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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1132/2023

ATA/881/2023 du 22.08.2023 ( PATIEN ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1132/2023-PATIEN ATA/881/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 août 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par sa curatrice, Me Ève Dolon, avocate

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL intimée

 



EN FAIT

A. a. B______ est née le ______ 1975.

b. Le 23 mars 2013, elle a donné naissance à sa fille A______ (ci-après : A______), qu’elle a élevée seule et dont elle a exercé seule la garde et l’autorité parentale.

c. Le 9 septembre 2022, alors qu’elle était hospitalisée à la clinique psychiatrique de C______ (ci-après : C______), B______ a quitté celle-ci et est retournée à son domicile, où elle a mis fin à ses jours.

d. Placée en famille d’accueil, A______ s’est vu désigner pour tuteurs D______ et E______ (ci-après : les tuteurs), tous deux collaborateurs du service de protection des mineurs (ci-après : SPMi).

B. a. Le 4 janvier 2023, D______ et E______, agissant en leur qualité de tuteurs de A______, ont demandé au Dr F______, médecin référent de B______ à C______, que le dossier médical de sa patiente leur soit transmis en vue d’accompagner le processus de deuil de A______.

b. Le 9 janvier 2023, la Dre G______, cheffe de clinique à C______, a adressé à la commission du secret professionnel (ci-après : la commission) une demande de levée du secret médical.

Les tuteurs souhaitaient obtenir la lettre de décès [qui est l’équivalent de la lettre de sortie lorsque le décès du patient met fin à la prise en charge] afin de pouvoir, le moment venu, répondre aux questions de A______ sur l’état de santé de sa mère. Ils souhaitaient également obtenir la lettre d’adieu que celle-ci avait adressée à sa fille.

En ce qui concernait la lettre de décès, elle trouvait la demande des tuteurs légitime et demandait l’avis de la commission concernant la levée du secret médical. Elle tenait à souligner que durant son séjour à C______, malgré son refus de communiquer des informations la concernant à ses médecins traitants en ambulatoire, B______ avait accepté certaines communications à sa fille et aux tuteurs de celle-ci. Une réunion de réseau avait pu avoir lieu à ce propos durant l’hospitalisation.

Elle cherchait la lettre d’adieu et la transmettrait dans les meilleurs délais à A______, à qui elle appartenait.

c. Le 17 janvier 2023, la Dre G______ a précisé à la commission qu’elle modifiait sa requête de façon que l’auteur de la demande de levée ne soit que le Dr F______.

d. La commission a entendu le Dr F______ ainsi que les tuteurs le 23 février 2023.

e. Par décision du même jour, notifiée le 20 mars 2023 aux tuteurs, elle a refusé de lever le secret professionnel du Dr F______.

Il appartiendrait à A______ de solliciter, si et quand elle le souhaiterait, l’obtention d’informations médicales relatives à feue sa mère.

C. a. Le 21 mars 2023, les tuteurs ont invité le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) à étendre, sur mesures urgentes, le mandat de Me Ève DOLON, avocate, aux fins de recourir au nom de A______ contre la décision de la commission du 23 février 2023.

Le TPAE a donné son autorisation le même jour.

b. Par acte déposé au greffe le 30 mars 2023, A______, représentée par sa curatrice, Me Ève DOLON, a recouru contre la décision du 23 février 2023 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), concluant à son annulation et à ce que la levée du secret médical soit prononcée s’agissant du dossier médical de feue B______ et la remise de celui‑ci à ses tuteurs. Subsidiairement, un droit de consultation « garanti » devait être octroyé à ceux-ci. Plus subsidiairement, ce droit devait être octroyé à sa psychothérapeute, H______ (ci-après : la thérapeute). Plus subsidiairement encore, la levée devait ne porter que sur la lettre de décès et sa remise à ses tuteurs et/ou sa psychothérapeute. La sauvegarde du dossier médical devait enfin être ordonnée afin d’en garantir l’intégrité et/ou l’existence.

Les tuteurs et la thérapeute avaient souligné que pouvoir répondre aux questions que A______ poserait sur l’état de santé de sa mère et les éléments ayant pu conduire au suicide était nécessaire à son développement psychique notamment en termes d’identifications, de responsabilités ressenties et favoriserait une meilleure compréhension des relations vécues, à l’effet de favoriser le processus de deuil et d’éviter de perdre de précieuses années dans le traitement et l’accompagnement de A______.

Elle possédait un intérêt propre à la levée du secret professionnel, car le refus la privait de documents essentiels à son traitement et à son deuil, notamment en lui refusant de comprendre pourquoi, une semaine après qu’on lui eut dit que sa mère allait mieux et qu’elle allait enfin pouvoir la revoir après une année difficile, cette dernière avait pu mettre fin à ses jours.

Le principe de proportionnalité avait été violé. Elle disposait d’un intérêt digne de protection, tenant à son dÈvenir, à connaître l’état de santé de sa mère, qui était prépondérant. Le même intérêt fondait la conclusion subsidiaire en conservation du dossier.

Était jointe au recours une déclaration écrite de la thérapeute du 27 mars 2023, indiquant qu’à la demande de Me Ève DOLON, elle attestait des bénéfices qu’aurait la levée du secret médical concernant le dossier de la mère de A______. « En effet, pouvoir répondre aux questions de A______ quant à l’état de santé de sa mère, des éléments ayant pu conduire à son suicide, en espace thérapeutique, lieu de sécurité, [était] primordial au développement de la patiente. Expliquer le fonctionnement de sa mère tel que compris par son réseau médical [était] également nécessaire à son développement psychique notamment en termes d’identifications, de responsabilités ressenties, et favoriserait une meilleure compréhension des relations vécues. Le processus de deuil pourrait alors être facilité. […] pour toutes les raisons susmentionnées, mais aussi pour éviter de perdre de précieuses années dans le traitement et l’accompagnement d’événements traumatiques, il [lui semblait] indispensable que la patiente ait accès, par le biais de ses tuteurs, au dossier médical de sa mère ».

c. Le 24 avril 2023, la commission a conclu au rejet du recours.

Le Dr F______ avait indiqué à la commission qu’il était préférable qu’il rencontre A______ par exemple dans 5 ans pour lui expliquer le contenu de la lettre de décès. Il pouvait également être attendu qu’elle fasse la demande à sa majorité.

Les tuteurs n’avaient initialement pas demandé à titre subsidiaire que la lettre de décès ne soit transmise qu’à la thérapeute. Une telle demande aurait dû être formulée devant la commission. Ils ne pouvaient justifier d’aucun intérêt à la consultation de la lettre de décès. L’intérêt à la protection des renseignements de la défunte et à l’assurance qu’elle pouvait avoir qu’ils ne seraient pas divulgués après son décès devait être sauvegardé. La décision était également conforme à la volonté de la défunte qui refusait tout contact avec son entourage. Si la lettre était transmise aux tuteurs, ce document médical pourrait figurer dans un dossier accessible à tout intervenant présent ou futur du SPMi. La possibilité de A______ d’accéder au contenu de la lettre, si et quand elle le souhaiterait, était réservée, conformément aux déclarations du Dr F______.

La commission a produit la lettre de décès et le procès-verbal de l’audition du Dr F______, que la chambre de céans a examinés et soustraits à la connaissance de la recourante car contenant les informations dont la transmission est litigieuse.

d. Le 2 mai 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions.

La commission était parvenue à un résultat arbitraire et avait violé le principe de la proportionnalité en érigeant en argument d’autorité un avis exprimé par le Dr F______ en réponse à une question qu’elle lui avait posée. Celui-ci était le thérapeute de la mère, et non de la fille, et examiner la solution adaptée à cette dernière le placerait dans un conflit d’intérêts.

Le refus de la mère de tout contact avec son entourage ne pouvait fonder le refus de la commission de lÈver le secret médical. Il résultait de la profonde détresse dans laquelle la schizophrénie l’avait plongée et avait pour unique but de préserver sa fille de la voir dans cet état. Le Dr F______ avait lui-même qualifié de délirantes les raisons du refus de sa patiente de tout contact. En toute hypothèse, celle-ci ne disposait pas de sa capacité de discernement pour refuser tout contact. La commission avait abusé de son pouvoir d’appréciation, violé le principe de la bonne foi, le droit et le principe de la proportionnalité et bafoué les fondements même de l’ordre juridique en versant dans l’arbitraire.

La commission n’avait pas procédé à une pesée des intérêts ni pris en compte les intérêts supérieurs de l’enfant. Elle avait fait fi de l’avis de la thérapeute, allant jusqu’à substituer une interprétation mensongère et grossièrement désobligeante des éléments de fait à elle soumis.

La commission se rendait coupable de formalisme excessif en retenant que les tuteurs n’avaient pas demandé la transmission à la seule thérapeute. C’était le Dr F______ qui était demandeur.

La distinction opérée par la commission entre le médecin et la thérapeute était dénuée de sens. Un droit d’accès modulé par le truchement d’un psychologue avait déjà été admis par le Tribunal fédéral.

La commission n’avait pas à se prononcer sur l’organisation du SPMi. Elle semblait craindre que des agents de l’État violeraient leur secret professionnel et de fonction ou que le SPMi ne serait pas organisé pour protéger ceux-ci.

e. Le 9 mai 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             La chambre de céans examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (art. 11 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/583/2023 du 5 juin 2023 consid. 1 ; ATA/91/2023 du 31 janvier 2023 consid. 1).

1.1 Selon l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La jurisprudence a précisé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/139/2021 du 9 février 2021 consid. 2a ; ATA/1123/2020 du 10 novembre 2020 consid. 3b et les références citées). L'intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (ATA/139/2021 précité consid 2c ; ATA/1352/2020 du 22 décembre 2020 consid. 3d).

L'intérêt digne de protection consiste en l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 133 II 249 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_2/2010 du 23 mars 2010 consid. 4). L'existence d'un intérêt digne de protection présuppose que la situation de fait ou de droit du recourant puisse être influencée par l'annulation ou la modification de la décision attaquée, ce qu'il lui appartient d'établir (ATF 120 Ib 431 consid. 1 ; ATA/139/2021 précité consid 2c ; ATA/1352/2020 précité consid. 3c).

1.2 Les père et mère sont, dans les limites de leur autorité parentale, les représentants légaux de leurs enfants à l’égard des tiers (art. 304 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210). L’autorité de protection de l’enfant nomme un tuteur lorsque l’enfant n’est pas soumis à l’autorité parentale (art. 327a CC). Le statut juridique de l’enfant sous tutelle est le même que celui de l’enfant soumis à l’autorité parentale (art. 327b CC). Le tuteur a les mêmes droits que les parents (art. 327c al. 1 CC).

1.3 Selon l’art. 19c al. 1 CC, les personnes capables de discernement mais privées de l’exercice des droits civils exercent leurs droits strictement personnels de manière autonome ; les cas dans lesquels la loi exige le consentement du représentant légal sont réservés. Selon l’art. 305 CC, l’enfant capable de discernement soumis à l’autorité parentale peut s’engager par ses propres actes dans les limites prévues par le droit des personnes et exercer ses droits strictement personnels.

1.4 Selon l’art. 16 CC, toute personne qui n’est pas privée de la faculté d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables est capable de discernement au sens de la présente loi.

Cette disposition comporte deux éléments, un élément intellectuel, la capacité d'apprécier le sens, l'opportunité et les effets d'un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté (ATF 124 III 5 consid. 1a ; 117 II 231 consid. 2a). La capacité de discernement est relative : elle ne doit pas être appréciée dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l'acte (ATF 118 Ia 236 consid. 2b).

Le CC ne fixe pas un âge déterminé à partir duquel un mineur est censé être raisonnable. Il faut apprécier dans chaque cas si l’enfant avait un âge suffisant pour que l’on puisse admettre que sa faculté d'agir raisonnablement n'était pas altérée par rapport à l’acte considéré. En matière médicale, la jurisprudence a souligné que la capacité de discernement d'un patient mineur, condition indispensable pour que celui-ci puisse consentir seul à un traitement, doit être appréciée dans chaque cas, en regard de la nature des problèmes que pose l’intervention. Les détenteurs de l’autorité parentale devraient être appelés à intervenir seulement s'il y a un doute que la personne mineure puisse apprécier objectivement les tenants et aboutissants de l’intervention proposée, mais l’intérêt thérapeutique du patient doit rester prépondérant dans tous les cas. Demeurent réservées les hypothèses où l’urgence d'une intervention est telle qu'il serait préjudiciable à cet intérêt d'attendre que les personnes concernées donnent leur consentement éclairé. La doctrine souligne aussi la nécessité d'analyser in concreto la capacité de discernement d'un patient mineur en fonction de son aptitude à comprendre sa maladie, à apprécier les conséquences probables d'une décision et à communiquer son choix en toute connaissance de cause (Dominique MANAÏ, Les droits du patient face à la biomédecine, Berne 2006 p. 187 s.). Dans cette analyse, qui incombe au médecin (Noémie HELLE, La capacité de discernement, un critère juridique en voie de disparition pour les patients psychiques placés à des fins d'assistance, in Revue suisse de droit de la santé 2004 n° 3, p. 7 ss, spéc. n. 2.2 p. 9), il faut notamment tenir compte de l’âge de l’enfant, de la nature du traitement ou de l’intervention proposée et de sa nécessité thérapeutique. Cette approche concrète empêche de fixer des limites d'âge absolues pour évaluer la capacité de discernement des patients mineurs (ATF 134 II 235 consid. 3.4.2 et les références citées).

1.5 En l’espèce, le fait que l’enfant possède un intérêt personnel à connaître les circonstances du décès de sa mère, avec laquelle elle vivait et qui l’a élevée seule, n’est pas douteux et n’a pas été contesté, étant observé qu’un tel intérêt, à connaître les « Motive des Freitods », a été admis dans un cas de figure similaire porté au Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_37/2018 du 15 août 2018 consid. 6.4.3).

Cet intérêt à connaître les circonstances du décès de sa mère ressortit à la sphère privée de l’enfant et constitue un droit strictement personnel.

A______ est âgée de 10 ans révolus et il ne ressort pas de la procédure qu’elle aurait elle-même formé la demande, exprimé un souhait, ni même été consultée, de sorte que la question de sa capacité de discernement en relation avec l’accès aux données médicales de sa mère ne se pose pas.

Quant à la question de la qualité de ses tuteurs pour exercer à sa place et en son nom un droit strictement personnel, elle pourra demeurer indécise, le recours devant être rejeté comme il sera vu plus loin.

Le recours a pour le surplus été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente.

2.             Le recours a pour objet le refus de la commission de lever le secret médical du Dr F______ à l’égard des tuteurs de l’enfant. Les demandes, objet des conclusions subsidiaires du recours, en remise la lettre de décès à la thérapeute, en autorisation pour celle-ci ou les curateurs de la consulter ou encore en conservation du dossier, n’ont pas été formulées devant la commission, de sorte qu’elles sont exorbitantes au litige et irrecevables.

3.             La recourante reproche à l’intimé d’avoir commis un abus de son pouvoir d’appréciation et une violation du principe de la proportionnalité en effectuant la pesée d’intérêts l’ayant conduite à refuser de lever le secret médical du Dr F______.

3.1 Selon l'art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (ch. 1) ; la révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2) ; demeurent réservées les dispositions de la législation fédérale et cantonale statuant une obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (ch. 3).

En droit genevois, l'obligation de respecter le secret professionnel est rappelée à l'art. 87 al. 1 la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03). Elle est le corollaire du droit de toute personne à la protection de sa sphère privée, garanti par les art. 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

En vertu de l'art. 87 al. 2 LS, le secret professionnel a pour but de protéger la sphère privée du patient ; il interdit aux personnes qui y sont astreintes de transmettre des informations dont elles ont eu connaissance dans l'exercice de leur profession. Aux termes de l'art. 88 LS, une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par le patient ou, s'il existe de justes motifs, par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel (al. 1) ; sont réservées les dispositions légales concernant l'obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (al. 2).

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CourEDH), le respect du caractère confidentiel des informations de santé est capital non seulement pour protéger la vie privée des malades, mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme à l'art. 8 CEDH, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, le devoir de discrétion est unanimement reconnu et farouchement défendu (ACEDH Z. M.S. c/Suède du 27 août 1997, cité in Dominique MANAÏ, Droits du patient face à la biomédecine, 2013, p. 138 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 du 7 novembre 2006 consid. 2.3.1).

3.2 Comme tout droit découlant d'une liberté publique, le droit à la protection du secret médical peut, conformément à l'art. 36 Cst., être restreint moyennant l'existence d'une base légale (al. 1), la justification par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et le respect du principe de la proportionnalité, par rapport au but visé (al. 3).

La base légale pouvant fonder la restriction est, en cette matière, constituée par l'art. 321 ch. 2 CP et par l'art. 88 al. 1 LS. L'autorité supérieure au sens de ces deux dispositions est, conformément à l'art. 12 al. 1 LS, la commission, qui, bien que rattachée administrativement au département chargé de la santé (art. 12 al. 6 LS), exerce en toute indépendance les compétences que la LS lui confère (art. 12 al. 7 LS).

Une décision de levée du secret professionnel doit, en l'absence d'accord du patient, se justifier par la présence de « justes motifs » (art. 88 al. 1 LS). Il ressort de l'art. 87 al. 3 LS que les intérêts du patient ne peuvent pas constituer un « juste motif » de levée du secret, si ce dernier n'a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant (ATA/11/2018 du 9 janvier 2018 consid. 6a ; ATA/202/2015 du 24 février 2015 consid. 6).

3.3 L'art. 48 de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) traite de l'accès et autres droits des proches d'une personne décédée aux données personnelles de celle-ci. L'al. 3 de cette disposition mentionne que l'art. 55A LS est réservé.

Entré en vigueur le 1er février 2014 et consacré à l’information des proches d’un patient décédé, celui-ci prévoit que, pour autant qu’ils puissent justifier d’un intérêt digne de protection, les proches d’un patient décédé peuvent être informés sur les causes de son décès et sur le traitement qui l’a précédé, à moins que le défunt ne s’y soit expressément opposé. L’intérêt des proches ne doit pas se heurter à l’intérêt du défunt à la sauvegarde du secret médical, ni à l’intérêt prépondérant de tiers (al. 1). À cet effet, les proches désignent un médecin chargé de recueillir les données médicales nécessaires à leur information et de les leur transmettre (al. 2). Les médecins concernés doivent saisir la commission (al. 3).

Selon l’exposé des motifs, « la base légale proposée pose le principe selon lequel le proche de la personne décédée peut être informé sur les causes du décès et sur le traitement qui l’a précédé. Il n’est en revanche pas question d’octroyer aux proches un libre accès à toute l’information médicale contenue dans le dossier de la personne décédée. Chaque patient doit en effet pouvoir compter sur la garantie de la confidentialité qui doit continuer de demeurer l’un des piliers fondateurs des échanges formant la relation thérapeutique, à défaut de quoi l’art. 321 CP serait vidé de sa substance et l’intérêt public à la préservation du secret professionnel gravement compromis.

« Le proche doit par ailleurs justifier d’un intérêt digne de protection, étant précisé que l’opposition expresse du patient à la transmission bloque irréversiblement tout accès à quelque information que ce soit. Il s’agit ici de se prémunir contre le risque d’une dissémination de l’information médicale, au mépris des principes de confidentialité et de discrétion fondant la relation thérapeutique. À titre d’exemples, l’intérêt légitime peut résider dans la détermination de l’existence ou non d’une erreur médicale ayant provoqué le décès du patient, être en lien avec des problématiques d’assurance ou encore intervenir pour des questions de succession.

« C’est à ce stade que le rôle du médecin intervenant en qualité d’intermédiaire prend une grande part de son importance. Car si c’est à lui qu’il revient de traduire les renseignements médicaux dans un langage qui soit compréhensible pour les proches et permettre ainsi d’atteindre le but visé par la disposition, il lui appartient également de dégager les données du dossier réellement pertinentes à cette fin, tout en sauvegardant le secret professionnel. À noter que ce médecin « de confiance » peut être désigné en dehors du cercle des professionnels de la santé étant intervenus auprès du patient (médecin de famille, ami de proche ou du défunt). Il s’agira alors pour ce dernier de faire preuve d’autant plus de discernement et de minutie dans le tri des informations ainsi mises à sa disposition.

« Conformément aux règles posées par l’art. 321 CP, les médecins livrant l’information doivent être déliés de leur secret professionnel par la commission. Dans le cas où le médecin choisi par les proches comme intermédiaire ne serait pas intervenu dans le traitement du défunt, il importe que les professionnels de la santé concernés puissent être déliés de leur secret tant à l’égard de celui-ci que des proches, de manière à légitimer la transmission de l’information à tous les échelons, mais également par souci d’économie de procédure.

Les renseignements susceptibles d’être communiqués ne peuvent ainsi que porter sur les causes du décès, ainsi que sur le traitement qui l’a précédé. Le reste des données demeurent inaccessibles » (MGC 2012-2013/X A 11668‑11669 ; ATA/70/2016 du 26 janvier consid. 12 ; ATA/406/2017 du 11 avril 2011 consid. 4 ; ATA/513/2020 du 26 mai 2020 consid. 6).

3.4 Constitue un abus du pouvoir d’appréciation le cas où l’autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 ; ATA/1276/2018 du 27 novembre 2018 consid. 4d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 515). Il y a excès du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité dépasse le cadre de ses pouvoirs. En outre, celle-ci doit exercer son libre pouvoir d’appréciation conformément au droit, ce qui signifie qu’elle doit respecter le but dans lequel un tel pouvoir lui a été conféré, procéder à un examen complet de toutes les circonstances pertinentes, user de critères transparents et objectifs, ne pas commettre d’inégalité de traitement et appliquer le principe de la proportionnalité. Si elle ne respecte pas ces principes, elle abuse de son pouvoir (ATA/827/2018 du 28 août 2018 consid. 2b ; ATA/845/2015 du 20 août 2015 consid. 2b ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3e éd., 2012, p. 743 ss et les références citées).

3.5 Le principe de proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

3.6 Dans le cas, cité par la recourante, d’une femme qui s’était donné la mort lors d’une sortie autorisée alors qu’elle était hospitalisée dans une clinique psychiatrique, laissant deux enfants mineurs et un conjoint dont elle vivait séparée, le Tribunal fédéral a récemment eu à se pencher sur la pesée d’intérêts effectuée par la cour cantonale. Il a constaté qu’à l’intérêt, compréhensible, des membres de la famille d’avoir accès au dossier médical pour faire leur deuil s’opposait l’intérêt au respect au-delà de la mort du secret de la disparue et l’intérêt public au bon fonctionnement des soins de santé. Les recourants voulaient d’abord avoir accès au dossier pour déterminer s’ils entendaient faire valoir des prétentions contre la clinique, mais n’invoquaient pas une crainte sérieuse de faute médicale. La solution trouvée par la cour cantonale, consistant à donner accès au dossier aux médecins et psychothérapeutes des recourants dans la mesure où cela pourrait être nécessaire au succès de leur traitement, a été jugée équilibrée par le Tribunal fédéral, qui a rappelé qu’en règle générale la consultation ne devait être exercée que par un médecin de confiance (arrêt du Tribunal fédéral 2C_37/2018 précité consid. 6.4.4).

3.7 En l’espèce, si la décision litigieuse querellée est effectivement assez laconique dans sa motivation, elle permet de comprendre que la commission a entendu remettre à l’enfant l’initiative de demander elle-même, le moment venu, l’obtention d’informations médicales au sujet de sa mère.

Le fait que la commission ait apparemment pris en compte le point de vue personnel du Dr F______ n’ôte aucun poids à cette motivation.

Cette motivation a été développée par la commission dans ses observations. Selon elle, les tuteurs ne pouvaient justifier d’aucun intérêt personnel à la consultation de la lettre de décès. La défunte avait refusé tout contact avec son entourage. Le versement de ce document dans le dossier du SPMi comprendrait en outre le risque d’une dissémination.

Il ressort suffisamment clairement de la décision attaquée que c’est à l’enfant, en personne, qu’il appartiendra, le moment venu, d’exercer si elle le souhaite son droit de savoir – et non à sa curatrice ou à ses tuteurs à titre préventif.

À cet égard, il importe de souligner que la commission n’a pas procédé à une pesée des intérêts respectifs de l’enfant, de sa défunte mère et de la collectivité en lien avec l’accès au dossier médical litigieux.

Cette argumentation est nuancée et n’appelle pas de critique. S’il est en effet probable que A______ posera des questions sur les circonstances du décès de sa mère, le fait pour sa thérapeute de n’avoir pu accéder à titre préventif au dossier ou à la lettre de décès n’empêchera pas cette dernière d’aborder avec elle, le moment venu, la question du suicide, celle de la volonté de savoir et enfin celle des obstacles à l’exercice de cette volonté. Il sera vu plus loin que la commission pourra alors être à nouveau saisie, de sorte qu’il ne peut être soutenu que la thérapie perdrait un temps précieux.

À cela s’ajoute que les tuteurs, qui ont demandé initialement l’accès au dossier de la défunte, ne font pas valoir d’intérêt personnel à l’accès à ce document et la commission pouvait à bon droit relever qu’ils n’en possèdent pas.

Enfin, l’art. 55A LS exclut la remise du dossier ou de la lettre de décès, mais privilégie la transmission au proche d’informations choisies par le médecin dont la levée du secret est demandée – si bien que sous cet angle également la commission ne pouvait que rejeter la demande de levée du secret médical à l’effet de remettre le dossier aux tuteurs.

La défunte a laissé une lettre d’adieux et il est possible que l’enfant ne veuille pas savoir, ou ne veuille pas connaître de détails sur la situation de santé de celle-ci. À elle seule, cette hypothèse exclut également l’existence d’un intérêt pour les tuteurs à obtenir un accès préventif.

Il se peut également que l’enfant veuille accéder au dossier ou tout au moins connaître des faits que sa thérapeute ou son entourage ignorent, mais que la lettre de décès pourrait révéler. Dans cette hypothèse, les besoins de sa thérapie, tels qu’ils seront alors objectivés par sa thérapeute, pourront être invoqués devant le médecin répondant du dossier puis feront l’objet d’une pesée des intérêts par la commission – étant rappelé que l’octroi d’un accès partiel au seul thérapeute est la règle en droit genevois (art. 55A LS) et constitue une solution qui a déjà été jugée proportionnée par le Tribunal fédéral.

Cette possibilité a été ménagée en l’espèce par la commission, qui a expressément réservé l’examen d’une demande future provenant de A______ elle-même, et qui procédera en telle hypothèse à la pesée des intérêts en présence.

À cet égard, il pourrait être judicieux que la curatrice informe les tuteurs et la thérapeute des droits de l’enfant tels que rappelés ci-avant.

La curatrice invoque encore le risque de disparition du dossier. Selon l’art. 57 al. 1 LS, les dossiers médicaux doivent être conservés au moins dix ans dès la dernière consultation. Les tuteurs ont évoqué des questions qui ne manqueraient pas d’être posées et la thérapeute a exprimé la préoccupation de ne pas perdre de temps. La curatrice ne soutient pas que sa protégée attendra encore dix ans avant de demander des informations sur l’état de santé de sa mère et les circonstances de son décès. Le délai de conservation de dix ans apparaît ainsi suffisant pour préserver les intérêts de l’enfant, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de donner suite à la conclusion subsidiaire en conservation du dossier si celle-ci était recevable.

C’est ainsi conformément au droit, et en ménageant l’intérêt de l’enfant, que la commission a rejeté la demande de levée du secret médical.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 31 mars 2023 par Me Ève DOLON, curatrice, agissant au nom et pour le compte de A______, contre la décision de la commission du secret professionnel du 23 février 2023 ;

dit qu'il n'est pas perçu d’émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Ève DOLON, curatrice de la recourante, ainsi qu'à la commission du secret professionnel.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :