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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1286/2020

ACPR/550/2022 du 11.08.2022 sur OCL/222/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CONSTATATION DES FAITS;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;DIFFAMATION;HONNEUR;FRAIS JUDICIAIRES;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.319; CPP.429; CPP.426; CP.174

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1286/2020 ACPR/550/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 11 août 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], comparant par Me Camille HAAB, avocate, Bonnant & Associés, chemin Kermély 5, case postale 473, 1211 Genève 12,

B______, domicilié ______, Portugal, comparant par Me C______, avocat, ______ Genève,

recourants,


contre l'ordonnance de classement rendue le 25 février 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par ordonnance du 24 février 2022, notifiée aux parties le lendemain, le Ministère public a partiellement classé la procédure P/1286/2020 à l'égard de A______ (chiffre 1 du dispositif), refusé de lui allouer une indemnité et/ou un montant à titre de réparation du tort moral (chiffre 2) et l'a condamnée aux frais de l'ordonnance, arrêtés à CHF 520.- (chiffre 3).

b. Par recours déposé le 7 mars 2022, A______ conclut, sous suite de frais et dépens, principalement à l'annulation des chiffres 2 et 3 du dispositif, au versement en sa faveur, à la charge de l'état, d'indemnités de CHF 17'486.30 à titre de dommage économique et CHF 5'000.- à titre de tort moral et à ce que les frais de l'ordonnance querellée soient laissés à la charge de l'état; subsidiairement, à ce que B______ soit condamné à lui verser les indemnités précitées.

c. Par recours déposé le même jour, B______ conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la procédure au Ministère public pour la poursuite de l'instruction.

Il a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À la suite du dépôt, le 21 janvier 2020, d'une plainte de [la compagnie d'assurances] D______, B______ était prévenu, dans la présente procédure, d'obtention illicite de prestations d'une assurance sociale ou de l'aide sociale (art. 148a CP), tentative d'escroquerie (art. 22 cum art. 146 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP) pour avoir, en substance, par des déclarations fausses ou incomplètes sur ses séquelles consécutives à un accident survenu le 22 mars 2012, obtenu indûment une rente AI et tenté d'induire astucieusement en erreur D______, intervenant à titre d'assurance responsabilité civile, en fournissant des faux documents sur ses rémunérations.

b. Le 17 février 2020, B______ a déposé plainte contre A______.

Le 14 mars 2012, il avait signé avec la société E______ SA une lettre d'embauche pour le 1er août suivant. En raison de son accident qui l'avait laissé complètement invalide, cet accord avait été résilié par lettre du 3 juillet 2012. A______ avait été son interlocutrice chez E______ SA au cours de ces démarches et elle avait signé les documents précités, au nom de la société. Une fois son état de santé stabilisé, il s'était adressé à D______ pour faire valoir ses prétentions civiles liées à l'accident, pour lesquelles sa promesse d'emploi avec E______ SA jouait un rôle décisif. L'assurance avait toutefois rendu une décision défavorable et porté plainte contre lui, au motif que les documents fournis ne reflétaient pas la réalité. A______ avait notamment rédigé une lettre dans laquelle elle prétendait ne lui avoir jamais promis un emploi et avoir signé ces documents à sa demande pour lui rendre service. Ce faisant, elle s'était rendue coupable de diffamation.

Parmi les pièces jointes à la plainte figuraient:

- une "lettre d'embauche" datée du 14 mars 2012 et signée, avec tampon humide de E______ SA, par A______;

- une lettre datée du 3 juillet 2012, également signée de la main de A______, informant B______ qu'en raison de son état de santé, la lettre précitée devait être considérée comme "sans effet".

c. Le 26 septembre 2020, A______ a été entendue par la police en qualité de prévenue.

Elle a expliqué qu'en 2012, elle ne disposait pas du pouvoir d'engager ni de représenter E______ SA. Néanmoins, elle avait participé au processus visant à constituer une équipe de trading, contactant des candidats pour des premiers entretiens qui devaient être suivis par un second et un troisième avec le directeur financier de la société et les actionnaires. B______ avait été convoqué pour un premier rendez-vous mais n'avait pas été au-delà de cette étape, par manque d'intérêt pour le poste. Elle avait été seule lors de cet unique entretien avec B______ et ne lui avait remis aucun document à son terme. Il ne lui appartenait pas de décider d'engager celui-ci ou non. Elle avait signé les lettres annexées à la plainte de B______, à la demande de celui-ci, mais ne les avait pas rédigées.

d. Le 8 décembre 2020, le Ministère public a ordonné la défense d'office de B______, en sa qualité de prévenu, et nommé Me C______ à cet effet.

e. Le 15 décembre 2020, A______ a déposé plainte contre B______ pour diffamation (art. 173 CP), voire calomnie (art. 174 CP).

En automne 2012, quelques temps après l'entretien passé avec B______, celui-ci était revenu à elle dans un cadre privé et ils avaient débuté une relation amoureuse, qui avait duré jusqu'au mois de mars 2013. Au cours de l'été 2017, ayant maintenu des rapports amicaux, B______ lui avait expliqué avoir des difficultés à trouver un travail en raison de son accident. Il lui avait alors demandé une "faveur", à savoir de signer des documents pour justifier des recherches d'emploi auprès de E______ SA. Par amitié, elle s'était exécutée, sans comprendre le contenu des documents signés – dans la mesure où ses connaissances en français étaient limitées –, lesquels s'étaient finalement avérés contraires à la réalité. Il y avait deux lettres antidatées des 14 mars et 3 juillet 2012, ainsi qu'une autre correctement datée du 12 octobre 2017, destinée à D______ et expliquant que le salaire prévu pour B______ devait être de CHF 300'000.-, bonus de CHF 75'000.- inclus. Au moment de signer ces documents et d'y apposer le tampon humide de E______ SA, elle ne disposait d'aucun pouvoir de signature pour représenter la société, étant devenue directrice en 2019 seulement. Lors de son audition par la police, elle avait appris que B______ avait à son tour déposé une plainte contre elle, alors qu'il connaissait la fausseté de ses allégations.

En annexe à sa plainte, en sus des lettres précitées, se trouvait:

- une lettre rédigée, en anglais, le 18 juillet 2019 par A______ résumant ses propos tenus lors d'une séance avec des représentants de D______. S'y trouve notamment le passage suivant:

"Mr. B______ came to our office to discuss possible employment around summer 2012. At that time we all came to E______ SA as a new team and were looking for someone related to finance/bookkeeping, etc The conversation took place, his profile could be accepted But there was no any further development (as I understood later – due to accident and state of health of Mr. B______). At that time neither job offer, nor any contract for possible employment were issued. We also didn't discuss/agree on the salary, bonus, etc In 2013 we hired an accountant for this position." (soit en traduction libre: "B______ est venu dans nos bureau pour discuter d'un éventuel emploi durant l'été 2012. À cette époque, nous étions une nouvelle équipe chez E______ SA et cherchions une personne liée à la finance/comptabilité, etc... L'entretien a eu lieu, son profil pouvait être accepté mais il n'y a pas eu de développement ultérieurement (comme je l'ai compris plus tard, en raison de l'accident et de l'état de santé de B______). À ce moment, aucune offre d'emploi, ni un éventuel contrat de travail n'ont été émis. Nous n'avons également pas discuté/convenu d'un salaire, d'un bonus, etc En 2013, nous avons engagé un comptable pour ce poste".).

Dans le reste de cette lettre, A______ explique être restée proche de B______ après l'entretien et avoir signé deux lettres à la requête de celui-ci: une faisant état d'une offre d'emploi et l'autre résiliant cette offre. Plus tard, elle avait probablement signé ("might have signed") une lettre qui aurait été envoyée à D______. Elle avait commis une erreur dont elle assumait l'entière responsabilité, même si elle n'avait pas rédigé toutes ces lettres, ni compris leur sens.

- un courriel du 10 septembre 2017 de B______ à A______ comportant le passage suivant: "Comme convenue, voici les deux lettres. Regarde s'il y est possible comme ça (sic)".

- un second courriel du 12 octobre 2017, par lequel B______ a transmis à A______ "la lettre à envoyer à D______", précisant que selon "[s]on avocat, il n'y a pas besoin de signer le contrat. Juste la lettre avec le tampon de l'entreprise".

- des échanges WhatsApp entre B______ et A______ de 2017, où ils communiquent l'un comme l'autre tantôt en français, tantôt en anglais.

f. Lors de l'audience du 12 août 2021, le Ministère public a entendu A______ en qualité de prévenue de faux dans les titres (art. 251 CP), diffamation (art. 173 CP) et de calomnie (art. 174 CP) pour avoir créé des titres faux, dans le but de procurer à B______ un avantage illicite et indiqué faussement à D______ que celui-ci avait rédigé lui-même des lettres contenant des informations fausses.

A______ a expliqué que le poste "proposé" à B______ avait été finalement pourvu au printemps 2013, pour un salaire annuel de CHF 120'000.-, sans bonus prévu, ce qui était systématiquement le cas dans les contrats de E______ SA. Elle n'a pas su répondre à la question de savoir pourquoi le sien prévoyait expressément un bonus.

g. Le 24 septembre 2021, le Ministère public a tenu une audience de confrontation.

B______ a expliqué ne plus se souvenir du contexte de son courriel du 10 septembre 2017. Il était possible qu'il eût écrit les deux lettres jointes à ce courriel mais cela ne changeait rien au fait que A______ les avait signées sans les examiner.

A______ a déclaré à propos de ce même courriel qu'elle pensait que les documents devaient servir à B______ pour sa recherche d'emploi. Elle savait avoir commis une faute, mais elle avait voulu rendre service à un ami.

h. Le 17 décembre 2021, le Ministère public a avisé les parties de son intention de dresser un acte d'accusation contre A______, à l'exception des faits pouvant être constitutifs de diffamation et de calomnie, lesquels allaient être classés.

À la suite de cet avis, A______ a requis, notamment, une indemnité de CHF 17'486.30 pour ses dépenses occasionnées par la procédure et CHF 5'000.- à titre de tort moral.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public rappelle que dans sa plainte, B______ reprochait à A______ d'avoir affirmé qu'il avait préparé de faux documents relatifs à un engagement en 2012, qu'elle avait signé à sa demande. Tenant ces allégations pour vraies, le Ministère public a estimé qu'aucun soupçon ne justifiait une mise en accusation de la précitée s'agissant des infractions de diffamation et de calomnie. Elle avait, en revanche, provoqué l'ouverture de la procédure de manière fautive et illicite, en apposant sa signature et le timbre humide de la société E______ SA sur les documents en question, alors que leur contenu était faux, ce qu'elle savait. Elle était d'ailleurs poursuivie pénalement pour cet acte. Cela justifiait de refuser sa demande d'indemnités et de lui faire supporter les frais de l'ordonnance querellée.

Selon le bordereau de frais présent à la fin de l'ordonnance querellée, les frais de la procédure se composent d'un émolument de CHF 500.- et de frais de notification pour CHF 20.-, soit un total de CHF 520.-.

D. a. Dans son recours, B______ se plaint d'une constatation incomplète et erronée, voire arbitraire, des faits et d'une violation de l'art. 319 al. 1 CPP. L'ordonnance querellée retenait à tort que A______ avait signé des documents non conformes à la réalité. Lors de son audition du 21 août 2021, celle-ci avait expliqué que pour le poste qui lui avait été "proposé", E______ SA avait engagé une tierce personne. Il découlait de ces propos qu'une offre d'emploi lui avait effectivement été proposée, contrairement à ce que A______ avait déclaré à D______. En outre, de manière contradictoire, A______ avait soutenu que les bonus n'étaient pas inclus dans les contrats de travail de E______ SA alors que le sien en prévoyait un. Son salaire annuel brut (à elle) au moment de son embauche était en outre de CHF 267'513.-, ce qui rendait plausible le salaire annuel de CHF 225'00.- mentionné notamment dans la lettre datée du 12 octobre 2017. Pour ces raisons, le Ministère public ne pouvait pas retenir que les prétendus faux documents n'étaient pas conformes à la réalité. Le fait qu'il avait bien reçu une proposition d'emploi devait conduire à déterminer quel était le salaire envisagé pour le poste en question. En renonçant à instruire la cause sur ce point, le Ministère public contrevenait au principe in dubio pro duriore.

b. Par ses observations, le Ministère public a souligné que l'affirmation selon laquelle A______ n'avait pas offert de place de travail à B______ n'était pas, en soi, attentatoire à l'honneur de ce dernier, cet élément constitutif se retrouvant uniquement dans les propos selon lesquels B______ aurait confectionné de faux documents. Les explications de A______ en lien avec ces documents étaient en outre jugées plus crédibles que celles de B______, de sorte qu'aucun soupçon ne permettait de renvoyer la première en jugement pour diffamation.

c. Dans ses observations, A______ conteste toute proposition d'engagement de B______ par E______ SA. La question de savoir quel salaire était envisagé pour le poste n'avait ainsi pas lieu d'être examinée.

d. Dans sa réplique, B______ réitère ses arguments développés dans son recours et soutient, pour le surplus, que l'affirmation de A______ selon laquelle elle ne lui aurait jamais offert une place de travail était attentatoire à l'honneur.

E. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir retenu qu'elle savait contraires à la réalité les documents signés à la demande de B______. Sa compréhension du français était insuffisante à l'époque pour saisir la portée de ces documents. Tenir pour établi qu'elle avait signé ces documents en connaissance de cause revenait à lui infliger une sanction pénale subsidiaire, au préjudice de la présomption d'innocence. En outre, elle n'avait enfreint aucune norme de comportement, le Ministère public ne citant au demeurant aucune à l'appui de l'ordonnance querellée. Son comportement n'était également pas de nature à provoquer l'ouverture d'une procédure pénale. Pour toutes ces raisons, il ne se justifiait pas de lui refuser une indemnisation au sens de l'art. 429 CPP et de la condamner aux frais de l'ordonnance querellée.

b. Par ses observations, le Ministère public retient que A______, au vu notamment de ses échanges privés avec B______, comprenait suffisamment le français pour saisir la portée des documents signés, d'autant que ceux-ci étaient simples et contenaient des expressions univoques, comme "salaire de CHF 225'000.- par an" (lettre datée 12 octobre 2017). En engageant, par sa signature, E______ SA alors qu'elle ne disposait d'aucun droit pour ce faire, A______ avait adopté un comportement civilement fautif. Celui-ci était en lien de causalité avec l'ouverture de la procédure dans la mesure où, sans les trois lettres signées, B______ n'aurait pas pu tenter d'obtenir des prestations de D______. En tout état, les montants réclamés par celle-ci devaient être diminués.

c.A______ réplique. Au moment de signer les documents, son intention portait sur des lettres de références qui visaient à aider B______ dans sa recherche d'emploi, ne portant ainsi pas sur des faits ayant une portée juridique. À cet égard, il était naturel qu'elle signe des lettres de référence, ayant été la seule à recevoir B______ pour l'entretien d'embauche. Le Ministère public confondait la causalité naturelle et adéquate. Selon cette dernière, signer des lettres de référence pour un candidat ayant effectivement eu un entretien n'était pas propre à entraîner l'ouverture d'une procédure pénale.

EN DROIT :

1.             1.1. Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner, respectivement, de la prévenue et du plaignant qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Dans la mesure où ils sont dirigés contre la même décision, ils seront joints par économie de procédure, pour être traités dans un unique arrêt.

2.             Le recourant invoque une constatation erronée et incomplète, voire arbitraire, des faits.

2.1. La Chambre de céans revoit avec un plein pouvoir de cognition, en fait notamment, les points de la décision attaqués devant elle (art. 393 al. 2 et 385 al. 1 let. a CPP).

Une constatation est incomplète lorsque des faits pertinents ne figurent pas au dossier. La constatation est erronée (ou inexacte) lorsqu'elle est contredite par une pièce probante du dossier ou lorsque le juge chargé du recours ne peut déterminer comment le droit a été appliqué (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 17 ad art. 393 ; ACPR/609/2015 du 11 novembre 2015 consid. 3.1.1).

2.2. En l'espèce, les reproches formulés par B______ ne relèvent nullement de l'établissement erroné des faits, mais de leur appréciation par le Ministère public. En particulier, le recourant substitue son interprétation d'un unique mot – à savoir "proposé" – utilisé par A______ au cours d'une audition, à celle du Ministère public pour soutenir qu'un emploi lui avait effectivement été offert. On ne décèle ainsi aucune constatation erronée ou incomplète d'un fait de l'autorité précédente.

Pour le surplus, en cherchant à rendre vraisemblable le contenu des documents litigieux, en soulignant des contradictions dans les déclarations de A______, le recourant plaide avant tout sa défense pour le chef d'inculpation de faux dans les titres qui pèse sur lui, sans que cela ne soit pertinent pour l'aspect lié au classement des infractions contre l'honneur en faveur de la précitée.

Son grief tombe ainsi à faux.

3.             B______ se plaint d'une violation de l'art. 319 al. 1 CPP.

3.1. Selon l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition doit être appliquée conformément au principe in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public dispose, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 146 IV 68 consid. 2.1 p. 68; 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243).

3.2. Se rend coupable de diffamation (art. 173 al. 1 CP), celui qui, en s'adressant notamment par écrit (art. 176 CP) à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur.

L'honneur se conçoit comme le droit au respect, droit qui est violé en présence d'une allégation de fait de nature à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'être humain. Il s'agit de la réputation et du sentiment d'être une personne honorable, qui se comporte comme une personne digne à coutume de le faire selon les conceptions généralement admises (ATF 132 IV 112 consid. 1.2 p. 115).

Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut procéder à une interprétation objective, selon le sens que le destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer. Un écrit doit s’analyser non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 p. 316; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 consid. 3.1). Il est généralement reconnu qu'accuser ou exprimer le soupçon qu'une personne a commis un crime ou un délit intentionnel peut s'avérer attentatoire à l'honneur mais également d'accuser quelqu'un de mentir (ATF 132 IV 112 consid. 2 p. 115; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, Intro. aux art. 173-178, n. 20).

3.3. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations attentatoires à l'honneur sont fausses – ce que l'auteur sait –, de sorte qu'il ne peut y avoir de preuve libératoire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 consid. 3.1).

3.4. En l'espèce, à titre liminaire, la Chambre de céans constate que le recourant vise uniquement l'affirmation de A______ selon laquelle elle ne lui aurait pas proposé un emploi; ce qu'il conteste. Il n'est en revanche fait aucune mention du second aspect dénoncé dans sa plainte, à savoir que la prénommée aurait déclaré avoir signé, à sa demande à lui, les documents prétendus faux. Sa réplique n'y fait pas non plus allusion, alors même que dans ses observations, le Ministère public s'emploie à expliquer pourquoi les explications de A______ au sujet des documents en question ont été considérées plus crédibles que les siennes.

Compte tenu de ce qui précède, le classement de ce volet de la plainte ne semble pas remis en cause par le recours, de sorte qu'il ne sera pas examiné plus en avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

3.5. A______ a rédigé une lettre où elle affirme n'avoir jamais offert un emploi au recourant, ni discuté de conditions salariales avec lui. Ces déclarations visaient ultimement l'assurance qui enquêtait sur le bien-fondé des prétentions émises par le recourant, qui avait dans ce cadre utilisé des documents – signés par la prénommée – attestant qu'une telle offre lui avait été soumise.

Il faut préalablement souligner que les charges retenues contre A______, en lien avec les infractions contre l'honneur, portaient sur le fait d'avoir indiqué faussement à l'assurance que le recourant avait rédigé lui-même les lettres contenant des informations fausses. Dès le début, l'affirmation visée par le recours semble ainsi avoir été d'emblée considérée comme dénuée de caractère pénal.

Cela s'avère parfaitement justifié.

Par l'affirmation contenue dans la lettre litigieuse, la recourante contestait avoir adopté un certain comportement. Ce faisant, elle n'a pas accusé le recourant de tenir une conduite contraire à l'honneur. Ce dernier n'est même pas directement visé par la déclaration. D'ailleurs, celle-ci est rédigée de manière impersonnelle, plaçant l'acte nié en question comme sujet plutôt qu'une personne ("aucune offre d'emploi n'a été émise"). Au demeurant, A______ s'est elle-même accusée, en alléguant qu'aucune offre n'avait été formulée, puisque les documents signés par elle semblaient dire le contraire. L'affirmation de ce fait a, certes, eu des conséquences aussi pour le recourant, mais la phrase litigieuse ne revêt aucun caractère attentatoire à l'honneur. Un élément constitutif des infractions protégeant ce bien juridique n'étant pas réalisé, leur classement s'imposait, ce qui semble au demeurant avoir déjà été fait de manière implicite depuis le début de la procédure.

Le recours doit, partant, être rejeté.

4.             A______ conteste la mise à sa charge des frais liés à l'ordonnance querellée et, partant, le refus d'indemnisation.

4.1. Aux termes de l'art. 429 al. 1 CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d'un classement a notamment droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a) ou une réparation du tort moral subi en raison d’une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté (let. c).

La question de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP doit être tranchée après celle des frais, selon l'art. 426 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 p. 211;
137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).

4.2. Selon l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l’objet d’une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s’il a, de manière illicite et fautive, provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais, respectivement le refus de lui allouer une indemnisation à raison du préjudice subi par la procédure pénale, doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais, respectivement un refus d'indemnisation, n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 p. 205; 119 Ia 332 consid. 1b p. 334).

4.3. En l'espèce, le Ministère public motive sa décision de condamner la recourante aux frais de l'ordonnance querellée et, par-là même, lui refuser toute indemnité, au motif qu'elle aurait apposé sa signature sur des documents dont le contenu était faux.

Or, la recourante est toujours prévenue de faux dans les titres, ce volet de la procédure n'ayant pas été classé. Il va, au contraire, faire l'objet d'une prochaine mise en accusation.

Ainsi, le motif retenu par le Ministère public pour mettre les frais de l'ordonnance querellée à la charge de la recourante repose sur la prévention pénale dont elle fait déjà l'objet. Le Ministère public l'admet d'ailleurs puisqu'il souligne que la recourante est poursuivie pour ce comportement. Or, le caractère répréhensible du comportement reproché et, cas échéant, sa sanction, relèvent du juge du fond, qui sera saisi par l'acte d'accusation. Il n'appartient pas au Ministère public de préjuger cette question à ce stade, qui viole de la sorte la présomption d'innocence et engendre le risque de sanctionner doublement la recourante.

Le Ministère public ne pouvait, par conséquent, pas mettre à la charge de la recourante les frais de la procédure pour ce motif, et il n'en invoque pas d'autres au demeurant.

Partant, le recours de A______ est fondé et doit être admis. Les frais de l'ordonnance querellée seront par conséquent laissés à la charge de l'état.

5.             Le sort des frais préjugeant celui des indemnités au sens de l'art. 429 CPP, le Ministère public se doit, compte tenu de ce qui précède, d'examiner les prétentions émises par la recourante en indemnisation de ses éventuelles dépenses raisonnables occasionnées par la procédure et de l'éventuel tort moral.

Afin de permettre à la recourante de bénéficier du double degré de juridiction et dans la mesure où l'autorité intimée a d'ores et déjà admis que les sommes réclamées devaient être revues à la baisse, la présente cause sera renvoyée au Ministère public (art. 397 al. 2 CPP) pour qu'il statue sur ces demandes d'indemnité et qu'il en détermine le montant.

6.             6.1. En tant qu'il recourt contre le classement de la procédure, B______ succombe. Il supportera dès lors les frais de la procédure liés à son recours, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

6.2. Les frais liés au recours intenté par A______ seront laissés à la charge de l'état, dans la mesure où elle obtient gain de cause.

7.             7.1. Lorsqu'il a ordonné la défense d'office de B______, le Ministère public a uniquement tenu compte du statut de prévenu et non de plaignant de celui-ci.

Or, la défense d'office du prévenu et l'assistance judiciaire gratuite pour la partie plaignante répondent à des conditions propres et visent des buts distincts, à savoir, pour la deuxième, de permettre de faire valoir des prétentions civiles (ACPR/593/2020 du 2 septembre 2020 consid. 2.1).

Dès lors, à défaut d'indications particulières, il ne peut être retenu que la défense d'office couvre également les démarches du recourant en qualité de plaignant. D'ailleurs, il n'a pas été exonéré de verser des sûretés, comme le prévoit l'art. 136 al. 2 let. a CPP. Partant, dans la mesure où il succombe, il n'a pas droit – de même que son conseil – à une indemnisation (art. 433 al. 1 let. a CPP a contrario).

7.2. En tant qu'elle intervient comme prévenue, intimée, dans le recours de B______, A______ obtient gain de cause, puisque le classement partiel de la procédure la concernant est confirmé. En outre, les conclusions de son propre recours sont admises.

Elle a donc droit à une indemnité pour ses dépenses occasionnées par la procédure selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, applicables en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP).

Toutefois, elle n'a ni chiffré ni – a fortiori – justifié l'activité de son conseil.

Compte tenu de ses écritures, soit: un mémoire de recours de quinze pages, une réplique de sept pages et des observations au recours de B______ de sept pages, une indemnité globale arrêtée, ex aequo et bono, à CHF 2'500.-, TVA (7.7%) incluse, lui sera allouée, montant jugé suffisant pour l'activité déployée.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Rejette le recours de B______.

Admet le recours de A______ et laisse les frais de l'ordonnance querellée à la charge de l'état.

Condamne B______ aux frais de la procédure de recours en tant qu'ils concernent son recours, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Laisse, à la charge de l'État, les frais de la procédure de recours s'agissant du recours interjeté par A______.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'500.-TTC, pour l'instance de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 


 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1286/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

805.00

-

CHF

Total

CHF

900.00