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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5746/2021

ACPR/657/2022 du 26.09.2022 sur OMP/12854/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE;PROCÉDURE CIVILE;VIOLATION D'UNE OBLIGATION D'ENTRETIEN
Normes : CPP.318; CP.217

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5746/2021 ACPR/657/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 26 septembre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______[GE], comparant en personne,

recourante,

 

contre l'ordonnance de suspension de l'instruction rendue le 28 juillet 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 5 août 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 juillet 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné la suspension de l'instruction jusqu'au 30 octobre 2022.

Sans prendre de conclusion formelle, la recourante exprime son désaccord avec cette ordonnance, laissant comprendre qu'elle s'oppose à la suspension.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 12 mars 2021, A______ a déposé plainte contre B______, son ex-mari et père de leur fils C______, né le ______ 2009, pour violation d'une obligation d'entretien, le prénommé n'ayant plus versé de pension depuis mai 2017 et ses arriérés se montaient à CHF 21'150.-.

Parmi les pièces jointes à cette plainte figure un jugement du 26 mai 2016 du Tribunal de première instance (ci-après: TPI), prononçant la dissolution du mariage de A______ et B______ et condamnant ce dernier à verser une contribution d'entretien mensuelle pour C______ de CHF 450.- à compter du 1er octobre 2016 jusqu'à l'âge de 12 ans, CHF 550.- jusqu'à l'âge de 15 ans et CHF 650.- jusqu'à sa majorité.

Cette plainte a été enregistrée sous le numéro de procédure P/5746/2021.

b. Le 11 juin 2021, le Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (ci-après: SCARPA) a déposé plainte contre B______ pour le même chef d'accusation.

A______ avait signé, le 12 février 2021, une convention avec cession des droits en application de la Loi sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires, l'habilitant [le Service] à déposer plainte pour la totalité des créances futures à compter de la signature de la convention. Pour la période du 1er mars 2021 au 30 juin 2021, B______ n'avait effectué aucun versement, ni répondu aux sollicitations, l'enveloppe contenant le dernier rappel en date étant revenue avec une note manuscrite selon laquelle ce dernier était inconnu à cette adresse. Sa dette alimentaire pour la période précitée s'élevait à CHF 1'897.-.

Cette plainte a été enregistrée sous le numéro de procédure P/1______/2021.

c. Le 23 avril 2021, le Ministère public a avisé B______ de la plainte déposée par A______, retenant que le délit apparaissait réalisé. Il invitait ce dernier à remplir un formulaire et adresser tous documents utiles pour démontrer la véracité des réponses.

d. Le 22 juin 2021, les procédures P/1______/2021 et P/5746/2021 ont été jointes sous ce dernier numéro.

e. Le Ministère public a tenu une audience le 20 janvier 2022, à laquelle B______, dûment convoqué, ne s'est pas présenté.

Le SCARPA a étendu la période sur laquelle portait sa plainte au 31 janvier 2022, augmentant les contributions dues par B______ à CHF 5'747.-. Tout comme A______, également entendue lors de cette audience, il n'avait aucun contact avec le prénommé et ne disposait d'aucune information au sujet de son domicile.

f. Le 26 janvier 2022, le Ministère public a, une nouvelle fois, requis de B______ qu'il se détermine sur les plaintes dont il faisait l'objet.

g. Sous la plume de son conseil, l'intéressé a répondu, le 31 mars 2022, que ces plaintes étaient "chicanières" dès lors qu'une procédure en modification du jugement de divorce était pendante par-devant le TPI, à la suite du dépôt d'une requête, le 26 juillet 2019 par A______. Dans le cadre de celle-ci, il concluait au constat de son incapacité à payer une contribution pour son fils depuis le 26 juillet 2019.

En annexe à sa lettre, B______ produit sa réponse sur demande en modification du jugement de divorce du 11 janvier 2021, où il prend notamment les conclusions suivantes: "dire et constater qu['il] ne doit pas les montants qui lui sont réclamés par Madame A______ au titre d'arriérés de contributions d'entretien pour C______; dire et constater qu['il] n'est plus en mesure de payer de contribution d'entretien en faveur de son fils C______ depuis le 26 juillet 2019". Selon ses explications, il s'était acquitté de toutes les contributions d'entretien dues, offrant comme preuves à ce sujet deux "quittances" de "pension alimentaire" datées des 16 décembre 2016 et 10 février 2017, signées uniquement de sa main tandis qu'un espace y est spécialement prévu pour la signature de A______.

h. Le 3 juin 2022, B______ a produit des décomptes de prestations de l'Hospice général pour les mois de mai et juin 2017, soutenant qu'il était incapable de s'acquitter de ses obligations d'entretien depuis cette période.

i. Le 15 suivant, il a expliqué n'avoir plus touché l'aide de l'Hospice général depuis juin 2017, sa mère lui ayant versé ensuite la somme de CHF 600.- environ pour subvenir à ses besoins. Sa situation financière depuis lors n'avait jamais pu lui permettre de verser une contribution à son fils. Il a requis une suspension de la procédure pénale, dans l'attente du jugement du TPI.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate qu'une procédure en modification du jugement de divorce était pendante et que l'issue de l'instruction pénale dépendait ainsi d'un autre procès, dont il paraissait utile d'attendre l'issue.

D. a. Dans son recours, A______ explique que le jugement de divorce était exécutoire depuis le 10 juin 2016 sans être encore contredit par une autre décision. Selon ce jugement, B______ devait s'acquitter de la contribution d'entretien pour leur fils, ce qu'il négligeait de faire depuis mai 2017. Sa requête en modification ne visait qu'à retirer l'autorité parentale à B______ et non pas à modifier la contribution due pour C______. Cette procédure parallèle ne pouvait dès lors constituer un motif pour suspendre la présente procédure pénale, d'autant que B______ ralentissait volontairement les démarches civiles qui duraient depuis trois ans.

b. Le Ministère public conclut au maintien de sa décision, sans autre développement.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), étant directement lésée par l'infraction dénoncée, nonobstant la cession de ses créances au SCARPA, qui porte, en tout état, sur la période ultérieure au 1er mars 2021.

2.             La recourante s'oppose à la suspension de la procédure.

2.1. À teneur de l'art. 314 al. 1 let. b CPP, le ministère public peut suspendre une instruction, notamment, lorsque l'issue de la procédure pénale dépend d'un autre procès dont il paraît indiqué d'attendre la fin. Le ministère public dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider d'une éventuelle suspension, il doit examiner si le résultat de l'autre procédure peut véritablement jouer un rôle pour l'issue de la procédure pénale suspendue et s'il simplifiera de manière significative l'administration des preuves dans cette même procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_406/2017 du 23 janvier 2018 consid. 2 et la référence citée). Il doit faire preuve de retenue, étant précisé qu’il appartient en principe également aux autorités pénales d’examiner et de trancher des questions préjudicielles ressortissant à un autre domaine du droit, par exemple le droit civil (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 13a ad art. 314).

S’agissant de l’infraction de violation d’une obligation d’entretien, il se justifie également en principe d’attendre le résultat d’une procédure civile ouverte en modification de l’obligation de l’entretien avant de statuer au pénal. En raison des buts différents de la procédure pénale et civile – la première recherche la vérité, avec une instruction d’office et des moyens de contrainte conséquents alors que la seconde va, en principe examiner les allégués des parties – la suspension d’une procédure pénale dans l’attente d’une procédure civile doit néanmoins demeurer particulièrement exceptionnelle (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit, n. 14b ad art. 314).

2.2. En l'espèce, le Ministère public a suspendu l'instruction de la cause au motif qu'une procédure en modification du jugement de divorce était pendante par-devant les autorités civiles, dont l'issue pouvait influencer le sort de la présente.

L'appréciation des éléments du dossier, au travers du prisme de l'exception que constitue la suspension d'une procédure pénale dans l'attente d'une procédure civile, ne permet toutefois pas de conclure, à ce stade, que le dénouement de la seconde influera de façon significative la première.

Pour rappel, le TPI a condamné le prévenu, par jugement de divorce, aujourd'hui exécutoire, à verser une contribution d'entretien pour son fils à compter du 1er octobre 2016. La recourante soutient qu'il aurait failli à ses obligations dès le mois de mai 2017. Pour sa défense, l'intéressé met en évidence ses conclusions reconventionnelles prises dans le cadre de la procédure en modification du jugement de divorce, où il demande à être libéré de toute obligation à partir du 26 juillet 2019.

Or, à supposer que le TPI statue dans son sens, cela n'aurait aucune incidence sur la période pénale antérieure également visée dans la présente procédure, comprise entre mai 2017 et juin 2019 (cf. AARP/138/2022 consid. 2.2). Le recourant ne prétend pas, au surplus, avoir agi en révision du jugement de divorce, seul moyen pour contester l'exigibilité des créances nées avant le dépôt de la requête en modification du jugement de divorce.

Ses conclusions au civil visent aussi au constat que les arriérés réclamés par la recourante ont en réalité été soldés. Sans préjuger du fond, les preuves offertes pour les allégations en lien avec ce constat n'apparaissent nullement probantes, la signature de la recourante ne figurant pas sur les quittances. De surcroît, le prévenu affirme être indigent depuis 2017. Les indices convergent ainsi vers une absence de paiement des contributions dues – sans quoi le SCARPA n'aurait sinon pas porté plainte à son tour – renforçant de la sorte les soupçons pesant sur le précité.

Compte tenu de ce qui précède, il doit être considéré qu'il existe une prévention pénale suffisante – pour la période comprise entre mai 2017 et juin 2019 –, laquelle pouvait être instruite sans craindre une interférence de la procédure civile. Tout au plus, l'issue de celle-ci pourrait restreindre la période pénale pertinente en lien avec les faits postérieurs au dépôt de la requête en modification du jugement divorce mais cela ne représente actuellement pas un obstacle à l'enquête menée par le Ministère public.

En conséquence, la suspension de la procédure ne se justifiait pas.

3.             Fondé, le recours doit, partant, être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et le Ministère public invité à reprendre l'instruction.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance du 28 juillet 2022 et enjoint au Ministère public de poursuivre l'instruction de la cause.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).