la demande d’autorisation de construire doit être préservée.

Cette disposition, entrée en vigueur le 28 novembre 2020, était applicable à la demande d'autorisation de construire l'installation querellée, déposée le 12 janvier 2022 (art. 156 al. 5 LCI), ce qui n'est pas contesté.

8.             Le principe de la préservation de la pleine terre en zone 5 a été introduit dans le guide publié par le canton « Les nouveaux quartiers-jardins du XXIe siècle » visant une densification de qualité de la zone 5 sans modification de zone à Genève, pour répondre à la problématique de l'imperméabilisation des sols. Au chapitre consacré à l'« état des lieux » (version juin 2017, p. 7 ss), le guide relevait en effet : « avec l'augmentation de l'indice d'utilisation du sol on assiste aussi à l'augmentation de l'emprise des bâtiments (et des annexes) pouvant dépasser les 60 % de la surface des parcelles concernées. Avec les stationnements de surface, les terrasses en dur et les souterrains, cette occupation du bâti a pour conséquence une forte imperméabilisation des sols et génère des problèmes de ruissellement et récupération des eaux de pluie ». Sous le chapitre « les enjeux de la densification », il fixait des principes généraux visant notamment « à conserver des espaces plantés en pleine terre en proportion suffisante en limitant, en même temps, l'imperméabilisation des sols » et introduisait également la mention de l'IVER.

9.             Dans le cadre de l'examen du projet de loi portant sur la modification de l'art. 59 al. 4 LCI (PL 12'566), un député avait proposé d'ajouter un alinéa 3bis à l'art. 59 LCI dont la teneur serait la suivante : « une surface en pleine terre, à savoir dénuée de toute construction en surface ou en sous-sol et non revêtue, correspondant au minimum à 40 % de la surface de la parcelle ou du groupe de parcelles considérées par la demande d'autorisation de construire doit en principe être préservée » (rapport du 11 août 2020 de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le PL).

10.         Il résulte des débats devant le Grand-Conseil que le Président du Conseil d'État, en réponse à la question de l'introduction du pourcentage minimal de 40 % de surface en pleine terre, a expliqué : « Sur cette base, nous allons travailler pour mettre à jour d'ici la fin de l'année une grille des critères de qualité qui permettra de valoriser la question de la pleine terre - elle doit tendre vers les 40%, mais il y a toujours des cas qui requièrent des dérogations. C'est pourquoi il me semblerait faux d'introduire des règles urbanistiques au niveau législatif : elles relèvent de la commission d'architecture, mais aussi des professionnels et des discussions avec les communes. Ce guide qualité exposera donc une démarche que les propriétaires et promoteurs devront suivre et défendre face à la commission d'architecture, qui sera la gardienne du temple de cette notion de qualité » (MGC, séance du jeudi 1er octobre 2020 à 20h30- 1er débat).

11.         L'amendement concernant l'art. 59 al. 3bis LCI a été adopté sans qu'un pourcentage soit fixé.

12.         Dans l’exercice de la compétence que lui confère l’art. 59 al. 3bis LCI, le département dispose d’une grande liberté d’appréciation celle-ci n'étant limitée que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA).

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9). Elle doit en outre en outre utiliser sa marge de manœuvre conformément à ses devoirs en tenant compte du but de la loi, afin de servir au mieux l'intérêt public (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème édition, 2018, p. 179 n. 513).

Commet un excès positif de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l'exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d'appréciation dans le cas où l'excès de pouvoir est négatif, soit lorsque l'autorité considère être liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou qu'elle renonce d'emblée, en tout ou partie, à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 116 V 307 consid. 2 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_472/2016 du 14 février 2017 consid. 5.1.2 ; 1C_263/2013 du 14 mai 2013 consid. 3.1), par exemple en appliquant des solutions trop schématiques ne tenant pas compte des particularités des cas d'espèce, que l'octroi du pouvoir d'appréciation avait justement pour but de prendre en considération ; on peut alors estimer qu'en refusant d'appliquer les critères de décision prévus explicitement ou implicitement par la loi, l'autorité viole directement celle-ci (cf. Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 514 p. 179).

13.         D’après la jurisprudence, afin d’assurer l’application uniforme de certaines dispositions légales, l’administration peut expliciter l’interprétation qu’elle leur donne dans des directives. Celles-ci n’ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni même l’administration. Elles ne dispensent pas cette dernière de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d’espèce (ATF 145 II 2 consid. 4.3). Par ailleurs, elles ne peuvent sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu’elles sont censées concrétiser. En d’autres termes, à défaut de lacune, elles ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 141 II 338 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_522/2012 du 28 décembre 2012 consid. 2.3 ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 8d ; ATA/829/2019 du 25 avril 2019 consid. 6a).

14.         Si les directives, circulaires ou instructions émises par l'administration ne peuvent contenir de règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut les prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré.

Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 129 V 205 consid. 3.2 ; 127 V 61 consid. 3a ; ATA/552/2013 du 27 août 2013 ; ATA/114/2010 du 16 février 2010). Ces directives ne dispensent pas de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d'espèce. Par ailleurs, elles ne peuvent sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, elles ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 138 II 536 consid. 5.4.3 ; 133 II 305 consid. 8.1). Ces principes sont applicables mutatis mutandis en droit cantonal (ATA/1278/2018 précité consid. 10b ; ATA/1000/2018 du 25 septembre 2018 consid. 6d).

15.         En janvier 2021, le département a publié en ligne une « Marche à suivre pour la densification de la zone 5, Modalités d’application du nouvel article 59 LCI » (ci-après : la marche à suivre)» (https://www.ge.ch/document/marche-suivre-densification-zone-5-mise-jour-2022).

Cette marche à suivre décrit les nouvelles exigences de contenu et de forme à respecter dans la zone 5, tant pour les projets de construction que pour les plans directeurs communaux. Elle vise notamment à renforcer la qualité des projets de densification et à améliorer leur intégration dans le contexte local, tout en limitant leur impact environnemental » (p. 6). En effet, « chaque nouvelle construction dans la zone 5 participe au processus de transformation du territoire. Pour préserver la qualité de vie dans ces secteurs qui bénéficient d'une végétalisation importante, il est nécessaire de veiller à la bonne prise en compte des aspects notamment patrimoniaux et environnementaux » (p. 8). Pour toute les demandes d'autorisation de construire en zone 5, le dossier doit fournir une information concernant la pleine terre et l'IVER. Celui-ci quantifie les effets induits de la construction sur les trois éléments naturels suivants : pleine terre, stratégie végétale et eau (p. 10). Dans le cadre de la présentation du projet, « il s'agit de préciser comment le projet contribue au maintien et au développement de la qualité paysagère du site dans lequel il s'inscrit ». Pour la pleine terre, « un plan ou schéma doit illustrer les différentes types d'espaces non bâtis en pleine terre, de la situation projetée et, selon leur taille et l'implantation du projet (espaces majeurs/résiduels). On entend par espaces majeurs en pleine terre, les espaces d'un seul tenant pouvant par exemple accueillir la plantation d'arbres de première et deuxième grandeur. Une valeur cible de 40 % de pleine terre sera recherchée, l'objet étant de de ménager des espaces sont suffisantes permettant d'accueillir des sujets d'une certaine importance, ceux-ci caractérisant la zone 5 » (p. 13).

16.         Dans sa version mise à jour en novembre 2022, la marche à suivre n'indique plus le pourcentage de pleine terre recherchée mais prévoit : « Une quantité de pleine terre cohérente avec les enjeux de paysage, de biodiversité et les usages souhaités sera recherchée, en lien avec la stratégie de densification zone 5 du PDCom approuvé le cas échéant » (p 13).

17.         La marche à suivre précise également le rôle de la CA. Elle « instruit toutes les demandes d’autorisation de construire en zone 5. En application du cadre légal, la CA doit analyser la compatibilité du projet avec « le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier ». Elle doit désormais également évaluer le projet à l'échelle du groupe de parcelles. Pour cela elle prend en compte, d'une part, la quantité de pleine terre préservée par le projet, et d'autre part, elle se base sur le PDCom, notamment en ce qui concerne les secteurs de densification accrue et les voies à créer ou à modifier. En l'absence d'un PDCom approuvé, la CA applique les critères d'évaluation présente et dans le schéma ci-dessous et utilise la note explicative produite par le requérant pour produire son préavis [p. 14 de la marche à suivre dans sa teneur de janvier 2021 (la version de novembre 2022 ne diffère pas substantiellement sur ce point)].

18.         Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l'autorité reste libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu'un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/462/2020 du 7 mai 2020 consid.18 et les références citées).

19.         Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l'autorité inférieure suit les préavis requis, la juridiction de recours doit s'imposer une certaine retenue, qui est fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/284/2016 du 5 avril 2016 consid. 7c ; ATA/109/2008 du 11 mars 2008 consid. 4 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 508 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/284/2016 précité consid. 7c ; ATA/51/2013 du 29 janvier 2013 consid. 5d)

20.         En l'espèce, il convient de relever que selon la systématique de la loi, l'art. 59 al. 3bis LCI doit être appliqué à toutes les demandes d'autorisation de construire en zone 5 déposées après son entrée en vigueur, ce qui n'est au demeurant pas contesté. En revanche, avec le département, il doit être admis que le préavis de la CA n'est obligatoire que dans le cadre de l'alinéa 4 de l'art. 59 LCI.

Ceci étant, il n'en demeure pas moins que lorsqu'elle est sollicitée, la CA, composée de spécialistes, examine les projets soumis à son examen, notamment en prenant en compte la quantité de pleine terre préservée en application de l'art. 59 al. 3bis LCI. Elle s'est, en l'occurrence, déterminée défavorablement, retenant que le projet viendrait péjorer et restreindre la surface en pleine terre dont il ne resterait pratiquement plus rien.

Le fait qu'elle ait indiqué qu'elle laissait le soin au département d'examiner la question d'une éventuelle égalité de traitement n'est pas déterminant en l'espèce puisque le DT a la possibilité de s'écarter d'un préavis qu'il soit ou non obligatoire, pour des motifs pertinents, tel que le respect du principe de l'égalité de traitement.

21.         En l'occurrence, c'est à juste titre que le DT n'a pas fait application du principe de l'égalité de traitement dont les conditions posées par la jurisprudence ne sont à l'évidence pas réunies dès lors que précisément la loi a changé entre le moment où la construction des piscines sur les parcelles voisines de celle des intimés a été autorisée et la date à laquelle a été déposée la demande d'autorisation de construire litigieuse.

22.         Il reste ainsi à déterminer si le département a outrepassé son pouvoir d'appréciation dans l'application de l'art. 59 al. 3bis LCI.

Comme rappelé plus haut le but de cette norme vise en particulier à favoriser une certaine végétation caractérisant la zone 5 et éviter l'imperméabilisation des sols.

Si la valeur de 40% proposée par la marche à suivre - dans sa teneur au moment où le DT a statué - constitue effectivement une valeur cible et si le département conserve une marge d'appréciation pour appréhender chaque cas d'espèce en fonction des circonstances, il apparait au tribunal que le résultat auquel parvient le département qui consiste à admette un IVER, après la construction, de 24.43 % soit presque 50 % inférieur à celui préconisé, dépasse largement la marge de manœuvre dont il dispose et ne saurait être validé.

L'argument du département selon lequel l'IVER préexistant sur la parcelle était nettement inférieur à la valeur cible de 40%, de sorte que la surface restante ne permettait déjà pas d'accueillir des arbres d'une certaine importance ne résiste pas à l'examen sauf à rendre inapplicable l'art. 59 al. 3bis LCI dans toute les situations où une autorisation de construire serait sollicitée pour un projet prévu sur une parcelle présentant déjà une emprise du bâti excédant 60 % de la surface du terrain, ce que le législateur a précisément voulu éviter en poursuivant également le but d'éviter l'imperméabilisation des sols.

Dans ces circonstances, force est d'admettre, avec la recourante, que la délivrance de l'autorisation querellée, décidée en dépit du préavis défavorable de la CA et sans raison objective suffisante, relève d'un abus du pouvoir d'appréciation de l'autorité. On ne peut en effet considérer que le DT s'est écarté dudit préavis « pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur ». Dans cette mesure, sa décision viole le droit.

Par ailleurs, en considérant que la délivrance de l'autorisation querellée était justifiée dans la mesures où les deux piscines autorisées sur les parcelles voisines étaient semblables voire plus importantes en terme de superficie à celle projetée et que les IVER étaient comparables, le département, sans se fonder sur le principe de l'égalité de traitement qui comme vu plus haut ne pouvait de toute évidence pas trouver application, a en réalité contourné l'art. 156 al. 6 LCI qui prévoit que l'art. 59 al. 3 bis, dans sa teneur du 1er octobre 2020 s'applique aux demandes d'autorisation déposées après son entrée en vigueur. Dans cette mesures sa décision viole le droit.

23.         Le recours, bien fondé, doit donc être admis et l'autorisation de construire annulée sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments de la recourante.

24.         Vu cette issue, l'avance de frais versée par la recourante lui sera restituée. Un émolument de CHF 900.- sera mis à la charge conjointe et solidaire de Mme  et M. B______.

Ayant eu recours au service d'un avocat pour les besoins de la procédure et conclu à l'allocation de dépens, la recourante, qui obtient gain de cause, se verra allouer une indemnité de procédure arrêtée à CHF 1'800.-, valant participation aux honoraires dudit avocat, pour moitié à la charge du département et pour moitié à celle de Mme et M. B______.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 5 avril 2022 par la COMMUNE DE A______ contre la décision du département du territoire du 7 mars 2022;

2.             l'admet ;

3.             met à la charge Madame et Monsieur B______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 900.- ;

4.             ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 900.- ;

5.             alloue à la COMMUNE DE A______ une indemnité de procédure de CHF 1'800 .-, pour moitié (CHF 900.-) à la charge Madame et Monsieur B______, conjointement et solidairement, et pour moitié (CHF 900.-) à la charge de l'État de Genève, pour lui le département du territoire ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Oleg CALAME et Aurèle MULLER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier