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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10916/2020

ACPR/566/2022 du 16.08.2022 sur OTMC/2439/2022 ( TMC ) , REJETE

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;PROPORTIONNALITÉ;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ
Normes : CPP.221; Cst.29; CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10916/2020 ACPR/566/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 16 août 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire rendue le 2 août 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte,

 

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9,
1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte déposé au greffe de la prison de B______ le 4 août 2022, A______ recourt, en personne, contre l'ordonnance du 2 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a prolongé sa détention provisoire jusqu'au 5 octobre 2022.

Le recourant demande que la prolongation soit limitée à une durée de deux à quatre semaines.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, ressortissant somalien né en 1980, arrêté le 5 février 2022, est placé en détention provisoire depuis le 8 février 2022, régulièrement prolongée jusqu’au 5 août 2022.

b. Il est prévenu de lésions corporelles simples, voies de fait, menaces, violation du devoir d'assistance ou d'éducation, injures et violation de l'art. 115 de la Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LÉI).

Il lui est principalement reproché d'avoir, à tout le moins depuis avril 2020, régulièrement frappé, menacé et injurié sa compagne, D______, et trois des enfants de celle-ci, nés respectivement en mars 2009, août 2010 et septembre 2011.

c. Dans un premier temps, A______ a contesté tous les faits reprochés. Lors de l'audience d'instruction du 15 juin 2022, devant le Ministère public, il a admis avoir été physiquement violent à l'égard de sa compagne, mais pas des enfants. Il lui était arrivé de leur hurler dessus et de leur donner des fessées, mais pas plus.

d. Les trois enfants – E______, F______ et G______ – ont fait l'objet d'une première audition selon le protocole EVIG (enfants victimes d'abus sexuels ou de maltraitance) en août 2020. Les transcriptions figurent au dossier.

e. Le 5 février 2022, lors de l'arrestation de A______, l'aîné de la fratrie, E______, a été entendu en audition EVIG. Ses déclarations sont résumées dans le rapport d'arrestation du même jour. La transcription, qui devait être transmise ultérieurement, ne figure pas (encore) au dossier.

f. Par mandat d'actes d'enquête du 18 mars 2022, le Ministère public a requis de la police l'audition EVIG de quatre (des cinq) enfants de D______.

L'audition des trois aînés a eu lieu le 28 avril 2022. Le quatrième, H______ (né en 2019), n'a pas été entendu car il n'avait pas encore 4 ans. Leurs déclarations sont résumées dans le rapport de renseignements du 9 mai 2022.

g. Ce même 18 mars 2022, le Procureur a demandé au Service de protection des mineurs (ci-après, SPMi) à recevoir une copie du dossier des enfants [de] D______ et être "ten[u] informé des mesures mises en places à leur égard".

h. Par lettre du 25 mars 2022, le SPMi a répondu au Ministère public que les dossiers relatifs aux enfants [de] D______ tenaient en quatre classeurs, soit quelque 2'000 pages, sans compter les journaux et courriels. Il demandait si le Procureur souhaitait recevoir l'ensemble des documents ou seulement une partie.

i. Le 27 avril 2022, le Ministère public a requis du TMC la prolongation de la détention de A______ pour une durée de trois mois. Il "rest[ait] dans l'attente d'un rapport circonstancié du SPMi sur la situation des enfants du couple" et du rapport de police relatif à l'audition EVIG (qui sera établi le 9 mai suivant). Il envisageait ensuite de confronter les parties à ces pièces, finaliser l'instruction et renvoyer le prévenu en jugement.

j. Par ordonnance du 3 mai 2022, le TMC a prolongé la détention du prévenu jusqu'au 5 août 2022, temps nécessaire au Ministère public pour accomplir les actes d'instruction envisagés. Il a rappelé qu'il convenait de laisser aux enquêteurs spécialisés en charge des auditions EVIG le temps requis pour procéder aux transcriptions des auditions.

k. Le 8 juin 2022, le défenseur du prévenu a demandé au Ministère public copie des pièces versées au dossier depuis mars, en particulier les auditions EVIG.

Par "n'empêche" du 13 juin 2022, le Ministère public a répondu qu'elles étaient "non consultables en l'état".

l. Le 11 juillet 2022, le Ministère public, faisant suite à la lettre du SPMi du 25 mars 2022, a requis copie des rapports que ce dernier avait adressés, depuis 2020, au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant en lien avec les cinq enfants de D______, ainsi qu'un courrier expliquant leur situation actuelle.

m. Par mandat d'actes d'enquête du 19 juillet 2022, le Ministère public a requis la transcription des auditions EVIG des enfants, visées par le "rapport de renseignements du 9 mai 2022".

n. Le 28 juillet 2022, le Ministère public a requis du TMC la prolongation de la détention de A______ pour une durée de deux mois, nécessaire pour recevoir les rapports du SPMi, un rapport circonstancié du curateur des enfants et la transcription des auditions EVIG, ainsi que procéder aux éventuels actes d'instruction complémentaires sollicités par les parties, et renvoyer le prévenu en jugement.

C.            Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu, outre l'existence de charges suffisantes et graves, et un risque de collusion et de réitération, des besoins de l'instruction, qui se poursuivait. Le Ministère public demeurait dans l'attente des rapports du SPMi, de la transcription des auditions EVIG et du rapport du curateur des enfants. Ces actes étaient nécessaires et permettraient d'objectiver les conséquences négatives sur ces derniers du comportement du prévenu, lequel pourrait ensuite être renvoyé en jugement, après l'administration des éventuelles réquisitions de preuves sollicitées par les parties.

D.           a. Dans son recours, A______ déclare "faire opposition sur [l]a durée de détention préventive". Depuis six mois qu'il était détenu, le Ministère public "a[vait] tous les éléments", il n'y avait rien de nouveau. Lors de la confrontation du 15 juin 2022, le Procureur avait dit qu'il remettrait les transcriptions des auditions mais à l'heure actuelle rien n'avait été fait. La requête de prolongation, pour deux mois, était fondée sur les mêmes arguments que la précédente, soit le dépôt des rapports et des transcriptions, que le Procureur aurait "largement [eu] le temps de faire depuis le 15 juin". Deux à quatre semaines suffiraient amplement pour accomplir ces actes, raison pour laquelle il demandait que la prolongation soit ramenée à cette durée.

b. Le Ministère public s'en rapporte aux termes de sa demande de prolongation et précise qu'à réception des documents attendus, qui revêtaient une grande importance au vu des faits reprochés au recourant, ce dernier serait immédiatement renvoyé en jugement.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance et renonce à formuler des observations.

d. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             L'existence de charges suffisantes et grave n'est pas remise en cause. Il peut être, à cet égard, renvoyé, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge (art. 82 al. 4 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_252/2020 du 11 juin 2020 consid. 2.1.; ACPR/547/2020 du 18 août 2020 consid. 2 et les références; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 3ème éd., Zurich 2018, n. 15 ad art. 82), qui expose les indices graves et concordants pesant sur le recourant, ainsi que les risques – de collusion et réitération – qu'aucune mesure de substitution ne serait apte à pallier.

3.             En fustigeant la durée – deux mois – de la prolongation ordonnée par le TMC et le temps pris pour l'accomplissement de certains actes d'instruction, le recourant invoque, avec ses mots, une violation du principe de la célérité.

3.1. L'art. 29 al. 1 Cst. dispose que toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.

À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Lorsque le prévenu est détenu, la procédure est conduite en priorité (art. 5 al. 2 CPP).

Le grief de violation du principe de la célérité ne doit être examiné, lors du contrôle judiciaire de la détention, que pour autant que le retard dans la procédure soit propre à mettre en cause la légalité de la détention provisoire et donc à justifier un élargissement. N'importe quel retard n'est cependant pas suffisant. Il doit s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 140 IV 74 consid. 3.2 p. 80; 137 IV 118 consid. 2.1 p. 120;
137 IV 92 consid. 3.1 p. 96 et les arrêts cités). La diligence consacrée à une instruction pénale ne s'apprécie pas seulement à l'aune du nombre ou de la fréquence des audiences d'instruction (ACPR/339/2020 du 22 mai 2020 consid. 5.2.; ACPR/196/2018 du 4 avril 2018 consid. 5.2.; ACPR/373/2013 du 7 août 2013 consid. 3.3.). On ne saurait ainsi reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure.

La violation éventuelle du principe de la célérité n'entraîne pas la libération immédiate du détenu lorsque la détention demeure matériellement justifiée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_150/2012 du 30 mars 2012 consid. 3.3; 1B_44/2012 consid. 4 et 5).

3.2. En l'espèce, le recourant a été arrêté le 5 février 2022 et l'instruction paraît, selon les observations du Ministère public devant la Chambre de céans, toucher à sa fin. L'instruction n'accuse donc pas, dans son ensemble, de retard injustifié au vu de la gravité des charges retenues contre le prévenu.

Le recourant a toutefois raison lorsqu'il relève que la demande de prolongation de la détention, du 28 juillet 2022, est fondée sur l'obtention de documents – transcriptions EVIG et rapport du SPMi – que le Ministère public avait déjà déclaré attendre – donc avoir requis – dans la précédente requête, du 27 avril 2022.

Le Ministère public n'a finalement demandé les transcriptions que le 19 juillet 2022, alors qu'elles auraient pu l'être déjà à réception du rapport de police du 9 mai 2022. De plus, seules les auditions EVIG du 28 avril 2022 semblent être visées par le mandat d'acte d'enquêtes du 19 juillet 2022, alors que la transcription de la première audition de E______, le 5 février 2022, ne figure toujours pas au dossier.

De même, le Ministère public a allégué, à l'appui de sa demande de prolongation de la détention du 27 avril 2022, "rester dans l'attente" du rapport du SPMi, alors qu'il n'avait ni répondu à la lettre de ce dernier, du 25 mars 2022, le questionnant sur les dossiers dont l'apport était demandé, ni ne l'avait relancé pour l'obtention d'un rapport circonstancié sur la situation des enfants, qu'il n'a finalement requis que le 11 juillet 2022. En outre, en informant le défenseur du prévenu que les transcriptions des auditions EVIG étaient "non consultables en l'état", le Ministère public a laissé entendre qu'elles figuraient au dossier, ce qui n'était pas le cas.

Si ces atermoiements et ce mode de faire ne suffisent pas, sur la base de la jurisprudence sus-rappelée, à consacrer une violation du principe de la célérité, il n'est pas acceptable que la prolongation de la détention d'un prévenu soit requise sur la base d'actes d'instruction annoncés comme ordonnés, alors qu'ils ne le sont pas.

Le Ministère public est donc invité à faire diligence afin que les actes d'enquête désormais ordonnés et les rapports requis d'autres autorités soient accomplis, respectivement obtenus, sans tarder.

4.             Pour les raisons qui précèdent, le recours s'avère infondé et doit être rejeté.

5.             Le recours s'étant néanmoins révélé efficace, les frais de l'instance seront laissés à la charge de l'État.

6.             Le défenseur d’office n’étant pas intervenu, aucune indemnité n’est due (art. 135 CPP).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (en personne), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Le communique, pour information, à Me C______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.