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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1422/2011

ATA/605/2011 du 27.09.2011 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : ; LICENCIEMENT ADMINISTRATIF ; ENSEIGNANT ; MESURE DISCIPLINAIRE ; DEVOIR PROFESSIONNEL ; FIDÉLITÉ ; PROPORTIONNALITÉ ; FAUTE GRAVE
Normes : LIP.130 ; LIP.120.al1 ; RStCE.20 ; RStCE.21 ; LIP.130A
Résumé : Rappel des devoirs et du rôle d'un enseignant de la fonction publique. En ramenant notamment une prostituée à l'hôtel où logeaient ses élèves, lors d'un voyage de classe, en organisant sur son lieu de travail et pendant ses heures de service une rencontre à caractère sexuel avec un jeune homme dont il n'avait pas vérifié l'âge réel et dont il ignorait l'activité, puis en menaçant ce dernier, le recourant a mélangé vie privée et vie professionnelle de façon contraire à ses obligations d'enseignant. Compte tenu de la gravité des faits reprochés, l'autorité intimée n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation en sanctionnant le recourant par la plus lourde des mesures disciplinaires à sa disposition, quel que soit l'intérêt privé de celui-ci à conserver son poste et son absence d'antécédents.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1422/2011-FPUBL ATA/605/2011

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 septembre 2011

 

dans la cause

 

Monsieur X______
représenté par Me Pierre de Preux, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT

 



EN FAIT

1) Monsieur X______ occupe la fonction de maître chargé d’enseignement technique spécialisé dans l’enseignement secondaire postobligatoire.

2) Il a été nommé fonctionnaire par arrêté du Conseil d’Etat du 27 mai 1998. Il enseignait cependant dans le service public depuis 1988. Jusqu’en 2009, il avait exercé sa fonction au sein du A______. En 2010, il enseignait à 80 % les techniques de communication au N______ au sein duquel il avait une maîtrise de classe. Il exerçait également des fonctions à 20 % liées à la direction générale de l’enseignement postobligatoire. Jusqu’à la décision objet du présent litige, il n’avait fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire.

3) Le 21 avril 2010, Madame D______, enseignant l’espagnol et l’anglais au A______, a été entendue à sa demande par Messieurs P______, directeur de la direction générale de l’enseignement secondaire postobligatoire (ci-après : DPGO), et C______, directeur des ressources humaines, ainsi que par Madame M______, juriste au département de l’instruction publique (ci-après : DIP). L’audition de Mme D______ a fait l’objet d’un procès-verbal signé. Elle a également déposé un document écrit résumant les faits et donnant quelques détails supplémentaires.

Elle avait été la collègue de M. X______ au A______ jusqu’en 2007, alors que celui-ci était encore maître de diction dans cet établissement.

En 2006, elle avait accompagné une classe de troisième année de diplôme lors d’un voyage d’études à Prague. Un soir, alors qu’elle contrôlait à l’hôtel le retour des élèves qui avaient eu la permission de sortir jusqu’à 1h30, deux élèves s’étaient ouverts à elle. Ils s’étaient rendus dans l’auberge où résidait une autre classe du collège, accompagnée par M. X______. Ils avaient été choqués par le comportement de ce dernier, lequel, à leurs dires, avait amené dans sa chambre d’hôtel, au vu et au su des élèves qu’il accompagnait, un travesti avec lequel il avait eu des relaxions sexuelles bruyantes. Elle en avait parlé à Monsieur U______, l’autre collègue accompagnant le groupe de M. X______, qui avait admis avoir constaté « quelque chose de bizarre », mais avait refusé d’en parler à Monsieur J______, directeur du A______. Elle avait accompli cette démarche à son retour mais M. J______ n’avait pas voulu intervenir.

En février 2010, Madame O______, doyenne et enseignante d’anglais au N______ où travaillait alors M. X______, et amie de Mme D______, lui avait rapporté que des élèves de cet établissement avaient refusé de partir en voyage d’études avec M. X______ dont ils disaient qu’il avait entretenu des relations sexuelles avec au moins deux élèves ou ex-élèves de l’école. M. X______ avait demandé le secret au premier de ceux-ci et avait écrit aux parents du second, un jeune homme portugais, pour révéler l’homosexualité de ce dernier, suite à son refus de reprendre des relations avec lui. Cet élève avait souffert d’une dépression à la suite de cette relation. Pour Mme D______, les deux jeunes étaient prêts à témoigner mais craignaient peut-être que l’intéressé ne s’en prenne à eux. Elle était prête à collaborer avec la DGPO pour faciliter le contact avec le second étudiant.

Elle avait eu un entretien au sujet de ces faits avec Monsieur E______, directeur du N______, qui n’avait pas voulu intervenir. Elle s’était alors adressée à Monsieur R______, directeur du DGPO, qui avait relayé l’information à M. C______.

4) Le 23 avril 2010, Mme O______ a été entendue par M. C______. Son audition a fait l’objet d’un procès-verbal signé. Elle a également déposé un document écrit résumant les faits et donnant quelques détails supplémentaires.

Il en ressortait qu’à la fin de l’année 2009, M. X______ lui avait proposé de venir en voyage d’études avec sa classe de troisième année « matu-pro ». Elle en avait parlé à ses élèves. Deux filles avaient réagi de manière virulente et lui avaient rapporté que M. X______ avait eu une relation avec un ou plusieurs élèves, l’affaire s’étant mal terminée. Cet enseignant était connu dans plusieurs établissements, notamment au S______, pour de telles pratiques. Elle avait parlé de cet incident à Mme D______, laquelle lui avait fait état d’une affaire analogue, lors d’un voyage à l’étranger. Suite à cela, elle avait refusé de partir en voyage d’études avec M. X______ et s’en était ouverte à M. E______. Ce dernier l’avait convoquée pour lui demander la raison de son refus. Elle lui avait relaté les faits précités, mais il n’était pas entré en matière.

5) Sur la base des informations données par les deux enseignantes, l’identité exacte des deux jeunes hommes qui auraient eu une relation avec M. X______ a été déterminée. Il s’agissait de Messieurs Z______, né le ______ 1990, et Y______, né le ______ 1990.

6) Le 26 avril 2010, s’est tenue à la DGPO une réunion regroupant M. R______, Monsieur T______, adjoint à la direction du service de la scolarité, Mmes M______, O______, D______ et M. Y______. Cette séance a fait l’objet d’un procès-verbal signé par tous les participants.

Liminairement, M. R______ a informé M. Y______ de l’objet de la réunion qui était de faire le point au sujet de M. X______, dans le but de garantir que les élèves puissent suivre une scolarité dans des conditions normales sans subir de pressions extérieures. De son côté, Mme D______ a précisé que M. Y______ ne souhaitait pas engager une procédure pénale, pour protéger sa famille.

M. Y______ a exposé les faits qui s’étaient déroulés en 2008 alors qu’il avait 17 ans. Il avait rencontré M. X______ sur un site de rencontres internet. Il ignorait que M. X______ était professeur au N______ et l’intéressé n’avait pas mis de photo sur le site. Sur son propre profil, il avait spécifié qu’il était élève dans cet établissement. Il n’avait jamais eu M. X______ comme professeur. Celui-ci lui avait donné rendez-vous dans les locaux du N______. Ils avaient eu des rapports buccaux-génitaux à deux reprises, soit la première fois dans une salle et la deuxième dans l’aula. M. X______ avait justifié sa présence à l’école par le fait qu’il y faisait passer des examens. Il en avait déduit qu’il était juré. Lors de la deuxième rencontre, M. X______ lui avait proposé de le voir durant les pauses parce qu’il était professeur. Il avait alors répondu à l’intéressé qu’il voulait tout arrêter et ce dernier avait accepté. Il en avait parlé à un ami, qui avait contacté M. X______ sur internet. C’était alors qu’ils avaient eu connaissance de leurs identités respectives. Il avait imprimé les derniers messages que M. X______ lui avait envoyés. Le 4 janvier 2009, ses parents avaient reçu une lettre les informant que leur fils était homosexuel et que cela pouvait se vérifier sur un site internet. Il avait alors contacté une étude d’avocats mais avait finalement renoncé à laisser ces derniers écrire à M. X______. Le 6 janvier 2009, l’enseignant avait effacé son profil sur le site en question. Par la suite, il avait continué à « chatter » et avait découvert que M. X______ le faisait également sous un autre pseudonyme. Après qu’il ait mis fin à cette relation, M. X______ l’avait insulté et menacé afin que personne ne sache ce qui s’était passé.

M. Y______ a remis à ses interlocuteurs une impression d’écran (print-screen) d’ordinateur reproduisant trois extraits de courriels datés du 12 octobre 2008. Ce jour-là, M. X______ s’était adressé à lui sous le pseudo « EE______ » lui disant à 23h27 : « et prie que tu ne m’aies pas l’année prochaine !!!!! », à 23h35 : « joue pas au plus fin tu vas perdre ! » et à 23h40 : « prie vraiment pour l’année prochaine mec car là je te plombe !!! ». Les réponses de M. Y______ entre les propos précités n’étaient pas reproduites sur le document en question.

7) Le 19 mai 2010, Madame F______, secrétaire générale du DIP, a écrit à M. X______. M. P______ avait fait part à la direction du DIP d’une information relayée par deux de ses collègues selon laquelle l’intéressé aurait entretenu en 2008 des relations sexuelles avec au moins un élève mineur de plus de 16 ans de l’établissement où il enseignait. Ce dernier avait confirmé les faits qui s’étaient déroulés dans les locaux du N______. Il ignorait alors que M. X______ était membre du corps enseignant de son école. Leur relation avait cessé sur décision de l’élève au moment où ce dernier avait appris ce fait. Celui-ci aurait alors fait l’objet de menaces de sa part s’il ne tenait pas secrète leur relation passée. En outre, en 2006, M. X______ aurait eu, au vu et au su d’élèves qu’il accompagnait lors d’un voyage scolaire à Prague, une relation sexuelle avec un travesti dans l’hôtel où il logeait avec ces derniers. D’autres faits analogues que la direction du DIP souhaitait élucider avaient été rapportés. M. X______ était convoqué pour un entretien de service urgent. Il serait entendu sur les faits précités en rapport avec le non-respect de l’art. 120 al. 1 de la loi sur l’instruction publique du 6 novembre 1940 (LIP - C 1 10). Ces faits étaient susceptibles de conduire à une sanction disciplinaire qui serait précédée d’une enquête administrative et d’une suspension provisoire. Ses droits lui étaient rappelés ainsi que le déroulement de la procédure.

8) Le 26 mai 2010, M. X______, assisté d’un avocat, a été entendu par M. P______. Selon le compte-rendu de l’entretien de service, signé par l’intéressé, son mandataire s’était préalablement vu remettre une copie des procès-verbaux établis les 21, 23 et 26 avril 2010. De même, il avait pu consulter le dossier administratif.

M. X______ a contesté tout rapport sexuel avec M. Z______, qui avait été l’un de ses étudiants. Une rumeur avait couru au sein des élèves quant à une relation entre eux au début de l’année scolaire 2008/2009. Lors d’un cours où était discuté le choix de l’accompagnant pour le voyage d’études, M. Z______, qui avait fait son « coming-out de manière assez ostensible », avait un peu lourdement insisté sur le fait que cela ne le gênerait pas que M. X______ vienne. Monsieur H______, maître de classe, lui avait rapporté cette rumeur. Avec ce dernier, ils avaient « recadré » M. Z______.

A Prague, il avait accompagné une classe d’un collègue, M. U______, et logeait dans une pension. Mme D______ était avec d’autres élèves dans un autre hôtel. Les élèves étaient majeurs. Il avait effectivement ramené une « call-girl » - et non un travesti - dans sa chambre en faisant toutefois le maximum pour rester discret. Il s’agissait de sa vie sexuelle qui n’intéressait pas les élèves. Il ne se rappelait pas avoir croisé un élève durant cet épisode.

Il avait rencontré M. Y______ sur un site homosexuel intitulé « B______ » à l’usage duquel il recourait pour « chatter ». Pour avoir le droit de se constituer un « identifiant » sur ce site, il fallait valider le fait d’être majeur, ce qui apparaissait sur le profil de chacun. Il était donc parti du principe que son interlocuteur avait plus de 18 ans, ce qui était important pour lui. Ils avaient décidé de se rencontrer et il lui avait donné rendez-vous le mercredi 12 mars 2008 dans les locaux du N______ où il faisait passer des simulations d’entretiens d’embauche. Il disposait de peu de temps entre deux périodes de cours. Il avait donné rendez-vous à M. Y______ à un étage car c’était à proximité et il ne risquait pas de rencontrer un collègue en attendant à l’entrée. A l’époque de cette rencontre, il ignorait que celui-là était élève dans l’école. S’il l’avait su, il n’aurait pas pris un tel risque. Il avait été entrepris par M. Y______ qui l’avait emmené dans le WC hommes. Ils s’étaient seulement embrassés. Il avait appris lors de « chats » postérieurs à cette rencontre que ce dernier était élève au N______ et qu’il n’avait pas 18 ans. Ils avaient tous deux mis un terme à leur relation. Il contestait avoir adressé un courrier aux parents de M. Y______.

A l’issue de l’entretien, M. X______ a été invité à se déterminer sur l’intention du DIP d’ouvrir une enquête administrative à son encontre. Il a réservé sa réponse au sujet de l’opportunité de celle-ci.

9) Le 27 mai 2010, M. X______ a écrit à la secrétaire générale du DIP. Il ne s’opposait pas à l’ouverture d’une enquête administrative pour autant que celle-ci puisse avoir lieu dans des délais les plus brefs.

10) Le 16 juin 2010, le Conseil d’Etat a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative qu’il a confiée à Monsieur W______, ancien magistrat de la Cour de cassation.

L’enquête porterait sur la relation que M. X______ avait eue avec M. Y______, notamment sur les contacts entre eux dans les locaux du N______ en 2008, sur l’épisode de la prostituée que M. X______ avait amenée dans sa chambre d’hôtel lors d’un voyage scolaire à Prague, de même que sur une relation sexuelle que M. X______ aurait eue avec un autre élève, ainsi que sur tout autre fait répréhensible qui pourrait encore apparaître.

Cette décision n’entraînait pas la suspension provisoire de l’intéressé, celle-ci demeurant toutefois réservée.

11) L’enquêteur a procédé à plusieurs auditions, en présence de M. X______ et de son conseil, ainsi que de représentants de l’Etat de Genève :

a. M. X______ a déclaré le 5 juillet 2010 qu’il admettait avoir fait venir à l’hôtel à Prague lors d’un voyage d’études une prostituée de sexe féminin en prenant toutes les précautions possibles pour être discret. Normalement, les élèves de la classe de Mme D______ ne devaient pas résider dans cet hôtel.

Il contestait toute relation sexuelle avec M. Z______. Il s’agissait d’une rumeur née d’une plaisanterie. Il avait été pressenti pour accompagner la classe de M. H______ à laquelle M. Z______ appartenait. Ce dernier s’était distingué dans la discussion en faisant savoir que cela ne le gênerait pas de partager son lit avec lui. M. H______, alerté par la maîtresse de bureautique, avait pris contact avec l’étudiant et avait attiré son attention sur l’énormité de cette dérive. Le voyage d’études s’était déroulé sans incident.

Il confirmait ce qu’il avait dit au sujet de M. Y______ lors de l’entretien du 26 mai 2010. Son propre pseudonyme sur le site « B______ » était effectivement « EE______ » lorsqu’il avait « chatté » sur internet avec celui-ci. L’extrait figurant dans les pièces de l’enquête, relatif aux échanges de « chats » du 12 octobre 2008, était incomplet dès lors qu’il y avait eu une discussion en continu entre eux. Il n’avait fait qu’échanger un baiser avec le jeune homme et n’avait ni prodigué ni reçu de fellation de M. Y______. Il ignorait alors que ce dernier était étudiant au N______. Il ne l’avait rencontré le 12 mars 2008 que durant une pause, laquelle avait duré quelques minutes. Il l’avait attendu en haut de l’escalier. Le jeune homme l’avait entraîné dans les toilettes où ils avaient échangé un baiser.

Réentendu le 7 juillet 2010, M. X______ a précisé que la rencontre avec M. Y______ s’était produite à un étage où il y avait des WC élèves. Il maintenait ne pas avoir su que celui-ci fréquentait l’établissement.

b. Mme D______ a déclaré le 5 juillet 2010 qu’elle avait accompagné sa classe de troisième lors du voyage de fin de diplôme à Prague et logeait dans un autre hôtel que celui qu’occupaient les élèves de M. U______ accompagnés par M. X______. Deux de ses élèves s’étaient rendus dans l’hôtel de la classe de M. U______. Ces deux garçons étaient rentrés à l’heure. Ils étaient apparus choqués et, suite à ses questions, ils lui avaient rapporté qu’un élève de la classe de M. U______ leur avait indiqué que M. X______ avait amené un travesti dans sa chambre.

Sa collègue, Mme O______, avait prévu un voyage d’études durant l’année scolaire 2009/2010. Il avait été question que M. X______ fonctionne comme accompagnateur. Deux élèves de cette dernière lui avaient fait part de leur refus de partir avec lui. Les deux élèves lui avaient ensuite confié qu’il y aurait eu des histoires entre M. X______ et un élève.

C’était son ami, Monsieur V______ qui, en présence d’une amie de M. Y______, avait recueilli la confidence de celui-ci relative à sa relation avec M. X______.

c. M. J______, directeur du A______, a déclaré le 5 juillet 2010 que, selon Mme D______, des élèves avaient vu M. X______ avec un travesti dans l’hôtel et il s’était dit qu’il n’y avait pas lieu d’approfondir une rumeur de ce genre si des éléments plus concrets n’étaient pas établis. Il n’avait pas alerté M. X______.

d. Mme O______ a déclaré le 5 juillet 2010 que les deux élèves qui s’étaient opposées à ce que M. X______ les accompagne en voyage d’études étaient ZZ______ et K______. Elles voulaient que leur intervention reste confidentielle car M. X______ avait « détruit leurs camarades ». Après avoir contacté sa collègue Mme D______ à ce sujet, elle avait appris de ses élèves que les deux jeunes qui avaient eu une relation avec M. X______ étaient MM. Y______ et Z______. En avril 2010, après son audition par M. C______, elle s’était entretenue avec M. Y______, qui lui avait raconté ce qui s’était passé entre M. X______ et lui.

e. M. E______, directeur du N______, a déclaré le 5 juillet 2010 qu’il n’avait eu connaissance d’aucune information concernant des relations entre M. X______ et des élèves. Il n’avait pas le souvenir d’avoir eu un entretien avec Mme O______ sur ce point.

f. M. U______, enseignant, a déclaré le 7 juillet 2010 que, du lundi 27 novembre au samedi 2 décembre 2006, il avait accompagné une classe de troisième lors du voyage de fin de diplôme à Prague. Il ignorait si M. X______ avait amené quelqu’un de nuit dans sa chambre. Sur le moment, Mme D______ avait prétendu qu’il s’était passé quelque chose à son sujet que les élèves lui avaient signalé, mais il doutait lui avoir confirmé avoir constaté lui-même quelque chose de bizarre. Mme D______ ne l’avait pas invité à en parler au directeur mais, si tel avait été le cas, il aurait refusé car il ne s’agissait que de rumeurs.

g. M. H______, enseignant, a déclaré le 7 juillet 2010 qu’il enseignait au N______. M. X______ avait été pressenti pour accompagner un voyage d’études à Madrid durant l’année scolaire 2008-2009. C’était M. Z______ qui l’avait proposé. Madame L______, professeur de bureautique, avait entendu cela et elle devait être sans doute inquiète au sujet de cet élève. Des commentaires goguenards avaient fusé, l’un disant qu’on pouvait leur réserver une chambre pour les deux. M. Z______ avait rétorqué que cela ne le dérangerait pas. Il avait averti M. X______. Tous deux étaient intervenus auprès de M. Z______ pour le « recadrer » afin que la plaisanterie ne donne pas lieu à des rumeurs. Lui-même voulait savoir exactement ce qui s’était dit. Il contestait que des élèves aient évoqué auprès de lui des attouchements de la part de M. X______ sur M. Z______.

h. M. Z______ a déclaré le 7 juillet 2010 qu’il n’avait jamais eu de rapport sexuel avec M. X______. Il n’avait pas connaissance d’autres cas dans lesquels de telles relations auraient eu lieu.

i. M. Y______ a déclaré le 7 septembre 2010 qu’après une interruption de son cursus en avril 2010, il venait de reprendre ses études au A______. En 2008, il était un habitué du site de rencontres « B______ », son profil indiquant qu’il avait 18 ans alors qu’il n’en avait que 17 et demi. Sa qualité d’étudiant était mentionnée mais pas le lieu de son école. Il avait rencontré M. X______ en « chattant » sur le site. Il ne savait pas qu’il enseignait au N______. Sans se rappeler qui avait organisé quoi, ils avaient choisi de se rencontrer dans le N______. Ils avaient rendez-vous dans les toilettes du quatrième étage. A son arrivée, M. X______ s’y trouvait déjà. Ils étaient ensuite allés dans la salle 46 sur l’initiative de celui-ci. Après que M. X______ avait fermé la porte à clé, ils avaient eu une relation sexuelle de type bucco-génital, puis un rapport sexuel anal. Il était arrivé au N______ entre 17h et 17h30, après la fin des cours et ils étaient restés ensemble environ une heure. Ils s’étaient rencontrés à une autre reprise après les vacances d’été 2008 dans l’aula du N______ après que M. X______ avait également fermé la salle à clé. Ils y avaient également entretenu des rapports sexuels de même nature que précédemment. A cette occasion, il avait compris que M. X______ était professeur dans l’école car il lui avait indiqué qu’ils pourraient se voir pendant les pauses. Celui-ci connaissait son statut d’élève au N______, car il le lui avait dit en « chattant ». Après l’épisode de l’aula, ils s’étaient recontactés sur internet. M. X______ lui avait recommandé de ne rien dire à personne et il avait été d’accord. Le 12 octobre 2008, M. X______ avait révélé à un de ses amis, alors que ceux-ci « chattaient » sur le site B______, le pseudonyme dont il faisait lui-même usage. Cela l’avait énervé et il le lui avait reproché. Suite à cela, M. X______ lui avait adressé plusieurs messages successifs dont il avait conservé la teneur sur une copie d’écran et qu’il remettait à l’enquêteur. Il s’agissait d’extraits ne reflétant pas la totalité de leur dialogue. L’interruption de son cursus scolaire n’était pas due à sa relation avec M. X______, mais aux menaces que celui-ci lui avait envoyées après leur rupture.

j. Mlle K______ a déclaré le 7 septembre 2010 qu’elle était élève dans la classe de Mme O______ avec Mme ZZ______. A la fin de la dernière année scolaire, elle avait appris de M. Z______ que M. X______ avait eu une relation avec un autre élève dont elle ignorait le nom. C’était à cette conversation qu’elle s’était référée lorsqu’elle avait eu un contact avec Mme O______. Elle ne s’était pas opposée à ce que M. X______ soit accompagnateur de son voyage d’études, mais avait demandé simplement s’il n’était pas possible d’avoir quelqu’un d’autre. Elle n’avait pas dit à celle-là que M. X______ avait détruit deux élèves.

k. Monsieur Q______, commis administratif, a déclaré le 7 septembre 2010 qu’il avait été étudiant au A______ en 2006 et avait participé au voyage d’études à Prague en novembre 2006. Il n’avait pas souvenir de faits impliquant M. X______, ni d’une rumeur à son sujet qui aurait commencé à courir là-bas.

l. Monsieur HH______, entrepreneur, a déclaré le 7 septembre 2010 qu’il avait été étudiant au A______. En 2006, il avait participé au voyage d’études à Prague, étant élève de Mme D______. Il ne s’était pas rendu dans l’hôtel où était logé l’autre groupe d’élèves et n’avait pas eu connaissance d’un incident impliquant M. X______.

m. Madame GG______, enseignante au N______, a déclaré le 7 septembre 2010 que, fin mai-début juin 2010, M. Y______, qui avait déjà interrompu son cursus scolaire depuis un certain temps, avait pris contact avec elle pour lui parler, sachant qu’elle était titulaire d’un brevet d’avocat. Il lui avait dit qu’il avait rencontré M. X______ en surfant sur un site homosexuel, qu’un rendez-vous avait été pris au quatrième étage du N______, qu’il s’était rendu compte qu’il avait affaire à ce moment-là à un professeur de l’école et qu’ils avaient entretenu une relation sexuelle dans une classe. Il avait évoqué une lettre adressée à son père ou à ses parents dont elle n’avait pas vu le texte.

n. Monsieur BB______, a déclaré le 10 septembre 2010 qu’en 2006, il était dans la classe de Mme D______ au A______ et avait participé au voyage d’études à Prague. Il n’avait pas raccompagné de camarades de l’autre classe dans leur hôtel. Une rumeur courait sur l’homosexualité de M. X______ et sur le fait qu’il avait eu un contact de cette nature à Prague. Il n’excluait pas qu’en rentrant à son hôtel avec M. Q______, ils aient rapporté quelque chose à ce sujet à Mme D______, à savoir que M. X______ aurait rencontré une « drag-queen » et l’aurait amenée à son hôtel. Il n’avait rien constaté directement.

12) Le 10 septembre 2010, à l’issue de cette dernière audition, M. X______ a apporté des précisions au sujet du lieu où sa classe avait logé durant le voyage à Prague et versé à la procédure quatre photos du quatrième étage du N______. L’aula était au rez-de-chaussée inférieur et comportait quatre portes avec quatre serrures. Elle était vitrée et ouverte à tous les ayants droit. Concernant le premier rendez-vous, il n’avait pu intervenir que bien avant 17h, car le 12 mars 2008, dès 17h, il siégeait au conseil municipal de la Ville de Genève dont il était le vice-président.

Il a remis à l’enquêteur une photocopie couleur de son profil internet sur « B______ ». Il s’agissait d’une copie d’écran d’un profil postérieur à celui qui pouvait être consulté lorsqu’il utilisait le pseudonyme « EE______ ».

13) Le 15 septembre 2007, M. Y______ a transmis à l’enquêteur la lettre anonyme que ses parents avaient reçue, dont il n’avait pas gardé l’enveloppe.

14) Le 17 septembre 2010, M. W______ a rendu son rapport d’enquête dont les conclusions peuvent être ainsi synthétisées :

a. Voyage d’études à Prague en 2006 :

Il était établi que M. X______ avait « consommé les prestations d’une prostituée » rencontrée dans un cabaret qu’il avait amenée dans sa chambre d’hôtel à Prague, alors qu’il était accompagnateur du voyage d’études d’une classe du A______. Ces faits étaient parvenus à la connaissance d’une enseignante qui l’avait dénoncé. Il n’avait pas pu être établi que des élèves avaient été témoins directs de l’épisode et de quelle façon ils avaient eu connaissance de celui-ci. Toujours est-il que cela s’était su et que l’intéressé avait accepté le risque que son comportement privé soit connu. Les faits étaient cependant vieux de quatre ans.

b. Cas de l’élève M. Z______ :

Les faits n’étaient pas établis.

c. Cas de l’élève M. Y______ :

Tant M. Y______ que M. X______ avaient admis avoir eu une relation en 2008. Leurs déclarations concordaient sur le fait qu’ils s’étaient rencontrés sur un site de rencontres homosexuel dans lequel le premier recherchait des partenaires sexuels et dans lequel le deuxième l’avait remarqué. Le profil de M. Y______ indiquait qu’il avait 18 ans et qu’il était étudiant. M. X______ agissait sous le pseudonyme « EE______ ». Il n’avait pas mentionné sa qualité d’enseignant mais énonçait explicitement qu’il était à la recherche d’un « plan cul ». MM. Y______ et X______ avaient pris rendez-vous le 12 mars 2008 au quatrième étage du N______. Ils s’étaient isolés dans un local de l’école où ils avaient eu un échange d’ordre sexuel. Le 12 octobre 2008, ils avaient eu un contact par le biais de la messagerie du site de rencontres précité dans le cadre duquel M. X______ avait adressé à M. Y______ les propos figurant sur la copie d’écran versée à la procédure par ce dernier. Après cela, leur relation avait pris fin.

Les versions des partenaires divergeaient sur plusieurs points, soit le nombre de rencontres, le lieu des faits au sein du N______, la durée des événements, la nature des actes pratiqués, l’interprétation des extraits de leur dernier « chat » du 12 octobre 2008 et l’existence d’une lettre anonyme écrite par M. X______ au père de l’élève en question, révélant l’homosexualité de ce dernier.

L’enquête retenait à l’encontre de M. X______ au moins un contact d’ordre sexuel avec ce jeune homme, le 12 mars 2008 pendant des heures de cours, sous la forme d’un baiser buccal dans un local du N______ où il était enseignant. A l’époque de ces faits, M. Y______ n’était âgé que de 17 ans et demi, et était élève dans le même établissement scolaire que M. X______, ce que ce dernier ignorait au moment d’agir. M. X______ était l’auteur des trois phrases extraites de la copie d’écran du 12 octobre 2008. Même si l’intégralité de cette conversation n’avait pas été reproduite, les propos tenus, au terme de la liaison amoureuse, étaient porteurs de menaces immédiatement intelligibles pour leur destinataire qui avait pu s’en alarmer.

15) Le 28 septembre 2010, le rapport d’enquête a été transmis à M. X______, avec un délai de trente jours pour présenter ses observations.

16) Le 22 octobre 2010, M. X______ s’est déterminé. La relation avec M. Y______ s’était limitée à un échange de propos virtuels sur un « chat » et à un baiser le 12 mars à 15h. La conversation sur internet du 12 octobre 2008 était un bavardage ne constituant aucune menace à l’encontre de M. Y______. Il n’était pas exclu, dans le contexte de fin de relation entre eux, que ces propos soient une réponse à des menaces que M. Y______ aurait proférées. M. X______ n’était pas l’auteur de la lettre anonyme et n’avait jamais entretenu de rapport sexuel avec M. Z______. Concernant le voyage d’études à Prague, la rencontre avec la prostituée n’était pas contestée. Mais il n’était pas établi ni même rendu vraisemblable qu’elle ait été connue par l’un ou l’autre des élèves, ceux-ci ayant fort bien pu se fonder sur des faits imaginaires. Il avait une activité d’enseignant depuis vingt-deux ans, au cours de laquelle il n’avait fait l’objet d’aucune plainte. Les faits portés à la connaissance de la direction du DIP, à l’origine par les deux dénonciatrices, avaient été amplifiés. Le Conseil d’Etat devait examiner ceux-ci avec l’objectivité qui présidait à toute décision.

17) Le 19 janvier 2011, Monsieur Mark Muller, président du Conseil d’Etat, a écrit à M. X______. Suite au rapport d’enquête du 17 septembre 2010, il envisageait sa révocation, au sens des art. 130 al. 1 let. c ch. 5 LIP et 56 al. 1 let. c ch. 5 du règlement fixant le statut des membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles du 12 juin 2002 (RStCE - B 5 10.04). L’intéressé avait un délai de trente jours pour présenter ses observations.

18) Le 23 février 2011, M. X______ s’est déterminé. Les seuls faits à retenir à son encontre étaient ceux qu’il avait reconnus d’emblée, à savoir d’avoir, d’une part, lors d’un voyage d’études à Prague, amené une personne majeure extérieure à la sphère scolaire dans sa chambre d’hôtel et d’avoir entretenu avec elle durant la nuit une relation sexuelle, ce dont aucun élève participant au voyage ne paraissait avoir été informé et troublé, et d’autre part, une rencontre entre lui-même et une personne majeure étrangère à l’école, selon ce qu’il savait au moment des faits, qui s’était déroulée dans les locaux du N______. Un baiser avait été échangé, puis quelques mois plus tard un « chat » aux propos ambigus. Cette relation n’avait pas porté atteinte à M. Y______. Les faits établis par l’enquête administrative étant bien moindres que ceux à l’origine de celle-ci, il n’y avait pas lieu de prononcer sa révocation. Le département avait, depuis la découverte des faits, gardé sa confiance en l’enseignant. Il admettait que les faits pertinents constituaient un regrettable débordement de sa vie privée dans le cadre scolaire et priait le Conseil d’Etat de recevoir ses sincères excuses. Toutefois, la sanction était exagérée au regard de la faute commise, soit d’avoir admis le risque d’un débordement en rapport avec sa vie privée sur sa vie professionnelle et écrit trois phrases dans l’énervement. Il ne s’agissait pas d’une faute d’une gravité significative. En l’occurrence, la sanction qui devait être prononcée devait être de niveau moindre, de la compétence du département, voire du N______, conformément au principe de proportionnalité et de subsidiarité, eu égard à son parcours professionnel sans faute.

19) Le 30 mars 2011, le Conseil d’Etat a prononcé la révocation de M. X______ avec effet au 31 juillet 2011. Il n’était plus autorisé jusqu’à la fin de l’année scolaire 2010/2011, à accompagner des élèves lors de séjours à l’étranger. La décision était exécutoire nonobstant recours. Les faits retenus par l’enquêteur constituaient une grave violation des art. 120 al. 1 LIP et 20 RStCE.

Le comportement de M. X______ établi par l’enquête administrative s’était révélé totalement inadéquat et remettait en cause de manière significative la mission éducative qui était la sienne, ainsi que ses prestations professionnelles, eu égard aux devoirs de réserve et de dignité particuliers incombant aux membres du corps enseignant. L’intéressé avait violé de manière irrémédiable et complète la confiance que l’autorité pouvait avoir en lui quant à l’exercice de sa profession d’enseignant. Aucune autre sanction que la révocation n’était possible.

20) Le 16 mai 2011, M. X______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté précité, reçu le 31 mars 2011. Il conclut préalablement à la restitution de l’effet suspensif et, sur le fond, à l’annulation dudit arrêté.

Il était un homme respectable et apprécié, tant pour ses compétences d’enseignant que pour ses qualités humaines, mises à profit dans de nombreux domaines de la vie sociale locale. Jusque-là, son parcours avait été sans tache.

L’enquête administrative avait été ouverte sur des faits extrêmement graves (relations sexuelles avec au moins deux élèves de l’établissement dans lequel il enseignait et un travesti). Elle n’avait permis de les établir que partiellement. S’il ne contestait pas avoir fait appel aux services d’une prostituée lors d’un voyage d’études à Prague, l’enquête administrative retenait à tort que des signes extérieurs de la rencontre avaient pu être perçus par des tiers, notamment des élèves, et qu’il avait pris le risque d’être vu. Concernant ses relations avec des élèves, il n’y avait pas de cas « Z______ ». Les déclarations de M. Y______ devaient être considérées avec précaution, sa crédibilité n’étant pas exemplaire. Il n’était pas exclu qu’il ait été instrumenté par les deux dénonciatrices et pris au piège d’un récit partiellement inventé. Il admettait toutefois les faits retenus par l’enquête administrative au sujet de cette relation. Il apportait les précisions suivantes : s’il était vrai que le rendez-vous avait été fixé pendant les heures de cours, le jour en question était un mercredi après-midi, jour où ceux-ci étaient suspendus. Non seulement le A______ était pratiquement vide, mais encore l’enquête avait établi que le rendez-vous n’avait duré que dix minutes. L’enquêteur aurait dû conclure qu’il n’était pas l’auteur du courrier adressé aux parents de M. Y______. Enfin, la teneur du « chat », duquel on avait inféré qu’il avait menacé ce dernier, était incomplète. Si la copie d’écran produite comportait la mention « nota bene : tu ne peux pas répondre à ce message » c’était parce que son profil « EE______ » avait été supprimé, et non pas parce qu’il avait voulu que son interlocuteur ne puisse lui répondre. Les propos extrait du « chat » étaient d’apparence menaçante mais émis dans un contexte inconnu et non dévoilé par M. Y______ qui les avait sélectionnés pour les utiliser hors contexte.

Le Conseil d’Etat n’était pas fondé à prononcer sa révocation. Il n’avait pas commis de faute disciplinaire en accueillant dans sa chambre d’hôtel une prostituée pendant le voyage d’études. Ce comportement relevait de sa sphère privée et ne méritait pas de sanctions particulières du fait qu’il était enseignant. S’il avait requis les services d’une prostituée à Genève, cela n’aurait pas posé de problème alors qu’il aurait été bien plus probable qu’un élève de l’établissement où il enseignait l’aperçoive. Quant aux faits établis relatifs à sa relation avec M. Y______, ils étaient regrettables mais ne méritaient pas la sanction disciplinaire suprême. Il en allait de même si étaient retenus conjointement les deux épisodes établis par l’enquête administrative. La sanction prise à son encontre devait donc être annulée, en l’absence de faute disciplinaire. Si l’existence partielle d’une telle faute était admise, celle-ci ne devait pas conduire à sa révocation, par application du principe de proportionnalité. Dans les deux cas, une réintégration s’imposait. A défaut, l’Etat de Genève devait être condamné à lui payer une indemnité correspondant à vingt-quatre mois de salaire, soit CHF 281’771,30.

21) Par décision du 7 juin 2011, la présidente siégeant a refusé de restituer l’effet suspensif au recours de M. X______.

22) Le 17 juin 2011, l’intimé a conclu au rejet du recours. La procédure de révocation était conforme à la loi. Le recourant avait violé les art. 120 al. 1 LIP, 20 al. 1 et 21 al. 1 et 3 RStCE. Il avait contrevenu à ses obligations de dignité pendant le voyage de Prague, en rapport avec l’épisode de la prostituée, son comportement ne relevant pas uniquement de sa sphère privée, dans la mesure où il était en voyage d’études en qualité d’accompagnateur et séjournait dans un hôtel avec les élèves. Il avait également violé ce principe, ainsi que l’art. 21 al. 2 et 3 RStCE, concernant le respect des horaires et l’interdiction de toute occupation étrangère au service pendant les heures de travail. La révocation était la seule sanction disciplinaire permettant de sauvegarder l’intérêt public et notamment la réputation de la fonction publique. La décision du Conseil d’Etat devait être confirmée et le recours rejeté.

23) Le 28 juin 2011, le recourant a demandé à répliquer et a requis l’audition de cinq témoins, dont M. H______, susceptibles de renseigner la chambre de céans sur sa personnalité, sa moralité, ses capacités professionnelles, ainsi que sur ses relations avec les élèves, les autres enseignants et sa hiérarchie.

24) Le recourant a répliqué le 19 août 2011, persistant dans ses conclusions. L’intimé fondait son argumentation sur un état de faits incomplet, tronqué et dont certains n’étaient pas démontrés, en cédant aux exagérations qui résultaient de ce type de cause. Les amalgames entre sexualité, homosexualité et pédophilie, de même que les jugements moraux sur la sexualité des personnes, n’avaient pas leur place dans le débat judiciaire. Il s’en tiendrait aux faits établis et ne se placerait pas sur le même terrain que celui choisi par le Conseil d’Etat qui avait pris le parti du sensationnel pour justifier le caractère suprême de la sanction qu’il avait prononcée, en se faisant l’écho de la presse à scandale et en jouant sur le contexte particulier du cas d’espèce.

La cause devait être examinée au regard des faits suivants qui seuls étaient établis :

D’une part, il avait amené une prostituée de sexe féminin dans sa chambre d’hôtel lors d’un voyage de fin d’études à Prague en novembre 2006. Il ne s’agissait pas d’une « drag-queen » ainsi que les dénonciatrices l’avaient rapporté en se fondant sur la rumeur. Lors de cet épisode, il n’avait rencontré aucun élève et par la suite n’en n’avait parlé à personne. C’était parce qu’il avait admis ces faits que ceux-ci pouvaient être considérés comme avérés.

D’autre part, il avait eu une relation avec M. Y______ qu’il avait connu sur un site internet gay en ignorant son âge et le fait qu’il était élève du N______. Dans ce contexte, le 12 mars 2008, alors qu’il se trouvait au collège pour surveiller des simulations d’entretiens d’embauche avec des recruteurs professionnels, il avait pris rendez-vous et avait attendu ce dernier au quatrième étage de l’établissement. C’était la première fois qu’ils se voyaient. M. Y______ l’avait entraîné dans les toilettes. Il avait donné suite à ses avances mais refusé d’aller plus loin qu’un baiser. Personne n’avait assisté à la scène et les faits s’étaient déroulés durant une pause. C’était un mercredi après-midi, de sorte que l’établissement était pratiquement vide, les exercices précités se déroulant dans les salles du troisième étage et les élèves étant descendus durant la pause dans la cour. L’objectif du rendez-vous était une discussion, même si cela avait été plus loin. On ne pouvait inférer des extraits du « chat » du 12 novembre 2008 remis par M. Y______ qu’il avait menacé ce dernier. Les propos qui lui étaient imputés étaient incomplets et sortis de leur contexte. Le Conseil d’Etat prétendait à tort que leurs « interactions » avaient conduit à l’échec scolaire de M. Y______ qui n’était pas un de ses élèves. Cet échec était postérieur aux événements litigieux et davantage dû à la réception en janvier 2009 de la lettre anonyme dénonçant son homosexualité à ses parents, lettre à laquelle il était totalement étranger.

Son salaire mensuel moyen brut sur les 12 derniers mois était de CHF 11’936,26, treizième salaire compris. Il était en incapacité de travail depuis le 1er avril 2011 et avait beaucoup souffert de la décision querellée, et encore plus de la publicité qui en avait été faite par les journaux. Sa famille, par ricochet, en souffrait également. Il avait reçu de nombreux messages de soutien de la part de ses collègues, anciens collègues, élèves et parents. Il avait déposé une plainte pénale pour violation du secret de fonction au sujet de la transmission à la presse de la décision du Conseil d’Etat de le révoquer. Il avait saisi le Conseil suisse de la presse au sujet de l’article du journal 20 minutes évoqué par le Conseil d’Etat dans ses écritures.

Contrairement à ce que soutenait l’intimé, il n’avait aucunement violé ses devoirs de service dans l’épisode de Prague, qui relevait exclusivement de sa sphère privée. Il en allait de même concernant sa relation avec M. Y______. Il avait été démontré que ce dernier l’avait entraîné à échanger un baiser, alors que le but de leur rencontre était seulement de faire connaissance de visu et de discuter. La scène était similaire à un échange de baiser entre époux se rencontrant dans l’école où l’un des deux enseignait. Il n’y avait pas de raison de traiter autrement des relations entre deux hommes sexuellement majeurs et consentants, agissant dans les mêmes circonstances. Concernant les propos échangés lors du « chat », il était impossible de retenir une violation du devoir de diligence sur la base des faits incomplets établis. M. Y______ avait expliqué qu’il était un peu énervé lors de cette conversation et on ignorait totalement ce qu’il avait été amené à dire dans cet état pour conduire le recourant à lui adresser via la boîte de dialogue des propos de la teneur rapportée. Sur le moment, il n’apparaissait pas que M. Y______ se soit alarmé de ceux-ci. Dans ces conditions, aucune violation d’un devoir de service ne pouvait lui être reprochée.

La décision attaquée devait être annulée et il devait être réintégré. Subsidiairement, la sanction disciplinaire était disproportionnée compte tenu de l’ensemble des circonstances qui venaient d’être rappelées. Elle l’était d’autant plus que le Conseil d’Etat n’avait pas jugé bon de le suspendre provisoirement pendant la durée de l’enquête et l’avait laissé partir en voyage d’études après l’entretien de service du 26 mai 2010, soit trois jours avant le prononcé de la décision dont était recours. C’était la démonstration de la disproportion de la sanction infligée.

Si l’autorité intimée refusait de le réintégrer, elle devrait lui verser l’indemnité maximale compte tenu de la durée des rapports de travail, des fonctions exercées, de la qualité de son enseignement et du dommage qu’il avait subi du fait de la fuite au sein de l’Etat.

25) Le 12 septembre 2011, le Conseil d’Etat a dupliqué, concluant au rejet du recours. Sa décision de révoquer le recourant ne tenait compte que des résultats de l’enquête administrative et non des propos rapportés par Mmes O______ et D______. Les orientations sexuelles du recourant n’avaient pas été prises en compte pour le prononcé de la sanction. Cette dernière était fondée sur l’examen du comportement du recourant, enseignant, eu égard à son devoir particulier de dignité lié à sa mission éducative. La question qu’il y avait lieu de se poser était celle-ci : pouvait-on accepter qu’un enseignant servant de modèle à ses élèves, entretienne une relation sexuelle tarifée dans les locaux au sein desquels des élèves logeaient, donne un rendez-vous à caractère sexuel sur son lieu de travail et menace un élève ? La réponse ne pouvait être que négative et une sanction moins lourde que la révocation ne permettrait pas d’atteindre le but recherché, ce d’autant plus que le recourant semblait avoir réitéré ce genre de comportements, alors que sa révocation lui avait été notifiée. Le Conseil d’Etat se référait à un article du journal 20 Minutes, qui faisait état de la révocation de M. X______ et affirmait que celui-ci avait répondu sur internet à son journaliste, qui s’était fait passer, sur un site homosexuel, pour un jeune de 15 ans.

Concernant l’épisode de la prostituée à Prague, le recourant pouvait soutenir n’avoir ni rencontré ni parlé à personne de ces faits. Il n’en demeurait pas moins que leur existence avait été révélée, ce qui avait conduit le Conseil d’Etat à retenir que le recourant avait accepté le risque d’être aperçu par des élèves, en violation de ses devoirs.

Le recourant avait admis être entré en relation avec M. Y______ sur un site gay spécialisé. Il n’avait pas indiqué qu’il était enseignant, mais avait énoncé qu’il recherchait un « plan cul ». Il ne pouvait ainsi soutenir dans ses dernières écritures que le but de sa rencontre n’avait aucune connotation sexuelle. Il était établi qu’ils s’étaient donné rendez-vous au N______ et le recourant avait pris bien peu de précautions pour s’assurer de l’âge du jeune homme et de ses occupations. Il avait pris le risque de donner rendez-vous à ce dernier sur son lieu de travail et de se laisser entraîner dans les toilettes où ils avaient échangé un baiser. Compte tenu du lieu choisi, la comparaison de cette situation avec celle d’un enseignant retrouvant son épouse dans les bâtiments scolaires était grotesque. Enfin, s’agissant du 12 octobre 2008, il n’ignorait plus que M. Y______ fréquentait également son école et les propos qu’il ne contestait pas avoir tenus lors du « chat » étaient menaçants et se référaient à sa position d’enseignant. De par leur teneur, ils étaient totalement incompatibles avec la fonction éducative qui lui incombait et ils constituaient également une grave violation de ses devoirs de service.

La révocation devait être confirmée sans qu’il y ait lieu d’ordonner des enquêtes.

26) Par courrier du 13 septembre 2011, le juge a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l’organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La procédure administrative est conduite par le juge selon le principe de la maxime d’office (art. 19 LPA) dans le respect du droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Elle est en principe écrite mais, si le règlement et la nature de l’affaire le requièrent, l’autorité peut procéder oralement (art. 18 LPA).

Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 132 II 485 consid. 3.2 p. 494; 127 I 54 consid. 2b p. 56 ; 127 III 576 consid. 2c p. 578 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C.424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 p. 158 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C.58/2010 du 19 mai 2010 consid. 4.3 ; 4A.15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.2 et les arrêts cités ; ATA/432/2008 du 27 août 2008 consid. 2b). Le droit d’être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l’issue du litige (ATF 133 II 235 consid 5.2 p. 248 ; 129 I 232 consid. 3.2 p. 236 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C.424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2 ; 2C.514/2009 du 25 mars 2010 consid. 3.1).

Le recourant sollicite l’audition de cinq témoins susceptibles de renseigner la chambre de céans sur des éléments liés à sa personnalité et ses capacités professionnelles. Dans la présente cause, il ne s’agit cependant pas d’évaluer la qualité de l’enseignement prodigué par celui-ci ou son engagement social ou professionnel, qui ne sont pas remis en question, mais de déterminer si les faits retenus par le Conseil d’Etat à l’appui de sa décision de révocation constituaient des motifs permettant une telle mesure disciplinaire. Lors de l’enquête administrative, un certain nombre de témoins ont été entendus, dont le recourant ne requiert pas une nouvelle audition, à l’exception de l’un d’entre eux, qu’il désire faire entendre non pas sur les faits ayant motivé la décision attaquée mais sur les éléments de personnalité précités. Dès lors que le recourant a pu participer à l’enquête administrative assisté de son conseil, que ses droits procéduraux ont été respectés lors de la phase d’établissement des faits, la chambre administrative renoncera à l’audition de témoins requise, le dossier qui lui est soumis étant suffisamment complet pour lui permettre de trancher.

3) A teneur de l’art. 130 LIP, entré en vigueur le 3 mars 2007, les membres du personnel enseignant qui enfreignent leurs devoirs de service ou de fonction, soit intentionnellement, soit par négligence, peuvent faire l’objet des sanctions suivantes dans l’ordre croissant de leur gravité :

a. de la compétence du supérieur ou de la supérieure hiérarchique :

- le blâme,

b. de la compétence de la Conseillère ou du Conseiller d’Etat chargé du département :

- la suspension d’augmentation de traitement pendant une durée déterminée ;

puis,

- la réduction du traitement à l’intérieur de la classe de fonction,

c. de la compétence du Conseil d’Etat :

- le transfert dans un autre emploi avec le traitement afférent à la nouvelle fonction, pour autant que le membre du personnel dispose des qualifications professionnelles et personnelles requises pour occuper le nouveau poste ;

puis,

- la révocation, notamment en cas de violation incompatible avec la mission éducative, celle-ci pouvant intervenir avec effet immédiat si l’intérêt public le commandait, mais intervenant dans les autres cas dans le respect du délai de résiliation ordinaire de trois mois (art. 130 al.2 LIP).

Antérieurement, l’art. 130 LIP prévoyait la possibilité de prononcer un avertissement avant un blâme. En outre, le transfert dans un autre emploi, avec le traitement afférent à la nouvelle fonction, était de la compétence du Conseil d’Etat. Pour le surplus, la révocation était une mesure disciplinaire qui entrait en vigueur avec effet immédiat et qui était réservée aux cas d’infractions particulièrement graves et incompatibles avec la mission d’enseignant, mais l’autorité avait la possibilité de lui préférer le licenciement disciplinaire avec préavis de trois mois pour la fin d’un mois, ce qui en l’espèce correspond, au delà de la dénomination, à la sanction prononcée à l’encontre du recourant.

Une partie des faits reprochés à M. X______ étant antérieure au 3 mars 2007, pourrait se poser la question du choix du droit applicable en fonction de la lex mitior. Cette question peut cependant rester ouverte dans la mesure où la sanction qui a frappé le recourant existait avec les mêmes effets, et à disposition de la même autorité, sous l’ancien droit.

4) En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre de céans se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/618/2010 et ATA/320/2010 précités ; ATA/395/2004 du 18 mai 2004 ; ATA/102/2002 du 19 février 2002).

5) La procédure disciplinaire est réglée aux art. 130A ss LIP. Avant le prononcé des mesures disciplinaires de la compétence du Conseil d’Etat, celui-ci a l’obligation d’ordonner une enquête administrative (art. 130A al. 2 LIP) dans le cadre de laquelle le fonctionnaire mis en cause doit pouvoir s’exprimer par écrit dans les trente jours suivant la communication du rapport (art. 130A al. 5 LIP).

En l’occurrence, les dispositions procédurales de l’art. 130A LIP ont été respectées dès lors qu’une enquête administrative a été ordonnée et que l’intéressé a pu s’exprimer par écrit sur le rapport d’enquête administrative.

6) La responsabilité disciplinaire se prescrit par un an après la découverte de la violation des devoirs de service ou de fonction et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue le cas échéant pendant la durée de l’enquête administrative (art. 130A al. 7 LIP). En l’espèce, la décision de révocation, notifiée le 30 mars 2011, soit moins d’un an après la découverte des faits dont les derniers remontent à 2008 et l’établissement des premiers procès-verbaux, respecte ce délai de prescription.

7) Le fonctionnaire n’entretient pas seulement avec l’Etat qui l’a engagé et le rétribue les rapports d’un employé avec un employeur, mais, dans l’exercice du pouvoir public, il est tenu d’accomplir sa tâche de manière à contribuer au bon fonctionnement de l’administration et d’éviter ce qui pourrait nuire à la confiance que le public doit pouvoir lui accorder (G. BOINET, Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse Romande in RJJ 1998, p. 11 § 16). Lui incombe en particulier un devoir de fidélité qui s’exprime par une obligation de dignité. Cette obligation couvre tout ce qui est requis pour la correcte exécution de sa tâches (P. MOOR, Droit administratif, vol. 3, 2ème éd., 1992, n° 5.3.3.2, p. 231 ; P. HÄNNI, Die Treuepflicht im öffentlichen Recht, Thèse Fribourg, 1982). 

8) A Genève, ces principes figurent notamment dans la législation applicable aux enseignants de la fonction publique. A teneur de l’art. 120 al. 1 LIP, les fonctionnaires de l’instruction publique doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux responsabilités leur incombant vis-à-vis du pays. Cette règle est reprise à l’art. 20 RStCE, concernant les membres du corps enseignant, tandis que l’art. 21 RStCE rappelle que ceux-ci se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (al. 1), de même qu’assumer personnellement leur travail, ainsi que s’abstenir de toute occupation étrangère au service pendant les heures de travail (al. 3).

Le devoir de fidélité d’un enseignant ne s’arrête pas au comportement qu’il doit adopter à l’école, mais également à celui qu’il doit observer en dehors de celle-ci. En tant que membre du corps enseignant secondaire, il est chargé d’une mission d’éducation dont les objectifs sont énoncés à l’art. 1 RES. Son rôle est ainsi de contribuer au développement intellectuel, manuel et artistique des élèves, à leur éducation physique mais aussi à leur formation morale à une période sensible où les élèves passent de l’adolescence à l’état de jeune adulte. Dans ce cadre, l’enseignant constitue, vis-à-vis des étudiants, à la fois une référence et une image qui doivent être préservées. Il lui appartient donc, dès qu’il se trouve hors de sa sphère privée, d’adopter en tout temps un comportement auquel ceux-ci puissent s’identifier. A défaut, il détruirait la confiance que la collectivité - et en particulier les parents et les élèves - ont placée en lui. Ce devoir de fidélité embrasse l’ensemble des devoirs qui lui incombent dans l’exercice de ses activités professionnelles et extra-professionnelles (120 Ia 203 = JT 1995 626 ; ATF 101 Ia 172 = JT 1976 I 170 ; ACOM/92/2004 du 23 septembre 2004 ; H. PLOTKE, Schweizeriches Schulrecht, Berne et Stuttgart, 2003, p. 571 ; I. HÄNER, Grundrechte im öffentlichen Personalrecht p. 406, in P. HEBLING / T. POLEDNA, Personalrecht des öffentlichen Dienstes, Berne 1999). Dès que ses actes sont susceptibles d’interagir avec sa fonction d’éducateur, le devoir de fidélité impose à l’enseignant la circonspection et une obligation de renoncer, sauf à prendre le risque de violer ses obligations.

9) En l’occurrence, il est irrelevant de savoir si les comportements sexuels reprochés au recourant sont acceptables dans sa vie privée. Lorsqu’un enseignant accompagne un groupe d’élèves dans un voyage d’études, il agit dans le cadre de ses fonctions. Dès lors, l’Etat, son employeur, est en droit de lui demander de se modérer afin d’éviter - ce qui est arrivé en l’espèce - de créer un trouble au sein des élèves de son école susceptible de porter atteinte à son image ou à sa position d’enseignant et, par contrecoup, à celle de ses collègues. En amenant en 2006 une prostituée à l’hôtel où logeaient ses élèves, le recourant a ainsi contrevenu aux art. 120 al. 1 LIP et 20 RStCE. Peu importe la discrétion avec laquelle il prétend avoir agi, le fait est que l’épisode est arrivé à la connaissance des élèves. Ce faisant, le recourant a pris un risque qui s’est réalisé et violé ses obligations professionnelles.

De même, le recourant a mélangé vie privée et vie professionnelle en organisant dans les locaux du A______, pendant ses heures de travail, une rencontre lors de laquelle ont eu lieu des échanges sexuels avec un jeune homme rencontré sur internet, dont il n’avait pas vérifié l’âge réel et dont il ignorait l’activité. Ces faits constituent non seulement une violation de ses obligations au sens des dispositions précitées mais également de celles découlant de l’art. 21 al. 3 RStCE, les locaux scolaires ne devant être utilisés par leurs usagers, dont le corps enseignant, qu’à des fins professionnelles.

Enfin, M. X______ a également contrevenu à ses devoirs en tenant à M. Y______ des propos menaçants après avoir appris que celui-ci fréquentait le même établissement que lui.

D’une manière générale, le comportement du recourant vis-à-vis de cet étudiant porte une grave atteinte à l’image que l’enseignant doit véhiculer envers ses élèves, atteinte qui s’est matérialisée dès lors que d’autres collégiens ont eu vent de l’épisode. Ainsi, les trois complexes de faits précités, tous retenus par l’enquêteur administratif dans la conclusion de son rapport du 17 septembre 2010, constituent pour chacun d’entre eux une violation des obligations d’enseignant, fondant le Conseil d’Etat à prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre du recourant.

10) Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la « punissabilité » de l’auteur (ATA/618/2010 du 7 septembre 2010 et la jurisprudence citée). Toutefois, en cas de révocation, l’existence d’une faute grave est exigée (ATA/618/2010 précité consid. 6 in fine).

Il s’agit donc de déterminer si les violations de ses obligations peuvent être imputées à faute au recourant et d’évaluer si celle-ci était suffisamment grave pour fonder la révocation litigieuse.

En l’espèce, par trois fois, le recourant a enfreint ses obligations de membre du corps enseignant. Tant dans l’épisode de Prague que dans celui de la rencontre organisée au collège, il a totalement manqué de lucidité en ne voyant pas la limite à ne pas franchir entre sa vie privée et sa fonction d’enseignant. En outre, il a utilisé son lieu de travail pour des activités étrangères au service. Dans le troisième cas, alors qu’il savait qu’il s’adressait à un élève de l’école, il a usé d’une manière inadmissible d’un ton menaçant à son encontre. Ces fautes cumulées sont graves. Elles sont de nature à ébranler le rapport de confiance devant exister entre l’Etat et ses fonctionnaires et à fonder une révocation.

11) Reste à examiner si l’autorité n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en prononçant la révocation plutôt qu’une autre sanction disciplinaire. En effet, l’autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (V. MONTANI / C. BARDE, La jurisprudence du tribunal administratif relative au droit disciplinaire, RDAF 1996, p. 347). Le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d’intérêt public recherchés. A cet égard, l’autorité doit tenir compte en premier lieu d’éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l’intéressé (ATF 108 IA 230 consid. 2b p. 232 ; ATF 106 Ia 100 consid. 13c p. 121 ; ATF 98 Ib 301 consid. 2b p. 306 ; ATF 97 I 831 consid. 2a p. 835 ; RDAF 2001 II 9 35 consid. 3c/bb ; SJ 1993 221 consid. 4 et les références citées ; Arrêt du Tribunal fédéral 2P.133/2003 du 28 juillet 2003 ; ATA/618/2010 du 7 septembre 2010 et la jurisprudence citée). En particulier, elle doit tenir compte de l’intérêt du recourant à poursuivre l’exercice de son métier, mais elle doit aussi veiller à l’intérêt public, soit en l’espèce à la protection des élèves et au respect des valeurs pédagogiques de l’enseignement à Genève (ATA B, du 4 septembre 1997).

12) La chambre administrative a confirmé la révocation d’un policier qui avait frappé un citoyen lors d’une audition alors que ce dernier était menotté et maîtrisé, ceci malgré l’absence d’antécédents (ATA/680/2010 précité) ; celle d’un fonctionnaire ayant consulté à réitérées reprises des sites internet à caractère pornographique, notamment pendant ses heures de travail, la violation répétée des devoirs de fonction, malgré une mise en garde à un blâme avait irrémédiablement rompu la relation de confiance avec l’Etat (ATA/618/2010 précité) ; celle d’une fonctionnaire travaillant dans un EMS qui avait eu une altercation avec l’une de ses collègues, l’avait insultée puis menacée, ce comportement ayant été précédé de plusieurs avertissements formels ou informels depuis près de dix ans pour un comportement analogue (ATA/21/2010 du 19 janvier 2010) ; celle d’une fonctionnaire qui, malgré plusieurs sanctions antérieures, persistait à arriver régulièrement en retard au travail, à quitter son poste, à fumer dans les locaux et à avoir des activités informatiques importantes et étrangères aux activités du service. La révocation d’un fonctionnaire qui avait agressé verbalement et physiquement mais gratuitement son supérieur hiérarchique à l’occasion d’un séminaire alors qu’il n’avait jamais fait l’objet d’une sanction jusque-là (ATA/577/2011 du 3 août 2011).

Antérieurement, la commission de recours des fonctionnaires de police et de prison avait confirmé la révocation d’un fonctionnaire de police-frontière qui s’était rendu coupable d’infractions à la législation sur les étrangers, de violation du secret de fonction et avait fait l’objet d’une condamnation pénale pour ces faits (ACOM/133/2000), tandis que la commission de recours des enseignants avait confirmé la révocation d’un enseignant coupable d’attouchements d’ordre sexuel sur des mineurs (ACOM/98/1998 du 31 août 1998). Elle a confirmé une mesure de réduction de traitement des cinq annuités à l’intérieur de sa classe de fonction, prise par le conseiller d’Etat en charge de l’instruction publique, à l’encontre d’un enseignant, dites mesures complétant un blâme infligé par le directeur général du cycle d’orientation, pour ne pas avoir su conserver vis-à-vis des élèves la distance professionnelle requise et utilisé un langage déplacé, mettant mal à l’aise des jeunes-filles. A cette occasion, cette commission a relevé que l’intéressé aurait pu être puni bien plus sévèrement pour ses fautes (ACOM/92/2004 du 23 septembre 2004).

En l’occurrence, les manquements reprochés au recourant concernent des agissements sexuels qui se sont déroulés dans un cadre professionnel. Ce ne sont pas ses préférences en matière de sexualité qui sont en question mais le fait qu’il ait mélangé sa vie privée avec sa vie professionnelle (qu’il s’agisse de l’épisode de Prague ou de celui de la rencontre organisée au collège). De même, les propos menaçants et intimidants que le recourant admet avoir tenus en octobre 2008 sur internet à l’intention de M. Y______ - dont il savait alors qu’il s’agissait d’un élève du collège dans lequel il enseignait - sont inadmissibles quel qu’en soit le contexte. Non seulement ces fautes sont graves, mais elles mettent à néant la confiance que l’Etat doit avoir quant à la capacité du recourant à remplir ses fonctions avec la distance et la dignité nécessaires.

Dans ces circonstances, l’autorité intimée n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en choisissant de sanctionner le recourant par la plus lourde des mesures disciplinaires à sa disposition, quel que soit l’intérêt privé de celui-ci à conserver son poste et son absence d’antécédents.

13) Le recours sera rejeté. Vu son issue, les conclusions en indemnisation prises par le recourant sont sans objet. Un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge du recourant. Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mai 2011 par Monsieur X______ contre l’arrêté du Conseil d’Etat du 30 mars 2011;

au fond :

le rejette;

met un émolument de CHF 1’500.- à la charge de Monsieur X______ ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt  peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15’000.-;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.-;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt  et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi;

communique le présent arrêt à Me Pierre de Preux, avocat du recourant, ainsi qu’au Conseil d’Etat.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :