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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15789/2021

ACPR/266/2024 du 18.04.2024 sur OMP/23013/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : EXPERTISE PSYCHIATRIQUE
Normes : CPP.182

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15789/2021 ACPR/266/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 18 avril 2024

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre le mandat d'expertise psychiatrique rendu le 6 décembre 2023 par le Ministère public,

et

C______, représentée par Me Albert HABIB, avocat, LEXISS Avocats, avenue de la Gare 1, Case postale 986, 1001 Lausanne,

D______, domiciliée c/o E______, ______, Espagne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 18 décembre 2023, A______ recourt contre le mandat du 6 décembre 2023, communiqué par pli simple, par lequel le Ministère public a désigné deux médecins psychiatres en vue de procéder à son expertise psychiatrique.

Le recourant conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif et, principalement, à l'annulation du mandat précité et à ce que l'indemnité de son défenseur d'office soit fixée.

b. Par ordonnance du 20 décembre 2023 (OCPR/77/2023) la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, ressortissant suisse né en 1995, domicilié en France, est prévenu de contrainte sexuelle (art. 189 CP), vol (art. 139 CP), dommages à la propriété (art. 144 CP), filouterie d'auberge (art. 149 CP), conduite sans autorisation (art. 95 LCR), violation des règles de la circulation routière (art. 90 LCR), violation des obligations en cas d'accident (art. 92 LCR) et consommation de stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup).

Il lui est principalement reproché d'avoir :

- dans la nuit du 6 au 7 août 2021, dans un hôtel de Genève : alors qu'il avait rencontré D______ pour des prestations sexuelles tarifées, dans le cadre de l'activité d'escort de cette dernière, inséré, contre le gré de celle-ci, ses doigts dans son vagin et son anus, lui causant des douleurs à ce niveau, et de l'avoir jetée par terre, lui causant des douleurs à la nuque, ainsi que de lui avoir dérobé CHF 1'000.- et d'avoir consommé de la cocaïne;

- le 9 mars 2023, circulé au volant d'un véhicule automobile alors qu'il était sous le coup d'une interdiction de circuler en Suisse et en incapacité de conduire (taux d'alcoolémie entre 1.62 et 2.33 g/kg), perdu la maîtrise de la voiture et heurté une barrière puis un arbre. Lors de son audition par la police, le 23 juin 2023, il répondra "non, j'ai arrêté", à la question de savoir s'il consommait des stupéfiants;

- la nuit du 30 juillet 2023, dans le cadre du festival F______ à G______, dans le canton de Vaud, empêché C______ de sortir de la cabine des WC – où ils s'étaient rendus pour consommer de la cocaïne –, de l'avoir embrassée de force en la tenant par l'arrière de la tête tout en la dévêtant, de lui avoir touché les seins, de l'avoir pénétrée vaginalement avec ses doigts à plusieurs reprises et tenté d'insérer un doigt dans son anus, puis de l'avoir forcée à lui faire "des bisous" sur son pénis.

La plainte de D______

b. Dans sa plainte pénale, D______ a expliqué que dès le début, A______ s'était montré "très agressif et excité". Il consommait de la cocaïne. Il la "prenait de manière très violente" et la "jetait par terre comme si [elle] était une poupée en plastique". Il lui avait mis à plusieurs reprises les doigts dans le vagin, de manière très violente malgré qu'elle lui eût dit de se calmer et d'être plus doux; il avait aussi essayé de lui mettre les doigts dans l'anus alors qu'elle avait dit qu'elle ne voulait pas. Il n'avait pas réussi à avoir une érection. Par la suite, la pochette dans laquelle elle avait placé son argent, environ CHF 1'000.-, avait disparu.

c. Entendu par le Ministère public sur la plainte de la précitée, le 27 avril 2023, A______ a admis avoir volé l'argent de D______ mais a contesté le reste. Tout était consenti et ils avaient entretenu un rapport sexuel complet. Il avait consommé de la cocaïne à plusieurs reprises durant la soirée. Il consommait cette substance "uniquement quand [il] vo[yait] des escorts". Il ne se souvenait pas quand il avait consommé la dernière fois, mais c'était "il y a longtemps".

Citée à comparaître, D______, domiciliée en Espagne, ne s'est pas présentée à l'audience et n'a donc pas été confrontée au prévenu.

La plainte de C______

d. Le 30 juillet 2023, A______ s'est rendu au F______ à G______, dans le canton de Vaud, avec H______, qu'il avait connue sur une application de rencontres et rencontrée pour la première fois ce soir-là, tôt dans la soirée.

Entendue par la police vaudoise, H______ a expliqué que A______ avait été correct avec elle, gentil et respectueux. Ils s'étaient embrassés durant la soirée et il n'avait pas essayé d'aller plus loin. À un certain moment, ils s'étaient perdus de vue et elle ne l'avait plus revu.

e. Dans sa plainte, C______ a expliqué souffrir d'un trouble schizo-affectif. Elle prenait des médicaments qui n'affectaient pas son comportement ou la compréhension des choses. Le 30 juillet 2023, elle s'était rendue au festival avec des amis et avait consommé de l'alcool. Tard dans la soirée, elle avait été abordée par A______ dans la file devant les toilettes. Il lui avait proposé de consommer de la cocaïne, ce qu'elle avait accepté. Ils s'étaient rendus dans une cabine de toilettes pour hommes et il avait verrouillé la porte. Elle lui avait demandé son numéro de téléphone, qu'il avait enregistré dans son téléphone à elle. Après qu'elle avait pris un trait de cocaïne, elle lui avait demandé de sortir car elle devait uriner, mais il avait refusé. Elle s'était donc soulagée devant lui. Lorsqu'elle s'était rhabillée, il l'avait embrassée et avait essayé de la déshabiller. Elle lui avait dit qu'elle ne voulait pas, mais il lui avait répondu qu'il avait de l'argent, avec lequel ils pouvaient acheter plus de drogue et avait sorti des billets. Sans le dire, il lui avait aussi fait comprendre qu'il pouvait payer pour entretenir une relation sexuelle avec elle. Il était sous l'influence de la cocaïne, il avait les yeux "éclatés". Il lui avait touché les fesses et les seins, et l'avait embrassée de force. Après plusieurs tentatives, car elle résistait, il était parvenu à lui enlever son pantalon et lui avait mis les doigts dans le vagin, en la maintenant avec l'autre main. Elle lui avait dit "non, arrête" et avait tenté de le repousser. Son téléphone avait sonné et elle avait répondu ; son correspondant lui avait demandé si tout allait bien et elle avait répondu "non, cours aux toilettes". A______, après avoir enlevé son propre pantalon et son caleçon, lui avait dit, d'un ton autoritaire, de s'asseoir sur les toilettes ; il était en érection. Il lui avait demandé de lui "faire un bisou" sur son sexe, et avait approché sa tête de son pénis. Elle avait dû lui faire au moins cinq "bisous" avant qu'il la laisse partir.

f. Un bénévole affecté aux sanitaires a vu C______ sortir en courant des toilettes en se tenant le ventre. Elle semblait en état de choc. L'homme qui était sorti de la cabine après elle avait dit "ça t'apprendra". Il (le témoin) avait fait appel à la sécurité du festival.

g. C______ ayant déclaré avoir subi une agression sexuelle, A______ a été retenu à la sortie.

Alors qu'il se trouvait avec la sécurité, il a envoyé plusieurs messages à C______ en lui disant : "Tu peux venir stp je suis avec la sécurité du festival. Ja besoin de ta parole. Il dise que j'ai abusé de toi. Franchement t'abuse. Vient. Dit au moins la vérité que c'est toi qui a abusé de moi et de mes contact t'es pas cool. Je veux pas de problème bordel. Je suis un gars bien. Donc vient là stp. Pff mais n'importe quoi comment vous avez abusé de ma gentillesse j'ai tout payé et tu fais sa j'ai rien fais et en plus c'est ton idée de prendre la drogue j'ai même pas payé c'est toi. Mais merci je vais assume. Bonne soirée. A+. Dépêche toi" (sic).

Il a aussi envoyé des messages à H______, en ces termes : "Je suis à gauche de l'entre. Principal. T'est où. Merci. Ok trop tard je suis avec la police à cause de l'autre nana qui nous a dragué. C'est encore de ma fautes. Je suis au bout du rouleau. N'importe quoi. Faut que tu réponde. C'est vraiment important. C'est pas une blague la. Putin. Mais n'importe quoi. Vous m'avez bien eu ttes les deux". H______ a déclaré ignorer de quelle "nana" A______ parlait, aucune fille n'étant venue la draguer. Elle ne connaissait pas non plus C______. Elle avait été surprise par ce message, qu'elle ne comprenait pas.

h. Entendu par la police puis le Ministère public vaudois, A______ a expliqué que C______ avait commencé à l'embrasser, puis ils s'étaient "chauffés". Elle lui avait caressé le dos, le torse et les fesses. De son côté, il l'avait pénétrée avec les doigts. Elle était consentante, jusqu'à ce qu'elle reçoive le téléphone d'un homme. Dès cet instant, elle était devenue agitée et lui avait demandé, d'un ton sec, d'arrêter de la toucher.

Interrogé sur la similitude des faits avec l'affaire précédente, à Genève, A______ a répondu que cela n'avait rien à voir, car l'escort avait déposé plainte pour vol et l'affaire était "terminée".

Il avait "sniffé" cinq rails de cocaïne durant la soirée du 30 juillet 2023. Il en consommait de manière festive une à deux fois par année depuis deux ans.

Selon l'ordre de prise et d'analyse, rempli par la police vaudoise, celle-ci a constaté une haleine sentant l'alcool, une démarche incertaine, des yeux injectés de sang/pupilles dilatées et une parole cohérente (PP C-213). L'examen médical effectué dans la foulée a révélé une expression verbale normale et une compréhension verbale sans problème (PP C-228).

i. La police vaudoise a procédé à l'audition de l'ami de C______, qui avait appelé celle-ci alors qu'elle se trouvait dans la cabine de toilettes avec A______ (cf. PP C-152). Il a expliqué avoir passé la soirée au festival, avec C______ et d'autres amis. À un certain moment, comme C______, qui était partie seule aux toilettes, ne revenait pas, il l'avait appelée pour lui demander si elle allait bien, ce à quoi elle avait répondu "non". Il l'avait sentie angoissée, de sorte qu'il lui avait demandé s'il devait venir la chercher et elle avait répondu quelque chose comme "oui, cours". La conversation avait été coupée à plusieurs reprises, mais il l'avait rappelée à chaque fois. Il l'avait entendue dire "non non non, je ne veux pas" à quelqu'un, et il avait alors compris qu'elle se trouvait avec un homme. Lorsqu'il l'avait finalement vue, elle était dehors des toilettes, en pleurs, "dévastée".

Jonction des procédures

j. Le 6 octobre 2023, sur demande de fixation de for des autorités judiciaires vaudoises, le Ministère public genevois a accepté sa compétence pour les faits s'étant déroulés sur sol vaudois et a repris la procédure, qui a été jointe à la précédente.

k. A______ a été détenu du 30 juillet au 19 décembre 2023, date à laquelle il a été libéré avec des mesures de substitution pour pallier les risques de fuite, collusion et réitération (versement d'une caution, interdiction de contact, obligation d'entreprendre un traitement psychothérapeutique portant sur la sexualité, interdiction de consommer de l'alcool ou des stupéfiants, obligation de se soumettre à des contrôles, et obligation de travailler).

l. À teneur de son casier judiciaire suisse, il a été condamné à deux reprises par ordonnances pénales du Ministère public genevois : le 20 juin 2019 à une peine pécuniaire avec sursis pour infractions à la LCR, et le 8 octobre 2019 à une peine pécuniaire avec sursis pour dommages à la propriété.

Selon le dossier remis à la Chambre de céans, l'extrait du casier judiciaire français ne paraît pas avoir été demandé, mais, selon les renseignements obtenus par le Centre de coopération policière et douanière, A______ ne serait ni connu ni recherché en France.

m. Invité à se prononcer sur l'intention du Ministère public d'ordonner une expertise psychiatrique, A______ s'y est opposé, estimant que les conditions légales permettant de l'ordonner n'étaient pas remplies.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public a retenu que les faits reprochés à A______, par suite des plaintes déposées par D______ et C______, avaient été commis alors qu'il était sous l'influence de la cocaïne. Les deux complexes de fait présentaient en outre des similitudes troublantes et le "mode opératoire [était] quasiment identique". Il existait ainsi un lien important entre la consommation de cocaïne du prévenu, "ses éventuelles conséquences psychologiques" et les faits reprochés, s'ils devaient être tenus pour avérés. Il y avait en outre lieu de craindre que la consommation "problématique" de cocaïne du prévenu ne puisse avoir un impact sur sa perception des faits. Par ailleurs, les messages envoyés à C______ peu après les événements pourraient dénoter une perception erronée de la réalité. Il était probable qu'un trouble psychique lié à la consommation de drogue ou accentué par cette dernière puisse être une cause des agissements du prévenu.

Il y avait donc lieu de procéder à une évaluation de son état mental et de sa responsabilité pénale au moment des faits, pour établir l'existence d'un éventuel trouble mental ou un lien avec sa consommation de stupéfiants, ainsi que pour permettre d'envisager d'éventuelles mesures destinées à contenir ce trouble. Même en l'absence de trouble mental, la responsabilité pénale du prévenu par suite de l'ingestion de cocaïne devait être évaluée. De plus, le prononcé d'une mesure ne pouvait être exclu, dans le but notamment d'atténuer le risque de réitération retenu par le juge de la détention.

D. a. À l'appui de son recours, A______ dénonce, en premier lieu, une "psychiatrisation de la justice", ayant pour conséquence d'abaisser le seuil à partir duquel l'existence de doutes justifierait le recours à une expertise psychiatrique. En l'espèce, divers éléments habituellement retenus pour justifier une telle mesure étaient absents du dossier : il n'avait jamais séjourné dans un hôpital psychiatrique ; rien ne mettait en question son état de santé psychique ; il n'existait pas de signes de faiblesse d'esprit ni de retard mental ; il n'était pas sous curatelle ; le comportement reproché par les plaignantes ne relevait pas de l'aberration ; le dossier n'établissait pas un comportement déconnecté de la réalité, avant ou après l'infraction reprochée. Si la police avait relevé, le 30 juillet 2023, son haleine et une démarche incertaine, elle avait constaté – et le médecin à sa suite – que sa parole était cohérente, ce qui infirmait la possible perception erronée de la réalité invoquée par le Ministère public.

Le Procureur motivait sa décision sur la base de deux comportements commis à
deux ans d'intervalle. Or, rien n'indiquait qu'il ne se serait pas correctement comporté dans le cadre de relations affectives et/ou charnelles dans l'intervalle. Par ailleurs, les deux contextes étaient différents, et particuliers : les accusations de D______ s'inscrivaient dans un contexte conflictuel, après qu'il eut subtilisé l'argent de la relation tarifée, alors que celles de C______ émanaient d'une personne souffrant d'une atteinte psychique, et qui avait consommé de l'alcool et des stupéfiants. Aucune des plaignantes, pas plus que H______, ne mettaient en avant des propos ou un comportement déconnectés de la réalité.

Le déroulement des faits présenté par les deux plaignantes ne justifiait ainsi pas, à lui seul, la mise en œuvre d'une expertise psychiatrique, ce d'autant qu'il n'avait pas encore été en mesure d'exercer son droit "au contradictoire". Le principe de la proportionnalité s'y opposait également.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et se réfère à la motivation contenue dans le mandat d'expertise.

c. C______ conclut au rejet du recours et à l'octroi d'une juste indemnité. L'ensemble des infractions graves retenues contre A______ impliquaient la consommation de cocaïne, y compris la conduite d'un véhicule automobile. Le contenu des messages adressés le soir du 30 juillet 2023 laissaient à penser qu'il s'estimait victime d'un complot ; il semblait avoir vécu une scène imaginaire ou avait du moins une perception tronquée du réel, peut-être en raison de sa consommation de cocaïne. Les deux plaignantes rendaient compte de l'agressivité du prévenu, et une forme de domination, ce qui était aussi un des effets possibles de la cocaïne. La mise en place d'une expertise psychiatrique était donc indiquée.

d. D______ n'a pas retiré les envois qui lui ont été adressés par plis recommandés par la direction de la procédure.

e. Le recourant persiste dans ses conclusions.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé, selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, par le prévenu visé par le mandat querellé (art. 104 al. 1 let. a et 382 al. 1 CPP), et concerner une décision sujette à recours (art. 393 al. 1 let. a CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_242/2018 du 6 septembre 2018 consid. 2.4).

2.             Le recourant estime que les conditions ne sont pas remplies pour une expertise psychiatrique.

3.1. En vertu de l'art. 139 al. 1 CPP, les autorités pénales mettent en oeuvre tous les moyens de preuves licites qui, selon l'état des connaissances scientifiques et l'expérience, sont propres à établir la vérité.

L'art. 182 CPP – qui figure au Titre 4 du CPP sur les moyens de preuve – prévoit que le ministère public et les tribunaux ont recours à un ou plusieurs experts lorsqu'ils ne disposent pas des connaissances et des capacités nécessaires pour constater ou juger un état de fait.

Le magistrat instructeur doit faire et ordonner tout ce qui lui paraît nécessaire pour établir la vérité dans le cadre fixé par la loi, il est le seul maître de l'instruction et c'est à lui seul qu'il appartient d'organiser et de conduire l'instruction, d'apprécier l'opportunité des actes à exécuter et de décider l'ordre dans lequel ces derniers seront accomplis (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2016, n. 2 ad art. 62 CPP). Pour le reste, les preuves sont soumises à l'appréciation ainsi qu'à l'intime conviction du juge.

3.2. À teneur de l'art. 20 CP, l'autorité doit ordonner une expertise non seulement lorsqu'elle éprouve effectivement des doutes quant à la responsabilité de l'auteur, mais aussi lorsque, d'après les circonstances du cas particulier, elle aurait dû en éprouver, c'est-à-dire lorsqu'elle se trouve en présence d'indices sérieux propres à faire douter de la responsabilité pleine et entière de l'auteur au moment des faits (arrêt du Tribunal fédéral 6B_352/2014 consid. 5.1 non publié in ATF 141 IV 271 ; ATF 133 IV 145 consid. 3.3). La ratio legis veut que le juge, qui ne dispose pas de connaissances spécifiques dans le domaine de la psychiatrie, ne cherche pas à écarter ses doutes lui-même, fût-ce en se référant à la littérature spécialisée, mais que confronté à de telles circonstances, il recourt au spécialiste (arrêt du Tribunal fédéral 6B_987/2017 du 12 février 2018 consid. 1.1).

Constituent de tels indices, une contradiction manifeste entre l'acte et la personnalité de l'auteur, le comportement aberrant du prévenu, un séjour antérieur dans un hôpital psychiatrique, une interdiction prononcée en vertu du code civil, une attestation médicale, l'alcoolisme chronique, la dépendance aux stupéfiants, la possibilité que la culpabilité ait été influencée par un état affectif particulier ou l'existence de signes d'une faiblesse d'esprit ou d'un retard mental (ATF 116 IV 273 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_341/2010 du 20 juillet 2010 consid. 3.3.1). Il faut, mais il suffit, que le prévenu se situe nettement en dehors des normes et que sa constitution mentale se distingue de façon essentielle, non seulement de celle des personnes normales, mais aussi de celle des délinquants comparables (ATF 133 IV 145 consid. 3.3 p. 147).

Alors que la (simple) consommation de stupéfiants ou d'autres substances psychotropes doit amener le magistrat à rechercher si les circonstances ne font pas douter de la responsabilité de l'auteur – une réponse négative débouchant sur le refus d'une expertise –, la dépendance (effective) aux produits susmentionnés commande de procéder à l'examen considéré (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Code pénal I (art. 1 – 110 CP), 2ème éd., Bâle 2021, n. 17 ad art. 20 CP).

3.3. En outre, pour ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle ou un traitement ambulatoire, le juge est tenu de se fonder sur un rapport d'un expert (art. 56 al. 3, 4 et 4 bis CP).

3.4. En l'espèce, si l'on peut certes s'étonner que le Ministère public genevois n'ait, depuis sa reprise de la procédure vaudoise en octobre 2023, pas encore confronté le prévenu à la plaignante en lien avec les faits du 30 juillet 2023, l'absence de cet acte d'instruction ne rend pas sans objet la question de savoir si une expertise psychiatrique apparaît – déjà – nécessaire. En effet, les soupçons de contrainte sexuelle sont suffisants, au vu des éléments récoltés par les autorités judiciaires vaudoises. En outre, ces faits font écho à la procédure déjà engagée contre le recourant, dans le cadre de laquelle une autre femme s'est plainte, deux ans plus tôt, de comportements similaires.

Dans son recours, le recourant souligne qu'il ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés. Toutefois, le rôle de l'expert psychiatre est de se déterminer sur la faculté du prévenu, au moment des faits dénoncés, de pouvoir appréhender le caractère illicite d'un acte et de se déterminer d'après cette appréciation (art. 19 CP), même si les accusations sont contestées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_245/2021 du 2 août 2021 consid. 3.5 et les références citées). Peu importe, dès lors, dans le cas présent, que le recourant conteste avoir contraint sexuellement qui que ce soit, que H______ ne se soit pas plainte de son comportement avec elle le 30 juillet 2023, que la seconde plaignante souffre d'un trouble psychiatrique, et que le recourant allègue avoir entretenu des relations notamment charnelles non problématiques entre les deux événements visés par la procédure.

À teneur du dossier, les faits reprochés au recourant, les 6-7 août 2021 et 30 juillet 2023, sont, les deux fois, intervenus alors qu'il venait de consommer de la cocaïne et, les deux fois également, des jeunes femmes rencontrées le soir-même (une escort pour la première et une festivalière pour la seconde) l'accusent de leur avoir notamment mis les doigts dans le vagin/l'anus de manière non consentie, voire violente, alors que lui-même prétend qu'elles auraient été consentantes.

Le recourant allègue ne consommer de la cocaïne que de manière "festive", soit, à bien le comprendre, sporadiquement, ce qui ne suffirait pas à justifier une expertise psychiatrique. Or, en juin 2023 il déclarait à la police avoir "arrêté" la consommation de stupéfiants, ce qui sous-entend qu'il en consommait régulièrement auparavant, donc lors des faits survenus en 2021. De plus, cette affirmation paraît entrer en contradiction avec son absorption de cocaïne le soir du 30 juillet 2023. Il existe donc, à teneur du dossier, des indices permettant de penser que le recourant consommait, à l'époque des faits, régulièrement de la cocaïne, en particulier lorsqu'il envisageait d'entretenir des relations sexuelles, ce que lui-même a déclaré s'agissant de ses rencontres avec des escorts. Quoi qu'il en soit, dans la mesure où il se trouvait effectivement sous l'emprise de cette drogue lors des deux épisodes visés par la procédure, son comportement – soit, selon ce qui lui est reproché, d'avoir contraint sexuellement deux femmes – pourrait avoir été influencé voire provoqué par cette substance.

De plus, au vu des messages qu'il a adressés, le 30 juillet 2023, à la plaignante et à H______, dont le contenu paraît en total décalage avec les événements vécus par les précitées, on peut se demander si la drogue absorbée – ou un trouble mental – ont pu altérer sa perception de la réalité.

Partant, seule une expertise psychiatrique pourra confirmer ou démentir ce doute, et se prononcer sur la responsabilité de l'auteur au moment des faits, voire proposer une mesure ou un traitement. Dans ce contexte, la décision querellée ne viole nullement le principe de la proportionnalité, étant relevé que le bien juridiquement protégé concerne l'intégrité sexuelle d'autrui.

4.             Infondé, le recours doit ainsi être rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

6.             Il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP), le défenseur d'office.

7.             L'intimée, partie plaignante assistée d'un avocat, obtient gain de cause mais n'a ni chiffré ni, a fortiori, justifié l'indemnité requise, de sorte qu'il ne sera pas entré en matière (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit pour lui son défenseur), aux intimées et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/15789/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'000.00

Total

CHF

1'105.00