Skip to main content

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/1097/2022

AARP/234/2023 du 06.07.2023 sur JTCO/3/2023 ( PENAL ) , REJETE

Normes : LStup.19
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1097/2022 AARP/234/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 30 juin 2023

 

Entre

A______, domicilié c/o B______, ______, comparant par Me Yann LAM, avocat, MBLD ASSOCIÉS, rue Joseph-Girard 20, case postale 1611, 1227 Carouge,

appelant,

 

contre le jugement JTCO/3/2023 rendu le 12 janvier 2023 par le Tribunal correctionnel,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTCO/3/2023 du 12 janvier 2023, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO) l'a reconnu coupable d'infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. a à d et al. 2 let. a LStup), l'a condamné à une peine privative de liberté de trois ans assortie du sursis partiel (partie ferme de 18 mois) et a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans avec signalement dans le Système d'information Schengen (SIS).

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à ce qu'il soit renoncé à son expulsion.

b. Selon l'acte d'accusation du 12 octobre 2022, il était reproché à A______, surnommé "A______" d'avoir, à Genève, à tout le moins entre le mois de décembre 2021 et le 15 janvier 2022, de concert avec C______, participé à un important trafic de stupéfiants en important, détenant, stockant et transformant de la cocaïne liquide en cocaïne solide au domicile de ce dernier, sis no. ______ rue 1______ à Genève. Son trafic a à tout le moins porté sur une quantité de 1'399.2 gr net de cocaïne, présentant un taux de pureté compris entre 62.5% et 71.5%. Il était prévu qu'il récupère cette drogue, destinée à la vente sur le marché suisse, le 16 janvier 2022.

B. Les faits encore pertinents au stade de l'appel sont les suivants, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale suisse [CPP]) :

a. Durant toute la procédure préliminaire, A______ a nié toute implication dans le trafic de stupéfiants, en particulier en lien avec la cocaïne retrouvée chez son co-prévenu, bien qu'ayant été confronté à des éléments probants du dossier. Il a affirmé avoir très peu fréquenté son co-prévenu, qu'il avait connu dans un cadre professionnel, et ignorer pour quelle raison ce dernier le mettait en cause. Il a contesté que le surnom de "A______" le désignait, alors même que son numéro de téléphone était enregistré sous ce pseudonyme dans le portable de son co-prévenu et que la photo profil WhatsApp de ce contact lui correspondait. Il a par la suite tenté de soutenir que son co-prévenu l'appelait en effet comme cela mais qu'il ne savait pas pourquoi. Ce n'est que lorsque la police l'a confronté à l'article de journal bolivien dont il ressortait qu'il se faisait surnommer de la sorte, que A______ a reconnu qu'il s'agissait bien de son surnom. Il a tenté d'expliquer les notes manuscrites de comptabilité dont il avait envoyé des photographies à son co-prévenu en soutenant que ce dernier lui avait emprunté de l'argent, mais également que les papiers sur lesquels le mot "poids" avait été inscrit concernaient son travail de déménageur, les chiffres représentant les kilos qui devaient transiter par avion.

Après ces dénégations, A______ a finalement reconnu avoir commis les faits reprochés lors de l'audience de première instance et a été reconnu coupable d'avoir détenu, entreposé, produit et fourni une quantité de près d'1.4 kg de cocaïne à un tiers, étant relevé que le TCO a noté que certaines de ses déclarations sur les circonstances de la commission de l'infraction étaient peu crédibles.

b. A______ est né le ______ 1975 à D______ en Bolivie, pays dont il est ressortissant. Il est marié et père de deux enfants âgés de 17 et 21 ans, qui possèdent, de même que son épouse, la nationalité suisse, tandis que lui-même est titulaire d'un permis B. Il vit avec eux et, selon ses dires, s'occupe de la gestion du foyer, son épouse étant atteinte de fibromyalgie. Un de ses frères vit en Bolivie et sa mère ainsi que ses deux autres frère et sœur résident aux Etats-Unis.

A______ a été scolarisé en Bolivie jusqu'à ses 18 ans, avant d'exercer le métier de moniteur de fitness durant dix ans. Il est arrivé en Suisse en 2002 à l'âge de 27 ans avec sa femme et sa fille âgée de six mois. Il a travaillé jusqu'en 2010 comme déménageur à Genève puis, entre 2010 et 2015, est retourné vivre en Bolivie avec sa famille, sans succès. Dès son retour en 2015 et jusqu'en 2021, il a travaillé sur appel pour différentes sociétés de déménagement à Genève tout en bénéficiant de l'aide de l'Hospice général en raison de la faiblesse de ses revenus. Il a été contraint d'arrêter son activité en août 2021 suite à des problèmes de santé et a continué de toucher une aide financière de l'Hospice général, dans une plus large mesure toutefois. Entre janvier et mai 2022, il a passé plusieurs semaines consécutives en Espagne. Il indique à ce sujet avoir prospecté pour créer avec son beau-frère une entreprise d'import-export de produits en provenance d'Amérique latine.

Selon A______, sa vie est en Suisse. Il ne pourrait pas en avoir une normale en Bolivie car il ne bénéficierait d'aucune aide et ne pourrait pas se nourrir.

Selon les déclarations de son épouse, sa maladie lui cause d'importantes douleurs sous la forme de crises, lors desquelles son mari lui vient en aide pour les tâches ménagères. Il était également très présent pour leur fille, qu'il aide "à tous les niveaux". Cette dernière est atteinte du syndrome d'Asperger et d'un trouble modéré de l'attention avec symptômes d'hyperactivité/impulsivité qui, selon le rapport médical du 14 septembre 2022, peut avoir un impact sur ses capacités de gestion du quotidien et éventuellement sur ses interactions sociales ainsi que sur sa vie émotionnelle, conséquences possiblement amoindries par la prise de CONCERTA et la poursuite d'une prise en charge psychiatrique et psychothérapeutique.

Les primes d'assurance maladie sont payées par l'Hospice général. Le loyer de A______ s'élève à CHF 1'300.-. Il a des dettes suite à des impayés de factures reçues après son départ en Bolivie à hauteur d'environ CHF 30'000.- à CHF 32'000.-. Il travaille dans les cuisines de la prison et nourri le projet de reprendre le travail dans le déménagement à Genève ou à E______[VD] dès sa sortie de détention, lettre d'engagement de l'un de ses anciens employeurs à l'appui.

c. Le 7 décembre 2022, A______ a adressé un courrier à l'association F______, dans lequel il a déclaré avoir pris conscience de ce qu'il avait fait. Il avait en effet vu beaucoup de détenus arriver en prison dans un état second en raison de la drogue et il avait commencé à les aider avec des activités sportives ou dans le cadre de la préparation des repas.

d. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné le 30 octobre 2019 par le Ministère public genevois (MP) à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 30.- l'unité assortie sursis (délai d'épreuve de trois ans) et à des amendes de CHF 500.- et CHF 300.- pour usure (art. 157 ch. 1 du code pénal suisse [CP]) et contravention à la loi fédérale sur les armes (art. 33 al. 2 LArm).

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite (art. 406 al. 1 let. e CPP).

b. Selon son mémoire d'appel et pièces à l'appui, A______ persiste dans ses conclusions et sollicite une indemnisation pour la totalité de ses frais de représentation en appel à hauteur de CHF 2'131.56 et 20% de ses frais de représentation pour la procédure préliminaire et de première instance, en CHF 1'640.63. Il était revenu en Suisse en 2017 n'étant pas parvenu à refaire sa vie en Bolivie avec sa famille. Ce pays était dangereux selon le Département des affaires étrangères (DFAE), lequel faisait état d'un taux de criminalité élevé, d'une situation politique et sociale très tendue et de l'absence de soins médicaux en dehors des grandes villes, soit notamment dans sa région natale. Il ne possédait pratiquement plus aucune attache avec son pays d'origine, seul son frère y demeurant encore. Au contraire, il avait des liens fort avec la Suisse, pays dont tous les membres de sa famille nucléaire possédaient la nationalité. Ses chances de réintégration en Bolivie étaient inexistantes, de même que celles de sa famille. Ses enfants avaient effectué la quasi-totalité de leur scolarité en Suisse, étant relevé que son fils suivait une formation et recherchait une place d'apprentissage. Son épouse et sa fille devaient pouvoir conserver les suivis médicaux dont elles bénéficiaient en Suisse, sous peine d'aggraver leur état de santé. Pour les raisons qui précédaient, son expulsion de Suisse conduirait inévitablement à la séparation de sa famille, qui ne pouvait raisonnablement quitter le pays. Il était inexact de retenir qu'il émargeait à l'aide sociale depuis plusieurs années puisqu'il avait travaillé légalement à son retour de Bolivie. L'arrêt de son activité professionnelle et le recours aux prestations de l'Hospice général étaient dus à des problèmes de santé. Quoi qu'il en était, il avait toujours donné satisfaction à ses employeurs et preuve en étant que son ancien patron était prêt à le réengager dès sa sortie de prison, ce qui garantissait une réinsertion rapide.

c. Selon son mémoire de réponse, le MP conclut au rejet de l'appel de A______ et à la confirmation du jugement entrepris. L'appelant se trouvait dans un cas d'expulsion obligatoire et ne se prévalait d'aucune circonstance susceptible de justifier l'application de la clause de rigueur en sa faveur. Bolivien de nationalité, A______ avait vécu dans son pays d'origine jusqu'à ses 27 ans et y avait encore des attaches en les personnes de sa mère et son frère. Il était par ailleurs retourné vivre dans ce pays entre 2015 et 2017, de sorte que rien ne permettait de penser qu'une réintégration serait impossible. Aucun élément amenait considérer que son retour en Bolivie présenterait un risque pour sa sécurité. La présence de ses enfants en Suisse, âgés de 17 et 21 ans, ne s'opposait pas à son expulsion. Il en allait de même de la maladie dont souffrait son épouse, étant relevé que l'état de santé de cette dernière n'avait pas empêché A______ d'aller s'établir cinq mois durant en Espagne entre janvier et mai 2022. Partant, son intérêt privé à demeurer dans ce pays ne l'emportait pas sur l'intérêt public à procéder à son expulsion.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1.1. Selon l'art. 66a al. 1 CP, le juge expulse un étranger du territoire suisse pour une durée de cinq à quinze ans s'il est reconnu coupable de l'une des infractions énumérées aux let. a à o, également sous la forme de tentative (ATF 144 IV 168 consid. 1.4.1), notamment en cas d'infraction grave à la LStup (let. o).

Le juge peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l'étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. À cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l'étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse (al. 2).

2.1.2. Afin de pouvoir renoncer à une expulsion prévue par l'art. 66a al. 1 CP, il faut que cette mesure mette l'étranger dans une situation personnelle grave et que l'intérêt public soit de peu d'importance, c'est-à-dire que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. Le juge doit renoncer à l'expulsion lorsque les conditions de l'art. 66a al. 2 CP sont réunies, conformément au principe de proportionnalité (ATF 146 IV 105 consid. 3.4.2 p. 108; 144 IV 332 consid. 3.3).

2.1.3. Pour définir la première condition cumulative, à savoir la "situation personnelle grave", il convient de s'inspirer, de manière générale, des critères prévus par l'art. 31 al. 1 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA) et de la jurisprudence y relative. L'art. 31 al. 1 OASA prévoit qu'une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d'extrême gravité. Elle commande de tenir compte notamment de l'intégration du requérant selon les critères définis à l'art. 58a al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI), du respect de l'ordre juridique suisse par le requérant, de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants, de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation, de la durée de la présence en Suisse, de l'état de santé ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance. Comme la liste de l'art. 31 al. 1 OASA n'est pas exhaustive et que l'expulsion relève du droit pénal, le juge devra également, dans l'examen du cas de rigueur, tenir compte des perspectives de réinsertion sociale du condamné, tout comme le risque de récidive ou une délinquance récurrente (ATF 146 IV 105 consid. 3.4.1 ; 144 IV 332 consid. 3.3.1 et 3.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_45/2020 du 14 mars 2022 consid. 3.3.2).

2.1.4. L'expulsion d'un étranger qui séjourne depuis longtemps en Suisse doit se faire avec une retenue particulière. Elle n'est toutefois pas exclue en cas d'infractions graves ou répétées, même s'agissant d'un étranger né en Suisse et qui y a passé l'entier de sa vie, étant précisé qu'en droit des étrangers, une révocation de l'autorisation de séjour est prévue par l'art. 62 al. 1 let. b LEI en cas de "peine privative de liberté de longue durée", c'est-à-dire toute peine privative de liberté supérieure à un an (ATF 139 I 145 consid. 2.1 p. 147), résultant d'un seul jugement pénal, qu'elle ait été prononcée avec sursis ou sans sursis (ATF 139 I 16 consid. 2.1 p. 18). On tiendra alors particulièrement compte de l'intensité des liens de l'étranger avec la Suisse et des difficultés de réintégration dans son pays d'origine (ATF 144 IV 332 consid. 3.3.3).

Un séjour légal de dix années suppose en principe une bonne intégration de l'étranger (ATF 144 I 266 consid. 3.9 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1431/2019 du 12 février 2020 consid. 1.3.1). Selon ses directives, le MP renonce en principe à requérir l’expulsion de personnes résidant en Suisse depuis au moins 12 ans au bénéfice d’une autorisation de séjour valable, sans antécédent et qu’il n’entend pas requérir une peine importante (cf. Directive B-10 du MP-GE, art. 6).

2.1.5. En règle générale, il convient d'admettre l'existence d'un cas de rigueur au sens de l'art. 66a al. 2 CP lorsque l'expulsion constituerait, pour l'intéressé, une ingérence d'une certaine importance dans son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par la Constitution fédérale (art. 13 Cst.) et par le droit international, en particulier l'art. 8 CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 6B_364/2022 du 8 juin 2022 consid. 5.1).

Selon la jurisprudence, pour se prévaloir du droit au respect de sa vie privée au sens de l'art. 8 par. 1 CEDH, l'étranger doit établir l'existence de liens sociaux et professionnels spécialement intenses avec la Suisse, notablement supérieurs à ceux qui résultent d'une intégration ordinaire. Le Tribunal fédéral n'adopte pas une approche schématique qui consisterait à présumer, à partir d'une certaine durée de séjour en Suisse, que l'étranger y est enraciné et dispose de ce fait d'un droit de présence dans notre pays. Il procède bien plutôt à une pesée des intérêts en présence, en considérant la durée du séjour en Suisse comme un élément parmi d'autres et en n'accordant qu'un faible poids aux années passées en Suisse dans l'illégalité, en prison ou au bénéfice d'une simple tolérance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_364/2022 du 8 juin 2022 consid. 5.1 ; cf. ATF 134 II 10 consid. 4.3).

Par ailleurs, un étranger peut se prévaloir de l'art. 8 par. 1 CEDH (et de l'art. 13 Cst.), qui garantit notamment le droit au respect de la vie familiale, pour s'opposer à l'éventuelle séparation de sa famille, pour autant qu'il entretienne une relation étroite et effective avec une personne de sa famille ayant le droit de résider durablement en Suisse (ATF 144 II 1 consid. 6.1). Les relations familiales visées par l'art. 8 § 1 CEDH sont avant tout celles qui concernent la famille dite nucléaire, soit celles qui existent entre époux ainsi qu'entre parents et enfants mineurs vivant en ménage commun (arrêt du Tribunal fédéral 6B_364/2022 du 8 juin 2022 consid. 5.1).

2.1.6. La reconnaissance d'un cas de rigueur ne se résume pas non plus à la simple constatation des potentielles conditions de vie dans le pays d'origine ou du moins la comparaison entre les conditions de vie en Suisse et dans le pays d'origine, mais aussi à la prise en considération des éléments de la culpabilité ou de l'acte (M. BUSSLINGER / P. UEBERSAX, Härtefallklausel und migrationsrechtliche Auswirkungen der Landesverweisung, cahier spécial, Plaidoyer 5/2016, p. 101 ; G. FIOLKA / L. VETTERLI, Die Landesverweisung in Art. 66a ff StGB als strafrechtliche Sanktion, cahier spécial, Plaidoyer 5/2016, p. 87 ; AARP/185/2017 du 2 juin 2017 consid. 2.2).

2.2. L'inscription de l'expulsion dans le Système d'information Schengen (SIS) était jusqu'au 11 mai 2021 régie par le chapitre IV du règlement SIS II (règlement CE n° 1987/2006) relatif aux signalements de ressortissants de pays tiers aux fins de non-admission ou d'interdiction de séjour. La Suisse a repris le 11 mai 2021 le nouveau règlement (UE) 2018/1861 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du SIS dans le domaine des vérifications aux frontières. La question de savoir si c'est le règlement (UE) 2018/1861 ou le règlement SIS II qui s'applique à la présente procédure peut être laissée ouverte dans la mesure où les dispositions topiques sont, dans une large mesure, identiques. Les deux normes exigent que la présence du ressortissant d'un pays tiers constitue une "menace pour l'ordre public ou la sécurité nationale" ou "une menace pour l'ordre public ou la sécurité publique ou nationale", ce qui est le cas lorsque le ressortissant d'un pays tiers a été condamné dans un État membre pour une infraction passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an. Selon les deux règlements, la décision d'inscription doit être prise dans le respect du principe de proportionnalité (individuelle) (cf. art. 21 du règlement SIS II ; art. 21, par. 1, du règlement [UE] 2018/1861, et arrêt du Tribunal fédéral 6B_932/2021 du 7 septembre 2022 consid. 1.8.1).

2.3.1. En l'espèce, l'infraction grave à la LStup commise par le prévenu relève de l'expulsion obligatoire au sens de l'art. 66a al. 1 let. o CP.

Une éventuelle renonciation ne pourra intervenir qu'exceptionnellement, au cas où l'expulsion mettrait l'appelant dans une situation personnelle grave et où son intérêt à rester en Suisse serait supérieur à celui de la collectivité à le renvoyer dans leur pays d'origine.

2.3.2. L'appelant, originaire de Bolivie, est arrivé en Suisse à l’âge de 27 ans, après avoir grandi dans son pays où il est né, a effectué toute sa scolarité et a travaillé en qualité de moniteur de fitness pendant dix ans. Il a ensuite séjourné en Suisse, au bénéfice d'un titre de séjour obtenu à la suite de son mariage, entre 2002 et 2010, puis de 2015 à ce jour, soit pendant une quinzaine d'années. Certes, l'appelant a, durant cette relativement longue période, travaillé légalement, ce qui démontre une forme d'intégration professionnelle. Toutefois, en dépit de ce relativement long séjour, les années passées en Suisse ne paraissent pas l'avoir conduit à fonder un socle lui permettant de prétendre à l'existence de liens sociaux dépassant de loin ceux résultant d'une intégration ordinaire en Suisse comme l'exige la jurisprudence, aucun élément du dossier ne tendant à indiquer qu'il se serait construit un cercle d'amis proches ou aurait participé à une activité citoyenne, associative, sportive ou sociale.

La présence en Suisse de son épouse et de ses enfants, l'un déjà majeur et l'autre sur le point de le devenir, qui possèdent la nationalité de ce pays, ne suffit ni à admettre une intégration particulièrement réussie de l'appelant, ni justifier l'application d'office de la clause de rigueur.

Atteint dans sa santé et contraint de renoncer l'activité professionnelle de déménageur qu'il exerçait depuis son arrivée en Suisse, il bénéficie depuis 2021 du soutien financier de l'Hospice général, étant relevé qu'il touchait déjà l'aide sociale avant de s'arrêter de travailler en raison de ses faibles revenus selon ses propres déclarations et qu'il ne ressort pas du dossier qu'il aurait tenté de trouver un emploi dans un domaine adapté à sa condition physique. Son projet de réintégrer un emploi au sein d'une entreprise de déménagement n'apparaît pas réaliste et est contradictoire avec les problèmes de santé qu'il évoque.

Sa situation financière est mauvaise depuis son départ en Bolivie en 2010. Il est endetté à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de francs en raison de factures impayées après son départ et émarge à l'aide sociale.

L'appelant met encore en avant la dangerosité de la Bolivie pour relever qu'un renvoi dans ce pays le mettrait dans une situation personnelle grave, sans toutefois amener le moindre élément concret le concernant personnellement, sinon donner des informations générales sur l'état de ce pays. Rien, au-delà de la situation générale du pays, ne permet de penser sérieusement qu'une réintégration en Bolivie serait particulièrement difficile, dès lors que l'appelant y est né et y a passé 27 ans de sa vie, soit la plus grande partie. Vu l'absence de qualifications particulières, son expérience professionnelle et ses capacités personnelles pourront autant être mises en valeur dans son pays d'origine qu'en Suisse.

L'appelant fait valoir son droit à la vie privée en alléguant que les problèmes de santé de son épouse (fibromyalgie) et de sa fille (syndrome d'Asperger) ne leur permettraient ni de vivre en Suisse sans lui, ni de retourner en Bolivie, sans toutefois étayer ses propos en produisant notamment des certificats médicaux dans ce sens, l'évaluation médicale effectuée sur sa fille n'indiquant pas que ses troubles seraient si particuliers qu'ils ne pourraient être traités hors de Suisse. Compte tenu de l'aide dont tant son épouse que sa fille pourraient bénéficier dans ce pays, il n'est pas non plus établi qu'elles ne pourraient pas y demeurer en son absence, étant relevé qu'elles vivent déjà sans lui depuis plus d'un an en raison de sa mise en détention et que son épouse n'a pas évoqué de problème particulier à cet égard lors de son audition par-devant le TCO.

Par ailleurs, la fille de l'appelant a largement dépassé la majorité puisqu'elle est désormais âgée de 21 ans, tandis que son fils, qui a 17 ans, est sur le point de l'atteindre. Rien ne s'oppose dès lors à ce qu'ils vivent en Suisse sans lui en communiquant par le biais des moyens de télécommunication modernes.

2.3.3. L'appelant n'a fait montre d'aucune collaboration durant l'enquête. Avant d'admettre les faits au stade de l'audience de première instance, il a fourni des informations erronées à la police et au MP et a persisté à nier les faits en dépit des preuves récoltées, rendant ainsi, par son attitude, l'enquête des autorités plus difficile. Ce comportement démontre un certain mépris vis-à-vis de celles-ci et du système judiciaire suisse, ainsi qu'une prise de conscience peu aboutie, étant relevé qu'il a encore fluctué devant les premiers juges, lesquels l'ont jugé peu crédible. Dans ce contexte, le courrier dans lequel il affirme à [l'association] F______ avoir réalisé la dangerosité et les effets nocifs de la drogue sur la population et la gravité des faits commis, qui a été adressé à cette association environ un mois avant l'audience devant le TCO alors qu'il se trouvait en détention depuis de nombreux mois déjà, apparaît plutôt comme une démarche opportuniste. L'aide qu'il soutient avoir mis en place en prison pour les détenus toxicomanes n'est par ailleurs nullement documentée.

2.3.4. Compte tenu de la gravité des faits reprochés à l'appelant, qui s'est livré à un trafic de stupéfiants et a ainsi contribué à la propagation du fléau de la drogue au sein de la population, et de sa faute, l'intérêt public à son expulsion est important et, vu les éléments évoqués supra, apparaît supérieur à son intérêt à demeurer en Suisse.

Au vu de ce qui précède, l'expulsion de Suisse de l'appelant pour une durée de cinq ans, correspondant à la durée minimale de l'expulsion obligatoire, doit être confirmée.

2.4. L’inscription de l’expulsion de l'appelant au SIS sera également confirmée compte tenu de la gravité de l'infraction dont il a été reconnu coupable, passible d'une peine privative de liberté bien supérieure au seuil fixé pour considérer qu'un prévenu représente "une menace pour l'ordre public ou la sécurité publique ou nationale".

3. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure d'appel envers l'État (art. 428 al. 1 CPP).

Compte tenu de l'issue de l'appel, il n'y a pas lieu de revoir la répartition des frais de la procédure préliminaire et de première instance (art. 426 al. 1 CPP).

4. Vu la mise à sa charge de la totalité des frais, les conclusions en indemnisation de l'appelant seront rejetées (art. 429 CPP).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTCO/3/2023 rendu le 12 janvier 2023 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/1097/2022.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'135.-, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant en ce qui le concerne :

"Déclare A______ coupable d'infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. a, b, c et d et al. 2 let. a LStup).

Condamne A______ à une peine privative de liberté de 3 ans, sous déduction de 234 jours de détention avant jugement (art. 40 et 51 CP).

Dit que la peine est prononcée sans sursis à raison de 18 mois.

Met pour le surplus A______ au bénéfice du sursis partiel et fixe la durée du délai d'épreuve à 4 ans (art. 43 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Renonce à révoquer le sursis octroyé le 30 octobre 2019 par le Ministère public du canton de Genève (art. 46 al. 2 CP).

Ordonne l'expulsion de Suisse de A______ pour une durée de 5 ans (art. 66a al. 1 let. o CP).

Dit que l'exécution de la partie ferme de la peine prime celle de l'expulsion (art. 66c al. 2 CP).

Ordonne le signalement de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS) (art. 20 de l'ordonnance N-SIS; RS 362.0).

Ordonne, par prononcé séparé, le maintien en détention pour des motifs de sûreté de A______ (art. 231 al. 1 CPP).

Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure, qui s'élèvent au total à CHF 13'836.50, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.-, soit à CHF 6'918.20 (art. 426 al. 1 CPP)."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel, à l'Office fédéral de la police, à l'Office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au Service de l'application des peines et mesures.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

Le président :

Pierre BUNGENER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal correctionnel :

CHF

13'836.50

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

60.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'135.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

14'971.50