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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2209/2023

ATA/384/2024 du 19.03.2024 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2209/2023-FPUBL ATA/384/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 mars 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Mes Igor ZACHARIA et Daniel KINZER, avocats

contre

CONSEIL D'ÉTAT intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, né en 1977, a été nommé, pour un an et à titre d’épreuve, à la fonction d’inspecteur de la police judiciaire le 1er février 2004. Il a été confirmé un an plus tard dans cette fonction. Il a été nommé en qualité d’inspecteur principal adjoint le 1er février 2009. Le 1er février 2015, il a été promu inspecteur principal.

b. D’avril 2005 à décembre 2021, il a fait l’objet de quatorze félicitations et cinq remerciements. Son travail a fait l’objet d’éloges, notamment en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, de démantèlement de réseaux, d’arrestation de trafiquants et de saisie de drogue.

c. De janvier 2004 à septembre 2022, A______ a fait l’objet de plusieurs évaluations, élogieuses, mettant notamment en avant son enthousiasme, sa motivation, son savoir-vivre, sa nature coopérative et son excellent esprit d’équipe, sa maîtrise de lui en toutes circonstances, sa ponctualité, sa fiabilité et son respect absolu des instructions, son exigence sur la qualité de son travail, son sens de l’initiative, son assiduité, sa conscience professionnelle ainsi que le fait qu’il ne comptait pas son temps et acceptait des surcroîts de travail. En avril 2020, il a été relevé qu’il était résistant face à la charge de travail opérationnel et aux situations difficiles, et qu’en tant qu’observateur, son niveau de performance demeurait intact lors d’engagements opérationnels prolongés ou d’événements stressants. En septembre 2022, il a été souligné qu’il ne craignait pas la lourdeur administrative. Il était un élément moteur, expérimenté, ayant acquis de fortes compétences. Ses passages dans différentes brigades avaient fait de lui un enquêteur de qualité apportant une plus-value au groupe et à la brigade. Très motivé, il mettait de l’énergie à initier des affaires et à les conduire à terme avec une réussite maximale. Il avait mené à satisfaction plusieurs affaires de stupéfiants. Il participait à la bonne ambiance du groupe et était un très bon camarade de travail. Il savait faire preuve d’obstination et d’opiniâtreté dans le traitement de ses affaires, ce qui était clairement une grande qualité. Si cette force lui avait permis de « sortir » avec brio des affaires, d’arrêter des trafiquants de drogue et de mettre ainsi un terme à leurs activités, il devait néanmoins apprendre à canaliser ce trait de caractère. Il était un meneur naturel et une référence pour les plus jeunes collaborateurs. Il avait récemment réussi des évaluations de compétences pour accéder à la fonction de chef de groupe.

B. a. Le 28 octobre 2022 à 02h18, A______ a été arrêté aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) pour mise en danger de la vie d’autrui, lésions corporelles et conduite d’un véhicule de service en état d’ébriété.

Il ressort du rapport établi le même jour par l’inspection générale des services (ci‑après : IGS) qu’A______ avait consommé des boissons alcoolisées dans un établissement public avec des collègues, qu’ils avaient ensuite regagné la brigade au 5e étage du vieil hôtel de police (ci-après : VHP), et qu’à son arrivé dans les locaux il avait tiré avec son arme de service en direction d’une poubelle, vidant le chargeur et blessant au pied, par ricochet, son collègue B______, qu’il avait ensuite transporté aux HUG avec un véhicule de service.

b. Une procédure pénale a été ouverte le même jour contre A______, qui a été prévenu par le Ministère public de mise en danger de la vie d’autrui, lésions corporelles par négligence et entrave aux mesures de constatation de l’incapacité de conduire.

Il a expliqué qu’il avait travaillé ce jour-là de 08h00 à 16h00. Il était ensuite allé à l’C______, où il était resté jusqu’à environ minuit et avait bu douze Spritz. Vers minuit, ses collègues et lui étaient retournés à VHP. Il s’était rendu compte au cours de la soirée qu’il devenait ivre. Ils étaient retournés à VHP boire un verre. Il s’était rendu compte en cours de soirée qu’il avait toujours son arme de service sur lui. D’ordinaire il la laissait au bureau quand il ne travaillait pas. Il était monté en ascenseur. Arrivé dans les locaux de la brigade, il avait marché en direction du bar de la brigade et vidé son chargeur sur la poubelle en continuant à avancer. Les sept coups étaient partis en moins de deux secondes et il n’avait pas eu le temps de revenir à la réalité après le premier coup.

Se voyant demander ce qui lui avait passé par la tête, il a répondu que c’était quelque chose de stupide, de dangereux qu’il regrettait énormément. Cela aurait pu avoir d’énormes conséquences. Il aurait aimé revenir en arrière. Il mettait cela sur le compte de son alcoolisation. Sans alcool, il n’aurait jamais fait une chose pareille. Il avait voulu conduire lui-même son collègue B______ aux HUG, malgré son alcoolisation, car il voulait assumer les conséquences de ses actes. S’il avait été lucide, il aurait choisi une autre solution.

Il n’avait pas de difficultés particulières à cette époque. Il aimait son travail et cela se passait très bien à la brigade des stupéfiants. Il avait de la chance avec son amie et ses filles allaient très bien. En d’autres termes il n’avait aucune raison particulière de « déconner » si ce n’était l’alcool qu’il avait bu.

Il a été soumis à l’éthylotest à 03h11. Le Ministère public a ordonné à 04h37 une prise de sang et une prise d’urine, mais il a refusé de signer l’ordre de prélèvement avant d’avoir pu s’entretenir avec son avocat lequel s’est présenté à 09h00. Il a accepté de se soumettre à l’éthylotest à 09h45. Lors de son audition au Ministère public à 18h30, il n’a pas souhaité indiquer s’il était d’accord de se prêter à un dépistage de consommation de stupéfiant par analyse capillaire. Le Tribunal fédéral a refusé de se pencher sur son recours contre la licéité de ce prélèvement et il s’y est finalement soumis le 13 janvier 2023 et les résultats étaient négatifs.

c. Le 1er novembre 2022, B______ a déclaré à l’IGS notamment qu’A______ n’avait pas commandé plus de verres que lui, soit cinq ou six. En quittant le café, A______ voulait continuer la soirée au D______. Il semblait être dans une ambiance joyeuse et festive quand ils se rendaient à la brigade. Il ne l’avait pas vu dans un état de perte de maîtrise de sa gestuelle ou de son équilibre. Juste après les coups de feu, il avait retrouvé son mode « policier ».

Il n’avait aucune idée des raisons du geste d’A______. Par la suite, celui‑ci n’avait plus jamais fait mention de son acte, sauf pour dire que c’était « con » et qu’il n’aurait jamais dû être blessé.

d. Le 2 novembre 2022, A______ a écrit à la commandante de la police pour lui dire à quel point il regrettait profondément son geste stupide et dangereux. À aucun moment il n’avait eu l’intention de faire du mal à qui que ce soit et surtout pas à ses collègues. Il exerçait son métier de policier depuis 20 ans avec énormément de passion et une très grande fierté. Il réalisait à quel point son attitude causait du tort à la brigade des stupéfiants. La situation l’attristait terriblement. Il aurait aimé revenir en arrière mais ne le pouvait malheureusement pas. Il présentait ses plus sincères excuses.

e. Le 7 novembre 2022, la commandante de la police l’a libéré avec effet immédiat de son obligation de travailler.

f. Le 21 novembre 2022, le Conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu depuis lors le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN ou le département), a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre d’A______ et la suspension avec maintien de son traitement.

g. Le 3 mars 2023, A______ a adressé à la commandante de la police un courrier dans lequel il réitérait ses regrets sincères.

Il comprenait « totalement » qu’il soit nécessaire de sanctionner son comportement. Néanmoins, l’idée de ne plus jamais pouvoir exercer son métier de policier le plongeait dans une profonde tristesse. Il exerçait son métier avec une « énorme passion » depuis 20 ans et sa motivation était toujours intacte. Son parcours professionnel, ses spécialisations et ses 23 lettres de félicitations témoignaient de son implication sans faille. Il s’agissait du parcours d’un policier ultra-motivé. Il avait récemment souhaité acquérir des responsabilités pour transmettre sa passion et son expérience aux plus jeunes. Il avait encore beaucoup à apporter à la police. Il souffrait énormément de la situation, de même que ses deux filles et leur maman, tellement fières de son métier. Il souhaitait plus que tout au monde pouvoir à nouveau l’exercer. Il voulait se rendre utile, par exemple dans un service administratif non armé en se soumettant aux conditions qu’elle jugerait nécessaires.

h. Le 15 décembre 2022, A______ a expliqué à l’enquêteur administratif qu’il avait connu une année difficile en 2018, lors de laquelle il avait perdu un collègue, s’était séparé de sa compagne, avait dû reprendre ses charges hypothécaires et avait consulté un psychiatre durant son absence.

Cela faisait six semaines qu’il ne pensait qu’aux événements du 28 octobre 2022. Il avait beau chercher, il ne trouvait pas d’autre explication que son état d’ébriété. Il sortait uniquement pour voir son psychiatre et ses avocats. Il était membre du détachement de filature et d’intervention (ci-après : DEFI) depuis 15 ans. Les membres du DEFI étaient ceux qui tiraient le plus et le mieux. Il n’avait jamais eu à tirer en situation réelle en 20 ans de carrière. Il avait toujours été dans l’opérationnel, ce qui impliquait une très grande implication personnelle. Il n’avait jamais rechigné à revenir lorsqu’il était en congé ou en vacances sans jamais s’en plaindre. Il avait honte de ce qu’il avait fait et ses collègues étaient là pour témoigner que cela ne lui correspondait pas.

i. Le 3 février 2023, B______ a expliqué à l’enquêteur qu’en rentrant à la brigade vers 22h30 personne ne présentait de signes extérieurs d’ébriété. Il n’avait pas subi de lésions irréversibles et avait repris son travail à 100% dès le 28 octobre 2022 pendant deux semaines. Ensuite il avait travaillé à 50% afin de reprendre des heures et en raison de douleurs. Il était complètement opérationnel depuis janvier 2023 et pratiquait à nouveau la course à pied.

j. Le même jour, E______, sergent-major et supérieur d’A______, a expliqué à l’enquêteur qu’A______ était très apprécié et écouté dans la brigade, et qu’il était très investi et avait beaucoup donné de sa personne. Il ne parvenait pas à s’expliquer ce qui s’était passé et A______, avec lequel il en avait parlé, non plus. Il avait pensé à un burn out, à un « pétage de plombs » qui pourrait s’expliquer par les difficultés de la profession et par une certaine frustration résultant de l’absence de moyens. C’était un acte irrationnel auquel personne ne pouvait s’attendre.

k. Le 22 mars 2023, l’enquêteur a rendu son rapport.

Il a, entre autres, retenu qu’A______ avait tiré sept fois et que cinq tirs avaient traversé la poubelle, que des fragments de projectiles avaient ricoché au plafond et qu’un fragment était venu se loger dans le pied de B______. A______ avait conduit son collègue aux HUG malgré son état d’ébriété et après avoir décliné la proposition de collègues de conduire. Il avait fait usage de la sirène et du gyrophare en franchissant la place F______ alors que la signalisation ne lui était pas favorable, forçant deux automobilistes à un freinage urgent. Il avait poursuivi sa route en faisant usage des feux bleus. Aux HUG, il avait fait montre d’énervement et d’impatience et avait traité le personnel infirmier sans élégance. De retour à VHP, il avait reconnu les faits et accepté l’éthylotest. À 03h06, il présentait un taux de 0.41 mg/l et à 03h11 de 0.45 mg/l. Il avait refusé tout autre test. Au Ministère public, il avait admis les faits mais persisté à refuser de se soumettre à des prélèvements capillaires, allant en vain jusqu’au Tribunal fédéral. B______ avait été légèrement blessé, sans autre conséquence en l’état que son indisponibilité durant quinze jours et quelques difficultés physiques durant quelques jours.

Il n’était pas nécessaire d’attendre l’issue de la procédure pénale et la demande de suspension de l’enquête formée par A______ devait être rejetée.

A______ avait agi sans raison, sinon son alcoolisation. Dans une usage inexplicable, inapproprié et totalement injustifiable, il avait eu recours à son arme de service dans les locaux de la police. Son comportement s’était gravement inscrit en violation flagrante de tous ses devoirs. Il avait contrevenu à la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05), au règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), au code de déontologie, aux ordres de service, notamment l’OS PRS 16.02, et à son serment. Il avait totalement manqué d’exemplarité, de dignité et de respect de la personne humaine, mettant gratuitement en danger l’intégrité physique de ses collègues. Aucune explication, aucune circonstance personnelle ou professionnelle ni même une consommation excessive d’alcool ne pouvaient justifier une telle attitude. A______ disait en être parfaitement conscient et le regretter, mais ses remords n’effaçaient rien ni n’atténuaient la gravité de la faute commise.

Les agissements décrits étaient clairs, établis par pièces, témoignages et analyses techniques, incontestables. Les manquements étaient graves, inexplicables et injustifiables. En avoir pris conscience et les regretter n’en atténuait pas l’intensité ni l’atteinte portée à l’image de la police. Qu’A______ apparaisse comme un fonctionnaire de police exempt de reproches au long de vingt ans de service, ayant œuvré efficacement dans des contextes policiers difficiles, apprécié de ses collègues et de sa hiérarchie, insufflant aux autres des énergies positives n’était pas constitutif d’éléments à prendre en compte pour l’établissement de la faute commise les 27 et 28 octobre 2022 mais relevait de l’appréciation de l’autorité disciplinaire.

l. Le 24 mars 2023, le département a informé A______ qu’après avoir pris connaissance du rapport d’enquête, il envisageait de prononcer sa révocation.

m. Le 9 mai 2023, A______ s’est opposé à sa révocation, qu’il jugeait disproportionnée, et a conclu à la réduction du traitement pour une période déterminée ainsi que la dégradation pour une période déterminée de un à trois ans. Il a proposé son intégration dans un service non armé pour une période à déterminer. Il était prêt à se soumettre à toutes conditions complémentaires que le département jugerait nécessaires. Dans la mesure où il n’avait pas encore été jugé pénalement, il demandait la suspension de l’enquête administrative.

Bien qu’il fût résistant au stress, son ancien chef de brigade à la Task Force Drogue avait relevé qu’il avait connu beaucoup de stress, notamment par ses activités dans la brigade d’observation où, avec un deux roues, il pratiquait la fonction la plus difficile. Il avait aussi connu une activité stressante à la brigade des stupéfiants, dans une période très compliquée. Le métier était difficile du fait du recours aux informateurs de tout genre, et plusieurs collaborateurs avaient fait l’objet de poursuites pénales. Il avait par ailleurs perdu un camarade d’école de police, avec lequel il avait formé un binôme et qui s’était suicidé.

Le port d’armes hors service avait été suggéré après les attentats de Paris. Il appartenait au DEFI depuis 15 ans et était habitué à porter une arme sur lui. À teneur de l’enquête administrative, bien qu’ivre, il avait su se contenir et n’avait fait apparaître aucun signe de son état d’ébriété en public. Sous cet aspect, son obligation d’exemplarité n’avait pas été bafouée.

Il consultait un psychiatre sur une base hebdomadaire depuis six mois pour comprendre son geste. D’après le psychiatre, il semblait que son acte irrationnel s’expliquait notamment par un épuisement professionnel combiné à une forte alcoolisation le jour des faits. Il avait beaucoup d’égards envers son collègue blessé et envers la police en général, et regrettait profondément le tort causé à la police.

Il s’était semble-t-il montré nerveux et insistant aux HUG. Il était très inquiet pour son collègue dans la mesure où aucun diagnostic n’était encore posé. L’arrivée de collègues aux urgences avait fait retomber quelque peu la tension découlant de cet enchaînement. Le 28 octobre 2022 marquait en outre le 20e anniversaire de la mort de son père, alors qu’il l’avait conduit en voiture aux urgences des HUG. Il avait demandé pardon aux HUG par un courrier du 1er février 2023, qu’il produisait.

Lorsqu’on lui avait demandé de procéder à une prise de sang, il avait réitéré son souhait d’être assisté d’un avocat avant de signer un quelconque document, raison pour laquelle la prise de sang avait été « administrativement refusée ». Ce n’était qu’après une longue insistance que l’avocat avait été appelé et était arrivé aux alentours de 07h30. La prise de sang était subsidiaire à la mesure de l’alcoolémie au moyen d’un éthylomètre, de sorte que c’était à bon droit qu’il ne s’était pas prêté à la prise de sang. L’analyse capillaire visait à révéler la consommation pendant la période précédant l’analyse. Il n’y avait aucun exemple en jurisprudence d’un prélèvement de cheveux destiné à vérifier de façon positive la consommation un jour donné. L’analyse capillaire n’était donc pas apte à produire les résultats escomptés et constituait une mesure exploratoire. Il contestait s’être dérobé intentionnellement à une analyse de sang ou capillaire.

Il avait d’excellents états de service, était toujours très motivé et ses supérieurs étaient prêts à le reprendre.

n. Par arrêté du 31 mai 2023, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d’État a révoqué A______ avec effet immédiat.

Il avait quitté son service en conservant son arme de service, alors qu’il avait ensuite consommé une douzaine de Spritz, ce qui était irresponsable, d’autant qu’il avait senti l’ivresse le gagner. Il avait tiré sept coups de feux en direction d’une poubelle dans les locaux de la brigade en présence de collègues. Un tel comportement était totalement injustifiable et parfaitement inexcusable. En particulier, ni l’alcool, ni un épuisement professionnel, pas plus que la perte brutale, en février 2018, de son collègue et ami ne pouvaient justifier un tel geste, étant précisé que d’autres policiers avaient principalement œuvré dans des services opérationnels et ne s’étaient jamais comportés de la sorte. En agissant ainsi, il avait très gravement violé ses devoirs de service.

Sa faute était extrêmement grave. En sa qualité de policier, qui plus est ayant suivi une formation spécifique liée à l’usage du pistolet GLOCK 43, il ne pouvait ignorer qu’il mettait ses collègues en grave danger en faisant usage de son arme dans un endroit clos et non sécurisé. En raison des risques notoires qu’il comportait, l’usage de l’arme n’était autorisé que comme ultima ratio, dans des circonstances spécifiques.

L’allégation selon laquelle A______ ne se serait pas rendu compte du danger qu’il faisait courir à ses collègues en raison de son alcoolisation n’était pas convaincante et ne changeait rien à sa faute. Il avait choisi de porter son arme alors qu’il savait qu’il consommerait de l’alcool.

Hors cadre professionnel et en état d’ébriété, il avait en outre conduit un véhicule de service et fait usage sans droit durant le trajet de la sirène et des feux bleus. Il s’était montré insistant et malpoli aux HUG, manquant ce faisant également à ses devoirs de service. Enfin, il s’était comporté de manière inadéquate en retardant les premières mesures de constatation de son incapacité puis en refusant de se soumettre à des examens de sang, d’urine et de cheveux. L’annonce des événements à sa hiérarchie n’avait pas été faite immédiatement.

Ses états de service étaient certes très bons, il avait parfaitement collaboré à l’enquête, reconnu les violations de ses devoirs de service et présenté à plusieurs reprises ses excuses à son employeur, en admettant notamment la dangerosité de son comportement et le tort causé à la police. Il avait également adressé une lettre d’excuses aux HUG.

Toutefois, l’extrême gravité des violations des devoirs de service commises par A______ ne permettaient plus à l’employeur d’envisager la poursuite des rapports de service. L’intérêt public commandait de ne pas devoir conserver au sein de la fonction publique des collaborateurs méprisant à tel point les règles auxquelles ils étaient soumis qu’ils s’accommodaient de mettre gravement en danger l’intégrité corporelle voire la vie de leurs collègues ou de tiers.

C. a. Par acte remis à la poste le 3 juillet 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation, au prononcé de sa réintégration et à ce qu’il soit ordonné au Conseil d’État de prononcer une sanction proportionnée.

Il n’avait consommé que cinq à six Spritz environ, et non une douzaine. Le Conseil d’État avait insuffisamment tenu compte de ses excellents états de service, du fait qu’il avait agi hors des heures de service et des mesures qu’il avait prises afin de limiter les conséquences de ses actes, présenter ses excuses aux personnes concernées et collaborer avec les autorités.

Il suivait une psychothérapie depuis novembre 2022.

Il produisait un rapport de son psychiatre, le docteur G______, du 23 juin 2023. Il en ressort qu’il avait été suivi une première fois entre novembre 2018 et mars 2020 puis dès novembre 2022 pour reprendre un suivi psychologique et un soutien dans un contexte de stress majeur faisant suite à sa suspension et aux procédures administrative et pénale en cours. Il avait déjà connu un état d’épuisement professionnel ou burn out avec une symptomatologie anxieuse et dépressive en 2018, en lien avec le stress professionnel, le suicide de son collègue et meilleur ami ainsi qu’une séparation douloureuse. Plusieurs mois avant la reprise de contact de novembre 2022, il présentait un état d’épuisement professionnel. C’était dans ce contexte de troubles psychologiques qu’il avait commis les actes qu’on lui reprochait. Lors des entretiens médicaux, il n’avait à aucun moment tenté de banaliser les faits, pour lesquels il se sentait encore très coupable. On pouvait observer chez lui un fort engagement et un très haut degré de loyauté, un rapport passionné à son travail, bien souvent au-delà de ses limites et au détriment de ses besoins et de sa santé. Il éprouvait un très fort sentiment d’appartenance à la police judiciaire, à la mesure de son engagement professionnel animé par des valeurs profondes de justice et de sécurité. Une révocation définitive prétériterait gravement son équilibre psychique. Il était capable de reconnaître ses torts et d’apprendre de ses erreurs. Il avait entrepris un travail psychothérapeutique afin de mieux considérer ses besoins et limites, et c’était dans cette optique qu’il avait demandé à être réintégré dans un service non opérationnel et sans arme, ayant à cœur de poursuivre son métier au sein de la police mais différemment.

En raison de son état d’épuisement professionnel, la décision du Conseil d’État était contraire au principe de proportionnalité.

Il produisait un article du syndicat de la police judiciaire du 20 juin 2019 traitant du suicide des policiers, lequel montrait que le tiers des suicides depuis les années 1950 s’était produit durant les sept dernières années. Le métier de policier était reconnu comme étant l’un des plus exposés au risque de suicide en raison de ses arythmies de travail, de la pression, des responsabilités, du danger, de la confrontation à la mort, à la détresse des uns et à la violence des autres ainsi qu’aux côtés sombres de nos sociétés. À cela s’ajoutaient des facteurs propres à la police genevoise : le manque de reconnaissance, la perte d’attractivité, l’académie inadaptée et lacunaire de Savatan, les procédures pénales et disciplinaires visant des femmes et des hommes qui ne cherchaient qu’à accomplir leur devoir et la surcharge de travail liée aux sous-effectifs chroniques largement dénoncés L’article citait le suicide de Julien, soit le binôme d’A______. Celui-ci avait reçu à la suite d’une intervention musclée un courrier du conseiller d’État ne laissant que peu de place à la présomption d’innocence, lui rappelant son serment et le code de déontologie et lui signifiant qu’il s’exposait à la révocation. Le lendemain, le jeune officier de police avait mis fin à ses jours.

Tous les efforts du recourant pour réparer ses erreurs et le repentir sincère qu’A______ avait manifesté au long de la procédure n’avaient aucune utilité aux yeux du Conseil d’État, qui soutenait que la confiance était rompue. Cette position était surprenante vu les décisions beaucoup plus clémentes prises par le Conseil d’État dans d’autres cas. Un policier condamné pour discrimination raciale pour avoir transféré des images à caractère antisémite avait finalement été réintégré, après qu’il se fût rendu au camp d’extermination H______ pour prendre la mesure de ses actes. Il ressortait de l’article du journal I______consacré à cette affaire que le conseiller d’État, le même qui avait décidé de le révoquer, avait déclaré qu’il avait voulu voir ce que le policier avait « dans les tripes ». Celui-ci souffrait du fait d’être suspendu. Pour lui, la police était toute sa vie. Lorsqu’une personne qui avait été condamnée montrait qu’elle avait pu, par une démarche sincère, prendre conscience de la gravité de son comportement, l’intérêt de la collectivité n’était pas de la stigmatiser ni de l’écarter mais de la mettre à contribution pour faire changer les choses. Or, lui-même souffrait aussi d’être suspendu. Pour lui aussi, la police était toute sa vie. Il avait pris conscience dès le départ de la gravité de son comportement et avait fait tout son possible pour en atténuer les conséquences. Il n’avait pas la possibilité de se racheter en faisant un voyage à H______, alors qu’on l’accusait d’un comportement bien moins infamant. La violation de l’égalité de traitement était patente.

Il ne pouvait être retenu à son encontre qu’il s’était soustrait à la prise de sang ou de l’échantillon capillaire. Il avait refusé la prise de sang dans l’attente de son avocat, ce qui était un motif valable. La question de la licéité du prélèvement capillaire exigé n’était pas tranchée. Il s’était cependant prêté à un examen capillaire le 13 janvier 2023, lequel avait donné un résultat négatif.

La sanction était disproportionnée. La sanction administrative visait à préserver le bon fonctionnement de la police et sa crédibilité devant la société. Si elle était apte, elle n’était pas nécessaire : une dégradation était apte et suffisait à sanctionner son comportement et réparer le dégât d’image sans priver la République d’un collaborateur expérimenté. La proportionnalité au sens étroit avait été violée. Les conséquences de ses actes étaient limitées : B______ n’avait souffert que de séquelles légères et passagères. La brigade des stupéfiants avait été troublée et dérangée par l’incident mais il n’était pas douteux qu’elle avait été en mesure dès le lendemain de continuer son travail normalement. La bonne marche de l’État n’avait donc pas été entravée par ses agissements. Les conséquences du trajet en voiture entre VHP et les HUG étaient nulles. Personne n’avait été blessé car il avait été en mesure de contrôler les effets de son alcoolémie. L’utilisation des gyrophares constituait un manquement purement formel dont les conséquences concrètes étaient également nulles. Son attitude aux HUG pouvait s’expliquer par le stress ressenti et le rapprochement avec la mort de son père. Son refus de se soumettre à certaines mesures d’enquête était potentiellement justifié et ne portait pas à conséquence, les faits ayant été admis et prouvés, et l’affaire pouvant être traitée de manière tout à fait effective par les autorités pénales. En résumé, les conséquences de son comportement n’avaient pas été graves et pouvaient être synthétisées par l’expression « plus de peur que de mal ». Même la peur était restée de basse intensité, aucun de ses collègues n’ayant affirmé devant le Ministère public s’être senti à aucun moment en danger.

Sa faute n’était pas extrêmement grave, comme le prétendait le Conseil d’État. Les exemples de faute grave venant à l’esprit étaient la corruption, la trahison de secrets, la violence policière ou tous les comportements infamants. Or le reproche qui lui était fait était d’avoir trop bu et dérapé en état d’ivresse. Les faits avaient eu lieu hors service, ce qui était forcément moins grave qu’une faute commise durant le service. La faute commise dans le cadre du transport de son collègue aux HUG était contrebalancée par son intention honorable de lui porter secours. Enfin, il s’était emporté aux HUG sous l’effet du stress, ses refus de se soumettre à des prélèvements étaient probablement justifiés et ne pouvaient être pris en compte avant droit connu au pénal.

Sa faute était d’autant moins grave qu’il se trouvait dans un état d’épuisement professionnel proche du burn out. Cet état d’épuisement, personnel mais aussi systémique de la police, plaidait également en faveur de la disproportion de la décision litigieuse. Si les policiers se trouvaient dans un état de détresse aussi prononcé, cela était dû, à tout le moins en partie, à une gestion lacunaire de la hiérarchie. Son état d’épuisement accumulé au fil des heures de travail avait fini par ressurgir en-dehors des heures de service. Il était contradictoire de la part du Conseil d’État, qui savait que la hiérarchie poussait à bout les fonctionnaires de police, de s’étonner des dérapages qui finissaient par survenir, de sanctionner ceux-ci de manière intransigeante. Il était certes fautif, mais sa faute était partagée avec sa hiérarchie dans son ensemble.

Ses qualités et ses compétences faisaient de lui un élément précieux. Or, il était dans l’intérêt réel de l’État d’avoir les meilleurs éléments à sa disposition. En le révoquant, il perdait un collaborateur bien intégré auprès des informateurs, en l’absence duquel ces derniers se montreraient plus réticents à collaborer avec la police. L’intérêt bien compris de la police et de la société en général serait lésé par son renvoi.

Il en allait de même pour ce qui était de la respectabilité de la police. Sa révocation renvoyait auprès du citoyen l’image d’un État intolérant, prêt à oublier vingt ans de bons et loyaux services et à licencier un inspecteur expérimenté en raison d’un unique dérapage durant une longue carrière. Les lecteurs des journaux ignoraient qu’il s’agissait d’un accident et non d’un tir direct et volontaire. Ils ignoraient tout ce qu’il avait apporté à la société durant ses années de service et le dévouement dont il avait fait preuve envers la République. Sachant que l’erreur est humaine, ils seraient en mesure de comprendre qu’un dérapage était possible. Informés qu’une sanction adéquate avait été prise, ils se réjouiraient que le canton n’ait pas été privé d’un élément compétent et que des mesures opportunes aient été prises. En prenant du recul, l’affirmation selon laquelle sa révocation serait propre à garantir à l’extérieur la respectabilité de la police devait être nuancée. Celle-ci pourrait même être contraire au but visé.

Enfin, le Conseil d’État n’avait pas suffisamment pris en compte sa vocation, sa motivation, son dévouement et ses succès. Sa participation au DEFI et aux tâches d’agent infiltré n’était pas à la portée de tous les agents de police. Elle réclamait un degré élevé de compétence, une volonté et un investissement hors du commun.

L’intérêt que l’État retirait de sa révocation, si tant est qu’il existait réellement, ne faisait pas le poids face à l’atteinte qu’il subissait. Le critère de la proportionnalité au sens strict n’était pas rempli.

b. Le 4 septembre 2023, le Conseil d’État a conclu au rejet du recours.

Les fautes commises par le recourant étaient extrêmement graves. Tel était le cas de l’usage de l’arme à feu dans les locaux professionnels, de la conduite hors cadre professionnel du véhicule de service en faisant usage des avertisseurs et après avoir consommé cinq à six Spritz. Le fait que les violations avaient été commises hors service n’enlevait rien à leur gravité, les policiers étant tenus de se comporter de manière irréprochable dans leur cadre privé également. Le fait de consommer des boissons alcoolisées dans un établissement public en portant son arme de service constituait également une violation des devoirs de service. Le refus de se soumettre aux prélèvements nécessaires à la constatation de son état violait les devoirs d’exemplarité et d’intégrité attendus en tout temps des policiers. Le refus n’avait pas été sans conséquence puisqu’il avait empêché de déterminer le taux d’alcoolémie au moment des faits ou d’écarter une éventuelle consommation de stupéfiants. Le recourant avait avisé sa hiérarchie à 00h51 alors que les coups de feu avaient été tirés vers 22h37, et c’était en raison du temps écoulé qu’une prise de sang avait été ordonnée, à laquelle le recourant s’était opposé, contraignant le Ministère public à ordonner une analyse capillaire. Le recourant avait alors tout entrepris pour retarder celle-ci, allant jusqu’à saisir le Tribunal fédéral. Or, vu la longueur des cheveux du recourant, les analyses ne pouvaient déterminer la consommation de substances au-delà de quatre semaines, ce que celui-ci savait sans doute au vu de sa fonction et de son affectation à la brigade des stupéfiants.

Le recourant connaissait mieux que quiconque les risques liés à l’usage de son arme dans des locaux non sécurisés et en présence de tiers, indépendamment de ce que les conditions strictes à son utilisation n’étaient évidemment pas réalisées. Pour les mêmes raisons, il avait parfaitement conscience du risque que comportait une conduite en urgence en l’absence des conditions strictes l’autorisant. L’argument selon lequel le recourant n’avait pas envisagé une seconde mettre ses collègues en danger n’était pas sérieux.

Le fait que le recourant avait fait usage de son arme sous l’emprise de l’alcool ne permettait pas d’atténuer sa faute. Il avait sciemment conservé son arme de service alors qu’il avait prévu de se rendre dans un établissement public en vue de consommer des boissons alcoolisées, ce qui constituait un comportement fautif en soi.

Les conséquences des actes du recourant étaient très sérieuses. Il avait blessé son collègue B______, qui avait dû subir une intervention chirurgicale et avait été en incapacité totale de travail durant un mois. Les locaux et le mobilier de la police avaient été endommagés et la brigade avait été provisoirement bouclée pour permettre les actes d’enquête. C’était par un heureux hasard que les conséquences n’avaient pas été tragiques. Le recourant ne s’était pas moins accommodé de mettre en danger la vie de ses collègues.

Les agissements avaient jeté le discrédit sur l’ensemble de la police et avaient porté préjudice à l’État, même au-delà des frontières.

Les excellents antécédents du recourant avaient été pris en compte et mentionnés dans la décision litigieuse. La violation des devoirs de service était toutefois si grave qu’elle ne permettait pas d’envisager une sanction disciplinaire moins lourde.

Le médecin du recourant avait été consulté après les faits. Il n’avait pu retenir un burn out préexistant que sur la base des affirmations de son patient. Le recourant avait lui-même admis devant le Ministère public le 12 mai 2023 qu’il n’avait vu aucun signe avant-coureur d’un épuisement professionnel avant la soirée du 28 octobre 2022. Même s’il avait souffert d’un burn out avant les faits, une telle affection ne permettait ni de justifier ni d’atténuer la faute de manière à envisager une sanction autre que la révocation. Les allégations du recourant selon lesquelles sa hiérarchie poussait les collaborateurs à bout et que le Conseil d’État en était conscient étaient aussi choquantes qu’infondées. Le recourant n’était de loin pas le seul à avoir toujours été très impliqué dans son travail et aucun de ses collègues ne s’était comporté comme lui.

La sanction était apte à atteindre son but, soit d’éviter à l’État de prendre le risque de confier à nouveau au recourant une arme ou une voiture de service. L’intérêt public de l’État à ne pas conserver des collaborateurs ayant de manière gravement fautive porté atteinte à l’intégrité corporelle de collègues et mis leur vie et celle des administrés en danger, était clairement prépondérant sur l’intérêt privé du recourant à pouvoir exercer sa profession. La dégradation proposée par le recourant comme sanction alternative n’était pas envisageable en raison de la gravité de sa faute. Elle aurait en outre pour conséquence qu’il conserverait son statut de policier et son arme de service. Il n’était pas possible de l’affecter à un service non opérationnel car il devait en tout temps pouvoir être réquisitionné pour des missions opérationnelles.

La situation du recourant n’était pas comparable à celle du policier condamné pour discrimination raciale.

c. Le 16 octobre 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions.

L’affirmation selon laquelle il ne pourrait être affecté à un service sans arme n’était pas corroborée par la réalité. À la suite d’un accident, il arrivait qu’un policier soit placé dans un service administratif pour une durée à l’essai, après quoi le médecin conseil décidait s’il pouvait être réintégré dans un service avec arme.

d. Le 21 novembre 2023, le juge délégué a entendu les parties.

da. Le recourant a exposé qu’il cherchait activement un emploi depuis six mois. Il avait fait plus de 200 postulations, sans succès. Les prestations de l’assurance‑chômage suisse lui avaient été refusées parce qu’il habitait en France. Il n’avait pas fait de démarches en France. Sa mère et sa compagne l’aidaient.

Au plan psychologique, sa situation était difficile. Il avait accompli un long chemin avec son psychiatre. Durant les 20 dernières années, il avait vécu « à 200 à l’heure ». Il avait travaillé « au front » dans les services opérationnels. Il avait passé des sélections très dures. Il avait travaillé « à fond » jusqu’à la faute commise l’année précédente. C’était comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton « pause » et avait allumé la lumière. Il était appelé à revenir la nuit, le week-end et même les vacances scolaires. Avec le recul, il pensait que son investissement n’était pas normal. Sa manière de s’investir n’était pas viable sur le long terme. Il avait « la tête dans le guidon » et avait mis sa vie privée entre parenthèses. Ses deux filles et sa compagne lui avaient dit que « c’était de la folie comme [il] vivai[t] » et qu’il ne s’en rendait pas compte. Elles lui avaient rappelé qu’il répondait à des informateurs à 03h00 du matin. Sa vie, c’était la police, faire toujours plus d’affaires, des affaires toujours plus grosses. Il avait travaillé sans recul, sans lever le pied. Il avait négligé ses filles et sa compagne. Il s’était négligé lui-même et avait négligé sa santé. Son seul regret était de ne pas s’être rendu compte plus tôt de cet épuisement professionnel avant, que ne se produisent les événements qui lui étaient reprochés.

Il allait mieux psychologiquement. Toutes ces choses qu’il avait apprises lui serviraient certainement, quelle que soit l’issue de la procédure.

La faute lui revenait. Il lui appartenait de se rendre compte plus tôt de son engagement excessif et des dangers que cela comportait. Il avait pu dire dans son recours qu’il regrettait que sa hiérarchie ne l’ait pas arrêté à temps, mais avec le travail accompli sur lui-même, il assumait pleinement qu’il aurait dû être plus clairvoyant et savoir se limiter.

L’instruction de la procédure pénale était toujours en cours.

Il avait un collègue qui avait subi un accident vasculaire cérébral, qui avait bien récupéré mais ne pouvait toujours pas utiliser son arme correctement avec son bras droit, et qui avait été affecté au centre d’opérations et de planification, soit un service purement administratif. Il avait gardé son statut de policier, moyennant qu’il apprenne dans l’année à tirer du bras gauche, faute de quoi il le perdrait.

db. L’intimé a contesté que le recourant puisse bénéficier d’un reclassement ne nécessitant pas le port d’une arme. Le statut de policier n’était pas retiré dans un tel cas. Un policier ne pouvait travailler, même à temps partiel, sans être capable d’utiliser son arme. Une affectation temporaire sans nécessité d’utiliser une arme pouvait théoriquement être envisagée. Tout était possible, mais en matière de retour au travail seulement, pour lequel le département faisait beaucoup. Lorsqu’un policier perdait son statut en raison d’une inaptitude à utiliser son arme, il devait y avoir une disposition permettant de le reclasser exceptionnellement, par exemple lorsqu’il avait été blessé en service. Dans les autres cas d’inaptitude, il serait probablement procédé à une résiliation ordinaire pour inaptitude, avec procédure de reclassement.

e. Le 9 janvier 2024, la chambre de céans a entendu les plaidoiries des parties.

f. Le recourant a persisté dans ses conclusions et développé son argumentation.

Après 20 ans, la police était sa vie. Les coups de feu avaient été rapides, en tir groupé, contre la poubelle. Il n’y avait pas eu de séquelles pour son collègue, qu’il avait souhaité amener aux HUG avant de se dénoncer. Il avait toujours fait face. Il avait essayé de s’expliquer mais s’était heurté à une fin de non-recevoir. Il avait suivi un long traitement. L’accident était dû à un épuisement professionnel proche du burn out. Il admettait aujourd’hui avoir mis en danger la vie d’autrui. Selon sa dernière évaluation périodique, il avait un « cœur gros comme ça », une relation passionnelle et fusionnelle avec son métier. Il était galvanisé, et tenait sans prendre conscience de son épuisement. Puis il y avait eu ce débordement inattendu, ce déversement de trop-plein, étonnant pour lui comme pour les autres. Mais il avait pris en charge jusqu’au bout.

La révocation n’était pas une sanction juste. Elle devait viser l’amendement. Il avait été immédiatement très affecté et s’en voulait beaucoup. Il n’avait pas cherché à minimiser. Il était conscient de mériter une sanction. Il y avait cependant de la marge. Malgré la gravité de sa faute, on pouvait lui faire confiance. Il avait consulté un psychiatre. Il était parvenu à comprendre pourquoi il avait commis une telle faute. Il était auparavant extraverti et était désormais introverti, et n’essayait pas d’apitoyer. Il n’était pas malhonnête, il n’avait ni volé, ni menti, ni abusé de son autorité. Il s’agissait d’un acte isolé à mettre en regard d’une carrière de 20 ans exempte de reproches. Une sanction exemplaire pourrait consister en une dégradation de longue durée et à ce qu’il soit privé de son arme pour un temps ou pour toujours pour inaptitude au service. Il demandait qu’on lui donne une deuxième chance, de pouvoir prouver à son employeur qu’il pouvait encore lui faire confiance.

g. L’intimé a persisté dans ses conclusions et son argumentation.

La hiérarchie n’avait jamais constaté d’épuisement professionnel et le recourant ne s’en était jamais plaint. Personne dans sa brigade n’avait jamais observé le moindre signe de burn out. Le recourant n’était pas le seul à travailler dans un service opérationnel. Il avait déclaré au Ministère public avoir agi sous l’effet de l’alcoolisation. L’intimé produisait ses plannings annuels 2021 et 2022, qui apparaissaient ordinaires sous l’angle des vacances et des absences et présentaient des heures supplémentaires dans la norme, soit 45.74 h en 2021 et 35.34 h en 2022. Le burn out lui paraissait un argument inventé après les faits. Quoi qu’il en soit, la violation des devoirs était si grave qu’elle ne permettait pas de continuer la relation de service. Il entrait dans sa responsabilité d’État employeur de ne plus jamais confier d’arme ou de véhicule de service au recourant, qui ne pouvait donc plus œuvrer comme policier.

h. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

i. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les allégués, les arguments et les pièces produits par les parties.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de l’arrêté du Conseil d’État du 31 mai 2023 prononçant la révocation du recourant.

2.1 Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus de pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Le pouvoir d’examen de la chambre de céans se limite à l’excès ou à l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/434/2021 du 20 avril 2021 consid. 2f et les références citées).

2.2 Fonctionnaire de police, le recourant est soumis à la LPol, au règlement sur l'organisation de la police du 16 mars 2016 (ROPol - F 1 05.01) ainsi qu'au règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 (RGPPol – F 1 05.07).

La loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) est également applicable, sous réserve des dispositions particulières de la LPol (art. 18 al. 1 LPol ; art. 1 al. 1 let. b LPAC).

2.3 Les membres du personnel de l’État sont tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 RPAC). Ils se doivent, par leur attitude, notamment d’établir des contacts empreints de compréhension et de tact avec le public (art. 21 let. b RPAC), ainsi que de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l’objet (art. 21 let. c RPAC). Ils se doivent également de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 RPAC).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un fonctionnaire, pendant et hors de son travail, a l’obligation d’adopter un comportement qui inspire le respect et qui est digne de confiance, et sa position exige qu’il s’abstienne de tout ce qui peut porter atteinte aux intérêts de l’État. Il doit en particulier s’abstenir de tout ce qui peut porter atteinte à la confiance du public dans l’intégrité de l’administration et de ses employés et qui pourrait provoquer une baisse de confiance envers l’employeur. Il est sans importance que le comportement répréhensible ait été connu ou non du public et ait attiré l’attention (arrêt du Tribunal fédéral 8C_336/2019 du 9 juillet 2020 consid. 3.2.2 et les références citées).

En tout temps, le personnel de la police donne l’exemple de l’honneur, de l’impartialité, de la dignité et du respect des personnes et des biens (art. 1 al. 2
1ère phrase LPol).

Selon le code de déontologie de la police genevoise (OS DERS I 1.01), qui vise à arrêter les principes généraux dans lesquels s'inscrit l'action de la police et fixe le contexte éthique de l'activité de la police, en sa qualité de serviteur des lois et de l'État, le policier se doit d'avoir en tout temps et en tout lieu un comportement exemplaire, impartial et digne, respectueux de la personne humaine et des biens.

Les exigences quant au comportement d’un policier excèdent celles imposées aux autres fonctionnaires. Sous peine de mettre en péril l’autorité de l’État, les fonctionnaires de police, qui sont chargés d’assurer le maintien de la sécurité et de l’ordre publics et exercent à ce titre une part importante de la puissance publique, doivent être eux-mêmes irréprochables (arrêts du Tribunal fédéral 8C_336/2019 précité ; 8C_252/2018 du 29 janvier 2019 consid. 5.2 ; 8C_146/2014 du 26 juin 2014 consid. 5.5 ; 2P.273/2000 du 11 avril 2001 consid. 3b/bb).

2.4 En vertu de l’art. 16 al. 1 LPAC, les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l’objet, selon la gravité de la violation, des sanctions disciplinaires énumérées dans ledit alinéa.

Aux termes de l’art. 36 al. 1 LPol, selon la gravité de la faute, les sanctions disciplinaires suivantes peuvent être infligées au personnel de la police : le blâme (let. a), les services hors tour (let. b), la réduction de traitement pour une durée déterminée (let. c), la dégradation pour une durée déterminée (let. d), et la révocation (let. e). La révocation est prononcée par le Conseil d’État (art. 37
al. 2 LPol in fine).

L’art. 38 LPol prévoit que le chef du département et le commandant peuvent en tout temps ordonner l’ouverture d’une enquête administrative. La personne intéressée en est immédiatement informée (al. 1). Lors de l’enquête, la personne concernée doit être entendue par le commandant ou par un chef de service, au sens de l’art. 6 LPol, désigné par lui. Elle est invitée à se déterminer sur les faits qui lui sont reprochés et peut se faire assister d’une personne de son choix (al. 2). À la fin de l’enquête, les résultats de celle-ci et la sanction envisagée sont communiqués à l’intéressé afin qu’il puisse faire valoir ses observations éventuelles (al. 3). Dans l’attente d’une enquête administrative ou pour répondre aux besoins du service, la personne mise en cause peut immédiatement être libérée de son obligation de travailler (al. 4).

2.5 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence de faute du fonctionnaire (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2249). La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/137/2020 du 11 février 2020 ; ATA/808/2015 du 11 août 2015). La faute disciplinaire peut même être commise par méconnaissance d'une règle. Cette méconnaissance doit cependant être fautive (Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande, RJJ 1998 1-125, n. 55).

Tout agissement, manquement ou omission, dès lors qu'il est incompatible avec le comportement que l'on est en droit d'attendre de celui qui occupe une fonction ou qui exerce une activité soumise au droit disciplinaire peut engendrer une sanction. La loi ne peut pas mentionner toutes les violations possibles des devoirs professionnels ou de fonction. Le législateur est contraint de recourir à des clauses générales susceptibles de saisir tous les agissements et les attitudes qui peuvent constituer des violations de ces devoirs (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 50). Dans la fonction publique, ces normes de comportement sont contenues non seulement dans les lois, mais encore dans les cahiers des charges, les règlements et circulaires internes, les ordres de service ou même les directives verbales. Bien que nécessairement imprécises, les prescriptions disciplinaires déterminantes doivent être suffisamment claires pour que chacun puisse régler sa conduite sur elles, et puisse être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à résulter d'un acte déterminé (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 51).

2.6 L'autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_292/2011 du 9 décembre 2011 consid. 6.2). La nature et la quotité de la sanction doivent être appropriées au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés. À cet égard, l'autorité doit tenir compte en premier lieu d'éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l'intéressé (ATA/998/2019 du 11 juin 2019 consid. 6b ; ATA/118/2016 du 9 février 2016 consid. 3a ; ATA/94/2013 du 19 février 2013 consid. 15 et la jurisprudence citée).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c).

2.7 La chambre de céans a notamment confirmé la révocation : d’une fonctionnaire du service immobilier des HUG responsable de l’achat de prestations qui avait notamment accepté qu’un prestataire de son employeur effectue des travaux privés à son domicile et confie des travaux sur ses véhicules à son compagnon (ATA/1251/2023 du 21 novembre 2023) ; d’une enseignante qui avait tenu de façon répétée des propos inacceptables en public et devant ses élèves (ATA/177/2023 du 28 février 2023) ; d’un agent de sécurité publique qui enregistrait des vidéos pendant des interventions sans l’accord de personnes filmées (ATA/860/2020 du 8 septembre 2020, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_644/2020 du 4 mars 2021) ; d’un fonctionnaire ayant pénétré dans les bureaux des ressources humaines dont l’accès était restreint aux seules personnes autorisées moyennant un badge (révocation avec effet immédiat : ATA/698/2020 du 4 août 2020, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_530/2020 du 1er juin 2021) ; d'un huissier-chef ayant transmis des documents à des tiers non autorisés, omis de cadrer une subordonnée et adopté d'autres comportements problématiques (ATA/1287/2019 précité) ; d'un intervenant en protection de l'enfant ayant entretenu une relation intime avec la mère des enfants dont il était resté en charge (ATA/913/2019 du 21 mai 2019, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_448/2019 du 20 novembre 2019) ; d'un employé administratif au sein de la police ayant fait usage des outils informatiques mis à sa disposition par son employeur pour satisfaire sa curiosité personnelle et transmettre des données confidentielles à des tiers (ATA/56/2019 du 22 janvier 2019, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_161/2019 du 26 juin 2020) ; d'un fonctionnaire ayant dérobé de la nourriture dans les cuisines d'un établissement hospitalier (ATA/118/2016 précité) ; d'un policier ayant frappé un citoyen lors de son audition, alors que ce dernier était menotté et maîtrisé (ATA/446/2013 du 30 juillet 2013, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_679/2013 du 7 juillet 2014) ; d'un fonctionnaire ayant insulté, menacé et empoigné un collègue dans un cadre professionnel (ATA/531/2011 du 30 août 2011) ; d'un fonctionnaire ayant notamment entretenu des relations intimes avec des fonctionnaires du service (ATA/39/2010 du 26 janvier 2010, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2010 du 9 mai 2011) ; d'un fonctionnaire ayant fréquemment et régulièrement consulté des sites érotiques et pornographiques depuis son poste de travail, malgré une mise en garde préalable et nonobstant la qualité du travail accompli (ATA/618/2010 du 7 septembre 2010) ; d'un enseignant qui avait ramené une prostituée à l'hôtel où logeaient ses élèves, lors d'un voyage de classe, organisé sur son lieu de travail et pendant ses heures de service une rencontre à caractère sexuel avec un jeune homme dont il n'avait pas vérifié l'âge réel et dont il ignorait l'activité, puis menacé ce dernier (ATA/605/2011 du 27 septembre 2011).

La chambre de céans a en revanche annulé la révocation et ordonné la réintégration d’un fonctionnaire, l’autorité intimée ayant mal établi les faits et abusé de son pouvoir d’appréciation en retenant que son comportement constituait du harcèlement sexuel à l’égard d’une collègue (ATA/137/2020 du 11 février 2020) ; en l'absence de violation des devoirs de service d'un fonctionnaire, pour lequel l'autorité d'engagement n'avait pas pu établir qu'il s'était rendu coupable de faux, seul fait à la base de la décision (ATA/911/2015 du 8 septembre 2015), ou au motif que l'autorité avait renoncé à statuer sur le plan disciplinaire pendant plus d'une année, laissant la fonctionnaire concernée dans l'incertitude sur sa situation, ce qui allait à l'encontre des principes du droit disciplinaire (ATA/1235/2018 du 20 novembre 2018).

3.             Dans un premier grief, le recourant se plaint – sous l’angle de l’établissement des faits selon lui, en réalité de leur appréciation – qu’on lui reproche de s’être soustrait aux prélèvements alors que la procédure pénale portant entre autres sur ce grief n’est pas achevée, et qu’il n’a pas, ou pas suffisamment, été tenu compte de ses états de service.

Le recourant observe avec raison que les prélèvements ont été ordonnés dans la procédure pénale sur la base du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) et non par l’employeur. Il rappelle également, à juste titre, qu’un éventuel verdict de culpabilité et une peine seront cas échéant prononcés dans la procédure pénale, et non dans la procédure administrative.

Cependant, l’intimé ne lui reproche pas la commission d’une infraction pénale mais d’avoir avisé tardivement sa hiérarchie, d’avoir tardé à accepter de se soumettre à l’éthylomètre, d’avoir refusé le prélèvement capillaire en recourant jusqu’au Tribunal fédéral et de n’avoir finalement accepté de s’y soumettre qu’à une date et à des conditions rendant illusoire la collecte d’éléments pertinents – et d’avoir par tous ces agissements empêché que soient éclaircis des éléments contextuels pertinents non seulement pour établir son état au moment des faits mais aussi une éventuelle relation problématique avec des substances dans la période ayant précédé ceux-ci, alors même qu’il revendique avoir coopéré et reconnu ses fautes.

Cette attitude du recourant par rapport à une composante essentielle de ses agissements, soit son éventuelle sujétion à des substances, pouvait être prise en compte par l’intimé dans l’appréciation de sa conduite, sans qu’il soit nécessaire de connaître son éventuelle qualification pénale.

Cela étant, il sera vu plus loin que le reproche d’avoir vidé son chargeur dans les locaux de la brigade suffit à fonder la révocation du recourant, de sorte que la question de la prise en compte et la pondération de son attitude face aux prélèvements, et notamment la question de savoir si celle-ci devait être appréciée au regard de ses devoirs de service, pourra demeurer ouverte.

Les états de service du recourant ont quant à eux été exhaustivement décrits dans la décision attaquée. Ils ont par ailleurs été pris en compte. Leur pondération sera examinée plus loin sous l’angle de la proportionnalité.

Le grief sera écarté.

4.             Dans un second grief, le recourant reproche à la décision de violer le principe de la proportionnalité.

L’intimé invoque l’extrême gravité des violations des devoirs de service ne permettant plus de poursuivre les rapports de service. Cette appréciation doit être partagée.

Les agissements du recourant sont objectivement très graves. En faisant feu à sept reprises dans les locaux de sa brigade, il a pris le risque de blesser ou de tuer ses collègues. Il fait valoir qu’il n’a visé qu’une poubelle au sol. Les relevés balistiques montrent toutefois que des éclats ont rebondi dans plusieurs directions et jusqu’au plafond. Son collègue B______ a dans les faits été blessé par ricochet. Le recourant fait valoir que les blessures subies n’ont pas eu de séquelles graves, ce qui est exact, mais l’intimé fait observer à bon droit que c’est le fait du hasard et que les blessures auraient tout aussi bien pu être plus graves, voire fatales. Il y a également lieu de prendre en compte les dommages matériels causés dans les locaux de la brigade. Le recourant soutient que l’activité a pu reprendre sans attendre. Ce faisant, il perd de vue que la collecte des preuves a nécessité le bouclement des bureaux concernés pendant un certain temps. Il est par ailleurs permis de douter que les activités de la brigade ont pu reprendre sans autre après un événement d’une telle gravité. L’usage du véhicule de service en état d’ébriété et la mise en danger de la sécurité par le passage d’un carrefour sans respecter la signalisation lumineuse et en utilisant abusivement les avertisseurs accentuent la gravité du comportement du recourant.

Le recourant prétend que la bonne marche de l’État n’aurait pas été entravée par ses agissements. Il ne tient pas compte ce faisant du retentissement considérable – en termes de sentiment de sécurité, de fiabilité, de respectabilité du corps de police, et partant en termes d’image et de légitimité de l’État – qu’a pu avoir sur les administrés, les justiciables, les citoyens et l’opinion publique le fait qu’un inspecteur de police judiciaire, après s’être enivré tout en conservant sur lui son arme de service, a pu la décharger dans ses locaux professionnels sans raison apparente. Le recourant semble méconnaître la crainte qu’ont pu inspirer ces agissements, non seulement à l’égard de l’auteur des tirs, mais également à l’endroit de sa fonction, de l’institution qu’il représente et plus généralement de l’État, détenteur du monopole de la violence légitime et à ce titre justement surveillé et jugé par la société civile. Le même raisonnement s’applique à l’usage du véhicule de service : les citoyens sont quotidiennement témoins de l’usage des véhicules de police dans des situations d’urgence et doivent être maintenus dans la conviction que celui-ci obéit à des exigences particulièrement strictes ne souffrant pas d’exceptions vu l’accroissement du risque pour la sécurité du trafic. L’usage prioritaire du domaine public pour les interventions d’urgence constitue une partie particulièrement visible et sensible de l’action de l’État et de l’exercice du pouvoir, de sorte que tout abus est susceptible de causer un tort considérable à sa réputation et à la légitimité dont il doit jouir auprès des citoyens.

Le recourant met en avant son appartenance au groupe DEFI ainsi que son expertise et ses qualités de tireur. La circonstance de la maîtrise avancée du tir et des conditions dans lesquelles celui-ci est permis n’est pas de nature à atténuer la gravité objective du comportement. Elle pourrait au contraire accentuer encore la préoccupation publique dès lors que c’est un membre d’une troupe de tir d’élite supposé maîtriser mieux que quiconque l’engagement et l’usage de l’arme qui a fait feu, blessé un collègue et mis en danger les autres.

Le recourant compare ses agissements à la corruption, la violation du secret de fonction ou encore l’abus d’autorité. Ces comportements, pour graves qu’ils puissent être, ne sauraient minimiser ou mitiger la gravité de ceux qui sont reprochés au recourant. En témoigne entre autres la valeur élevée que le code pénal attribue à la vie et à l’intégrité corporelle.

La gravité subjective, ou la faute, du recourant est également particulièrement lourde. C’est en vain que le recourant évoque un dérapage survenu en état d’ébriété. Il lui est reproché d’avoir mis en danger la vie et l’intégrité corporelle de ses collègues, et d’en avoir blessé un. Le recourant ne soutient pas qu’il n’aurait pas disposé de son discernement, ni qu’il aurait agi par négligence. Il ressort de la procédure, et il n’est pas contesté, qu’il a intentionnellement vidé le chargeur de son arme de service dans les locaux de sa brigade.

Il ne peut invoquer un enchaînement de circonstances malheureuses mais doit se laisser reprocher d’avoir conservé son arme de service alors qu’il savait qu’il allait consommer de l’alcool, puis de s’être enivré alors qu’il était porteur de son arme. En d’autres termes, l’alcoolisation est dans ces circonstances en soi constitutive d’une faute et ne saurait en aucun cas être invoquée pour atténuer les fautes qu’elle aurait à son tour entraîné ou permis.

Le recourant invoque son épuisement professionnel. Il ne conteste pas ne l’avoir jamais évoqué devant ses collègues ou sa hiérarchie avant les faits, ni même devant l’IGS et le Ministère public après les faits. L’intimé affirme sans être contredit que personne dans son entourage professionnel n’avait observé de signes d’un tel épuisement. Le recourant a rétracté en fin de procédure les reproches qu’il avait adressé à sa hiérarchie de l’avoir épuisé et poussé au pire.

Cela étant, si un épuisement professionnel devait être avéré, il ne serait pas apte à justifier ni même atténuer la succession de fautes ayant conduit aux tirs. Le fait d’être victime d’un épuisement professionnel et de se trouver en état d’ébriété avec son arme de service ne peut justifier que l’on tire dans les locaux professionnels et mette en danger des collègues. Ainsi que l’a relevé l’intimé, le recourant n’était pas seul à subir des pressions professionnelles intenses, et aucun de ses collègues dans la même situation n’a adopté son comportement.

Le recourant a évoqué devant l’IGS puis le Ministère public son alcoolisation pour expliquer son geste. Il a qualifié son comportement de stupide et de dangereux. À un collègue, il a dit qu’il avait été « con ». Il a par la suite fait état d’un épuisement professionnel progressif. Il n’a toutefois jamais exposé jusqu’à ce jour le mobile ou le motif pour lequel il avait agi, ce qui peut paraître surprenant dès lors qu’il insiste par ailleurs sur le travail d’introspection qu’il a accompli avec l’aide de son psychiatre. Son geste demeure ainsi inexpliqué à ce jour, quoi qu’il en dise, ce qui constituerait en soi un motif sérieux de préoccupation si l’intimé devait considérer de le garder à son service.

Le recourant fait valoir ses états de service, dont il faut dire qu’ils sont particulièrement dignes d’éloge. Ceux-ci ont été pleinement reconnus et salués en leur temps par l’intimé. Ils ont été pris en compte dans la présente procédure pour la pesée entre l’intérêt privé du recourant à la conservation de sa fonction et celui de l’État à ne pas le garder à son service.

Le recourant critique cette pesée des intérêts. Il ne peut être suivi. Il ne peut être attendu de l’État qu’il garde à son service un fonctionnaire de police qui a si gravement failli à ses devoirs dans un domaine aussi emblématique que l’usage de son arme de service. Aucune autre sanction moins sévère que la révocation ne saurait être envisagée, au double motif que la gravité de la faute appelle la sanction la plus sévère en l’espèce, et que l’intérêt de l’État à ne pas conserver dans les fonctions de policier une personne ayant si sérieusement violé ses obligations de service prévaut sans aucun doute possible sur l’intérêt du recourant à conserver son emploi, toute autre sanction étant inapte à atteindre ce but.

Les considérations sur l’intérêt de l’État à conserver un aussi bon élément que le recourant ne sont d’aucun secours à ce dernier. Tout fonctionnaire, si brillant soit‑il, est remplaçable et rien ne permet d’exclure que d’autres collègues présenteront les mêmes qualités que le recourant. Surtout, après les événements qui lui valent la présente procédure, le recourant ne saurait sans autre se qualifier d’excellent élément, à peine de donner l’impression qu’il minimise voire méconnaît la gravité de ses agissements.

L’intimé peut ainsi être suivi lorsqu’il expose que les excellents états de service passés du recourant ne contrebalancent pas la gravité de sa faute et la nécessité de l’écarter de la police. Il ne peut être imposé à l’État d’engager sa responsabilité et son image en gardant à son service un fonctionnaire qui a si gravement menacé des valeurs comme la vie et l’intégrité corporelle de ses collègues. À eux seuls, les tirs commis par le recourant dans les locaux de la brigade suffisent pour fonder la révocation.

La révocation apparaît ainsi en tous points justifiée.

Il n’est dès lors pas nécessaire d’examiner les conclusions en dégradation et en réintégration. Cette dernière ne doit être prononcée qu’en cas d’annulation de la révocation, étant observé que la rupture définitive du lien de confiance causée par les agissements du recourant ne permettrait pas, en toute hypothèse, d’imposer sa réintégration à l’intimé, même à un autre poste ne nécessitant pas le port d’armes – sans qu’il soit nécessaire de déterminer d’ailleurs si de tels postes durables existent.

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2’000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 [LTF - RS 173.110]).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 juillet 2023 par A______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 31 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge d’A______ un émolument de CHF 2’000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Igor ZACHARIA et Daniel KINZER, avocats du recourant, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :