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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3473/2019

ATA/698/2020 du 04.08.2020 ( FPUBL ) , REJETE

Recours TF déposé le 08.09.2020, rendu le 01.06.2021, REJETE, 8C_530/2020
Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;EMPLOYÉ PUBLIC;FONCTIONNAIRE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;ENQUÊTE ADMINISTRATIVE;MESURE DISCIPLINAIRE;PROPORTIONNALITÉ;RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC;RÉVOCATION DISCIPLINAIRE;SALAIRE
Normes : Cst.29.al2; LPA.61.al2; LPAC.16.al1; LPAC.27.al2
Résumé : Selon la gravité de la violation de leurs devoirs de service, les fonctionnaires peuvent faire l’objet d’une révocation. La révocation disciplinaire, qui est la sanction la plus lourde prévue par la loi, implique une faute grave, soit une violation particulièrement grave d'un devoir de service. Parmi les motifs propres à justifier une révocation disciplinaire, on peut mentionner, à titre d'exemple, la violation du secret de fonction dans un domaine sensible, l'abus des pouvoirs de la fonction, l'indication fausse des heures de travail ou des irrégularités dans le cadre de l'enregistrement du temps de travail, l'alcoolisme ou encore le vol. Un fonctionnaire qui s’introduit sans y être autorisé dans les locaux des archives des ressources humaines viole ses devoirs de service.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3473/2019-FPUBL ATA/698/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 août 2020

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Philippe Eigenheer, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) a. Monsieur A______, né le ______ et domicilié à S______, titulaire de ______, a, le 22 mai 2009, envoyé au département des constructions et technologies de l'information, devenu le département du territoire (ci-après : DT) son dossier de candidature à un poste de négociateur 2 en biens immobiliers.

b. Par lettre du 30 septembre 2009, M. A______ a été engagé comme négociateur 2 en biens immobiliers à un taux d'activité de 100 %, sous le statut de cadre intermédiaire, et affecté au service des opérations foncières, devenu la direction de la planification et des opérations foncières de l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) du DT, avec effet au 15 octobre 2009.

c. Par décision du 26 janvier 2012, M. A______ a été nommé fonctionnaire avec effet au 15 octobre 2011.

d. Le 25 avril 2013, il a été transféré sans promotion de l'office des bâtiments à l'office du logement, avec effet au 1er mai 2013.

2) Les 18 mars 2010, 17 novembre 2011, 9 novembre 2015 et 6 novembre 2018, M. A______ a eu des entretiens d'évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) portant respectivement sur ses trois mois et dix-huit mois d'engagement et sur les périodes du 1er août 2013 au 31 octobre 2015 et du 1er novembre 2015 au 31 octobre 2018. Son bilan était favorable et son intégration réussie. Il avait atteint ses objectifs, était jugé par sa hiérarchie comme compétent et rigoureux.

3) a. Le 15 mai 2017, Monsieur B______, directeur de la perception de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC), a adressé à Madame C______, directrice générale de l'OCLPF, une note relative à M. A______ en lui demandant de prendre les dispositions jugées nécessaires à son sujet.

L'intéressé s'était rendu à plusieurs reprises, sans prise de contact préalable, dans les locaux de l'AFC au motif de vouloir rendre service à une personne proche, en l'occurrence Madame D______, cheffe de groupe coordinatrice et adjointe au service du contentieux de l'AFC, qui était en congé maladie et qui lui avait donné une procuration pour récupérer ses effets personnels et une autre concernant une scission fiscale. Il lui avait été demandé de ne plus se rendre dans les locaux précités.

b. Le 30 mai 2017, M. A______ a été reçu en entretien par Mme C______ et Monsieur E______, directeur de la planification des opérations foncières, au sujet de la note précitée dont il a, séance tenante et par note du 16 juin 2017, contesté le contenu. Une note de l'entretien a été versée dans son dossier.

4) Le 13 décembre 2018, Messieurs F______, directeur des ressources humaines du département des finances et des ressources humaines (ci-après : DF), et G______, directeur des ressources humaines du DT, ont adressé à Mme D______ et M. A______ un courriel, qui devait être versé dans leurs dossiers personnels respectifs, au sujet de leur présence commune à plusieurs reprises dans les toilettes des hommes ou des femmes du DF. Les intéressés se sont étonnés, dans un courriel commun du 14 décembre 2018, que le courriel en cause ait été adressé à leur hiérarchie respective et versé dans leurs dossiers personnels. Par courriel commun du même jour, MM. F______ et G______ ont indiqué aux intéressés vouloir conserver une trace écrite de l'entretien du 13 décembre 2018.

5) a. Le 19 février 2019, Monsieur H______, responsable de la sécurité du DF, a informé M. F______ que Monsieur I______, nettoyeur affecté les lundis au nettoyage du 7ème étage du DF, lui avait fait part de la présence de M. A______ dans les locaux de la direction des ressources humaines du DF, le soir du 18 février 2019.

b. Le même jour, M. F______ a entendu M. I______ et sa collègue, Madame J______, en présence de Madame K______, responsable du secteur RH du DF, de M. H______ et de Madame L______, remplaçante du responsable de l'équipe de nettoyage.

M. I______ a déclaré qu'en décembre 2018, un lundi avant Noël, alors qu'il nettoyait une grande tache d'eau dans le bureau 1______ occupé par Mme K______, situé à côté de celui avec « les meubles en métal » (2______), la personne qui occupait le bureau situé à gauche après la porte coupe-feu, « un homme de grande taille, avec le crâne rasé », s'était introduite et était restée quelque temps dans les bureaux 1______ et 3______. Il en avait fait part à sa collègue à son retour sur l'étage. Le 18 février 2019, il avait nettoyé les mêmes bureaux. Vers 19h00, il était entré dans le bureau 4______ occupé par « l'homme de grande taille, avec le crâne rasé », qui était alors présent. Surpris, il avait décidé de le laisser travailler et de revenir plus tard. Cependant, l'intéressé était venu vers lui et lui avait demandé de nettoyer son bureau et avait voulu savoir s'il était tout seul, si tous ses collègues étaient partis. À la suite de sa réponse positive, l'intéressé lui avait alors demandé de lui prêter son badge en lui expliquant avoir oublié le sien. Il l'avait observé entrer dans le bureau 2______ puis en sortir avec des documents. Il l'avait ensuite observé traverser le couloir et se rendre dans le local des photocopieurs de l'OCLPF, situé du côté des ascenseurs. L'intéressé était ensuite retourné dans le bureau 2______ y remettre les documents et lui avait rendu le badge. Environ dix minutes plus tard, l'intéressé était revenu lui demander à nouveau le badge qu'il l'avait utilisé pour ouvrir une nouvelle fois le bureau 2______, puis le lui avait rendu. Il avait relaté l'incident à Mme L______.

Selon Mme J______, elle laissait ouverts les bureaux nettoyés pour permettre à son collègue de passer l'aspirateur. Un lundi, en décembre 2018, elle avait remarqué des taches au sol dans le bureau 1______. Elle s'était absentée pour aller chercher un autre collègue qui avait l'équipement pour enlever ces taches. À son retour, son collègue lui avait relaté l'incident observé. Une personne, l'occupant du bureau se trouvant dans le même couloir, mais de l'autre côté de la porte coupe-feu, côté cimetière, s'était introduite dans les bureaux de la direction RH, soit celui avec des taches au sol et le bureau de M. F______. La personne avait pu s'introduire dans les bureaux restés ouverts durant le nettoyage. Elle avait identifié cette personne comme étant M. A______.

Mme L______ avait vu, le 18 février 2019 à 19h40 environ, M. A______ quitter le DF. Les sas d'entrée étant ouverts, il était sorti sans timbrer.

Mme L______ a confirmé ses déclarations lors de son audition du 28 février 2019 par Monsieur M______, responsable de secteur RH 2 de la direction RH du DF, et Madame N______, responsable de secteur RH du DT. Au soir du 18 février 2019, elle avait vu M. A______ sortir à 19h40 du DF, côté rue du R______, sortie du personnel par le sas de sécurité. Elle était présente sur les lieux, car elle attendait la sortie de l'équipe de nettoyage du bâtiment qui avait lieu à 19h45 tous les jours. Mme J______ était également présente et avait vu l'intéressé sortir du bâtiment. Vers 19h40, M. I______ était venu la trouver et lui avait dit avoir prêté son badge à la personne travaillant dans le bureau 4______.

c. À l'issue de l'audition du 19 février 2019 de M. I______ et de sa collègue, Monsieur O______, responsable de secteur RH du DF, a vérifié si les échanges de courriels des 13 et 14 décembre 2018 versés dans le dossier personnel de Mme D______ s'y trouvaient toujours. Ces derniers avaient disparu.

6) Le 20 février 2019, M. F______ a informé Mme C______ des faits précités. Ils ont ensuite consulté le « log » de la photocopieuse de l'OCLPF et procédé à des vérifications du journal du 18 février 2019 d'utilisation du badge de M. I______ entre 18h19 et 19h39.

Les heures entre l'accès au bureau 2______ et celles de l'utilisation de la photocopieuse de l'OCLPF coïncidaient avec les faits relatés par M. I______.

7) Le 25 février 2019, M. F______ a établi une note au sujet de l'intrusion de M. A______ du 18 février 2019 dans les locaux du DF, du témoignage de M. I______ et de sa collègue, de la vérification du dossier de Mme D______ par M. O______ et du résultat du « log ». Il a recommandé de prendre des mesures pour éloigner l'intéressé du DF.

8) a. Le 26 février 2019, M. M______ a transmis par inadvertance en copie cachée à M. A______ un courriel et ses annexes (notamment la note précitée du 25 février 2019) destinés à l'office du personnel de l'État (ci-après : OPE).

Selon ce courriel, il fallait convoquer l'intéressé oralement pour un entretien au cours duquel il lui serait annoncé une suspension sans traitement, et l'ouverture d'une enquête administrative. Le dossier devait passer au Conseil d'État.

b. Par courriel du 27 février 2019 et par courrier de son mandataire du même jour, M. A______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés.

9) Le 27 février 2019, Mme C______, MM. E______ et M______ ont entendu M. A______ dans le cadre d'un entretien de service.

a. Il était reproché à l'intéressé d'avoir le 18 février 2019 au soir, par le subterfuge de l'emprunt d'un badge à un nettoyeur, pénétré dans les bureaux de la direction RH du DF, d'en être ressorti avec des documents et d'en avoir fait des photocopies. Il lui était également reproché la disparition constatée d'un courriel du 13 décembre 2018 dans le dossier de Mme D______. L'employeur avait l'intention de faire toute la lumière sur les faits en cause et envisageait de demander au Conseil d'État l'ouverture d'une enquête administrative et sa suspension qui pouvait entraîner la suppression de toute prestation à la charge de d'État. L'intéressé était immédiatement libéré de son obligation de travailler. Le Conseil d'État serait saisi pour valider cette mesure.

b. M. A______ a contesté les faits. Il a expliqué ne pas s'être introduit dans des locaux où il n'était pas autorisé à pénétrer. Selon son badge, il avait, le 18 février 2019, quitté son lieu de travail à 18h56. Il ne se souvenait pas être remonté dans les locaux après avoir timbré ou s'il avait quitté le bâtiment. Il lui arrivait de travailler tard le soir en fonction de sa charge de travail et de ses impératifs familiaux. Durant la semaine du 18 février 2019, il n'avait pas de contraintes familiales, mais une importante charge de travail. Il n'avait pas le souvenir d'avoir fait des photocopies ce jour-là. Il n'avait pas emprunté le badge d'un nettoyeur pour s'introduire dans les locaux du DF ni en décembre 2018 ni en février 2019. Il n'avait pas pris de pièces dans le dossier de Mme D______. Il avait demandé à plusieurs reprises aux nettoyeurs de frapper aux portes avant d'entrer dans les bureaux et de bien vouloir les fermer en sortant. Il avait interpellé Mme L______ pour lui demander d'intervenir auprès de ses collaborateurs. Ces échanges avaient eu lieu en septembre et octobre 2018 en présence de Mme D______. Celle-ci avait formulé les mêmes doléances. Il avait, à ce sujet, interpellé à deux reprises la logistique vers fin août 2018.

c. Par courrier du 27 février 2019, remis en mains propres, Mme C______ a confirmé à M. A______ qu'il était libéré, avec effet immédiat, de son obligation de travailler, pour garantir la bonne marche du service. Elle envisageait de demander au Conseil d'État de valider cette mesure. L'intéressé pouvait formuler d'éventuelles observations écrites jusqu'au 1er mars 2019.

d. Les 28 février et 1er mars 2019, M. A______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Il s'est également opposé à sa libération de son obligation de travailler et a exigé d'être réintégré dans son poste jusqu'à la décision du Conseil d'État.

L'ouverture d'une enquête administrative pouvant entraîner la suspension provisoire de toute prestation de l'État serait à son sens disproportionnée, compte tenu des faits contestés, de son ancienneté, de la qualité de son travail et des appréciations de sa hiérarchie lors des EEDP notamment. Il ne se souvenait pas si, le 18 février 2019, il était retourné dans son bureau après avoir timbré. En revanche, il se rappelait être retourné dans le bureau après avoir timbré un soir durant le mois de février 2019. Il était resté pour ranger des classeurs d'un projet entreposés dans un « open space ». Il était descendu badger avant 19h00, avant de retourner à son bureau.

10) a. Par courrier du 4 mars 2019, Mme C______ a confirmé à l'intéressé sa libération de l'obligation de travailler dans l'attente d'une décision du Conseil d'État, à qui la mesure précitée et les observations de l'intéressé seraient soumises.

b. Le même jour, le DT a adressé à l'OPE un courrier faisant état de son intention de demander au Conseil d'État l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de l'intéressé, une suspension de celui-ci et une suppression provisoire de toute prestation à la charge de l'État.

11) Par arrêté du 6 mars 2019, qui n'a pas fait l'objet d'un recours, le Conseil d'État a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. A______ portant sur les faits retenus dans ses considérants et sur tous les autres faits répréhensibles qui pourraient apparaître ou être révélés en cours d'enquête. Il a confié l'enquête à un magistrat de la Cour de justice (ci-après : l'enquêteur). Il a aussi ratifié la libération provisoire de l'obligation de travailler signifiée à M. A______ le 27 février 2019 et l'a suspendu provisoirement de ses fonctions, avec maintien des prestations à charge de l'État, en réservant néanmoins la décision de leur suppression.

L'intéressé contestait certes s'être introduit dans les locaux où il n'était pas autorisé à pénétrer et alléguait avoir quitté son lieu de travail à 18h56, le 18 février 2019. Toutefois, il n'établissait pas avoir effectivement quitté son lieu de travail. Par ailleurs, lors de l'entretien du 27 février 2019, il ne se souvenait pas s'il était remonté dans les locaux après avoir timbré. S'ils étaient avérés, les faits reprochés seraient propres à compromettre la confiance de l'employeur et pourraient justifier une révocation.

12) Les 3, 10, 17 avril et 8 mai 2019, l'enquêteur a procédé à plusieurs auditions.

a. D'après M. A______ et Mme D______, leurs relations étaient étroites. Elle lui avait confié une procuration pour une scission fiscale et lui avait demandé de récupérer ses effets personnels durant son absence pour maladie. Aucun motif n'aurait incité l'intéressé à soustraire des documents de son dossier, en l'occurrence non essentiels, sans lui en parler.

b. Pour MM. F______ et O______, M. A______ n'avait pas d'obstacle technique pouvant l'empêcher de se rendre dans les locaux du 7ème étage, comme presque tout un chacun, mais il n'avait pas à s'y trouver. La vérification du nombre des copies sur le mopieur montrait une concordance avec le nombre des pièces du dossier de Mme D______, excepté les observations de celle-ci après un entretien de service. Il y avait environ septante copies enregistrées sur la photocopieuse.

c. M. I______, Mmes J______ et L______ ont confirmé leurs déclarations antérieures en les précisant.

d. Selon M. H______ et Monsieur P______, chef du service logistique du DF, il n'y avait pas besoin de timbrer pour accéder aux locaux du 7ème étage, sous réserve des locaux bénéficiant d'une protection particulière comme ceux des RH du DF. Pendant les heures de travail, jusqu'à 16h30, n'importe qui pouvait accéder au 7ème étage sans timbrer. Les équipes de nettoyage étaient présentes de 17h00 à 19h45. Le bâtiment fermait à 20h00. Les nettoyeurs devaient rendre leur badge à la sécurité lorsqu'ils quittaient le bâtiment.

13) a. Le 5 juin 2019, l'enquêteur a rendu son rapport et a conclu qu'une faute disciplinaire était établie pour les faits commis par l'intéressé les 17 décembre 2018 et 18 février 2019.

L'enquête devait vérifier si l'intéressé avait violé ses devoirs de service en s'introduisant dans les bureaux de la direction RH du DF, le 18 février 2019, en y prélevant et en copiant des documents et en soustrayant un message électronique versé au dossier de Mme D______.

Selon le dossier de l'enquête, l'intéressé s'était montré un « factotum » bienveillant, empressé, voire zélé, pour Mme D______. Il cherchait une occasion favorable d'accéder au dossier personnel de celle-ci, conservé dans les locaux occupés par les RH du DF au 7ème étage où il avait son bureau également. Un accès « non filtré » à ce dossier offrait de meilleures garanties de connaître avec précision et certitude les identités des collègues ayant dénoncé Mme D______ et les griefs à son encontre, voire de soustraire la mise en garde du 13 décembre 2018. Le 17 décembre 2018, l'intéressé avait intrigué un nettoyeur par ses déplacements dans les bureaux du 7ème étage. Néanmoins, comme M. F______ était présent dans son bureau, M. A______ en était resté là. Le 18 février 2019, comme la porte des RH du DF était fermée, il avait demandé à M. I______ un badge, seul moyen qui pouvait lui permettre d'y pénétrer. La correspondance entre les temps d'activation de la porte des archives RH par le badge emprunté à M. I______ et de la photocopieuse validait le témoignage de ce dernier, notamment au sujet de l'emprunt de son badge à deux reprises. M. A______ avait créé l'apparence d'avoir quitté le lieu de travail à 18h56 même s'il n'en était rien. Il avait pris la précaution de demander comment il pourrait sortir du bâtiment au-delà de 18h56 sans utiliser son badge.

L'intrusion indue et subreptice de M. A______ dans les archives RH du DF le 18 février 2019 devait être qualifiée de faute grave. Elle avait été précédée d'une déambulation préoccupante dans les locaux des ressources humaines du DF le 17 décembre 2018, pouvant être comprise comme une tentative ou des repérages avant l'occasion favorable. Le faisceau d'indices à l'appui d'une consultation et d'une épuration indues du dossier administratif de Mme D______, en date du 18 février 2019, était confondant, mais comme l'intéressé n'avait pas été pris sur le fait, le doute devait lui profiter sur ce point. Sous l'angle de la loyauté, de la protection de données et du respect du secret de fonction, un fonctionnaire ne devait pas pénétrer dans les archives RH spécialement protégées quand sa fonction ne l'y autorisait pas, a fortiori quand ces archives étaient celles d'un autre département. M. A______ n'avait pas su reconnaître et respecter ces limites évidentes et de bon sens et n'assumait pas sa faute.

b. Le 18 juin 2019, l'OPE a invité l'intéressé à formuler au Conseil d'État ses observations sur le rapport précité et lui a fixé un délai pour ce faire.

c. Le 24 juillet 2019, M. A______ a conclu à ce que l'enquête soit close par sa réintégration à son poste de travail et à ce qu'aucune sanction ne lui soit infligée. Il a aussi demandé à être reçu par une délégation du Conseil d'État pour être entendu.

Il avait travaillé pendant dix ans pour l'État de Genève à la satisfaction des deux parties. Il s'était montré fiable, compétent et loyal. Il contestait s'être introduit dans trois bureaux du DF et avoir photocopié le dossier RH d'une collaboratrice. L'enquête administrative n'avait corroboré aucune des accusations portées contre lui, lesquelles reposaient sur le témoignage contradictoire de M. I______. En outre, les témoignages l'accusant d'être sorti du bâtiment à 19h40 le 18 février 2019 étaient contradictoires. Aucun des témoins n'avait confirmé l'avoir vu ce jour-là entrer dans un autre bureau. M. I______ s'était contredit sur des éléments majeurs de son témoignage. Le 19 février 2019, il avait déclaré l'avoir observé entrer dans le bureau 2______, puis devant l'enquêteur, le 10 avril 2019, il avait déclaré ne pas avoir vu dans quel bureau il était entré. Le 19 février 2019, il avait également déclaré que M. A______ lui avait demandé s'ils étaient seuls à l'étage, avant de lui emprunter son badge. Devant l'enquêteur, il avait reconnu l'inexactitude de cette affirmation en situant cette question en décembre 2018. Selon Mme L______, sa collègue nettoyeuse l'avait vu sortir du bâtiment à 19h40. Or, celle-ci avait affirmé ne pas l'avoir vu ni ce jour-là ni le 17 décembre 2018. Certains membres de l'équipe de nettoyage entretenaient de mauvais rapports avec lui dans la mesure où il s'était plaint à diverses reprises de leurs prestations. Ses relations s'étaient aussi dégradées avec la direction RH du DF, en raison de demandes ponctuelles formulées pour le compte de Mme D______. La question centrale était celle de savoir pourquoi il aurait fourni autant d'efforts pour photocopier un dossier auquel Mme D______ avait librement accès. Il n'avait aucune raison de prélever ce dossier, la concernée ayant eu accès à ses « accusateurs » dix mois auparavant.

d. Le 26 juillet 2019, l'OPE a déclaré les observations précitées de l'intéressé irrecevables dans la mesure où elles avaient été formées hors délai.

e. Le 9 août 2019, le DT s'est déterminé sur les observations de M. A______ du 24 juillet 2019.

L'argumentaire de l'intéressé reposait sur la théorie du complot et sur le discrédit porté aux témoins qui ne trouvaient aucun appui dans le dossier. Le lien de confiance de l'employeur à l'égard du collaborateur était rompu en raison notamment de la faute grave constatée dans le rapport de l'enquêteur et de l'absence de prise de conscience de l'intéressé.

14) Par arrêté du 21 août 2019, le Conseil d'État a révoqué M. A______ de ses fonctions avec effet immédiat et a clos l'enquête administrative ouverte contre lui. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

Les observations de l'intéressé au sujet du rapport du 5 juin 2019 n'étaient pas de nature à mettre en cause le bien-fondé de celui-ci. Selon ce rapport, le 18 février 2019, l'intéressé avait pénétré sans droit, en empruntant un badge d'entrée d'un nettoyeur, dans le bureau des archives RH du DF, probablement en vue d'une consultation voire d'une épuration du dossier administratif de Mme D______. Il avait pu consulter et prendre connaissance de documents confidentiels classés dans des dossiers du personnel ne le concernant pas et auxquels aucune disposition légale ne lui donnait un droit d'accès, violant ainsi ses obligations. Sa faute était grave et révélait un certain mépris des règles régissant ses devoirs de fonctionnaire. L'intéressé n'avait pas pris conscience de la gravité de ses actes et ne reconnaissait pas ses erreurs. Il n'était pas exclu de le voir répéter ce genre de comportement à l'avenir. Ses allégations sur les conflits avec les nettoyeurs et les RH du DF n'étaient pas démontrées.

Certes, M. A______ n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire auparavant et son travail et son attitude avaient donné globalement satisfaction depuis son engagement. Toutefois, les faits avérés qui lui étaient reprochés étaient particulièrement graves. Il avait par ses agissements rompu le lien de confiance avec l'employeur. La poursuite des rapports de service ne pouvait plus être envisagée. Le principe de la proportionnalité était respecté, aucune autre sanction disciplinaire n'étant envisageable au vu des circonstances, notamment de l'absence de prise de conscience de la gravité de son comportement.

15) a. Le 11 septembre 2019, M. A______ s'est plaint auprès du DT que sa détermination du 9 août 2019 au Conseil d'État ne lui avait pas été transmise.

b. Dans son courrier de réponse du 16 septembre 2019, le DT a indiqué que la législation soustrayait la détermination susvisée au droit d'accès en raison de son caractère particulier d'échanges entre cadres supérieurs de l'administration. Celle-ci ne contenait aucun élément nouveau et son contenu essentiel était une confirmation de l'impossibilité de réintégrer l'intéressé à son poste. Ce dernier avait eu l'occasion de faire part de sa position.

16) Par acte déposé le 19 septembre 2019, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté précité en concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours et à la production de son dossier personnel complet. Principalement, il a conclu à l'annulation de la décision attaquée et à ce qu'il soit dit et constaté que les rapports de service avec l'État de Genève étaient maintenus. Il a conclu, subsidiairement, au renvoi de la cause au Conseil d'État pour une nouvelle décision dans le sens des considérants.

L'enquête interne avait été menée de manière contraire à la procédure. M. I______ et sa collègue avaient été entendus en présence de leur cheffe d'équipe, qui elle-même avait été auditionnée le 28 février 2019. L'accusation de s'être introduit dans deux bureaux RH le 17 décembre 2018 était absurde. Ce jour-là, il avait quitté les lieux à 17h42 en compagnie d'autres collègues dont Mme D______. La sanction prononcée à son encontre était différente de celle proposée par l'enquêteur et était disproportionnée. Les faits qui lui étaient reprochés n'étaient pas avérés, et même s'ils l'avaient été leur gravité était à relativiser.

Pour le surplus, il a repris ses arguments développés auparavant.

17) Par décision du 21 octobre 2019, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif.

18) Le Conseil d'État a conclu au rejet du recours.

Il n'y avait pas de contradiction dans les déclarations de M. I______. Celui-ci avait confirmé avoir prêté son badge à l'intéressé. Le « log » avait confirmé le journal d'utilisation du badge indiquant plusieurs entrées dans le bureau 2______. Le 17 décembre 2018, M. A______ s'était introduit dans le bureau 2______ pour faire des repérages. Son départ à 17h42 n'était pas déterminant, rien ne pouvait empêcher l'intéressé de timbrer son départ à cette heure-là, puis de revenir dans son bureau, la porte du sas du bâtiment restant ouverte bien plus tard les lundis et mercredis, pour permettre à l'équipe de nettoyage de sortir les containers à poubelles. La décision de révocation n'était pas fondée sur le reproche de consultation ou d'épuration supposées du dossier de Mme D______. Elle était basée sur l'intrusion de l'intéressé par le subterfuge d'emprunt d'un badge dans le bureau 2______ contenant des archives du personnel du DF. M. A______ n'était pas autorisé à pénétrer dans ces locaux et il le savait. Il était un cadre intermédiaire depuis de nombreuses années et devait savoir être formellement interdit de pénétrer sans droit dans les archives RH, de surcroît en empruntant le badge d'un nettoyeur. Il avait commis une violation grave de ses devoirs de service et la confiance de l'employeur était rompue.

19) Le 9 décembre 2019, M. A______ a persisté dans les conclusions de son recours.

L'enquête préliminaire interne avait eu une influence déterminante sur la suite de la procédure et était entachée de vices graves. La relation entre Mme D______ et sa hiérarchie avait une influence sur sa propre relation avec les RH du DF. Lui-même avait une affinité avec Mme D______. Ses difficultés avec les RH étaient également liées à ses engagements en faveur des revendications de la fonction publique.

La non-transmission des observations du DT du 9 août 2019 représentait une violation de son droit d'être entendu. Même si elles ne contenaient pas de faits nouveaux, elles les présentaient sous un jour nouveau et incisif.

20) Le 31 janvier 2020, le Conseil d'État a persisté dans ses observations et conclusions antérieures.

L'enquêteur avait procédé à ses propres investigations. L'intéressé n'avait pas été révoqué en raison de la mauvaise qualité de ses prestations, mais à cause de son intrusion dans le bureau des archives du DF. La note du DT du 9 août 2019 était un document nécessaire à la réflexion interne de l'administration. Son contenu essentiel avait été transmis à l'intéressé le 16 septembre 2019.

21) Le 4 février 2020, la chambre de céans a transmis à M. A______ la duplique du Conseil d'État.

22) Le 14 juillet 2020, la juge déléguée a organisé une audience de comparution personnelle des parties.

a. M. A______ a confirmé sa conclusion de demande de réintégration. Il était en recherche d'emploi. Il avait difficilement vécu l'enquête et la décision de sa révocation. L'enquête avait été menée à charge et ses témoins avaient été entendus brièvement. Lui-même avait été entendu avant les témoins et ne l'avait pas été après leur audition. L'État de Genève lui avait fait confiance pendant dix ans et lui-même gardait confiance en celui-ci.

b. Selon les représentants du Conseil d'État, il y avait eu une rupture du lien de confiance qui justifiait la décision indépendamment de la qualité du travail de l'intéressé sur le plan technique. Il avait eu auparavant des incidents et des comportements qui avaient incommodé des collègues de l'intéressé.

23) À l'issue de l'audience, la juge déléguée a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Dans un grief de nature formelle, le recourant reproche à l'autorité intimée d'avoir omis de lui transmettre les observations du DT du 9 août 2019.

a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 I 279 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_585/2014 du 13 février 2015 consid. 4.1). Le droit d'être entendu est certes une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond. Toutefois, ce droit n'est pas une fin en soi ; il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure. Lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (arrêts du Tribunal fédéral 6A_630/2018 du 17 juin 2019 consid. 7.1 ; 4A_200/2016 du 5 octobre 2017 consid. 2).

b. En l'espèce, il ressort du dossier que le 18 juin 2019, l'OPE a demandé au recourant d'adresser au Conseil d'État sa détermination sur le rapport d'enquête du 5 juin 2019. Le 24 juillet 2019, l'intéressé a formulé des observations détaillées reprenant des éléments figurant dans celles des 28 février et 1er mars 2019 transmises au Conseil d'État par courrier de l'OCLPF du 4 mars 2019. La détermination en cause du DT fait suite aux observations précitées du 24 juillet 2019. Elle reprend les griefs faits au recourant lors de l'entretien du 27 février 2019 et les résultats du rapport d'enquête. Le recourant reconnaît au demeurant que dans sa prise de position du 6 août 2019, le DT ne soulève aucun fait nouveau. De plus, le recourant a eu l'occasion de s'exprimer sur les reproches qui lui sont faits, d'abord oralement devant son employeur le 27 février 2019, ensuite par écrit les 28 février et 1er mars 2019. Il a été en outre auditionné par l'enquêteur le 3 avril 2019 et a envoyé ses observations précitées le 24 juillet 2019. Devant la chambre de céans, il a pu prendre connaissance de la détermination en cause et formuler ses observations à son sujet. Dans ces circonstances, même si la détermination du 6 août 2019 aurait dû lui être transmise, on ne discerne pas en quoi elle lui aurait permis d'apporter un éclairage nouveau pertinent sur le résultat de l'enquête qui a fondé la décision de l'autorité intimée. Le recourant ne le prétend pas. Au demeurant, ce manquement a été réparé devant la chambre de céans qui dispose d'une pleine cognition pour trancher le présent litige.

Le recourant ayant eu l'occasion de se déterminer de manière circonstanciée sur les prises de position du DT, son droit d'être entendu n'a pas été violé. Partant, son grief doit être écarté.

3) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de révocation du recourant avec effet immédiat, prononcée le 21 août 2019 par le Conseil d'État.

Le recourant fait valoir qu'il n'a pas commis de violations de ses devoirs de service et que, si les faits qui lui sont reprochés étaient avérés, leur gravité serait à relativiser. Sa révocation constituerait dès lors une sanction disproportionnée.

4) Les rapports de service du recourant, en sa qualité de fonctionnaire de l'administration cantonale, sont soumis à la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05).

a. En vertu de l'art. 16 al. 1 LPAC, les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, des sanctions suivantes :

Prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec sa hiérarchie, d'un blâme (let. a) ; prononcées, au sein de l'administration cantonale, par le chef du département ou le chancelier d'État, d'entente avec l'office du personnel de l'État de la suspension d'augmentation du traitement pendant une durée déterminée ou de la réduction de traitement à l'intérieur de la classe (let. b) ; prononcées, à l'encontre d'un fonctionnaire, au sein de l'administration cantonale, par le Conseil d'État du retour au statut d'employé en période probatoire pour une durée maximale de trois ans ou la révocation (let. c).

Le Conseil d'État doit ordonner l'ouverture d'une enquête administrative qu'il confie à une personne qui a les compétences requises dans les hypothèses visées à l'art. 16 al. 1 let. c LPAC, soit notamment pour le prononcé d'une révocation (art. 27 al. 2 LPAC).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence de faute du fonctionnaire (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2249). La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n'ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l'auteur (ATA/137/2020 du 11 février 2020 ; ATA/808/2015 du 11 août 2015). La faute disciplinaire peut même être commise par méconnaissance d'une règle. Cette méconnaissance doit cependant être fautive (Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en suisse romande, in Revue jurassienne de jurisprudence, 1998, n. 55 p. 14).

Tout agissement, manquement ou omission, dès lors qu'il est incompatible avec le comportement que l'on est en droit d'attendre de celui qui occupe une fonction ou qui exerce une activité soumise au droit disciplinaire peut engendrer une sanction. La loi ne peut pas mentionner toutes les violations possibles des devoirs professionnels ou de fonction. Le législateur est contraint de recourir à des clauses générales susceptibles de saisir tous les agissements et les attitudes qui peuvent constituer des violations de ces devoirs (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 50 p. 14). Dans la fonction publique, ces normes de comportement sont contenues non seulement dans les lois, mais encore dans les cahiers des charges, les règlements et circulaires internes, les ordres de service ou même les directives verbales. Bien que nécessairement imprécises, les prescriptions disciplinaires déterminantes doivent être suffisamment claires pour que chacun puisse régler sa conduite sur elles, et puisse être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à résulter d'un acte déterminé (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 51, p. 14).

5) L'autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_292/2011 du 9 décembre 2011 consid. 6.2). Le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés. À cet égard, l'autorité doit tenir compte en premier lieu d'éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l'intéressé (ATA/137/2020 précité ; ATA/118/2016 du 9 février 2016). En particulier, elle doit tenir compte de l'intérêt du recourant à poursuivre l'exercice de son métier, mais elle doit aussi veiller à la protection de l'intérêt public (ATA/694/2015 du 30 juin 2015).

En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre de céans se limite à l'excès ou à l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/118/2016 précité ; ATA/452/2013 du 30 juillet 2013 et les références citées).

6) a. La révocation disciplinaire, qui est la sanction la plus lourde prévue par la loi, implique une faute grave, soit une violation particulièrement grave d'un devoir de service (ATA/137/2020 précité ; ATA/1287/2019 du 27 août 2019 et les références citées). Cette mesure revêt l'aspect d'une peine et a un certain caractère infamant vu sa nature. Elle s'impose surtout dans les cas où le comportement de l'agent démontre qu'il n'est plus digne de rester en fonction (arrêt du Tribunal fédéral 8C_324/2017 du 22 février 2018 consid. 5.2.2 ; ATA/1476/2019 du 8 octobre 2019).

b. Parmi les motifs propres à justifier une révocation disciplinaire, on peut mentionner, à titre d'exemple, la violation du secret de fonction dans un domaine sensible, l'abus des pouvoirs de la fonction, l'indication fausse des heures de travail ou des irrégularités dans le cadre de l'enregistrement du temps de travail, l'alcoolisme ou encore le vol (arrêt du Tribunal fédéral 8C_203/2010 du 1er mars 2011 consid. 3.5 et les références citées).

c. La chambre de céans a notamment confirmé la révocation : d'un huissier-chef ayant transmis des documents à des tiers non autorisés, omis de cadrer une subordonnée et adopté d'autres comportements problématiques (ATA/1287/2019 précité) ; d'un intervenant en protection de l'enfant ayant entretenu une relation intime avec la mère des enfants dont il était en charge (ATA/913/2019 du 21 mai 2019 confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_448/2019 du 20 novembre 2019) ; d'un employé administratif au sein de la police ayant fait usage des outils informatiques mis à sa disposition par son employeur pour satisfaire sa curiosité personnelle et transmettre des données confidentielles à des tiers (ATA/56/2019 du 22 janvier 2019, actuellement pendant devant le Tribunal fédéral) ; d'un fonctionnaire ayant dérobé de la nourriture dans les cuisines d'un établissement hospitalier (ATA/118/2016 du 9 février 2016) ; d'un policier ayant frappé un citoyen lors de son audition, alors que ce dernier était menotté et maîtrisé (ATA/446/2013 du 30 juillet 2013, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_679/2013 du 7 juillet 2014) ; d'un fonctionnaire ayant insulté, menacé et empoigné un collègue dans un cadre professionnel (ATA/531/2011 du 30 août 2011) ; d'un fonctionnaire ayant notamment entretenu des relations intimes avec des fonctionnaires du service (ATA/39/2010 du 26 janvier 2010, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2010 du 9 mai 2011) ; d'un fonctionnaire ayant fréquemment et régulièrement consulté des sites érotiques et pornographiques depuis son poste de travail, malgré une mise en garde préalable et nonobstant la qualité du travail accompli (ATA/618/2010 du 7 septembre 2010). Elle a également confirmé la révocation d'un enseignant qui avait ramené une prostituée à l'hôtel où logeaient ses élèves, lors d'un voyage de classe, organisé sur son lieu de travail et pendant ses heures de service une rencontre à caractère sexuel avec un jeune homme dont il n'avait pas vérifié l'âge réel et dont il ignorait l'activité, puis menacé ce dernier (ATA/605/2011 du 27 septembre 2011).

La chambre administrative a toutefois annulé la révocation et ordonné la réintégration, en l'absence de violation des devoirs de service d'un fonctionnaire, pour lequel l'autorité d'engagement n'avait pas pu établir qu'il s'était rendu coupable de faux, seul fait à la base de la décision (ATA/911/2015 du 8 septembre 2015), ou dans le cas d'une fonctionnaire au motif que l'autorité avait renoncé à statuer sur le plan disciplinaire pendant plus d'une année, laissant l'intéressée dans l'incertitude sur sa situation, ce qui allait à l'encontre des principes du droit disciplinaire (ATA/1235/2018 du 20 novembre 2018).

7) En l'espèce, l'enquêteur retient que le recourant a violé ses devoirs de service en s'introduisant sans y être autorisé dans les locaux des archives des RH du DF. Ce dernier nie les faits et met en cause les témoignages qui l'accablent.

a. L'autorité intimée allègue contre le recourant certains faits qui n'ont pas été retenus par l'enquêteur notamment des « rencontres » de celui-ci et Mme D______ dans les toilettes hommes ou femmes du bâtiment du DF et ses présences fréquentes dans les bureaux du DF, notamment dans celui de Mme D______. L'enquêteur a estimé que ces faits ne constituaient pas des violations des devoirs de service et n'entraînaient pas de sanction disciplinaire. Cette appréciation de l'enquêteur n'est pas critiquable.

b. En revanche, selon l'arrêté du 6 mars 2019, l'enquête devait vérifier si l'intéressé avait violé ses devoirs de service en s'introduisant dans les bureaux des archives de la direction RH du DF, le 18 février 2019, en y prélevant et en copiant des documents et en soustrayant la note du 13 décembre 2018 versée au dossier personnel de Mme D______.

Les faits reprochés au recourant se fondent sur le témoignage de M. I______. Celui-ci a, le 19 février 2019, décrit leur déroulement qu'il a confirmé devant l'enquêteur le 10 avril 2019. Les déclarations des autres témoins clé, notamment Mme L______ et sa collègue nettoyeuse, à qui M. I______ s'est confié directement après les faits, permettent de conforter le témoignage de celui-ci. Il n'est pas contesté que le 18 février 2019 les deux nettoyeuses étaient en service le soir en question.

Le recourant soutient que, le 18 février 2019, son badge indique qu'il a terminé le travail à 18h56. Cependant, il reconnaît, dans sa déclaration lors de l'entretien du 27 février 2019, qu'il a confirmée dans ses observations écrites du 1er mars 2019 notamment, qu'il ne se souvient pas s'il a quitté les lieux après avoir timbré. Or, il reconnaît également, dans ses écritures devant la chambre de céans, qu'il lui arrivait de timbrer avant 19h00 et de retourner dans son bureau pour continuer à travailler. Dans ces circonstances, les déclarations de Mme L______ qui affirme l'avoir vu le 18 février 2019 aux environs de 19h40 emprunter la sortie du sas ouvert pour laisser l'équipe de nettoyage sortir les containers de poubelles et gardé en permanence par un agent de sécurité sont crédibles. Le recourant savait qu'après avoir timbré, il pouvait rester encore dans le bâtiment et sortir par le sas de sécurité. Le fait d'avoir timbré à 18h56 n'établit ainsi pas qu'il avait effectivement quitté les lieux directement après.

La conclusion de l'enquêteur qui retient que le recourant était présent dans les locaux du DF après avoir timbré à 18h56 échappe ainsi à la critique.

En outre, des preuves matérielles viennent confirmer le témoignage de M. I______. Le 19 février 2019, après l'audition de celui-ci et de sa collègue nettoyeuse, M. O______ a procédé à une vérification du dossier de Mme D______ et a constaté que la note constituée par le courriel du 13 décembre 2018 et des échanges de courriels du 14 décembre 2019 ne figurait pas dans le dossier de celle-ci. Le lendemain, le 20 février 2019, Mme C______ et M. F______ et ont procédé à un « log » de la photocopieuse de l'OCLPF se trouvant à l'endroit indiqué par M. I______, du côté des ascenseurs, et ont constaté qu'environ septante pages avaient été photocopiées le soir du 18 février 2019. Ce nombre de copies correspond aux pièces du dossier de Mme D______ moins ses observations après un entretien de service. Ces photocopies avaient été faites entre 19h00 et 19h40, soit durant la période pendant laquelle le recourant avait demandé à M. I______ de lui prêter son badge à deux reprises. Le recourant ne conteste pas que des photocopies ont été faites et ne démontre pas qu'elles auraient été faites par une autre personne que lui. Il se contente d'affirmer que le 18 février 2019, il n'était pas au bureau après 18h56, que la note précitée était de peu d'importance, et que Mme D______ pouvait avoir accès à son dossier personnel sur demande. Cependant, il ressort du dossier que lui-même et Mme D______ ont conjointement réagi par courriel du 14 décembre 2018 pour protester contre l'envoi du courriel de mise en garde du 13 décembre 2018 à leur hiérarchie respective et contre le fait que la note soit versée dans leurs dossiers personnels. L'événement du 17 décembre 2018, qualifié par l'enquêteur de repérage, s'est produit quelques jours à peine après cette protestation. Par ailleurs, le recourant et Mme D______ ont déclaré devant l'enquêteur que leurs relations étaient étroites. Elle lui avait confié une procuration pour une scission fiscale et lui avait demandé de récupérer ses effets personnels durant son absence pour cause de maladie. Aux yeux de l'enquêteur, il était un « factotum » bienveillant, empressé, voire zélé, pour Mme D______. Son accès « non filtré » au dossier de celle-ci pouvait permettre de connaître avec précision et certitude les identités des collègues ayant dénoncé Mme D______ et les reproches faits à celle-ci.

Les éléments qui précèdent permettent ainsi de considérer comme établi que le recourant s'est introduit dans les bureaux des archives des RH du DF dans lesquels il n'était pas autorisé à pénétrer. Cette intrusion qui s'est faite par le biais de l'emprunt du badge d'un nettoyeur constitue une violation de ses devoirs de service et met en péril les intérêts de l'État, notamment la confidentialité des données sensibles des collaborateurs du DF, que le recourant comme fonctionnaire doit sauvegarder. Elle a permis à celui-ci non seulement d'avoir accès au dossier de Mme D______, mais également d'avoir la possibilité de prendre connaissance des informations sensibles des autres collaborateurs du DF figurant dans les archives considérées.

Le fait d'avoir pénétré dans les bureaux RH dont l'accès était restreint aux seules personnes autorisées moyennant un badge a été considéré par l'enquêteur comme une violation des devoirs de service et comme une faute grave, appréciation qui n'est pas critiquable. Pour l'autorité intimée, elle justifie une rupture du lien de confiance avec son employé et doit être sanctionnée par une révocation avec effet immédiat.

c. La sanction prononcée par l'autorité intimée doit respecter le principe de la proportionnalité.

Il n'est pas contesté que le recourant est un fonctionnaire compétent et rigoureux dans l'exercice de son activité de négociateur en biens immobiliers. Il n'est pas non plus contesté qu'il n'a pas d'autres antécédents disciplinaires et que sa hiérarchie a, dans les différents EEDP, apprécié la qualité de son travail et de son intégration. Néanmoins, son comportement lors des faits qui lui sont reprochés ne relève pas de l'exigence de fidélité et d'exécution diligente de ses tâches professionnelles. Il relève plutôt du lien de confiance que l'employeur lui a témoigné en lui donnant accès à des locaux dans lesquels il accomplit son travail. Le recourant travaillait dans un bâtiment occupé par deux départements différents, le DF et le DT. Il disposait d'un libre accès à l'espace commun et n'avait pas à pénétrer dans les locaux de l'autre département, le DF, lorsqu'il n'y était pas invité ou convoqué. En raison des incidents qui s'étaient déjà produits, son attention avait d'ailleurs été attirée à ce sujet. Il s'était aussi engagé à ne pas se rendre dans un endroit où il n'était pas autorisé à être. Néanmoins, il avait procédé, dans un espace qui lui était interdit, à des repérages quelques mois auparavant, demandé au nettoyeur s'ils étaient seuls, pris la précaution de demander comment il pourrait sortir du bâtiment au-delà des heures d'ouverture des bureaux sans utiliser son badge. Il avait en outre créé l'apparence d'avoir quitté le lieu de travail à 18h56 même s'il n'en était rien.Ainsi, en accédant aux bureaux des archives RH du DF non seulement en dehors des heures de travail, soit après 16h30, mais encore par le biais d'un badge emprunté à un nettoyeur, il a voulu tromper son employeur. De plus, à l'issue de l'enquête administrative qui le met en cause, il n'a pas montré qu'il avait compris la gravité de son comportement et entendait s'amender. Au contraire, il a dénigré les témoins sans démontrer en quoi ces derniers auraient eu intérêt à l'accuser. En outre, le recourant a minimisé les faits qui lui étaient reprochés en alléguant que si ceux-ci étaient avérés, leur gravité devrait être relativisée. Il a démontré ainsi qu'il n'était pas disposé à s'amender. Il n'a pas non plus montré qu'il avait pris conscience des conséquences négatives de son comportement sur la bonne marche des RH du DF. Son intrusion non autorisée dans les archives du personnel de ce département comportant des informations sensibles des collaborateurs a eu des conséquences sur le bon fonctionnement de celui-ci. Ces derniers, qui s'étaient déjà plaints de fréquentes présences du recourant dans les bureaux où il n'était ni invité ni convoqué, pouvaient à juste titre être déstabilisés d'apprendre qu'une personne externe à leur département avait pu sans autorisation avoir accès aux archives des dossiers personnels des collaborateurs du DF.

Dans ces conditions, la révocation avec effet immédiat du recourant est une mesure permettant d'éviter toute éventuelle réitération du comportement répréhensible du recourant. Elle est dès lors conforme au droit.

Le grief du recourant sera ainsi écarté.

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

8) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 septembre 2019 par Monsieur A______ contre la décision du Conseil d'État du 21 août 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Eigenheer, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler-Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :