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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/5724/2021

AARP/266/2023 du 12.07.2023 sur OPMP/2533/2021 ( REV ) , TOTAL

Descripteurs : RÉVISION(DÉCISION)
Normes : CPP.410

aarp république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5724/2021 AARP/266/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 12 juillet 2023

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

demandeur en révision,

 

contre l'ordonnance pénale OPMP/2533/2021 rendue le 12 mars 2021 par le Ministère public,

 

et

A______, domicilié ______, FRANCE, comparant en personne,

défendeur en révision.


EN FAIT :

A. a. Par demande de révision du 17 novembre 2022 adressée à la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), le Ministère public (MP) en sollicite l'admission, celle-ci tendant à l'annulation de l'ordonnance pénale qu'il a rendue le 12 mars 2021 à l'encontre de A______, en présence d'éléments laissant à penser à une usurpation d'identité.

b.a. Selon l'ordonnance pénale en cause, il était reproché ce qui suit à "A______" :

Le 11 mars 2021, il a, de concert avec B______, utilisé sans droit la carte de crédit dérobée à un tiers pour acheter divers objets dans le magasin C______ sis no. ______ rue 1______ à Genève, pour un montant d'environ CHF 3'600.-, se procurant de la sorte un avantage patrimonial indu à due concurrence.

b.b. Il lui était également reproché d'avoir, dans les circonstances précitées, pénétré sur le territoire suisse sans être porteur d'un document d'identité attestant de sa nationalité.

b.c. Pour ces faits, "A______" a été reconnu coupable d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur (art. 147 al. 1 du Code pénal suisse [CP]) et d'entrée illégale en Suisse (art. 115 al. 1 let. a et al. 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration [LEI]), et condamné à une peine pécuniaire de 45 jours-amende à CHF 30.-, sous déduction d'un jour-amende correspondant à un jour de détention avant jugement, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 150.-, avec une peine privative de liberté de substitution d'un jour, les frais de la procédure étant mis à sa charge à hauteur de CHF 250.-.

c. Le MP sollicite l'annulation de l'ordonnance pénale rendue, après l'administration de nouvelles preuves, à la lumière du courrier que lui a adressé A______ le 30 mai 2022, par lequel ce dernier expliquait que son identité avait été usurpée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Selon rapport d'arrestation de la police du 12 mars 2021, une opération en civil avait été mise en place la veille dans les rues Basses à Genève dans le but de lutter contre des vols. La police avait ainsi pris en filature deux hommes qui quittaient le parking du Mont-Blanc, où ils avaient stationné un véhicule de marque D______ immatriculé en France, et qui avaient adopté, dès leur sortie, un "comportement très méfiant". Ils n'avaient cessé d'entrer dans des magasins de luxe, dont celui à l'enseigne de C______ à la rue 1______, où ils avaient effectué des achats, soit deux sacoches. Ils avaient été contrôlés au moment où ils s'apprêtaient à regagner leur véhicule.

Ils n'étaient pas porteurs de pièces d'identité et ont déclaré se nommer B______ et "A______". Au poste, après avoir pris contact avec le Centre de coopération policière et douanière (CCPD), la police a été en mesure d'établir que ces identités existaient, obtenant copie de la pièce d'identité du premier nommé mais pas de celle de "A______".

"A______" avait sur lui deux téléphones portables et la clé de la D______, en réalité prise en location par une dénommée E______, ce que celle-ci a confirmé par téléphone à la police. B______ était en possession d'une carte de crédit au nom de F______, qu'il avait dérobée le jour-même, seul, à G______[France], ville où les deux interpellés résidaient et d'où ils étaient venus, et avec laquelle ils avaient procédé aux achats indus susmentionnés.

"A______", dans sa déclaration, s'est distancé de B______, ne reconnaissant que l'avoir conduit à Genève "car il devait de toute façon venir à H______[France] pour voir sa sœur". Il a déclaré qu'il ne savait pas que le précité disposait d'une carte de crédit. E______ lui avait prêté le [véhicule de marque] D______. Il avait l'habitude de se déplacer sans justificatif d'identité en France, et avait pris le risque de venir en Suisse sans ses documents d'identité.

b.a. Par courrier du 30 mai 2022, A______ a fait valoir auprès du MP avoir été entendu (ndr : le 14 mars 2022) par la police judiciaire française au sujet de "l'utilisation d'une carte bleue volée, à Genève". Il avait été en mesure d'identifier la personne qui avait usurpé son identité, soit I______, qu'il connaissait de longue date ; ce n'était pas la première fois que celui-ci agissait de la sorte, raison pour laquelle il s'était décidé à porter plainte à son encontre, joignant à son courrier le procès-verbal de son audition du 16 mars 2022 par lequel il actait son dépôt de plainte. I______ lui avait confié s'être légitimé sous son nom lorsqu'il avait été interpellé à Genève ; ce dernier lui avait dit qu'"il n'avait pas le choix".

La gardienne de la paix qui avait enregistré sa plainte l'avait appelé deux jours plus tard pour lui dire que I______ était passé auprès de leur service pour reconnaître les faits.

En sollicitant un extrait du casier judiciaire suisse le 23 mai 2022, A______ s'était rendu compte, à sa grande surprise, que celui-ci n'était pas vierge, comportant l'inscription de la condamnation prononcée le 12 mars 2021 par le MP, motif pour lequel il sollicitait la mise à jour de son casier et d'y "retirer tous ce qui s'y trouve car les faits ne [le] concern[aien]t pas".

b.b. Par courriel du 5 novembre 2022 adressé au MP, A______ a pris des nouvelles relatives à sa demande. Il a joint à son envoi copie de sa pièce d'identité, comportant sa photographie.

c. Par ordonnance présidentielle du 9 décembre 2022, la CPAR a chargé le MP de l'administration des preuves nécessaires à l'instruction de la demande de révision.

d. À l'appui d'un courrier du 13 janvier 2023, le MP a indiqué avoir pris contact avec le CCPD, en lui transmettant une photographie de "A______" prise par la police au moment de son interpellation aux fins de comparaison avec celle de I______ figurant dans leurs fichiers.

Le CCPD a confirmé, d'une part, l'identité de I______, ressortissant français né le ______ 1985 à J______ [France], d'autre part, que la photographie transmise correspondait "parfaitement" avec celle la plus récente de cet individu dans leurs bases de données, celle-ci datant du 28 novembre 2018. Selon les derniers éléments connus au 13 janvier 2020, I______ était sans profession et résidait à G______[France].

Le MP a fait également observer que la photographie de "A______" ne correspondait pas avec celle de la pièce d'identité de A______, selon sa transmission du 5 novembre 2022.

Il en découlait que A______ avait été condamné à tort, à la place de I______, et qu'il convenait de trancher la demande de révision dans le sens de ses conclusions.

EN DROIT :

1. 1.1. La CPAR est l'autorité compétente en matière de révision (art. 21 al. 1 let. b du Code de procédure pénale suisse [CPP] cum art. 130 al. 1 let. a de la Loi d'organisation judiciaire [LOJ]).

1.2. À teneur de l'art. 410 al. 1 let. a CPP, toute personne lésée par une ordonnance pénale entrée en force peut en demander la révision s'il existe des faits ou des moyens de preuves qui étaient inconnus de l'autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l'acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère du condamné.

La légitimation pour agir en révision s'examine au regard des dispositions générales sur la qualité pour recourir (art. 381 et 382 CPP). Sont ainsi légitimés à recourir le ministère public et toute autre partie qui a un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP en lien avec les art. 104 et 105 al. 2 CPP) (CR CPP, Laura JACQUEMOUD-ROSSARI, N 18 ad art. 410).

Les faits ou moyens de preuve invoqués doivent être nouveaux et sérieux
(cf. Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1303 ad art. 417 [actuel art. 410 CPP]).

Les faits ou moyens de preuves sont nouveaux lorsque le juge n'en a pas eu connaissance au moment où il s'est prononcé, c'est-à-dire lorsqu'ils ne lui ont pas été soumis sous quelque forme que ce soit (ATF 137 IV 59 consid. 5.1.2 p. 66 s. ; 130 IV 72 consid. 1. p. 73). Les faits et moyens de preuve sont sérieux lorsqu'ils sont propres à ébranler les constatations de fait sur lesquelles se fonde la condamnation et que l'état de fait ainsi modifié rend possible un jugement sensiblement plus favorable au condamné (ATF 137 IV 59 consid. 5.1.4 p. 6 ; 130 IV 72 consid. 1 p. 73 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_731/2013 du 28 novembre 2013 consid. 3.1.2).

1.3. Les demandes de révision doivent être motivées et adressées par écrit à la juridiction d'appel. Les motifs de révision doivent être exposés et justifiés dans la demande (art. 411 al. 1 CPP).

1.4. La demande en révision en raison de faits ou de moyens de preuve nouveaux n'est soumise à aucun délai (art. 411 al. 2 in fine CPP).

2. En l'espèce, la demande de révision est bien fondée.

Certes, le MP n'a pas fourni à l'appui de sa demande le procès-verbal d'audition de I______ par-devant la police française, par lequel, à suivre A______, celui-ci aurait reconnu avoir usurpé son identité lors de son interpellation du 11 mars 2021.

Cela étant, il est établi à satisfaction de droit que ce n'était pas A______ qui se trouvait à la date précitée à Genève et qui a été interpellé, écroué, puis condamné par ordonnance pénale du 12 mars 2021, la photographie prise alors de I______ permettant de le déduire. Viennent également corroborer ce qui précède la réaction apparaissant comme légitime de A______ lorsqu'il a été interrogé à son tour en France et son dépôt de plainte subséquent pour usurpation d'identité.

Il y a bien erreur sur la personne du condamné et il convient, dès lors, d'annuler l'ordonnance pénale en cause et de renvoyer la procédure au MP pour de nouvelles poursuites à l'encontre de I______, la CPAR n'étant pas en mesure, à ce stade, de rendre une nouvelle décision au sens de l'art. 413 al. 2 let. b CPP. En effet, les derniers renseignements concernant I______ remontent à il y a plus de trois ans, sans certitude sur son domicile actuel, alors que le précité devra avoir au moins une fois l'occasion de se déterminer sur les faits reprochés.

3. La demande de révision étant admise, il ne sera pas perçu de frais (art. 428 CPP a contrario).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit la demande de révision formée par le Ministère public contre l'ordonnance pénale OPMP/2533/2021 rendue le 12 mars 2021 dans la procédure P/5724/2021.

L'admet.

Annule l'ordonnance pénale du 12 mars 2021 à l'encontre de A______.

Ordonne la radiation de la mention de l'ordonnance pénale du 12 mars 2021, valant jugement, au casier judiciaire de A______.

Renvoie la cause au Ministère public pour nouveau traitement dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la cause à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Secrétariat d'État aux migrations ainsi qu'à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

Le président :

Vincent FOURNIER

e.r. Gaëlle VAN HOVE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.