Skip to main content

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/24393/2021

AARP/457/2023 du 07.12.2023 sur JTDP/454/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24393/2021 AARP/457/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 7 décembre 2023

 

Entre

A______, domicilié c/o Mme B______, ______, comparant en personne,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/454/2023 rendu le 18 avril 2023 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

C______, partie plaignante,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/454/2023 du 18 avril 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a déclaré coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 du Code pénal suisse [CP]), de dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 al. 1 CP), de violation des obligations en cas d'accident (art. 92 al. 2 de la loi fédérale sur la circulation routière [LCR]), de conduite sans le permis de conduire requis (art. 95 al. 1 let. a LCR), d'entrave aux mesures de constatation de l'incapacité de conduire (art. 91a al. 1 LCR) et de dommages à la propriété (art. 144 CP), lui infligeant une peine privative de liberté de 120 jours, peine complémentaire à celle prononcée le 6 décembre 2021 par le Ministère public du canton de Genève (MP). La partie plaignante a été renvoyée à agir par la voie civile et les frais de la procédure mis à la charge du condamné.

À lire sa déclaration d'appel, A______ entreprend intégralement ce jugement, requérant son acquittement et précisant contester également la peine.

b. Selon l'ordonnance pénale du 3 mars 2022, il est reproché ce qui suit à A______ :

- à Genève, le 14 octobre 2021, vers 8h15, à la rue du Centenaire, circulant, alors qu'il n'était pas titulaire du permis de conduire requis,  au guidon du motocycle D______, 1______ [marque, modèle], immatriculé GE 2______, il a poussé le cycliste C______, le faisant chuter et lui causant de la sorte des douleurs au niveau du poignet droit, plusieurs dermabrasions au coude gauche, des hématomes et douleurs importantes au niveau de la cuisse et du genou droit, plusieurs dermabrasions sur le genou gauche ; en raison de la chute, la roue du vélo de la victime, son costume et sa veste ont été endommagés, d'où des dommages estimés à plus de CHF 500.- ;

- A______ a ensuite omis de remplir ses devoirs en cas d'accident alors qu'il avait blessé C______ et s'est dérobé aux mesures visant à déterminer son incapacité de conduire en quittant les lieux de l'accident ;

- à une date indéterminée entre le 14 octobre et le 19 novembre 2021, contacté téléphoniquement par la police au sujet de l'accident de la circulation précité, le prévenu a dénoncé son frère E______ comme étant le conducteur du motocycle concerné alors qu'il le savait innocent et a ainsi tenté d'échapper aux sanctions administratives et pénales ainsi qu'envisagé et accepté de la sorte de faire ouvrir une poursuite pénale contre son cadet.

B. Les faits de la cause n'étant, pour l'essentiel, plus contestés en appel, ils peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du Code de procédure pénale [CPP]) :

a. À Genève, le 14 octobre 2021, vers 8h15, à la rue du Centenaire (à la hauteur des numéros ______), alors que A______ circulait au volant de son motocycle, il a poussé le cycliste C______ lequel a chuté, comme décrit dans l'ordonnance pénale (cf. A.b.). Après avoir aperçu le précité au sol, A______ a poursuivi sa route.

b. F______, témoin de l'accident, a noté et remis à C______ le numéro incomplet de plaques du scootériste, puis, quelques jours plus tard, après avoir recroisé le prévenu sur la route, a pu indiquer le chiffre qu'il manquait.

c. Le 1er novembre 2021, C______ a déposé plainte pénale pour ces faits exposant, notamment, que A______ et lui circulaient tous deux côte à côte derrière des voitures sur la rue du Centenaire à une vitesse de 20 km/h environ, et que le prévenu, qui se tenait au milieu de la chaussée, l'avait volontairement percuté en se déplaçant sur la droite, au lieu de freiner pour se rabattre derrière lui, cela afin d'éviter un véhicule arrivant en sens inverse, sur l'autre voie de circulation.

Le plaignant a expliqué avoir souffert de douleurs dans la cuisse, de nombreuses contusions au niveau du poignet droit, du coude gauche, de la cuisse et des deux genoux, ce qui l'avait empêché de se rendre à son travail le lendemain des faits. Il a produit un certificat médical du 14 octobre 2021 faisant état de lésions énumérées dans l'ordonnance pénale (supra A.b.) et mentionnant les allégations du patient, selon lesquelles un scootériste l'avait volontairement heurté pour le faire tomber.

d. Entendu à deux reprises dans la procédure, F______ ne pensait pas que le geste de A______ avait été volontaire ; sa manœuvre avait été plutôt destinée à permettre à son auteur de se positionner correctement pour entrer dans un giratoire.

e.a. Contacté par la police en sa qualité de détenteur du scooter impliqué dans l'accident, A______ a affirmé que le conducteur du 14 octobre 2021 avait été son frère (cf. rapport de renseignements de la police du 13 décembre 2021 p. 4), ce que ce dernier, entendu par les force de l'ordre, a contesté.

e.b. Entendu à son tour par la police puis le MP, A______ a reconnu avoir été l'auteur de l'accident survenu le 14 octobre 2021. Il avait dépassé, par la gauche, non la droite, un cycliste qui se trouvait derrière une file de voitures et n'avait pas paru content de cette manœuvre. Le cycliste avait accéléré pour le rattraper puis avait entrepris de lui donner à croire qu'il voulait continuer à faire le tour du rond-point, alors que pour sa part il s'apprêtait à en sortir.

C______ l'avait ensuite suivi et s'était mis à crier pour le provoquer et l'énerver. Ils avaient tous deux circulé côte à côte sur la rue du Centenaire à une vitesse de
15-20 km/h en "s'engueulant". Alors qu'ils arrivaient à la hauteur du numéro ______ de la rue du Centenaire, le cycliste avait fait mine de vouloir le percuter, si bien qu'il l'avait repoussé avec sa main droite pour éviter qu'il ne lui "fonce dessus". Le cycliste s'était alors écarté avant de chuter après avoir percuté un rétroviseur de voiture. L'accident avait eu lieu à une quinzaine de mètres avant le second giratoire. A______ avait eu de la peine pour lui, mais avait pris la décision de continuer sa route par crainte qu'ils ne se battent s'il s'arrêtait. Il a ajouté avoir vu le cycliste se relever au moment où il quittait les lieux, ce qui l'avait rassuré. Lors de la confrontation, il a présenté des excuses à C______ ; il n'avait pas aimé son propre geste et s'en était voulu un "petit peu".

Après avoir prétendu à la police qu'il était au bénéfice d'un permis de conduire d'élève conducteur de catégorie A l'autorisant à conduire un motocycle de 125 cm3, le prévenu a dû concéder que le document n'était valable que depuis le 15 novembre 2021. Il a alors affirmé avoir pensé être autorisé à conduire un scooter dès lors qu'il était détenteur d'un permis de voiture. Il était impossible qu'un témoin l'eût vu à plusieurs reprises circuler au guidon de ce scooter sur la même route aux mêmes horaires car il ne l'avait fait que le jour de l'accident, pour rendre service à sa copine, qui était en retard.

Il n'avait pas consommé d'alcool ou de stupéfiants le jour des faits et n'avait pas quitté les lieux pour se soustraire à un contrôle de police.

A______ n'avait pas fait le lien avec les faits parce qu'il ne les avait pas interprétés comme relevant d'un accident, tel qu'évoqué par la police lorsqu'elle l'avait contacté. Il avait donc renvoyé à son frère, qui utilisait fréquemment son scooter, alors que lui-même ne le faisait pas.

Il savait quels étaient les devoirs en cas d'accident et que la police aurait procédé à un contrôle au moyen de l'éthylomètre si elle avait été alertée.

f. Lors des débats de première instance, A______ retenait que l'accident avait été causé par le cycliste, car s'il avait tenu sa droite au sortir du premier rond-point, plutôt que de tenter de lui faire croire, pour lui faire peur, qu'il allait faire le tour du giratoire, le contact ne se serait pas produit.

C. Devant la juridiction d'appel, A______ a précisé qu'il ne contestait désormais plus sa culpabilité que de chef de dénonciation calomnieuse et, pour le surplus, reconnaissait les faits reprochés. Il a persisté à requérir une peine plus clémente et de nature pécuniaire en lieu et place de la peine privative de liberté.

Il a expliqué que, depuis le premier procès, il avait réalisé que l'accident était survenu par sa faute, dès lors qu'il se trouvait au mauvais endroit sur la route. Il importait ainsi peu de savoir qui du plaignant ou de lui-même avait eu un geste envers l'autre. Il n'avait pas requis l'audition de sa copine, car il ne voulait pas entrer dans ce débat. Il avait effectué sa peine privative de liberté (ndlr : prononcée par le MP le 6 décembre 2021 [cf. infra D.]) sous forme de jours de travail d'intérêt général [TIG] dans un magasin de location de vélos, ce qui l'avait aidé à prendre conscience du mal qu'il avait fait au plaignant.

Lorsque la police l'avait appelé, il n'avait pas compris qu'il était question de l'incident avec le cycliste, car, pour lui, un "accident" impliquait de la "tôle cassée". Dès lors, il avait pensé qu'il s'agissait d'une bêtise de son frère qui lui empruntait régulièrement son scooter et avait déjà été "flash[é]" à son guidon. Le fait d'être contacté par les forces de l'ordre l'avait stressé, et il avait essayé, en vain, d'obtenir plus d'informations au téléphone. Dès que le gendarme avait évoqué le lieu de l'accident, lors de sa première audition, il avait admis avoir été le conducteur. Il a toutefois concédé que sa version était difficile à croire puisqu'il roulait sans permis valable, ce qu'il pouvait avoir voulu dissimuler.

D. De nationalité suisse, A______ est né le ______ 1999. Il est célibataire et sans enfant. Il exerce l'activité de coiffeur-barbier à titre indépendant depuis le 1er mars 2023. Selon ses déclarations en appel, ses revenus ont augmenté depuis les débats de première instance et sont de l'ordre de CHF 5'000.- à CHF 6'000.- après déduction du coût de sa chaise (contre CHF 3'440.- le premier mois de son activité cf. procès-verbal du Tribunal de police p. 4), et il ne paie plus de loyer à sa mère, étant précisé qu'il affirme participer sporadiquement aux courses. Sa prime d'assurance maladie est de CHF 401.30.

Devant le premier juge, il a expliqué souffrir d'un trouble de déficit de l'attention et d'hyperactivité qui avait eu des répercussions problématiques sur sa vie, y compris ses nombreuses condamnations, mais qu'il était en train de se reprendre en mains, ayant commencé de régler ses dettes et entrepris une thérapie. En appel, il a expliqué avoir mis un terme à son suivi en raison des effets secondaires liés à la médication et après avoir appris des "techniques". Il était désormais traité par un chiropracteur spécialisé dans la neurologie avec lequel il travaillait sur ses douleurs dorsales et ses tics, étant précisé que le thérapeute souffrait du même trouble, de sorte qu'ils se comprenaient bien. Sur suggestion de la Cour, l'appelant a remis, trois jours après l'audience d'appel, une attestation à teneur de laquelle il est suivi depuis le 17 avril 2023 par le Dr G______ et bénéficie d'une "prise en charge en neurologie fonctionnelle pour un TDAH". Il a aussi produit :

-          son extrait du registre des poursuites ainsi qu'un relevé de l'Administration fiscale cantonale, les deux documents étant datés du 6 octobre 2023, dont il ressort qu'il a commencé, comme expliqué en appel, à rembourser ses dettes, notamment résultant de condamnations (solde total des actes de défaut de biens selon note du prévenu : CHF 7'264.30 dont CHF 3'034.- encore dû au Service des contraventions [contre initialement CHF 9'278.40 dû audit service]) ;

-          une "liste des affaires" ouverte auprès du Service d'application des peines et des mesures (SAPEM) affichant un solde de CHF 170.- ;

A______ a encore expliqué qu'il avait des projets, dont celui de fonder une famille, et craignait que les conséquences de ses agissements lui portent préjudice alors que du temps avait passé. Toujours sous le coup d'un retrait du permis de conduire à la date de l'audience d'appel, il avait rendez-vous le 14 décembre prochain pour les tests psychologiques en vue de récupérer le document.

À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné à sept reprises depuis 2017 en particulier pour des conduites sans permis et des infractions contre l'intégrité corporelle, notamment :

- le 11 mai 2017, par le MP, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, assortie du sursis, lequel a été révoqué le 9 juin 2017, et une amende de CHF 500.-, pour conduite d'un véhicule automobile sans permis ;

- le 9 juin 2017, par le MP, à une peine pécuniaire de 150 jours-amende, pour conduite d'un véhicule automobile sans permis ;

- le 1er juin 2019, par le MP, à une peine pécuniaire de 150 jours-amende, pour conduite d'un véhicule automobile sans permis ;

- le 24 juin 2021, par le MP, à une peine pécuniaire de 180 jours-amende, ainsi qu'à une amende de CHF 550.-, pour conduite d'un véhicule automobile sans permis, lésions corporelles simples, voies de fait et infraction à l'art. 90 al. 1 LCR.

- le 6 décembre 2021, par le MP, à une peine privative de liberté de 60 jours pour non restitution de permis ou plaques (peine qu'il a purgée sous la forme de jours de TIG entre août et mi-novembre 2022).

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH – RS 0.101) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.1.2. Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2. ; ATF 133 IV 9 = JdT 2007 I 573 consid. 4.1 ; 131 IV 1 consid. 2.2. ; 130 IV 58 consid. 8.2). Le dol éventuel peut aussi être retenu lorsque l'auteur accepte par indifférence que le danger créé se matérialise ; le dol éventuel implique ainsi l'indifférence de l'auteur quant à la réalisation de l'état de fait incriminé (Ph. GRAVEN / B. STRÄULI, L'infraction pénale punissable, 2e éd., Berne 1995, n. 156).

Pour déterminer si l'auteur s'est accommodé du résultat au cas où il se produirait, il faut se fonder sur les éléments extérieurs, faute d'aveux. Parmi ces éléments figurent l'importance du risque, connu de l'intéressé, que les éléments constitutifs objectifs de l'infraction se réalisent, la gravité de la violation du devoir de prudence, les mobiles, et la manière dont l'acte a été commis (ATF 125 IV 242 consid. 3c). Plus la survenance de la réalisation des éléments constitutifs objectifs de l'infraction est vraisemblable et plus la gravité de la violation du devoir de prudence est importante, plus sera fondée la conclusion que l'auteur s'est accommodé de la réalisation de ces éléments constitutifs, malgré d'éventuelles dénégations (ATF 138 V 74 consid. 8.4.1). Ainsi, le dol éventuel peut notamment être retenu lorsque la réalisation du résultat devait paraître suffisamment vraisemblable à l'auteur pour que son comportement ne puisse raisonnablement être interprété que comme une acceptation de ce risque (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019 du 2 avril 2019 consid. 5.1).

Cette interprétation raisonnable doit prendre en compte le degré de probabilité de la survenance du résultat de l'infraction reprochée, tel qu'il apparaît à la lumière des circonstances et de l'expérience de la vie (ATF 133 IV 1 consid. 4.6). La probabilité doit être d'un degré élevé car le dol éventuel ne peut pas être admis à la légère (ATF 133 IV 9 consid. 4.2.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 6S.127/2007 du 6 juillet 2007 consid. 2.3 – relatif à l'art. 129 CP – avec la jurisprudence et la doctrine citées).

En particulier, en cas d'accident de la circulation routière ayant entraîné des lésions corporelles et la mort, le dol éventuel ne doit être admis qu'avec retenue, dans les cas flagrants pour lesquels il résulte de l'ensemble des circonstances que le conducteur s'est décidé en défaveur du bien juridiquement protégé. Par expérience, on sait que les conducteurs sont enclins, d'une part, à sous-estimer les dangers et, d'autre part, à surestimer leurs capacités, raison pour laquelle ils ne sont pas conscients, le cas échéant, de l'étendue du risque de réalisation de l'état de fait (ATF 133 IV 9 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019 du 2 avril 2019 consid. 5.1 et références citées). En outre, par sa manière risquée de conduire, un conducteur peut devenir sa propre victime. C'est pourquoi, en cas de conduite dangereuse, par exemple en cas de manœuvre de dépassement téméraire, on admet en principe qu'un automobiliste, même s'il est conscient des conséquences possibles et qu'il y a été rendu formellement attentif, pourra naïvement envisager, souvent de façon irrationnelle, qu'aucun accident ne se produira. L'hypothèse selon laquelle le conducteur se serait décidé en défaveur du bien juridiquement protégé et n'envisagerait plus une issue positive au sens de la négligence consciente ne doit par conséquent pas être admise à la légère (ATF 130 IV 58 consid. 9.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019 du 2 avril 2019 consid. 5.1 et références citées).

2.2.1. Il est désormais établi et plus contesté que la chute de la partie plaignante a été provoquée par la manœuvre de l'appelant sur son scooter, qui l'a percutée en se déportant sur la droite alors qu'ils circulaient côte à côte sur la rue du Centenaire.

Au bénéfice du doute, et quand bien même il était fâché, il ne sera pas retenu que l'appelant a volontairement touché le cycliste : la partie plaignante a exposé qu'à son sens, le prévenu s'était rabattu pour éviter une voiture qui arrivait en face, roulant normalement, et le témoin a pensé que la manœuvre était destinée à permettre au scooter de se trouver sur la droite dans le giratoire. Cela étant, l'appelant savait que la partie plaignante roulait à ses côtés et qu'il se trouvait au mauvais endroit de la route, ce qu'il a du reste fini par concéder en appel. Il ne peut donc pas ne pas avoir envisagé, et accepté, qu'en se déportant sur la droite, il allait toucher le cycliste. En prolongement, il ne peut qu'avoir envisagé et accepté de provoquer sa chute, avec des possibles blessures et dommages matériels, tant ce risque était élevé, même à une vitesse de 20 km/h. Cette conclusion s'impose même en tenant compte de la jurisprudence plus restrictive en cas d'accident de la circulation routière, car l'appelant n'a jamais soutenu avoir pensé qu'il pouvait se rabattre sans toucher le cycliste alors même qu'ils roulaient côte à côte. Il n'a par exemple pas argué avoir accéléré et pensé, à tort, qu'il pouvait le dépasser, quitte à lui faire une "queue de poisson". Au contraire, il a affirmé qu'il l'avait repoussé de la main.

On relèvera encore que, paradoxalement, la version des faits ici admise est légèrement plus favorable à l'appelant que celle que semble (le considérant 2.2.1 du jugement est ambigu), avoir retenu le TP, dès lors qu'elle conduira à un verdict de culpabilité par dol éventuel plutôt que par dol direct, conclusion qui s'imposerait si l'appelant avait volontairement poussé le cycliste.

2.2.2. Il est également établi et plus formellement contesté que l'appelant avait conscience que le choc avec le cycliste constituait un accident puisqu'il a admis avoir constaté que la partie plaignante était tombée de son cycle, puis s'était relevée.

2.2.3. En revanche, dans la mesure où il est impossible de déterminer quand, entre le jour de l'accident et le 12 novembre suivant, il a été contacté par la gendarme et quelles informations il a reçu de celle-ci lors de leur échange téléphonique (le rapport de renseignements n'entrant pas dans les détails à ce sujet), il demeure un doute quant au fait que l'appelant a compris à quel événement elle faisait allusion.

De deux choses l'une, soit l'appelant a dénoncé son frère afin de dissimuler qu'il était l'auteur de l'infraction ainsi que son absence de permis, double mobile, soit il n'a pas saisi de quoi il s'agissait et n'a pas obtenu les renseignements utiles à se déterminer correctement (il ne paraît pas surprenant que, pour le bien de l'enquête, on refusât de lui fournir plus de détails au téléphone) et a désigné son cadet, puisque ce dernier utilisait souvent, à l'en croire, son scooter et avait déjà été réprimandé à son guidon.

Plaide plutôt en faveur de la seconde hypothèse et de la crédibilité du prévenu, le fait qu'il a immédiatement reconnu avoir été le conducteur du motocycle lors de son audition à la police, soit après le rappel du contexte ainsi que la notification formelle des charges à son encontre, et n'a pas persisté à accuser son frère.

Ainsi, dans le doute, la version la plus favorable au prévenu sera retenue, soit la seconde et il n'est, dès lors, pas établi qu'il a intentionnellement accusé à tort son frère.

3.1. À l'évidence, l'état de fait retenu remplit les éléments constitutifs objectifs des infractions de lésions corporelles simples, au sens de l'art. 123 ch. 1 al. 1 CP, et de dommages à la propriété, selon l'art. 144 al. 1 CP, étant notamment relevé qu'en raison de leur intensité et de leur durée, les blessures subies par la partie plaignante dépassent celles susceptibles de résulter de simples voies de fait. Au plan subjectif, comme déjà souligné, il est retenu que le prévenu a agi par dol éventuel.

3.2.1. Aux termes de l'art. 92 al. 2 LCR, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire le conducteur qui prend la fuite après avoir tué ou blessé une personne lors d'un accident de la circulation.

Le conducteur prend la fuite s'il s'éloigne des lieux de l'accident ou se rend indisponible, violant notamment son obligation de prêter son concours à la reconstitution des faits (ATF 103 Ib 101 consid. 3).

3.2.2. Il a été retenu que l'appelant, alors qu'il savait qu'il avait provoqué un accident ayant causé des blessures à la partie plaignante, a poursuivi sa route au lieu de s'arrêter. Il a donc pris la fuite. Certes, il a indiqué avoir été rassuré par le fait que le cycliste s'était relevé, mais cela ne lui permettait nullement d'avoir la certitude que celui-ci n'avait subi aucune blessure, alors que la probabilité de l'hypothèse inverse était très grande. Il n'aurait pu s'en assurer qu'en s'en enquérant auprès de lui. Il s'est donc bien rendu coupable de l'infraction qualifiée de l'art. 92 al. 2 LCR.

3.3. Ce faisant, il s'est également soustrait aux mesures de constatation de l'incapacité de conduire selon l'art. 91a al. 1 LCR, étant rappelé que le conducteur impliqué dans un accident doit toujours s'attendre à un contrôle de son alcoolémie, hormis lorsque l'événement est indubitablement imputable à une cause totalement indépendante de lui, et que ce contrôle n'est pas subordonné à des indices d'ébriété (ATF 142 IV 324 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1081/2016 du 6 novembre 2017 consid. 6). L'appelant a d'ailleurs concédé qu'il savait la police aurait procédé à un contrôle au moyen de l'éthylomètre si elle avait été alertée.

3.4. Les faits décrits au deuxième paragraphe de l'ordonnance pénale n'étant pas établis, l'appelant sera acquitté de l'infraction de dénonciation calomnieuse.

3.5. Ainsi, l'appel est très partiellement admis sur la question de culpabilité au vu de l'acquittement précité. Le jugement querellé sera réformé en ce sens et confirmé au surplus par substitution de motifs.

4. 4.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale art. 42 CP (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

4.2. Si, en raison d’un ou de plusieurs actes, l’auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l’infraction la plus grave et l’augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine (art. 49 CP).

4.3. La peine pécuniaire constitue la sanction principale dans le domaine de la petite et moyenne criminalité, les peines privatives de liberté ne devant être prononcées que lorsque l'État ne peut garantir d'une autre manière la sécurité publique. Lorsque tant une peine pécuniaire qu'une peine privative de liberté entrent en considération et que toutes deux apparaissent sanctionner de manière équivalente la faute commise, il y a en règle générale lieu, conformément au principe de la proportionnalité, d'accorder la priorité à la première, qui porte atteinte au patrimoine de l'intéressé et constitue donc une sanction plus clémente qu'une peine privative de liberté, qui l'atteint dans sa liberté personnelle. Le choix de la sanction doit être opéré en tenant compte au premier chef de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention. La faute de l'auteur n'est en revanche pas déterminante (ATF 137 II 297 consid. 2.3.4 ; ATF 134 IV 97 consid. 4.2 ; ATF 144 IV 313 consid. 1.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_420/2017 du 15 novembre 2017 consid. 2.1), pas plus que sa situation économique ou le fait que son insolvabilité apparaisse prévisible (ATF 134 IV 97 consid. 5.2.3).

4.2.1. La culpabilité de l'appelant est sérieuse. Il a agi au mépris des règles de circulation de la route et a porté atteinte à l'intégrité physique ainsi qu'à la propriété d'un autre usager de la route. Il n'a eu aucun égard pour ce dernier après l'avoir heurté et a pris la fuite pour échapper à ses obligations en cas d'accident ainsi qu'à sa responsabilité. Comptant de multiples condamnations à son actif, il a persisté à rouler sans permis démontrant ainsi qu'il n'avait pas appris de ses erreurs et faisait fi de ses devoirs.

Ses antécédents sont mauvais, nombreux (sept) et spécifiques.

Son mobile est égoïste. Il a agi par convenance personnelle, au mépris des règles de la circulation routière ainsi que du droit pénal et administratif en vigueur.

Sa collaboration a été partielle et globalement mauvaise. Il a certes admis avoir été le conducteur du scooter lors de sa première audition, mais a jeté la responsabilité sur la partie plaignante et minimisé sa culpabilité jusqu'en appel. Sa prise de conscience a débuté au plus tôt après le premier jugement puisqu'il a reconnu, pour la première fois lors des derniers débats, ses agissements de même que son rôle causal dans la survenance de l'accident.

Il a présenté des excuses à la partie plaignante et a évoqué des regrets qu'il a toutefois grandement nuancés, ce qui en atténue d'autant la portée.

Sa situation personnelle au moment des faits, notamment son trouble du déficit de l'attention, est sans lien avec ses agissements et ne les justifie aucunement. Il sera toutefois retenu en faveur de l'appelant qu'il a entrepris un suivi psychologique, puis en "neurologie fonctionnelle" dans la mesure où cela manifeste une intention de se reprendre en mains.

Il y a concours d'infractions d'où l'application du principe d'aggravation (art. 49 CP).

4.2.2. À teneur des pièces produites après les débats d'appel, l'appelant règle progressivement les arriérés dus à la suite de ses précédentes condamnations et entend, à l'en croire, poursuivre ses remboursements mensuellement.

4.2.3. Les éléments précités, en particulier les nombreux antécédents de l'appelant, indiquent plutôt que seule une peine privative de liberté serait susceptible de le détourner de la commission d'une nouvelle infraction. Cela étant, il y sera, de manière exceptionnelle, renoncé au profit d'une peine pécuniaire compte tenu de ce qu'il a exécuté pour la première fois l'an dernier une peine de cette nature-là (sous forme de TIG) et qu'il s'acquitte régulièrement des arriérés liés à ses précédentes condamnations. On peut ainsi espérer, d'une part, qu'il tirât des leçons de ses agissements après l'accomplissement de ses jours de TIG, comme il le dit, et d'autre part, que la peine pécuniaire sera exécutée, ce que suggèrent également ses revenus actuels.

4.3.2. Ainsi et pour tenir compte de l'acquittement, l'appelant sera condamné à une peine pécuniaire de 110 jours-amende, soit une peine de 30 jours pour sanctionner les lésions corporelles simples, infraction objectivement la plus grave, aggravée de 20 jours pour la violation des devoirs en cas d'accident (peine théorique : 40 jours), de 30 jours pour la conduite sans autorisation (peine théorique : 60 jours), de 15 jours pour l'entrave aux mesures de constatation de l'incapacité de conduire (peine théorique : 30 jours) et de 15 jours pour les dommages à la propriété (peine théorique : 30 jours).

4.3.3. Le montant du jour-amende sera arrêté à CHF 70.-/l'unité pour tenir compte de la situation financière du prévenu lequel affirme réaliser un revenu mensuel oscillant entre CHF 5'000.- et CHF 6'000.- après déduction de sa chaise de barbier, soit CHF 4'500.- maximum après paiement des charges sociales (estimation de la Cour), étant également considéré qu'il s'acquitte de sa prime d'assurance-maladie (CHF 401.-) et ne paie plus de loyer.

4.4. Dans le prolongement du considérant 4.2.3, l'appelant ne remplit assurément pas les conditions du sursis (art. 42 CP), aucun pronostic particulièrement favorable ne pouvant être formulé au vu des multiples récidives, ce qu'il ne soutient d'ailleurs pas.

4.5. L'appel est admis quant à la nature et la quotité de la peine. Le jugement querellé sera réformé en ce sens.

5. L'appelant, qui succombe partiellement, supportera 70% des frais de la procédure d'appel envers l'État, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'300.- (art. 428 CPP).

Vu la confirmation de la plupart des verdicts de culpabilité, la répartition des frais de première instance ne sera pas revue.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/454/2023 rendu le 18 avril 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/24393/2021.

L'admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ de dénonciation calomnieuse (art. 303 ch. 1 al. 1 CP).

Déclare A______ coupable de violation des obligations en cas d'accident (art. 92 al. 2 LCR), de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 CP), de conduite sans le permis de conduire requis (art. 95 al. 1 let. a LCR), d'entrave aux mesures de constatation de l'incapacité de conduire (art. 91a al. 1 LCR) et de dommages à la propriété (art. 144 CP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 110 jours (art. 40 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 70.- (art. 34 al. 2 CP).

Renvoie la partie plaignante C______ à agir par la voie civile (art. 126 al. 2 CPP).

Prends acte de ce que le Tribunal de police a arrêté les frais de la procédure préliminaire et de première instance à CHF 1'826.-, y compris un émolument de jugement complémentaire de CHF 900.-, et condamne A______ au paiement de ces frais.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'535.-, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'300.-.

Met 70% de ces frais, soit CHF 1'074.50 à la charge de A______, et laisse le solde de ces frais à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

* * * * *

 

 

 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'826.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

100.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

60.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'300.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'535.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'361.00