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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/672/2025

ATA/487/2025 du 29.04.2025 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/672/2025-PRISON ATA/487/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 avril 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon depuis le 4 décembre 2024.

b. Selon le rapport d’incident de la prison du 7 février 2025, le détenu avait, vers 21h50, crié en direction d’un agent de détention : « Nique sa mère le surveillant ». Peu après, lors d’un appel venant de la cellule occupée notamment par A______, les détenus avaient fait part de leur mécontentement de devoir la partager avec un certain détenu et avaient demandé le transfert de celui-ci dans une autre cellule. Peu plus tard, A______ avait, à nouveau, appelé et exigé le transfert du détenu précité vers une autre cellule. Deux heures plus tard, le détenu dont le transfert était réclamé par les codétenus avait demandé son traitement médical et l’agent de détention lui avait répondu qu’il serait dispensé lors de la ronde de minuit. A______ était alors intervenu en disant à l’agent de détention : « T’es connu à Genève, je sais où tu habites et dans quelle salle tu t’entraines. Genève, c’est petit. Arrête de faire ton malin, tu fais peur à personne ».

c. Selon le rapport complémentaire établi le lendemain à 7h00, le gardien-chef adjoint a prononcé une sanction de quatre jours de cellule forte pour attitude incorrecte et menaces et insultes envers le personnel. Entendu le même jour, à 9h40, A______ a contesté les insultes et partiellement admis les menaces, soutenant les avoir formulées différemment. La sanction lui a été notifiée à 9h45.

B. a. Par acte expédié le 26 février 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision dont il a demandé l’annulation.

Il n’avait insulté personne. Un surveillant l’avait menacé de lui casser le bras. Son co-détenu avait reconnu avoir insulté l’agent de détention. Ce dernier était « bourré ».

b. La prison a conclu au rejet du recours.

c. Le recourant ne s’est pas manifesté dans le délai imparti pour répliquer.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant conteste la sanction.

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison de Champ-Dollon est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

2.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives, des activités sportives, d’achat pour quinze jours au plus ou la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. c à e), la privation de travail (let. f) ou encore le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).

2.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).

2.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

2.6 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).

2.7 L'art. 180 al. 1 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) réprime le comportement de celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne. Cette infraction suppose la réalisation de deux conditions : il faut que l'auteur ait émis une menace grave, soit une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime (ATF 122 IV 97 consid. 2b ; 99 IV 212 consid. 1a), et que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2).

2.8 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b). Elle a confirmé des sanctions de deux jours de cellule forte infligées à des détenus ayant insulté un ou plusieurs agents de détention (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021). Elle a aussi confirmé une sanction de deux jours de cellule forte infligée à un détenu ayant écrit sur les murs de sa cellule des propos menaçants puis insulté un gardien (ATA/1486/2019 du 8 octobre 2019).

2.9 En l’espèce, il convient, en premier lieu, de relever que le rapport d’incident du 7 février 2025 décrit avec précision les faits survenus le même jour entre 21h50 et 23h54. Le rédacteur, un gardien assermenté, a clairement distingué les personnes s’exprimant lors des différents appels provenant de la cellule occupée par le recourant. Il n’y a donc pas lieu d’attribuer les insultes que le recourant conteste à un autre détenu. Par ailleurs, le recourant ne conteste pas véritablement les menaces qui lui sont reprochées, mais semble les expliquer par le fait que l’agent de détention l’aurait menacé de lui casser le bras. Cette assertion n’est pas crédible. En effet, les échanges verbaux entre le recourant et l’agent de détention ont eu lieu par interphone ; l’agent de détention ne se trouvait donc pas en prise physique directe avec le détenu. En outre, quand bien même l’agent de détention aurait tenu les propos que le recourant lui prête – ce qui n’est pas établi – ce fait n’aurait pas justifié son écart de comportement ; il disposait de la possibilité de s’en plaindre auprès de la direction de la prison, voire de demander à pouvoir changer de secteur.

Il ne fait pas de doute que l’indication : « Nique sa mère le surveillant » constitue une insulte. Par ailleurs, les propos : « T’es connu à Genève, je sais où tu habites et dans quelle salle tu t’entraînes. Genève, c’est petit. Arrête de faire ton malin, tu fais peur à personne » étaient de nature à effrayer l’agent de détention. Celui-ci pouvait, en effet, craindre que le recourant s’en prenne à lui.

Le fait d’émettre des menaces et d’insulter un agent de détention contrevient à l’obligation du recourant d’observer une attitude correcte à l’égard du personnel (art. 44 RRIP) et de ne pas troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (art. 44 let. h RRIP). Le prononcé d’une sanction était ainsi fondé.

2.10 Se pose encore la question de savoir si la sanction infligée respecte le principe de la proportionnalité.

Le recourant n’a pas d’antécédents disciplinaires. Son comportement menaçant et insultant est inadmissible et ne saurait être toléré. La sanction est, en son principe, apte et nécessaire à lui faire prendre conscience de l’importance d’adopter un comportement adéquat envers le personnel et de respecter le RRIP. Elle ne tient cependant pas suffisamment compte de l’absence d’antécédents disciplinaires.

Ainsi, quand bien même l’autorité intimée jouit d’un large pouvoir d’appréciation en la matière, la sanction infligée apparaît excessivement sévère en sa quotité. Une sanction de deux jours de cellule forte paraît plus appropriée, permettant à la fois au recourant de prendre conscience de l’importance d’observer une attitude correcte envers le personnel pénitentiaire et de tenir compte de l’absence d’antécédents disciplinaires.

Le recours sera ainsi admis dans cette mesure et, dès lors que la sanction a déjà été exécutée, l'illicéité de celle-ci sera constatée.

3.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Le recourant plaidant en personne, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 février 2025 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 8 février 2025 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

constate le caractère illicite de la sanction de quatre jours de cellule forte du 8 février 2025, au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO juges.

Au nom de la chambre administrative :

 

la greffière :

 

N DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :