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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4148/2021

ATA/560/2023 du 30.05.2023 sur JTAPI/510/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4148/2021-PE ATA/560/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 mai 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______, agissant en leur nom et en celui de leur enfant mineur C______ recourants
représentés par Me Gazmend ELMAZI, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mai 2022 (JTAPI/510/2022)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1994, ressortissant du Kosovo, a épousé B______, née le ______ 1995, ressortissante du Kosovo, le 22 novembre 2018 au Kosovo.

b. C______ est née de cette union le ______ 2016 au Kosovo.

B. a. Le 27 septembre 2018, A______ a déposé une demande d’autorisation de séjour auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

Il était arrivé en Suisse en 2014 pour des raisons économiques et sociales, car dans son pays, il ne pouvait pas subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Dès son arrivée, il s’était installé à Genève, ses parents et d’autres membres de sa famille y habitaient déjà. Il était indépendant financièrement et n’avait jamais eu recours à l’aide sociale. Il voulait régulariser sa situation et bénéficier par la suite du regroupement familial.

Il a joint en annexe à sa demande un formulaire M d'autorisation de séjour en cochant la case « activité lucrative », un diplôme de technicien de chaussage, un contrat de travail du 25 septembre 2018 avec la société D______ avec laquelle il disait avoir toujours travaillé, ses fiches de salaire de février 2015, de juin à octobre 2017 et de mai à juillet 2018, un relevé de compte de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) du 8 août 2017 et du 7 février 2018, une carte de base des Transports publics genevois (ci-après : TPG) établie le 28 janvier 2016 pour une durée de cinq ans, un extrait de son casier judiciaire vierge du 11 septembre 2018, ainsi qu'un extrait du registre des poursuites du 13 septembre 2018 et une attestation de l’Hospice général (ci-après : l'hospice) du 13 septembre 2018, faisant respectivement état de l'absence d'aide sociale versée à son bénéfice et de poursuites ou actes de défaut de biens établis à son encontre. Il se tenait à disposition pour démontrer sa motivation à régulariser sa situation.

b. Par courrier du 13 août 2021, l’OCPM a fait part à Monsieur A______ de son intention de refus d’octroi d’une autorisation de séjour et de renvoi de Suisse.

Selon ses déclarations, il était arrivé en Suisse en 2014. Toutefois, aucune preuve de sa présence en Suisse pour l’année en question ne figurait au dossier. On devait retenir l’année 2015 comme année d’arrivée en Suisse. Pour l’année 2015, il avait produit à l’appui de sa demande une fiche de salaire pour le mois de février, auprès de la société D______. Ce seul justificatif ne permettait pas d’affirmer que son séjour en Suisse en 2015 était continu. Pour l’année 2016, il avait produit une carte des TPG, valable à partir du 28 janvier 2016 et un contrat de durée déterminée auprès de la société susmentionnée avec entrée en fonction le 18 octobre 2016 pour le poste de ferrailleur spécialisé. Pour l’année 2017, il avait produit ses fiches de salaire de juin à octobre auprès de la même société et un courrier de l’AFC-GE. Enfin, pour 2018, il avait produit ses fiches de salaire de mai à juillet auprès de la même société, et également un courrier de l’AFC-GE.

Au regard de l’absence de fiches de salaire pour l’année 2016, et des fiches de salaire complémentaires pour les années 2017 et 2018, ces éléments amenaient l’office à considérer que A______ avait effectué des missions temporaires et que son séjour en Suisse de manière continue pouvait être remis en cause. Enfin, au moment de son arrivée en Suisse, il était âgé de 21 ans. Il avait de ce fait passé son enfance, son adolescence et entamé les premières années de sa vie d’adulte au Kosovo. Ces années étaient décisives pour la formation de la personnalité et l’intégration sociale et culturelle. Il était actuellement âgé de 27 ans et était en bonne santé, et son épouse ainsi que son enfant demeuraient au Kosovo.

A______ ne remplissait pas les conditions légales pour les cas individuels d’extrême gravité, en raison de sa courte durée de présence en Suisse, d’un manque d’intégration socio-professionnelle exceptionnelle, d’un manque de lien particulier avec la Suisse, des attaches qu'il avait encore avec son pays d’origine et de son jeune âge. Il était venu en Suisse pour des motifs purement économiques. De plus, une réintégration dans son pays d’origine n’était aucunement compromise, dès lors qu'il y avait vécu depuis sa naissance et notamment une partie de sa vie d’adulte, et qu'il en maîtrisait la langue et la culture. L'OCPM envisageait de prononcer son renvoi de Suisse.

c. Le 22 octobre 2021, A______ s'est déterminé.

Il séjournait en Suisse depuis 2014, soit depuis plus de sept ans. Il remettait un extrait de son compte individuel AVS du 5 octobre 2021, permettant de constater qu’il cotisait depuis 2014. Depuis son arrivée en Suisse, il travaillait pour le même employeur. Il a joint des fiches de salaires supplémentaires de juin à août 2021. De plus, pour confirmer sa durée de séjour en Suisse, il a joint une attestation d’achat d’abonnements TPG couvrant la période du 16 octobre 2014 au 31 juillet 2015, du 31 octobre 2016 au 15 février 2017, du 9 juin 2018 au 15 juin 2019 (avec une interruption en octobre et décembre 2018) et du 5 mai au 17 juillet 2020. Cela permettait de constater l’achat d’abonnements entre les années 2014 et 2020.

Pour ce qui était de son intégration, depuis son arrivée en Suisse, il travaillait auprès du même employeur, D______, ce qui démontrait sa volonté de prendre part à la vie économique. Son certificat de travail du 2 septembre 2021 attestait de son professionnalisme et de son accession au statut de chef d’équipe. Il gagnait un salaire brut de CHF 5'000.-, il jouissait ainsi d’une indépendance financière complète. Il possédait un bon niveau de langue française, tel que le confirmait son « attestation de réussite opération papyrus », du 6 septembre 2021.Il avait le niveau A2 oral du CECRL (cadre européen de référence pour les langues). Par ailleurs, il n’avait pas d’antécédents judiciaires, pas de poursuites et n’avait pas eu recours à l’aide sociale. S’agissant de sa réintégration au Kosovo, il estimait entretenir peu de liens avec son pays d’origine depuis son arrivée en Suisse. De plus, un retour au pays menaçait ses conditions de subsistance. Il convenait de lui octroyer une autorisation de séjour.

d. Par décision du 5 novembre 2021, l’OCPM, reprenant en substance les faits et l'argumentation développés dans son courrier du 13 août 2021, a considéré que A______ ne remplissait pas les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour pour cas individuel d’extrême gravité et a refusé sa demande. Il a prononcé son renvoi de Suisse ainsi que celui de son épouse et de sa fille, étant relevé au sujet de ces dernières qu'elles n'avaient pas déposé de demande de régularisation. Il leur a imparti un délai au 2 janvier 2022 pour quitter le territoire Suisse.

C. a. Le 6 décembre 2021, B______ et A______, représentant également leur fille, ont formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision précitée, concluant à son annulation et à l’octroi d’une autorisation de séjour pour eux-mêmes et leur fille. A______ était arrivé en Suisse en 2014 en raison de sa situation financière et personnelle difficile et il estimait que sa durée de séjour en Suisse était de 7 ans.

Il n’envisageait pas de quitter la Suisse, raison pour laquelle son épouse et sa fille l’avaient rejoint en 2021. Enfin, son renvoi et celui de sa famille ne pouvait être raisonnablement exigé, car en raison de la pandémie et de l’augmentation des cas, cela les exposait à un danger concret pour leur santé.

b. Le 28 janvier 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours. Les arguments du recourant n’étaient pas de nature à modifier sa position. Il renvoyait à l'argumentation de la décision litigieuse.

A______ n’avait pas démontré qu’il serait exposé à des conditions socioéconomiques ou sanitaires autrement plus difficiles que celles auxquelles étaient confrontés la plupart de ses compatriotes restés au pays. Enfin, il ne ressortait pas du dossier que les liens du recourant avec la Suisse étaient à ce point étroits qu’un retour au Kosovo le placerait dans une situation personnelle d’extrême gravité.

c. Par jugement du 16 mai 2022, le TAPI a rejeté le recours.

A______ ne pouvait se voir octroyer une autorisation de séjour dans le cadre de l'« opération Papyrus », car il avait déclaré être arrivé en Suisse en 2014, ce qui représentait, au moment du dépôt de sa demande en septembre 2018, un séjour d'une durée de quatre ans, soit une durée nettement inférieure aux dix ans requis dans son cas. Quant à B______ et C______, étant arrivées en Suisse en mai 2021, sans visa d’entrée valable, la durée de leur séjour en Suisse n'était que d'un an et s'avère donc largement inférieure à la durée de cinq ans prévue pour les familles par l'« opération Papyrus ».

D. a. Par acte posté le 21 juin 2022, B______ et A______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, à celle de la décision du 5 novembre 2021, à ce qu'il soit ordonné à l'OCPM de soumettre leur dossier au SEM avec un préavis positif, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

On devait admettre que la durée du séjour de A______ était de huit ans, durée qui devait être qualifiée de longue. La présence de sa famille en Suisse avait pour conséquence qu'il n'avait plus aucun lien avec son pays d'origine. Son intégration professionnelle devait être qualifiée d'exceptionnelle, ayant toujours travaillé pour la même entreprise au sein de laquelle il déployait désormais une activité de ferrailleur spécialisé et de chef d'équipe. Il n'avait jamais été à l'aide sociale ni fait l'objet d'aucune poursuite pour dettes. Lui et sa femme avaient parfaitement su s'intégrer en Suisse et avaient réussi à nouer de solides liens d'amitié et relations de travail. Leur fille avait intégré le système scolaire genevois et parlait parfaitement le français ; elle n'avait que très peu de liens avec le Kosovo, dont les conditions de vie lui étaient étrangères.

b. Le 4 août 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments avancés n'étant pas de nature à modifier sa position.

c. Le 10 août 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 16 septembre 2022, prolongé par la suite au 14 octobre 2022, pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 14 septembre 2022, l'OCPM a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires.

e. Le 16 octobre 2022, les recourants ont persisté dans leurs conclusions. Au sein de son entreprise, A______ s'occupait de la gestion et du contrôle de plusieurs chantiers, et il était l'intermédiaire principal entre les collaborateurs du chantier et les collaboratrices du bureau. Une attestation de la direction était jointe, qui insistait sur la nécessité de sa présence au sein de l'entreprise.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             L’objet du litige est la décision de l’autorité intimée du 5 novembre 2021 refusant de transmettre le dossier des recourants au SEM avec un préavis favorable et prononçant leur renvoi de Suisse.

2.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), devenue la LEI, et de l'OASA. Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, avant le 1er janvier 2019, sont régies par l'ancien droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_404/2022 du 4 août 2022 consid. 6.1).

2.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

2.3 L’art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment des faits, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (secrétariat d'État aux migrations, Domaine des étrangers [ci-après : directives LEI], état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

2.4 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4 ; ATA/257/2020 du 3 mars 2020 consid. 6c). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/92/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4d).

La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

Par durée assez longue, la jurisprudence entend une période de 7 à 8 huit ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-7330/2010 du 19 mars 2012 consid. 5.3 ; Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. 2, 2017, p. 269 et les références citées).

Les années passées en Suisse dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance – par exemple en raison de l'effet suspensif attaché à des procédures de recours – ne sont pas déterminantes (ATF 137 II 1 consid. 4.3 ; 134 II 10 consid. 4.3 ; arrêts 2C_603/2019 du 16 décembre 2019 consid. 6.2 ; 2C_436/2018 du 8 novembre 2018 consid. 2.2), sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

2.5 L’intégration professionnelle doit être exceptionnelle : le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou alors son ascension professionnelle est si remarquable qu'elle justifierait une exception aux mesures de limitation (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; ATA/981/2019 du 4 juin 2019 consid. 6c).

2.6 L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération (ATF 123 II 125 consid. 5b.dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/90/2021 du 26 janvier 2021 consid. 3e).

La question est donc de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (ATA/90/2021 précité consid. 3e ; ATA/1162/2020 du 17 novembre 2020
consid. 6b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015
consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

2.7 Dans l'examen d'un cas de rigueur concernant le renvoi d'une famille, il importe de prendre en considération la situation globale de celle-ci. Dans certaines circonstances, le renvoi d'enfants peut engendrer un déracinement susceptible de constituer un cas personnel d'extrême gravité.

D'une manière générale, lorsqu'un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d'origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (arrêt du TAF C-636/2010 du 14 décembre 2010 consid. 5.4 et la référence citée). Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l'état d'avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L'adolescence, une période comprise entre 12 et 16 ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4 ; ATA/203/2018 du 6 mars 2018 consid. 9a). Sous l'angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 de la convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (CDE - RS 0.107, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997 ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 et 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C 3592/2010 du 8 octobre 2012 consid. 6.2 ; ATA/434/2020 du 31 avril 2020 consid. 10).

2.8 L'« opération Papyrus » développée par le canton de Genève visait à régulariser la situation des personnes non ressortissantes des pays de l'UE ou de l'AELE, bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus » (disponible sous https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum, pour les familles avec enfants scolarisés, ou dix ans minimum pour les autres catégories ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

L'« opération Papyrus » n'emportait aucune dérogation aux dispositions légales applicables à la reconnaissance de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite du séjour en Suisse (art. 30 al. 1 let. b LEI), pas plus qu'à celles relatives à la reconnaissance d'un cas individuel d'extrême gravité (art. 31 al. 1 OASA), dont les critères peuvent entrer en ligne de compte pour l'examen desdites raisons personnelles majeures (ATA/584/2017 du 23 mai 2017 consid. 4c). Elle s'est achevée le 31 décembre 2018.

2.9 En l'espèce, le recourant prétend être arrivé en Suisse en 2014. Ayant déposé sa demande de régularisation de ses conditions de séjour le 27 septembre 2018, il ne pouvait se prévaloir d'un séjour continu de dix ans, si bien que les conditions pour bénéficier de l'« opération Papyrus » n'étaient pas remplies en ce qui le concernait. Quant à sa femme et à sa fille, n'étant arrivées en Suisse qu'en mai 2021, sans visa d’entrée valable, elles ne pouvaient bénéficier de ladite opération puisque celle-ci s'est achevée à la fin de l'année 2018, et elles n'en remplissaient quoi qu'il en soit pas non plus la condition relative à la durée du séjour.

Par ailleurs, comme l'a retenu à juste titre le TAPI, les preuves au dossier concernant la résidence du recourant en Suisse ne démontrent qu'un séjour très discontinu entre 2014 et fin 2018. Qui plus est, même en retenant une durée de séjour de neuf ans, il conviendrait de fortement relativiser celle-ci dans la mesure où ledit séjour a été entièrement effectué dans l'illégalité, ou au bénéfice d'une tolérance des autorités de migration. Quant à la durée de séjour totale de la recourante et de sa fille, elle atteint tout juste deux ans et est donc faible.

L'intégration professionnelle du recourant peut être qualifiée de bonne, puisqu'il travaille depuis plusieurs années pour le même employeur et encadre quelques personnes en tant que chef d'équipe. Il parle aussi couramment le français. Cela étant, s'il n'a pas de dettes, n'a jamais recouru à l’aide sociale et ne semble pas avoir de casier judiciaire, ces éléments relèvent du comportement que l’on est en droit d’attendre de toute personne séjournant dans le pays (arrêts du Tribunal fédéral 2C_779/2016 du 13 septembre 2016 consid. 4.2 ; 2C_789/2014 du 20 février 2015 consid. 2.2.2 ; ATA/1171/2021 du 2 novembre 2021 consid. 8).

Il n'apparaît en outre pas que le recourant se soit créé des attaches particulièrement étroites avec la Suisse au point de rendre étranger son pays d'origine. Il ne s’est pas investi personnellement, que ce soit dans la vie associative ou dans la culture genevoise. Il ne peut dès lors être retenu qu'il fait preuve d'une intégration sociale exceptionnelle en comparaison avec d'autres étrangers qui travaillent en Suisse depuis plusieurs années (arrêts du TAF F-6480/2016 du 15 octobre 2018 consid. 8.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.2). Ce constat vaut a fortiori pour la recourante qui n’est arrivée en Suisse qu’en 2021. La présence de divers membres de leur famille en Suisse, au bénéfice de titres de séjour ou de nationalité suisse, ne modifie pas cette appréciation de l’absence d’une intégration exceptionnelle en Suisse.

S'agissant de leurs possibilités de réintégration dans leur pays d'origine, les recourants sont nés au Kosovo, dont ils parlent la langue. Ils y ont vécu leur enfance, leur adolescence et une partie de leur vie d'adulte, en particulier la recourante qui est arrivée en Suisse à l'âge de 26 ans. Elle y a du reste donné naissance à sa fille. En toute hypothèse, les années que le recourant a passées en Suisse ne l’ont pas rendu étranger à sa culture d’origine ni à sa langue maternelle. Les recourants sont tous deux jeunes et en bonne santé et, de retour dans leur pays d'origine, ils pourront faire valoir les connaissances linguistiques acquises en Suisse ainsi que, pour le recourant, son expérience professionnelle.

S'agissant de C______, elle est âgée de six ans et n'est en Suisse que depuis deux ans, si bien que même si elle est maintenant scolarisée en Suisse, son sort est encore dépendant de celui de ses parents et que son retour au Kosovo ne saurait constituer pour elle un véritable déracinement.

Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que les difficultés auxquelles les recourants devront faire face en cas de retour au Kosovo seraient pour eux plus graves que pour la moyenne des étrangers, en particulier des ressortissants kosovars retournant dans leur pays. Les recourants ne présentent donc pas une situation de détresse personnelle au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI. Il ne se justifie en conséquence pas de déroger aux conditions d'admission en Suisse en leur faveur, au vu de la jurisprudence très stricte en la matière. Enfin, il sera rappelé que l’autorité intimée bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre de céans ne revoit qu’en cas d’abus ou d’excès, ce qui n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

L'autorité intimée était en conséquence fondée à refuser de donner une suite positive à la demande d'autorisation de séjour déposée par le recourant, et l'instance précédente à confirmer ledit refus.

3.             Reste à examiner la question du renvoi.

3.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation (ATA/247/2023 du 14 mars 2023 consid. 6.1).

3.2 Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI). L'exécution n'est pas possible lorsque la personne concernée ne peut quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers ni être renvoyée dans un de ces États (art. 83 al. 2 LEI). Elle n'est pas licite lorsqu'elle serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEI). Elle n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

3.3 En l'espèce, dès lors qu'il a, à juste titre, refusé une autorisation de séjour aux recourants, l'intimé devait prononcer leur renvoi. Pour le surplus, aucun motif ne permet de retenir que l'exécution du renvoi ne serait pas possible, licite ou ne pourrait raisonnablement être exigé les concernant.

Dans ces circonstances, la décision de l'autorité intimée est conforme au droit et le recours contre le jugement du TAPI, entièrement mal fondé, sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 juin 2022 par A______ et B______, agissant en leur nom et en celui de leur enfant mineur C______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mai 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de A______ et B______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gazmend ELMAZI, avocat des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. DIKAMONA

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.