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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/101/2024

ATA/349/2024 du 07.03.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/101/2024-EXPLOI ATA/349/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Rémy BUCHELER, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______ ou la société) est une société à responsabilité limitée inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du Bas‑Valais, ayant son siège à B______, dont le but est notamment le conseil financier, la planification financière, la planification retraite et le courtage d'assurances.

b. Jusqu'au 14 juillet 2021, elle avait son siège social à C______, dans le canton de Genève, où elle était inscrite au RC depuis le 31 mars 2021 et déployait son activité.

c. Selon le RC genevois, A______ SNC était une société en nom collectif, inscrite depuis le 12 avril 2019, ayant son siège à C______. Elle a été radiée le 28 mars 2022 et avait un but analogue à celui de A______.

B. a.  Le 7 mai 2021, l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci‑après : OCIRT ou l'office) a informé la société qu'il procédait à un contrôle systématique du respect du salaire minimum genevois. En vue de ce contrôle, il lui demandait de lui transmettre un certain nombre de documents, à savoir la liste de l'ensemble de son personnel depuis le 1er avril 2019, les contrats de travail de l'ensemble de son personnel actif depuis le 1er novembre 2020, les fiches de salaire, l'attestation des salaires AVS pour les années 2019 et 2020, le mode d'enregistrement de la durée du travail de son personnel et le mode de calcul des salaires annuels, ainsi que tout autre renseignement utile en lien avec le système de rémunération.

b. Le 1er juillet 2021, la société a transmis à l'OCIRT un certain nombre de documents, accompagnés d’un courrier selon lequel l’horaire de travail des employés variait entre 40 et 42 heures par semaine pour un temps complet. Les employés payés à la commission étaient libres d’organiser leur temps de travail.

Tous les contrats de travail et de stage remis à cette occasion prévoyaient un taux d’activité à 100%, à l’exception d’un agent financier pour lequel aucun temps de travail n’était imposé et de l’assistant de direction, exerçant une activité à 50%.

S’agissant du mode d’enregistrement de la durée de travail, elle avait remis, pour exemple, une fiche concernant un employé faisant mention d’un certain nombre de rendez-vous, de préparation de dossiers et de formations, évalués forfaitairement à 44 ¾ heures au total pour le mois de novembre 2020.

Elle avait mis en place deux modèles de rémunération, soit un « compétiteur » et un « sécuritaire », le premier, constitué de commissions uniquement, excluant tout salaire garanti, et le second prévoyant un salaire fixe de base et des commissions. Certains mois pouvaient dès lors ne pas être payés, lorsque le chiffre d’affaires n’était pas atteint. Elle était en train d’analyser la viabilité de ces modèles de rémunération à la lumière du salaire minimal exigé à Genève. Si le modèle devait s’avérer non conforme, le rattrapage serait payé aux employés.

c. Par courrier du 20 octobre 2021, l’OCIRT, sur la base des documents et renseignements transmis, a constaté que le salaire minimum légal n’était pas respecté à l’égard de 21 employés, générant un total de CHF 152'076.62 de sous‑enchère sur une période de sept mois, selon un tableau annexé. Un délai a été fixé à la société pour corriger les salaires des employés concernés avec effet rétroactif au mois de novembre 2020, pour lui faire parvenir les justificatifs permettant d'établir que la société avait procédé à la mise en conformité demandée et pour formuler d'éventuelles observations.

d. A______ a, le 23 décembre 2021, indiqué à l’OCIRT qu’elle sollicitait la requalification de certains contrats en contrats de stage. La plupart des 21 employés concernés travaillaient en réalité à temps partiel, de sorte qu’un nouveau calcul devait être effectué sur cette base. Elle avait cessé toute activité depuis le 31 mai 2021, de sorte que l’ensemble des relations de travail avait pris fin à cette date.

Selon plusieurs attestations signées par les travailleurs, annexées à ce courrier, toutes datées du 21 décembre 2021, leur taux d’activité était de 30%, en dérogation aux dispositions initiales du contrat de travail, selon un accord oral passé avec l’employeur.

e. Le 5 janvier 2022, l'OCIRT a demandé à A______ la transmission des documents portant sur la cessation d’activité de A______ SNC à compter du 31 mai 2021.

f. Le 20 janvier 2022, la société a répondu que l'essentiel des relations de travail existantes entre A______ SNC et ses employés avait été repris par A______ nouvellement constituée. Elle a transmis notamment huit contrats de travail, accompagnés d’un avenant, tous datés du 7 décembre 2021, prévoyant que, sur la base d’un contrat oral, le taux d’activité était de 30%.

g. L'OCIRT a procédé à des auditions les 6, 12, 31 janvier et 7 février 2022 de quatre anciens employés de la société sur leurs conditions de travail et de salaire.

Il en est ressorti de manière concordante qu’il n’avait jamais été question d’un emploi à temps partiel et qu’un tel taux n’avait pas été mis en œuvre. Au contraire, les horaires dépassaient régulièrement les 40 heures par semaine, sans pour autant qu’une rémunération ne soit versée.

h. Le 14 septembre 2022, l'OCIRT a maintenu sa demande de mise en conformité, à savoir la correction des salaires des employés concernés, selon le calcul annexé, pour la période de novembre 2020 à mai 2021. Un délai était imparti à A______ pour formuler d'éventuelles observations et transmettre les justificatifs.

i. Le 30 septembre 2022, la société a demandé que les procès-verbaux des auditions de ses anciens collaborateurs lui soient transmis. Elle contestait toute infraction à la législation sur l'inspection et les relations de travail et s'opposait à toute sanction. Les attestations transmises ne faisaient que formaliser les conditions de travail effectivement appliquées.

j. Le 25 octobre 2022, l'OCIRT lui a transmis copies des procès-verbaux sollicités et lui a imparti un délai pour lui fournir les registres horaires de tous les employés de même que ceux de A______ SNC, pour la période du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021, ainsi que d’éventuelles observations.

k. Le 22 novembre 2022, la société a contesté intégralement les déclarations de ses anciens employés. Elle a requis l'audition de cinq personnes, dont trois stagiaires, et a remis des « rapports concernant les agendas » de trois personnes entendues par l'OCIRT.

l. Le 29 novembre 2022, l'OCIRT a relevé un grand nombre d'indices à même de démontrer l'existence d'une identité économique entre A______ SNC et A______, à savoir l'exacte similarité des activités encore déployées à l'ancien siège à C______, ainsi que l’identité des employés et membres du conseil d'administration. La société se prévalait donc, de manière abusive, de son indépendance juridique par rapport à A______ SNC dans le seul but d'échapper au contrôle et de ne pas s'acquitter des rattrapages dus.

Dans les procédures de contrôle du salaire minimum, les employés étaient des tiers à la procédure. L'OCIRT ne procédait donc pas à leur audition en présence de l'employeur. Il choisissait en fonction des circonstances si l'audition devait se faire par oral ou par écrit.

Le dossier comportait des éléments probants permettant d'établir la durée de travail contractuelle et effective. Aucune pièce figurant au dossier ne démontrait que les trois personnes employées en tant que stagiaires étaient au bénéfice d'une convention de stage tripartite. Les auditions sollicitées n'étaient pas nécessaires pour trancher la question de l'existence d'un stage. Il maintenait sa demande de mise en conformité et a imparti à la société un ultime délai pour le faire.

m. Le 19 décembre 2022, la société a relevé qu’elle ne saurait être visée par une amende pour des faits prétendument commis par une personne juridiquement distincte. Elle prenait note de l'intention de l'OCIRT de la condamner sur la seule base de témoignages d'employés licenciés nourrissant de la rancune à l'égard de leur ancien employeur et de son refus d'instruire la procédure à décharge.

n. Entre le 16 janvier et le 3 mars 2023, l'OCIRT a procédé à l'audition de douze employés ou anciens employés de la société.

Tous ont déclaré avoir travaillé à plein temps, quand bien même il leur avait été demandé, « pour des raisons juridiques » et parfois sous pression, de signer les contrats des 7 et 21 décembre 2021 ainsi que l’avenant du 7 décembre 2021 prévoyant un taux d’activité de 30%, sans « contrat oral » préalable.

Le 6 mars 2023, l’OCIRT en a fait part à la société et a constaté qu’elle lui avait fourni de faux renseignements. Des infractions au salaire minimum n'avaient pas cessé depuis mai 2021. La période sous contrôle était donc élargie et il lui était demandé de fournir les décomptes salaire de tout le personnel pour la période de juin 2021 à février 2023, ainsi que les contrats de travail de toute personne ayant été engagée pendant cette période, de procéder aux calculs des rattrapages du salaire minimum légal sur la base de la durée de travail effective de 40 heures hebdomadaires et de les soumettre à l'OCIRT pour approbation, avant de les verser aux travailleurs concernés.

o. Le 19 avril 2023, la société a déposé ces documents à l'OCIRT.

p. Au mois d'août 2023, l'OCIRT a contacté par téléphone et courriels différents anciens employés de la société, leur posant des questions sur leurs conditions de travail et de salaire et leur demandant la transmission de documents.

Les dix employés ayant répondu aux questions ont en substance confirmé avoir travaillé à plein-temps et ne pas avoir perçu de salaire certains mois.

q. Le 31 août 2023, l'OCIRT a constaté que la société n'avait procédé à aucun rattrapage salarial aux fins de respecter le salaire minimum. Aucune observation n'avait été formulée à propos des douze nouvelles plaintes d'employés, qui avaient tous affirmé avoir toujours travaillé à plein temps, contrairement à ce que la société avait affirmé.

Au vu des déclarations concordantes de 26 employés, circonstanciées et étayées par des éléments probants matériels, il était retenu qu'entre le 1er novembre 2020 et le 31 décembre 2022, le temps de travail contractuel dans la société était de 40 ou 41 heures, selon les contrats de travail initiaux, écrits et/ou oraux. Il maintenait donc sa demande de mise en conformité et l'amplifiait au vu des nouveaux éléments.

Il déplorait la mauvaise collaboration de la société à l'établissement des faits. Plusieurs employés ayant été actifs pendant la période sous contrôle ne figuraient ni dans la liste de personnes, ni dans les décomptes salaires, ni dans les contrats de travail transmis. D'autres travailleurs non annoncés n'avaient pas pu être identifiés ni contactés. À leur égard, la sous-enchère n'avait pas encore pu être établie.

Par économie de procédure, l'OCIRT renonçait à contrôler les salaires de l'année 2023 ainsi que ceux des employés toujours actifs au moment de l'envoi du dernier courrier de l'intéressée.

Il était désormais avéré que la société n'avait pas tenu compte du premier avertissement du 20 octobre 2021, puisque la sous-enchère salariale s'était aggravée depuis, passant de CHF 142'444.85 brut pour la période de novembre 2020 à mai 2021, à CHF 565'537.54 brut pour la période de novembre 2020 à décembre 2022.

Le subterfuge afin d'échapper au salaire minimum légal consistait en la dissimulation de la réalité des faits par des contrats de travail à temps partiel, généralement à 30%. Les déclarations de tous les employés étaient unanimes, en ce sens que leur signature avait été obtenue par ruse et manipulation, avec la demande orale de travailler effectivement à plein temps.

Malgré l'avertissement reçu, la société avait persisté à ne payer aucun salaire les premières semaines d’activité des salariés, et même les premiers mois. Elle avait de plus enfreint la législation fédérale en matière d'étrangers et sur le travail au noir. Enfin, elle n'avait pas, au 30 septembre 2023, mis en place l'enregistrement de la durée du travail et du repos. Les salaires devaient être corrigés selon les montants détaillés et des justificatifs devaient être transmis, de même que divers renseignements et documents.

La société pouvait présenter des observations. À défaut de procéder dans le délai imparti, l'OCIRT prononcerait une sanction administrative.

r. Le 9 septembre 2023, la société a relevé que toutes les auditions figurant au dossier devaient être retirées et « détruites », dans la mesure où l'OCIRT n'était pas en droit de les mener. Elles étaient nulles, puisqu'elles avaient été effectuées en violation du principe du contradictoire.

s. La société a sollicité de la direction de l'OCIRT la récusation de l’inspectrice en charge du dossier, laquelle a été rejetée par décision du 22 septembre 2023.

Saisie d’un recours contre cette décision le 2 octobre 2023, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) l’a rejeté. Aucune apparence de partialité ne pouvait être retenue à l’encontre de l'inspectrice du travail dans la manière dont elle avait géré le dossier, de sorte que l'office était en droit de maintenir les actes d'instruction auxquels cette inspectrice avait procédé (ATA/92/2024 du 26 janvier 2024).

C. Par décision du 13 décembre 2023, l’OCIRT a infligé une amende administrative de CHF 30'000.- à A______, mis un émolument de CHF 100.- à sa charge, de même que les frais de contrôle de CHF 12'150.- et réservé les procédures de contrôle et de mise en conformité au droit public.

Il existait une identité de personnes entre A______ SNC et A______, les fondateurs étant les mêmes pour les deux. Malgré le nouveau siège dans le canton du Valais, les activités étaient toujours déployées à Genève et le personnel n’avait pas changé. La société avait tardé à l’informer du prétendu licenciement de ses employés le 31 mai 2021, s’en prévalant uniquement le 23 décembre 2021, à la suite de la demande de mise en conformité. Les employés n’avaient pas été informés du changement de raison sociale et avaient continué à travailler de manière identique.

Les nouveaux contrats de travail et les avenants avaient manifestement été établis pour les besoins de la procédure, n’étaient pas convaincants et devaient être écartés. Il ressortait des déclarations des seize employés, précises et circonstanciées, qu’ils avaient été employés à plein-temps. La majorité avait dit s’être sentie trompée quant aux salaires promis. Le relevé d’heures remis à titre d’exemple devait également être écarté. Il était peu plausible qu’un cadre qui touchait CHF 7'200.- par mois n’effectue qu’une quarantaine d’heures par mois. Par ailleurs, aucun des employés entendus, auxquels le document avait été soumis, ne l’avait reconnu. Vu les éléments en sa possession, il tenait pour établi que les employés concernés par la demande de mise en conformité avaient travaillé pour le moins au taux d’activité prévu par les contrats de travail transmis le 1er juillet 2021, soit entre 40 et 41 heures par semaine. Les trois employés pour lesquels le contrat avait été respecté avaient été exclus du calcul.

La société n’avait pas respecté son obligation de s’assurer, de mois en mois, que la rémunération de ses employés était conforme au salaire minimum genevois. Sur les seize employés entendus, dix n’avaient reçu aucun salaire durant plusieurs mois et avaient dû payer les frais professionnels.

Les contrats de stagiaire ne remplissaient pas les exceptions au salaire minimum, puisque ne s’inscrivant pas dans le cadre d’une formation scolaire ou professionnelle.

A______ n’avait pas respecté le salaire minimum pour 41 employés, ce qui correspondait à une sous-enchère totale brute minimum de CHF 539'689.97. En dépit de ses demandes, la société ne s’était pas mise en conformité avec la loi et avait violé son obligation de collaborer.

A______ avait payé de tels salaires par seul appât du gain. Malgré l’ultime demande de mise en conformité du 31 août 2023, rien n’avait été entrepris, fût-ce partiellement, pour que le salaire minimum soit respecté.

Les contrôles avaient été nécessaires en raison des mauvaises informations et collaboration, de sorte que les frais devaient être mis à la charge de la société.

C. a.  

D. a. Par acte du 10 janvier 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant préalablement à la suspension de la procédure jusqu’à droit connu dans la procédure pénale, à l’apport de ladite la procédure et, principalement, à l’annulation de la décision litigieuse.

La procédure devait être suspendue en attente tant de la suite donnée à la demande de récusation de l’inspectrice en charge du dossier que de la procédure pénale initiée par l’OCIRT qui permettrait d’apporter des éléments probants. Comme les auditions étaient déjà terminées et que la durée de la suspension serait courte, le choix devait peser en faveur de cette dernière.

La décision était dans tous les cas nulle et contraire aux règles de la bonne foi, puisque l’OCIRT avait admis dans sa dénonciation pénale, que l’issue pénale pourrait avoir une influence sur sa décision.

Les actes d’instruction menés par l’OCIRT étaient nuls, puisque la loi ne donnait pas le pouvoir à l’une de ses inspectrices de procéder à l’audition de témoins et que son droit d’être entendue avait été violé.

Les faits avaient été constatés de manière inexacte, l’OCIRT se fondant presque exclusivement sur les auditions et enquêtes auprès de témoins, dont elle contestait les propos. Ces anciens employés, de concert entre eux, avaient pour but d’obtenir la régularisation indue à la hausse de leurs salaires et donc le versement d’un rétroactif. L’OCIRT aurait dû investiguer la crédibilité de leurs déclarations et permettre d’assister aux auditions. Il avait fait preuve d’arbitraire.

Elle a joint à son recours la dénonciation pénale de l’OCIRT du 29 mars 2022 ainsi qu’un courriel d’une inspectrice de police selon lequel des audiences devaient être agendées à la fin de l’année 2023.

b. Dans sa réponse du 25 janvier 2024, l’OCIRT a conclu au rejet du recours.

La société ne contestait aucunement le fond, soit les infractions constatées, ni même son refus de collaborer. Le recours et notamment les conclusions et nouveaux griefs ne devaient pas être complétés par la recourante dans le cadre d’une réplique à la suite de laquelle il ne pourrait pas dupliquer.

Les causes devaient être jointes, les deux procédures administratives concernant le même complexe de fait.

Il n’avait fait que se conformer à son devoir légal en dénonçant les faits au Ministère public. La procédure administrative avait pris fin lors de l’ouverture de la procédure pénale. Rien ne justifiait d’attendre l’établissement des faits dans le cadre de l’enquête pénale.

c. Dans sa réplique du 29 janvier 2024, A______ a confirmé qu’elle contestait le fond de la décision puisqu’elle avait conclu à son annulation.

Les causes administratives ne devaient pas être jointes puisque, notamment, celle ayant trait à la récusation avait été gardée à juger.

La suspension devait être ordonnée, car au vu du rapport de police du 8 janvier 2024, des témoignages confirmaient sa version des faits. Selon ledit rapport, qu’elle a transmis sans les annexes y mentionnées, des employés encore en poste au moment de leur audition avaient indiqué être libres d’organiser leur temps de travail.

d. Les parties ont été informées, le 2 février 2024, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La qualité pour recourir de A______ doit être examinée d’office, dans la mesure où sa qualité de partie à la procédure pourrait être mise en cause.

2.1 Selon l’art. 7 LPA, ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision.

2.2 En règle générale, il convient de respecter l'indépendance juridique d'une personne morale. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'un tiers peut être tenu des engagements d'un débiteur avec lequel il forme une identité économique. En effet, selon la théorie de la transparence (Durchgriff ), on ne peut pas s'en tenir sans réserve à l'existence formelle de deux personnes juridiquement distinctes lorsque tout l'actif ou la quasi-totalité de l'actif d'une société anonyme appartient soit directement, soit par personnes interposées, à une même personne, physique ou morale ; malgré la dualité de personnes à la forme, il n'existe pas des entités indépendantes, la société étant un simple instrument dans la main de son auteur, lequel, économiquement, ne fait qu'un avec elle. Il faut dès lors admettre, à certains égards, que, conformément à la réalité économique, il y a identité de personnes et que les rapports de droit liant l'une lient également l'autre. Le principe de la bonne foi en affaires exige qu'il soit fait abstraction de l'indépendance formelle, évitant ainsi de consacrer un abus de droit (art. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210). L'application du principe de la transparence suppose donc d'abord qu'il y ait identité des personnes conformément à la réalité économique ou, en tout cas, la domination économique d'un sujet de droit sur l'autre. Il faut ensuite que la dualité soit invoquée de manière abusive, c'est-à-dire pour en tirer un avantage injustifié (ATF 132 III 489 consid. 3.2; 121 III 319 consid. 5a ; 128 II 329 consid 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_782/2014 du 25 août 2015 consid. 6.3.2).

2.3 En l’espèce, A______ SNC et A______ (Sàrl Genève et Valais ; la recourante) poursuivent le même but. Bien que le siège de cette dernière se situe désormais en Valais, elle a continué à déployer son activité à Genève, selon les mêmes modalités qu’avant son déplacement. Les associés sont également identiques. Il ressort du rapport de police du 8 janvier 2024 que les employés entendus dans le cadre de la procédure pénale en cours y travaillent depuis 2019, 2020 et 2021 et n’ont pas indiqué avoir vécu de changements dans leur occupation, ce qui était également le cas de ceux entendus par l’OCIRT.

Ces éléments démontrent qu’il existe une continuité entre A______ SNC, A______ (Genève) et A______ (Valais), de sorte que toutes trois doivent être considérées comme une entité unique.

La qualité de partie, et donc pour recourir, de A______ est dès lors admise.

3.             Dans un grief d’ordre formel, la recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue en rapport avec l’audition non contradictoire de certains de ses employés par l’OCIRT.

3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1).

3.2 Une décision entreprise pour violation du droit d'être entendu n'est en principe pas nulle, mais annulable (ATF 136 V 117 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3). La réparation du droit d'être entendu en instance de recours n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 138 I 97 consid. 4.16.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_533/2012 du 12 septembre 2013 consid. 2.1). Elle dépend aussi de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2). La possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. La partie lésée doit pouvoir faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/711/2020 du 4 août 2020 consid. 4b).

3.3 Selon l’art. 28 al. 1 LPA, lorsque les faits ne peuvent être éclaircis autrement, les autorités suivantes peuvent au besoin procéder à l’audition de témoins : le Conseil d’État, les chefs de départements et le chancelier (let. a) ; les autorités administratives qui sont chargées d’instruire des procédures disciplinaires (let. b) ou les juridictions administratives (let. c). L’art. 42 al. 1 LPA prévoit que les parties ont le droit de participer à l’audition des témoins, à la comparution des personnes ordonnées par l’autorité ainsi qu’aux examens auxquels celle-ci procède.

3.4 Dans un arrêt récent, la chambre administrative, a retenu que l’OCIRT n’était pas tenu de faire participer l’employeur à l’audition des employés appelés à donner des renseignements, sous forme écrite ou orale (ATA/1335/2023 du 12 décembre 2023).

3.5 En l'espèce, comme cela a été retenu dans le cadre de la procédure de récusation à l’encontre de l’inspectrice en charge du dossier de la recourante (ATA/92/2024 du 26 janvier 2024), même à retenir que l'OCIRT aurait commis une erreur en procédant à l'audition de ses collaborateurs sans l'inviter à y participer, la communication des procès-verbaux, les 25 octobre 2022 et 6 mars 2023, ainsi que la consultation du dossier par la recourante le 6 octobre 2023, permettaient de considérer l'éventuelle violation de son droit d'être entendue comme guérie. Par cette communication, l'intéressée disposait de toutes les informations utiles pour se déterminer avant la prise de décision sur le fond de l'affaire.

Cette façon de procéder a été admise par le Tribunal fédéral dans la jurisprudence précitée.

La recourante a eu, de plus, de nombreuses occasions de se déterminer sur les témoignages des employés entendus par l’OCIRT, ce qu’elle n’a pas fait. Dans le cadre de son recours, elle indique que toutes les auditions que devait effectuer la police dans le cadre de la procédure pénale ont eu lieu, sans pour autant fournir les pièces permettant d’en connaître le contenu. Elle a dès lors eu toutes les possibilités de s’exprimer et d’apporter des moyens de preuves pour soutenir sa position, ce qu’elle s’est abstenue de faire.

Dans ses conditions, aucune violation du droit d’être entendue ne saurait être retenue. La décision de l’OCIRT n’est partant et a fortiori pas nulle conformément à la jurisprudence précitée.

4.             L’intimée sollicite la jonction des procédures A/3177/2023 et A/101/2024. La recourante s’y oppose.

4.1 Selon l’art. 70 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (al. 1). La jonction n’est toutefois pas ordonnée si la première procédure est en état d’être jugée alors que la ou les autres viennent d’être introduites (al. 2).

4.2 En l’espèce, la procédure de récusation a donné lieu à un arrêt (ATA/92/2024 du 26 janvier 2024), de sorte que la requête de jonction est devenue sans objet.

5.             La recourante sollicite la suspension de la procédure dans l’attente de l’issue pénale, tandis que l’intimé s’y oppose.

5.1  Lorsque le sort d'une procédure administrative dépend de la solution d'une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d'une autre autorité et faisant l'objet d'une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu'à droit connu sur ces questions (art. 14 al. 1 LPA). L'art. 14 LPA est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/1493/2019 du 8 octobre 2019 consid. 3b et l'arrêt cité).

5.2 La suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d’une autre autorité serait utile à l’autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend (ATA/630/2008 du 16 décembre 2008 consid. 5). Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l’autorité saisie ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d’une autre procédure. Il serait en effet contraire à la plus élémentaire économie de procédure et à l’interdiction du déni de justice formel fondée sur l’art. 29 al. 1 Cst. d’attendre la décision d’une autre autorité, même si celle-ci est susceptible de fournir une solution au litige, si ledit litige peut être tranché sans délai sur la base d’autres motifs (ATA/812/2021 du 10 août 2021 consid. 2a; ATA/1493/2019 précité consid. 3b).

5.3 En l’espèce, la décision de l’OCIRT se fonde sur une enquête de plus de deux ans, incluant de nombreuses demandes de documents à la recourante ainsi qu’une abondance de témoignages. La procédure pénale en est à son début, seules les auditions préliminaires devant la police ayant a priori été effectuées. Il est en conséquence peu probable qu’une issue intervienne à bref délai, que ce soit sous la forme d’une ordonnance pénale, d’un renvoi en jugement ou d’une ordonnance de classement. La sous-enchère salariale constatée par l’OCIRT a grandement crû, passant de CHF 152'076.62 en octobre 2021 à CHF 565'537.54 en août 2023. La suspension de la procédure administrative pourrait dès lors être dommageable si la société, dans l’intervalle, continuait à procéder de la même manière qui lui est reprochée sans savoir si son comportement est conforme ou non au droit. Les principes de célérité et d’économie de procédure commandent également que l’issue de la procédure administrative, laquelle est en état d’être jugée, soit connue.

Enfin, une suspension au sens de l'art. 78 LPA n'est pas envisageable, faute d'accord des parties en ce sens ou de la réalisation de l'une des autres hypothèses de cette disposition.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a pas lieu de suspendre la présente procédure.

6.             L’objet du litige porte sur la validité de la décision de l’OCIRT du 13 décembre 2023 qui condamne la recourante à une amende administrative ainsi qu’aux frais engendrés par l’instruction de la cause.

Le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

7.             La recourante se plaint d’une constatation arbitraire des faits. L’intimé aurait accordé à tort une force probante accrue aux déclarations d’anciens employés qui se seraient accordés sur la version à donner afin d’obtenir un versement rétroactif de salaire. 

7.1 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA), sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties. Dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d'autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Mais ce principe n’est pas absolu, sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 128 II 139 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1 ; 2C_524/2017 du 26 janvier 2018 consid. 4.2 ; ATA/880/2021 du 31 août 2021 consid. 3a et les références citées).

7.2 En procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2e phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; ATA/573/2015 du 2 juin 2015). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/880/2021 précité consid. 3b ; ATA/1162/2015 du 27 octobre 2015 consid. 7)

7.3  L’art. 22 LPA prévoit que les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits dans les procédures qu’elles introduisent elles-mêmes, dans celles où elles y prennent des conclusions indépendantes ainsi que dans les autres cas prévus par la loi.

7.4 Selon l’art. 39M de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05), l’OCIRT et l'inspection paritaire des entreprises sont compétents pour contrôler le respect par les employeurs des dispositions sur le salaire minimum (al. 1). Tout employeur doit pouvoir fournir en tout temps à l'office ou à l'inspection paritaire un état détaillé des salaires versés à chaque travailleur et du nombre correspondant d'heures de travail effectuées (al. 2).

7.5 En l’espèce, la recourante, en sa qualité d’employeur, nonobstant son obligation légale précitée, a mal collaboré avec l’OCIRT en vue de l’établissement des faits. Elle lui a dans un premier temps envoyé des contrats attestant d’emplois à plein‑temps pour tous ses employés (mis à part deux d’entre eux), puis leur a, selon leurs déclarations convergentes, fait signer des avenants qui font état d’un emploi à 30%, de manière rétroactive, pour tendre à rendre leurs revenus effectifs conformes au salaire minimum légal genevois. Elle n’a pas été en mesure de donner des renseignements sur l’emploi du temps de ses employés. Elle a de plus tenté de compliquer, à son avantage, les investigations de l’OCIRT en radiant une première fois la société en SNC pour passer en forme Sàrl, avant de délocaliser le siège dans le canton du Valais, quand bien même l’activité était restée identique et développée à Genève. Une telle façon de procéder n’avait pas d’autre but, et la recourante ne le soutient pas, que de semer la confusion durant l’enquête menée par l’OCIRT.

Elle n’a fourni que des documents de façon partielle, malgré les nombreuses demandes et délais impartis par l’OCIRT pour ce faire. Même dans le cadre de la présente cause, elle soutient que les auditions dans le cadre de la procédure pénale seraient terminées, mais s’abstient de les produire, alors qu’elles ont été annexées au rapport de police du 8 janvier 2024 qu’elle a pourtant produit.

L’OCIRT a procédé à une enquête durant plus de deux ans. Il a entendu 26 anciens employés de la recourante qui ont tous donné une version concordante des faits, à savoir qu’ils avaient été employés pour un travail à plein-temps et que leurs horaires correspondaient à ce type d’emploi, voire dépassaient les 42 heures par semaine.

Ces 26 employés ont été entendus à des périodes différentes et il est difficile de suivre la recourante selon laquelle ils se seraient tous accordés sur une version commune à donner à l’OCIRT. L’action de l’OCIRT n’a de plus pas d’impact direct sur leur situation, puisque, pour exiger le paiement rétroactif de leur salaire, c’est auprès du Tribunal des Prud’hommes qu’ils devront agir. Ils ne sont de fait pas parties à la présente procédure.

La constance et la concordance des déclarations des 26 employés démontrent, contrairement à ce que soutient la recourante, qu’ils ont bien été employés à plein-temps. Rien ne permet sérieusement de remettre en cause leurs déclarations.

La chambre de céans retiendra dès lors, à l’instar de l’OCIRT, que les employés dont il est fait mention dans la décision du 13 décembre 2023 ont bien travaillé à plein-temps pour la recourante et doivent être rémunérés à ce taux, et non à 30%.

Le grief de la recourante doit être rejeté.

8.             La recourante conclut à l’annulation de la décision du 13 décembre 2023, sans avancer de motifs. On comprend de son argumentation qu’elle conteste les témoignages recueillis par l’autorité intimée et, en conséquence, le salaire horaire retenu.

8.1 Depuis le 31 octobre 2020, à la suite de l’adoption le 27 septembre 2020 de l’initiative populaire législative cantonale n° 173 « 23 frs, c'est un minimum! », la LIRT – outre son but originel de définir le rôle et les compétences en matière de prévention des risques professionnels et de promotion de la santé et de la sécurité au travail, de relations du travail et de paix sociale, de conditions de travail et de prestations sociales en usage à Genève, de collecte de données relativement aux entreprises et de main-d’œuvre étrangère (art. 1 al. 1 LIRT), de travailleurs détachés (art. 1 al. 2 LIRT) et de travail au noir (art. 1 al. 3 LIRT) – institue un salaire minimum afin de combattre la pauvreté, de favoriser l’intégration sociale et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine et définit les rôles et les compétences pour la mise en œuvre de ce salaire minimal (art. 1 al. 4 LIRT).

8.2 Le salaire minimum est réglé au chapitre IVB de la LIRT. Les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton y sont soumises (art. 39I LIRT), mais non les contrats d’apprentissage, les contrats de stage et les contrats conclus avec des jeunes gens de moins de 18 ans
(art. 39J LIRT).

8.3 Le salaire minimum est de CHF 23.- par heure (art. 39 K al. 1 LIRT), et il est indexé chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation, mais uniquement en cas de hausse (art. 39K al. 3 LIRT). L’OCIRT est chargé de l’application des dispositions sur le salaire minimum (art. 2 al. 1 LIRT).

Par arrêté relatif au salaire minimum légal pour 2020 et 2021 du 28 octobre 2020 (ArSML – J 1 05.03), le Conseil d’État a arrêté le salaire horaire minimum à
CHF 23.- dès le 1er novembre 2020, à CHF 23.14 dès le 1er janvier 2021 (art. 1 al. 1 ArSML) et à CHF 23.27 dès le 1er janvier 2022 (ArSML du 3 novembre 2021).

8.4 Tout employeur doit pouvoir fournir en tout temps à l'office ou à l'inspection paritaire un état détaillé des salaires versés à chaque travailleur et du nombre correspondant d'heures de travail effectuées (art. 39M al. 2 LIRT).

Cette disposition est dépourvue d’ambiguïté : le contrôle du respect du salaire horaire nécessite la connaissance des heures effectivement ouvrées, dont l’établissement incombe à l’employeur.

C’est à celui qui met en place le système, in casu une rémunération selon les systèmes « compétiteur » et « sécuritaire », de subir les conséquences s’il ne parvient pas à prouver le salaire horaire.

8.5 En l’espèce, il ressort des constations qui précèdent que les témoignages des employés emportent conviction, de sorte qu’il ne peut être retenu qu’ils étaient employés à 30%, comme le soutient la recourante, mais bien à plein-temps.

La recourante ne soutient d’ailleurs pas qu’un salaire minimal leur aurait été versé en contrepartie, mais seulement qu’ils avaient un taux d’activité à 30%, ce qui expliquait leur faible salaire, voire leur absence de salaire.

Elle a ainsi échoué à apporter la preuve du paiement du salaire minimum légal aux employés répertoriés par l’OCIRT, malgré les nombreuses occasions qui lui ont été données, de sorte qu’elle devra en subir les conséquences.

Sur la base des éléments fournis par la recourante et par ses employés et compte tenu du changement de régime contractuel postérieur au contrôle initié par l’OCIRT, ce dernier était fondé à conclure, conformément au droit et sans excès ni abus de son pouvoir d’appréciation, que la plupart des employés occupés par la recourante avait des horaires effectifs supérieurs à 30% et a partant subi une sous‑enchère salariale selon la LIRT.

Ce grief doit dès lors être rejeté.

9.             La recourante ne conteste pas l’amende ni dans son principe ni dans son montant. Vu sa conclusion en annulation de la décision litigieuse, ce point doit être examiné.

9.1 Selon l’art. 39N LIRT, l'office peut prononcer une amende administrative de CHF 30'000.- au plus lorsqu'un employeur ne respecte pas le salaire minimum prévu à l'art. 39K LIRT. Ce montant de l'amende administrative peut être doublé en cas de récidive (al. 1). L'office peut également mettre les frais de contrôle à la charge de l'employeur (al. 2).

9.2 Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale. Leur quotité doit ainsi être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/991/2016 du 22 novembre 2016 consid. 6a ; ATA/810/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4a et la référence citée). En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, ce qui vaut également en droit administratif sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût‑ce sous la forme d'une simple négligence. L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP ; principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP ; ATA/651/2022 du 23 juin 2022 consid. 14d et les arrêts cités).

La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/651/2022 précité consid. 14d et les arrêts cités).

Il doit être également tenu compte, en application de l'art. 106 al. 3 CP, de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/651/2022 précité consid. 14f et la référence citée ; Michel DUPUIS/Laurent MOREILLON/Christophe PIGUET/Séverine BERGER/Miriam MAZOU/Virginie RODIGARI [éd.], Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., 2017, n. 6 ad. art. 106 CP). Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst. ; ATA/651/2022 précité consid. 14e et les arrêts cités).

L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/991/2016 précité consid. 6a).

9.3 En l’espèce, l’OCIRT a fixé le montant de l’amende à CHF 30'000.-.

Il a pris en compte la durée de la sous-enchère (de novembre 2020 à
décembre 2022), de son l’ampleur (CHF 565'537.54 au minimum de rattrapage salarial) et du nombre (43) de travailleurs touchés, soit plus de la moitié de l’effectif de l’entreprise. Il a pris en compte le fait que la recourante n’a procédé à aucune mise en conformité, malgré ses demandes répétées et n’a notamment versé aucun montant à titre de rattrapages, ni mis en place de système de comptage des heures effectives. Il a également tenu compte de la répétition systématique et délibérée des périodes de travail non déclarées et non rémunérées. La faute retenue est lourde. Cette pondération n’est pas critiquable.

L’OCIRT a également tenu compte de la mauvaise collaboration de la recourante, qui a fabriqué et imposé à ses employés un grand nombre de documents travestissant la réalité des rapports de travail, dans le but de tromper l’autorité et d’échapper ainsi au salaire minimum légal.

Le principe d’une sanction est dès lors acquis.

La quotité de celle-ci, non spécifiquement contestée par la recourante, apparaît appropriée au regard de la faute commise.

L’amende de CHF 30'000.- sera dès lors confirmée et le recours sera rejeté également sur ce point.

S’agissant des frais de contrôle, de CHF 12'150.-, ceux-ci ont été établis à satisfaction de droit par l’OCIRT. La recourante ne les conteste d’ailleurs pas.

Entièrement mal fondé, le recours doit être rejeté.

10.         Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 janvier 2024 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l'inspection et des relations du travail du 13 décembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Rémy BUCHELER, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :