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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/17122/2016

AARP/13/2023 du 17.01.2023 sur JTCO/174/2019 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 15.02.2023, rendu le 04.03.2024, ADMIS, 6B_231/2023, 7B_271/2023, 7B_445/2023
Recours TF déposé le 23.02.2023, rendu le 04.03.2024, IRRECEVABLE, 6B_234/2023, 7B_445/223, 7B_271/2023, 7B_445/2023
Descripteurs : FAUX INTELLECTUEL DANS LES TITRES;BLANCHIMENT D'ARGENT
Normes : CP.251; CP.305 bis
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17122/2016 AARP/13/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 28 novembre 2022

 

Entre

A______, ayant élu domicile en l'étude MANGEAT Avocat Sàrl, passage des Lions 6, case postale, 1211 Genève 3, comparant par Me Grégoire MANGEAT, avocat, et
Me Yaël HAYAT, avocate,

appelante et intimée sur appel joint,

 

B______ LTD, partie plaignante, comparant par Me Patrick HUNZIKER,
Me Dominique LECOCQ, Me Vincent JEANNERET et Me Romain CANONICA, avocats,

C______ LTD CORP, tiers saisi, comparant par Me Grégoire MANGEAT, avocat, et Me Yaël HAYAT, avocate,

Fondation D______, tiers saisi, comparant par Me Grégoire MANGEAT, avocat, et Me Yaël HAYAT, avocate,

F______, tiers saisi, comparant par Me Guy STANISLAS, avocat,

G______ LTD, tiers saisi, comparant par Me Guy STANISLAS, avocat,

appelantes,

 

contre le jugement JTCO/174/2019 rendu le 9 décembre 2019 par le Tribunal correctionnel,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé et appelant joint.


 

EN FAIT :

A. a.a. En temps utile, A______ et F______, B______ LTD, C______ LTD CORP, G______ LTD et la fondation D______ appellent du jugement du 9 décembre 2019, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO) a notamment reconnu A______ coupable de blanchiment d’argent aggravé (art. 305 bis ch. 2 let. c et ch. 3 du code pénal suisse [CP]) et de faux dans les titres (art. 251 CP), l'a condamnée à une peine privative de liberté de 30 mois, sous déduction de 483 jours de détention avant jugement dont 46 jours de détention extraditionnelle, dont 15 mois avec sursis (délai d'épreuve : trois ans), ainsi qu'à une peine pécuniaire de 250 jours-amende, à CHF 300.- l'unité, avec sursis, (délai d'épreuve : trois ans). Le TCO l'a condamnée à payer à B______ LTD une somme de EUR 34'995'320.- avec intérêts à 5% dès le 9 décembre 2019, à titre de réparation du dommage matériel et CHF 498'711.- avec intérêts à 5% dès le 9 décembre 2019, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure. Il a ordonné la restitution à B______ LTD des 327'600 actions H______ SA figurant sur le compte n° 1______ ouvert au nom de C______ LTD CORP auprès de la banque I______ à Genève, la confiscation du solde des avoirs déposés sur ce compte et le maintien des séquestres ainsi que la confiscation des avoirs figurant sur les comptes suivants :

- compte n° 2______ ouvert au nom de J______ FUND auprès de [la banque] K______ à Genève.

- compte n° 3______ ouvert au nom de L______ auprès de K______ à Genève.

- compte n° 4______ ouvert au nom de A______ auprès de K______ à Genève.

- compte n° 5______ ouvert au nom de G______ LTD auprès de [la banque] M______ à Genève.

- compte n° 6______ ouvert au nom de F______ auprès de M______ à Genève.

- compte n° 7______ ouvert au nom de G______ LTD auprès de [la banque] N______ à Genève.

Le TCO a ordonné le séquestre et la confiscation des avoirs figurant sur les comptes suivant :

- compte n° 8______ ouvert au nom de la FONDATION D______ auprès de [la banque] O______ à Dubaï.

- compte n° 9______ ouvert au nom de E______ LTD auprès de [la banque] P______ à Singapour.

Le tribunal de première instance a alloué à B______ LTD, à concurrence des dommages-intérêts fixés par le présent jugement, soit à concurrence de EUR 34'995'320.- et CHF 498'711.- avec intérêts à 5% dès le 9 décembre 2019, les montants séquestrés sur ces comptes, et l'a renvoyé à agir par la voie civile pour le surplus, Il a prononcé à l'encontre de A______, en faveur de l'État de Genève, une créance compensatrice d'un montant de CHF 5'179'638 plus intérêts à 5% dès le 9 décembre 2019. Le TCO a enfin condamné A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 44'598.70, y compris un émolument de jugement de CHF 5'000.-.

a.b. A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure pour ses frais de défense et de la somme de CHF 82'750.- au titre de réparation du tort moral subi du fait de sa détention et des mesures de substitution injustifiées. L'État de Genève et les parties plaignantes devaient être condamnées aux frais de la procédure de première instance et d'appel.

a.c. B______ LTD entreprend partiellement ce jugement, concluant à la condamnation de A______ à lui payer :

- principalement EUR 218'792'477.82 ou subsidiairement CHF 245'769'500.-, avec intérêt à 5 % dès la date de l'arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), sous déduction de la valeur des 327'000 actions H______ ;

- subsidiairement l'addition des sommes de EUR 23'325'120.- ou subsidiairement la somme de CHF 26'201'107.-, EUR 5'661'562.- ou subsidiairement CHF 6'359'632.50, EUR 91'605'750 ou subsidiairement CHF 102'900'739.-, avec intérêt à 5 % dès le 17 mars 2005, sous déduction de la valeur des 327'600 actions H______ ;

- plus subsidiairement EUR 108'359'056.- ou CHF 121'718'604.-, sous déduction de EUR 5'060'780.-, avec intérêt à 5 % dès le 17 mars 2005, sous déduction de la valeur des 327'600 actions H______.

B______ LTD conclut au surplus :

- au prononcé d'une créance compensatrice à due concurrence de EUR 18'400'000.-, à l'encontre de, conjointement et solidairement, A______ et F______, C______ LTD CORP, G______ LTD et L______, avec intérêt à 5 % dès le prononcé de la date de l'arrêt de la CPAR ;

- au maintien de tous les séquestres ordonnés ;

- au prononcé de séquestre de valeurs patrimoniales non séquestrées appartenant à A______ et/ou F______, directement ou indirectement, en vue de l'exécution des créances compensatrices ;

- à l'allocation des confiscations, des produits de la réalisation des actifs confisqués, des créances compensatrices et amendes ;

- à la condamnation de A______ aux frais et dépens de la procédure.

a.d. F______ et G______ LTD entreprennent partiellement le jugement, concluant à l'annulation du jugement dans la mesure où il prononce la confiscation et l'allocation à B______ LTD des avoirs figurant sur les compte M______ à Genève n° 5______ ouvert au nom de G______ LTD et n° 6______ ouvert au nom de F______.

a.e. C______ LTD CORP conteste partiellement le jugement entrepris et conclut à la levée de tous les séquestres frappant ses comptes, en particulier le compte n° 1______ ouvert à son nom auprès de la banque I______ à Genève et le compte n° 9______ ouvert au nom de E______ LTD auprès de [la banque] P______ à Singapour, à l'octroi d'une indemnité de procédure pour ses frais de défense et à la condamnation de l'État de Genève et de B______ LTD au frais de la procédure.

a.f. La fondation D______ conteste partiellement le jugement et conclut à la levée de tous les séquestres frappant ses comptes, en particulier le compte n° 8______ ouvert auprès de la banque O______ à Dubaï.

a.g. Le MP forme appel joint, contestant partiellement le jugement du TCO, et conclut à la condamnation de A______ à une peine privative de liberté de quatre ans.

b. Selon l'acte d'accusation du 9 août 2019, il est en substance reproché ce qui suit à A______ :

b.a. Elle a déposé à tout le moins 695'000 actions de la société Q______ devenue plus tard H______, provenant de la commission au Luxembourg le 15 décembre 2004 d'une escroquerie ou d'une gestion déloyale à l'encontre de B______ LTD ou de R______ et S______ (cf. point II de l'acte d'accusation, reproduit ci-dessous), sur différents comptes bancaires en Suisse, ouverts à son propre nom et au nom de sociétés dont elle était l'unique ayant droit et signataire autorisée. Elle a ensuite procédé, pendant une période pénale déduite de l'acte d'accusation, soit du 21 juillet 2005 (p. 13 de l'AA) au 13 juillet 2017 (p. 19 de l'AA, pt 2.13), à de nombreux transferts et opérations bancaires, en Suisse et à l'étranger, depuis ces comptes sur de nombreux autres comptes ouverts à son propre nom et au nom de sociétés dont elle ou sa sœur F______ étaient les uniques ayants droit et signataires autorisées.

Selon l'acte d'accusation, l'infraction préalable au blanchiment d'argent est la suivante :

"Il est désormais établi que A______ n'a pas volé ni pris indument possession à un autre titre, en vue de se les approprier, de ces 915'000 titres Q______ le 1er décembre 2004, c'est-à-dire lorsqu'elle les a sortis du coffre n° 18______ de B______ LTD à la banque T______. La justice luxembourgeoise l'a acquittée de ce chef.

En revanche, à la lumière de tous les éléments mis au jour dans le cadre de l'enquête menée en Suisse postérieurement à son jugement au Luxembourg, le Ministère public considère que la possession par A______, c'est-à-dire sa détention aujourd'hui démontrée, depuis mars 2005 à tout le moins et jamais interrompue, par le biais de sociétés de domicile dont elle était l'unique ayant-droit et l'unique signataire autorisée, des 815'000 titres dont B______ LTD affirme avoir été indument dépouillée, résulte bel et bien d'une infraction contre le patrimoine, commise par A______ à l'encontre de B______ LTD, ou à l'encontre de R______ et S______ en tant que propriétaires de B______ LTD depuis le 29 octobre 2004.

Les autorités de poursuite pénale genevoises ne sont pas compétentes pour connaître de cette infraction – sinon éventuellement sous l'angle de son résultat survenu en Suisse –, commise selon toute vraisemblance au Luxembourg autour du 15 décembre 2004 au vu de la convergence de nombreux faits évoqués ci-dessus à cette date ou autour de cette date, mais en tout état avant le 17 mars 2005, date des premiers dépôts de titres physiques sur les comptes C______ LTD CORP/E______ LTD à Genève, potentiellement constitutifs du résultat de cette infraction préalable et, du point de vue du Ministère public, assurément constitutifs des premières infractions de blanchiment d'argent pour lesquelles A______ est poursuivie à Genève.

Il s'agit d'un autre complexe de faits, soit d'une autre prévention que celle pour laquelle A______ a bénéficié d'un acquittement à Luxembourg.

Le Ministère public estime que A______ a trompé les frères R______/S______, en abusant de son influence sur eux, à un moment de grande vulnérabilité pour eux puisqu'ils venaient juste de perdre leur deuxième parent soit leur père U______, et qu'ils se trouvaient soudainement propulsés, sans plus aucune référence à leur famille de sang et à leur passé, dans les méandres d'une vie d'enfants adoptifs de la Vicomtesse W______ et par là d'héritiers futurs d'une fortune colossale, à laquelle rien ne les avait préparés et alors qu'ils étaient à peine majeurs. Indépendamment des faits de la cause, on sait par ailleurs que cette situation a eu un effet dévastateur sur leur santé tant physique que psychique, les deux frères souffrant d'addictions multiples et R______ étant aujourd'hui dans un état gravement détérioré à en croire le rapport d'expertise du Dr V______ du 9 juillet 2019.

Le Ministère public estime que A______ a utilisé les liens qui l'unissaient aux frères R______/S______ dans le cadre de son mandat d'avocate de leur famille, qu'elle a abusé de leur dépendance totale vis-à-vis d'elle-même, de ses compétences juridiques qu'eux n'avaient pas, de sa maîtrise complète des structures mises en place par elle-même pour détenir le patrimoine de la famille R______/S______/U______/W______, de son rôle d'administratrice même de certaines de ces structures, pour obtenir d'eux, soit à leur insu, c’est-à-dire sans qu'ils comprennent ce qu'ils signaient – étant précisé que tous les éléments du dossier permettent de considérer qu'ils faisaient une confiance aveugle à A______, tout comme leur mère d'ailleurs, et signaient par brassées des documents que A______ leur soumettait, sans vérifier leur contenu, parfois même en les signant "en blanc" – soit en les induisant volontairement en erreur par l'affirmation de faits faux ou la production de faux documents, qu'ils accomplissent des actes préjudiciables à leurs intérêts patrimoniaux, en particulier qu'ils signent le 15 décembre 2004 en faveur de A______ des accords de paiement consistant à remettre à C______ LTD CORP, c’est-à-dire à A______, de manière indue et pour l'enrichissement personnel de cette dernière, la totalité (ou à tout le moins 795'000) actions retirées du coffre B______ LTD le 1er décembre 2004, représentant à cette date-là une somme totale de EUR 25'162'500 (ou EUR 21'862'500 pour 795'000 titres) (cours du titre H______ (ex-Q______) au 15 décembre 2004 : EUR 27.50) à titre de paiement de ses honoraires d'avocate, étant précisé que A______ percevait déjà à l'époque une rémunération mensuelle de EUR 10'000 pour son activité régulière de mandataire de la famille R______/S______/U______/W______.

C'est ainsi que, sans qu'il ait été possible de déterminer à quel instant précis ces actions ont éventuellement été à nouveau physiquement remises à A______ par les frères R______/S______, ou alors la manière dont A______ en a éventuellement indûment repris possession elle-même à l'insu des frères R______/S______, le Ministère public estime que A______ a commis au préjudice de B______ LTD, respectivement des frères R______/S______ :

• soit une infraction de gestion déloyale aggravée au sens de l'art. 158 ch. 2 du Code pénal suisse, constitutive d'un crime et également réprimée au lieu de commission de cette infraction, en induisant les frères R______/S______ à contresigner, sans se rendre compte de ce qu'ils signaient, la 3ème page de la "convention d'honoraires" à 10% sous la signature de leur père et de W______ consistant en une version modifiée par A______, c'est-à-dire contrefaite, de la convention à 1%, puis à signer, sans se rendre compte de ce qu'ils signaient, les accords de paiement et notes de frais et honoraires du 15 décembre 2004 et à remettre volontairement à A______ les 915'000 titres Q______, ou alors en prenant possession elle-même, sans que les frères R______/S______ le sachent ou le comprennent, de ces 915'000 actions dont on ne sait pas où elles étaient physiquement entreposées jusqu'alors et dont on peut fortement supposer que A______ les conservait pour le compte des frères R______/S______, dans le cadre de son activité de mandataire ;

• soit une infraction d'escroquerie au sens de l'art. 146 du Code pénal suisse, constitutive d'un crime et également réprimée au lieu de commission de cette infraction, en produisant devant les frères R______/S______ une version modifiée par A______, c'est-à-dire contrefaite, de la convention à 1% signée par leurs parents, en ayant remplacé la 2ème page pour indiquer des honoraires à 10%, en faisant croire aux frères R______/S______ que cette convention à 10% représentait la volonté de leur défunt père et de W______ et en les invitant à contresigner cette convention puis, en exécution de celle-ci et par tromperie, en les induisant à signer les accords de paiement et notes de frais et honoraires du 15 décembre 2004 et à remettre volontairement à A______ les 915'000 titres Q______, ou alors en prenant possession elle-même, sans que les frères R______/S______ le sachent ou le comprennent, de ces 915'000 actions dont on ne sait pas où elles étaient physiquement entreposées jusqu'alors et dont on peut fortement supposer que A______ les conservait pour le compte des frères R______/S______, dans le cadre de son activité de mandataire."

b.b. Il est reproché à A______ d'avoir à une date indéterminée confectionné une fausse convention d'honoraires, selon laquelle U______ et W______ consentaient à lui verser à titre d'honoraires 10 % des actifs directs et indirects regroupés dans une structure qu'elle était chargée de mettre sur pied.

b.c. Il est enfin reproché à A______ d'avoir ouvert les 1er, 2 et 18 juin 2010 ainsi que 25 novembre 2013, plusieurs comptes bancaires à Genève au nom de G______ LTD, en désignant faussement sur les formulaires A sa sœur F______ comme bénéficiaire économique.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

Contexte

a. La vicomtesse W______, née le ______ 1922, était l'héritière d'une famille belge très fortunée, actionnaire dans un empire brassicole mondial, soit la société H______ (initialement Q______, puis H______). En 2001, elle a épousé U______, précédé d'une réputation sulfureuse (pièces 5'000'283 et article du journal BV______ du ______ mai 2021, annexe 7 du mémoire d'appel de A______ du 8 novembre 2021). Le 5 juin 2003, elle a adopté les deux fils de son époux, issus d'un premier lit, S______ et R______, nés les ______ 1979 et le ______ 1982 (pièces 6'120'022 / '024 / '030). Son mari est décédé le ______ 2004 et elle-même le ______ 2008.

Après le décès de U______, A______ a expliqué que W______ et ses fils adoptifs avaient rencontré plusieurs problèmes. L'enjeu était de pouvoir faire régler la succession de U______ au Luxembourg car elle n'y couterait "pas un franc", en raison du contrat d'universalité signé entre les époux. Or, bien qu'ils fussent officiellement résidents au Luxembourg, les membres de la famille vivaient de fait en Belgique, ce qui laissait des traces. Ils avaient découvert que U______ n'avait jamais déclaré de revenus en Belgique, la situation devenant ainsi quasiment "ingérable". W______ et ses deux fils étaient sur la "même longueur d'onde" et cherchaient à éviter les médias, la famille de W______ et les fuites (pièce 5'000'285).

La liquidation de la succession de W______ s'est révélée conflictuelle, notamment entre les frères R______/S______ et des fondations, constituées puis désignées comme légataires universelles par la défunte (testaments des 26 avril 2007 et 17 mars 2008). Les secondes semblaient convaincues du souhait de W______ de déshériter ses fils ou à tout le moins de les limiter à leur réserve légale (cf. notamment pièce 5'000'318), étant précisé que la CPAR est en possession de déclarations contradictoires de W______ à ce sujet (cf. notamment lettre manuscrite du 28 juin 2005, pièce 5'000'189 ; audition à la police luxembourgeoise du 5 avril 2006, pièce 5'000'195, et du 24 mai 2006, pièce 5'000'203 ; cf. également courrier du 9 septembre 2008 de leur conseil aux frères R______/S______, annexe 4 du chargé de pièce déposé par B______ LTD devant le TCO). Selon S______, W______ était victime de manipulations avant son décès (pièce 5'000'165). Quoiqu'il en soit, les parties ont trouvé une issue à leurs litiges, consignée dans un contrat de transaction du 23 septembre 2010, dans lequel les fondations ont renoncé à leur qualité de légataires universelles et ont reconnu la validité de l'adoption des frères par W______ (pièces 5'000'222 ss). Elles ont également convenu du désistement de diverses actions en justice (cf. notamment pièce 5'000'242 ; pièce 5'000'033).

Présentation de la prévenue et de son lien avec la famille R______/S______/U______/W______

b.a. A______ était une avocate d'affaires, mandatée par la famille R______/S______/U______/W______, selon elle à plusieurs reprises et pour différentes tâches (cf. déclarations de A______ en pièces 5'000'275 ss). Elle a en tout état monté diverses structures pour détenir le patrimoine de la famille, structures dont elle était parfois administratrice.

b.a.a. Le premier mandat couvrait son activité de conseil de W______ et U______, jusqu'au décès de ce dernier en 2004. Elle avait notamment été chargée d'organiser leur mariage, l'adoption des garçons et de structurer leur patrimoine.

A______ a soutenu avoir principalement dû retrouver les titres Q______ de W______, cette dernière ignorant apparemment où ils étaient entreposés (déclarations de A______, pièce 5'000'275 ss). X______, ancien directeur de la banque T______ au Luxembourg, établissement où allaient être placés les titres, a confirmé la portée du mandat de A______ (pièce 5'000'710). Il n'avait jamais vu une cliente, en faisant référence à W______, avec un tel niveau de fortune sans en avoir aucune maîtrise (pièce 5'000'711).

W______ n'a pas évoqué une telle disparition de ses titres, semblant au contraire avoir su où ses actions avaient été placées et la personne qui les gérait (audition du 5 avril 2006 devant la police luxembourgeoise, pièce 5'000'191 ; audition du 24 mai 2006 devant la police luxembourgeoise, pièce 5'000'199). Selon une lettre de la fiduciaire Y______ du 23 avril 2002, cette dernière détenait pour le compte de W______ des actions Q______ et lui demandait de donner les instructions relatives à l'encaissement des coupons (annexe 3 du chargé de pièces de B______ LTD déposé devant le TCO).

A______ avait obtenu des rétrocessions en proposant aux époux U______/W______ une nouvelle structure de détention (contrat d'apporteur d'affaire entre la banque T______ et C______ LTD CORP du 11 août 2004, pièces 313'518 ss, en particulier pièce 313'524/'525).

b.a.b. Après le décès de U______, une seconde période s'était ouverte jusqu'en janvier 2006.

D'après W______, les relations entre A______ et ses fils adoptifs étaient début 2005 quasiment inexistantes. R______ et S______ ne pouvaient pas la "supporter" (audition du 24 mai 2006, pièce 5'000'198).

Selon la procédure luxembourgeoise (cf. infra), A______ s'occupait à cette époque de la gestion de fortune et des dépenses privées de W______ contre une rémunération mensuelle de EUR 10'000.-, ce que W______ a confirmé (pièces 6'000'025 et 6'000'056). Cette dernière a cependant déclaré que A______ se gardait bien de lui expliquer quoi que ce soit dans ses dossiers. Elle se contentait lui faire signer des papiers et des ordres de virement sans rien lui expliquer. Il était possible que A______ lui ait fait signer des choses dont elle ignorait le fond (pièce 5'000'199).

A______ a expliqué que, par ses déclarations, s'inscrivant dans le contexte d'une plainte déposée par W______ contre inconnu, cette dernière essayait de masquer son ignorance de "certains éléments" (PV TCO p. 9). En 2006, vu les tensions survenues entre W______ et ses fils, A______ avait elle-même mis fin au mandat en raison d'un conflit d'intérêt, (déclarations de A______, pièce 5'000'275 ; confirmées en pièce 5'000'538 ; PV TCO p. 20). X______ a confirmé que A______ s'était retrouvée au milieu d'un conflit familial et avait quitté en 2006 "l'ensemble du scénario". Elle avait fait entrer les deux garçons dans les sociétés, avait mis en place ce qui avait été prévu au départ et laissait la famille "se débrouiller" avec le patrimoine (pièce 5'000'725 ; également pièce 5'000'728).

Peut-être que ce conflit d'intérêt évoqué par A______ a existé, mais il s'avère également que W______ avait eu des doutes quant à l'intégrité de celle-ci à compter de février 2005. Sa plainte pénale contre inconnu déposée au Luxembourg a débouché sur une instruction (versée à la présente procédure) et à la condamnation le 25 octobre 2016 de A______ pour tentative d'escroquerie, faux et usage de faux à une peine de 24 mois d'emprisonnement dont 15 avec sursis pour les faits suivants. Le 20 septembre 2005, au Luxembourg, A______ avait tenté de se faire remettre la quotité disponible de la succession de W______, en tendant à faire authentifier par un notaire un testament manuscrit du 5 septembre 2005 dicté de toutes pièces à W______ l'instaurant légataire universelle de sa succession, en faisant croire à cette dernière qu'une telle disposition permettrait la mise en place post mortem d'une fondation à son nom (arrêt de la Cour d'appel du 25 octobre 2016, pièce 6'000'005). Il convient de préciser ici qu'à l'origine, la police estimait que les frères R______/S______ avait créé derrière le dos de W______ et à l'aide de A______ une structure, laquelle avait permis à S______ et R______ de détourner l'ensemble de la fortune de W______ (rapport de la police luxembourgeoise le 4 mai 2006, p. 14, non paginé dans le classeur "Procédure Luxembourg, Procès-verbaux et rapports, 1/2").

Début 2006, les relations entre A______ et W______ se sont en toute logique dégradées jusqu'à s'arrêter (cf. par exemple courrier de A______ à un notaire représentant W______, du 9 février 2006, non paginé, dans le classeur "Procédure Luxembourg, Procès-verbaux et rapports 1/2").

b.a.c. De 2006 à 2008, A______ était, d'après elle, restée en contact avec les frères R______/S______ mais sans mandat particulier. Elle les avait rencontrés à quelques reprises (déclarations de A______, pièce 5'000'275 ; confirmées en pièces 5'000'1666 et 5'000'538). D'après un courrier manuscrit de R______ du 29 décembre 2005, il chargeait A______ de procéder à la structuration de l'ensemble du patrimoine familial à Bruxelles, au Luxembourg et en Suisse à la suite du décès de son père. Elle devait percevoir "outre ses honoraires prorata de l'heure prestée de l'ordre de 10% de l'ensemble des avoirs" (pièces 5'000'207 / 208, pièce produite dans la procédure luxembourgeois). A______ a déclaré que le fait que R______ lui propose un nouveau mandat à cette date ne signifiait pas qu'elle l'avait accepté (pièce 5'000'166).

b.a.d. En 2008, à la mort de W______, A______ a expliqué que les frères R______/S______ lui avaient demandé de les aider, de les soutenir, d'assurer la défense de leurs intérêts et d'établir leur qualité d'héritiers. Ils lui avaient proposé un success fee de 10 %. D'après une note interne à la banque P______, fondée sur les explications de R______, elle n'avait au contraire de ses dires pas eu un rôle actif dans le règlement de la succession (pièce 5'000'600). En revanche, X______ a confirmé l'intervention de A______, en 2011 toutefois (pièce 5'000'740).

b.a.e. Une fois la succession terminée, en septembre 2010, A______ a allégué que les frères R______/S______ l'avaient de nouveau sollicitée afin de monter un family office pour commencer à rassembler et reconstituer tout leur administratif en lien avec leur patrimoine. En 2012, le mandat s'était terminé (pièce 5'000'278). X______ a confirmé l'intervention d'un bureau à Londres s'occupant de la récolte et de la consolidation des informations financières concernant les avoirs des deux frères (pièce 5'000'741).

D'après une note interne à la banque P______, une crise de confiance entre A______ et les frères était intervenue, aux dires de ces derniers, lorsqu'une récapitulation de tous leurs avoirs bancaires présentée par l'avocate à R______ avait paru à ce dernier incomplète (pièce 5'000'601). D'après A______, S______ et R______ avaient refusé sans raison de lui verser ses honoraires, correspondant à une part de leur héritage touché grâce à ses services, et s'élevant à EUR 58'882'455.- (facture du 15 juillet 2013, pièce 5'000'038). Selon eux, R______ avait en mars 2012 appelé sa banque à Genève et appris par son gestionnaire qu'un lot d'un million d'action H______, d'une valeur de 50 millions d'euros, avait été transféré sur les comptes d'une société appartenant à A______, sans son consentement (mémoire réponse de B______ LTD du 31 janvier 2022, p. 8). Ils se sont par la suite constitués parties plaignantes à la procédure pénale luxembourgeoise ouverte à l'encontre de A______, ayant notamment conduit à sa condamnation susmentionnée, mais aussi à son acquittement sur d'autres faits, décrits infra (consid. c.a.c.).

Les avocats genevois des frères R______/S______ n'ont depuis cessé, selon eux, de demander à A______ de rendre des comptes sur son activité, sans succès, afin notamment de pouvoir comprendre les honoraires qu'elle leur réclamait. Ils ont soutenu n'avoir reçu d'elle qu'une partie des documents concernant leurs mandants, et ont constamment montré leur surprise de voir certaines pièces émerger lors de la présente procédure (cf. notamment pièces 5'000'522, 5'000'525 ou encore 5'000'278 / '279).

b.b. Les membres de la famille R______/S______/U______/W______ ont déclaré entretenir avec A______ les liens suivants.

W______ a expliqué au juge d'instruction luxembourgeois le 30 mars 2006 que son mari s'occupait de la gestion de leur patrimoine et qu'il l'avait laissée, après un son décès, "dans un chaos total". A______ était intervenue "dès le départ". Elle était contente de l'avoir et se sentait en sécurité avec elle. Son avocate s'était occupée de tout et avait tout pris en main, notamment de la mise en place de deux structures sociétaires, à savoir Z______ SA et AA______ SA. Son mari lui avait dit qu'elle était maligne pour arranger les affaires mais "dangereuse" (pièce 5'000'204, cf. infra au sujet de ces sociétés).

D'après S______, son frère et lui avaient un rapport de très grande confiance (audition du 21 novembre 2017, pièce 5'000'174), voire une confiance aveugle en A______ (audition du 21 novembre 2017, pièce 5'000'176, et audience TCO, PV p. 28). Elle était une amie de la famille (audition du 21 novembre 2017, pièce 5'000'174).

A______ a confirmé avoir tissé des liens de confiance avec les différents membres de la famille, notamment avec les frères R______/S______ (PV TCO p. 9).

Infraction préalable

Il est en substance reproché dans la présente procédure à A______ d'avoir blanchi en Suisse des titres Q______ qu'elle se serait approprié illégitimement en décembre 2004 au Luxembourg.

Provenance des titres

c.a.a. Le ______ mai 2004, W______ a créé avec l'aide de A______ la société B______ LTD enregistrée à AB______ aux Iles Vierges Britanniques (cf. certificat d'incorporation de B______ LTD du 28 mai 2014 [pièce 1 du mémoire réponse de B______ LTD du 31 janvier 2022] et rapport de la police luxembourgeoise, pièce 6'120'142).

Le ______ juin 2004, les époux U______/W______ ont constitué la société Z______ SA (Z______ SA ; arrêt de la Cour d'appel luxembourgeoise, pièce 6'000'056 ; certificat d'apport dans Z______ SA, cf. annexe 8 de la pièce 6'120'140 = 6'120'155).

Les 8'179'600 titres Q______ de W______, prétendument retrouvés par A______ dans le cadre de son premier mandat (cf. consid. b.a.a.), ont été déposés sur le compte T______ de la société Z______ SA (le ______ mai 2004, préalablement à la constitution de la société, cf. pièce 6'120'155).

916'176 titres ont été utilisés pour constituer le capital-actions de Z______ SA (pièce 6'120'140).

W______ et A______ ont, en qualité d'administratrices de la société Z______ SA, instruit le 29 septembre 2004 la banque T______ au Luxembourg de transférer sur le compte de B______ LTD au sein du même établissement, 7'280'424 actions Q______ (pièce 6'120'156). Au dossier figure un contrat de vente entre les époux U______/W______ et B______ LTD établi à la même date, portant sur la vente des premiers à la seconde de 7'280'424 actions Q______ (pièce 6'120'164). Le transfert sur le compte n° 10______ de B______ LTD a été exécuté le 28 octobre 2004, le lendemain de l'ouverture dudit compte (pièce 6'120'142). Le transfert n'a pas été documenté au compte de pertes et profits de Z______ SA (rapport de police du Luxembourg du 13 février 2007). L'ayant-droit économique du compte était W______ (rapport de police du Luxembourg du 4 mai 2006).

Toujours le 29 septembre 2004, W______ et A______ ont requis, conjointement et pour le compte de B______ LTD, l'émission au porteur de 915'000 titres Q______ (pièce non numérotée dans le classeur "Procès-verbaux et rapports (1, 2, 3 et 4) 2/2"). La signature de W______ est authentique selon un expert graphologue mandaté dans la procédure luxembourgeoise (arrêt de la Cour d'appel p. 51, pièce 6'000'056). Ce sont les titres litigieux. On ignore quand les actions ont été émises, mais probablement en novembre 2004 (pièces 313'553ss), et où elles ont été conservées jusqu'au 1er décembre 2004 (cf. infra). Le coffre de B______ LTD n° 18______ auprès de la banque T______ a été loué par A______ à compter de cette dernière date mais pas avant.

Pour mémoire, U______ est décédé le ______ octobre 2004, des suites de maladie, étant précisé que A______ s'était rendue compte à la fin de l'été 2004 qu'il était très malade (pièce 5'000'284).

A______ a été nommée présidente, directrice et secrétaire de B______ LTD le 27 octobre 2004 (pièce 5'000'100).

Le 29 octobre 2004, W______, par contrat de vente d'actions, a cédé la société B______ LTD à ses deux fils adoptifs contre la somme de EUR 1 par action, soit EUR 50'000.- (pièces 5'000'159, 5'000'160 et 5'000'271). Une copie vierge, sans indication de montant, de ce contrat, signée et paraphée par W______ figure également au dossier (pièces 5'000'292 et 6'001'164). R______ a déclaré à la police luxembourgeoise que sa mère leur avait vendu les 50'000 actions au prix d'un euro (pièce 5'000'556). De fait, R______ et S______ devenaient pour la somme de EUR 50'000.-, dont on ignore si elle a été versée, détenteurs de plus de sept millions d'actions Q______. Leur mère adoptive s'est ainsi retrouvée dans le même temps dépossédée de tous ses titres.

R______ est devenu, à la place de A______, directeur de B______ LTD en 2006 (pièce 5'000'101). Le mandat de W______ en tant qu'administratrice déléguée de la société Z______ SA et de la société AA______ SA avait été révoqué lors des réunions du conseil d'administration des 2 janvier et 16 janvier 2006, au cours desquelles S______ et R______ ont été nommés à un poste d'administrateur.

En 2006, W______ s'est ainsi retrouvée privée de tout pouvoir de gestion sur les sociétés familiales. Le 8 mars 2006, elle a écrit à R______ en déclarant ne pas comprendre une réaction aussi virulente à la suite de ses demandes d'informations et à sa décision de changer de conseil [Ndr : en remplacement de A______]. Elle s'était aperçue qu'elle avait été tenue dans l'ignorance totale de la gestion de tous ses dossiers par A______. Elle voulait savoir ce qui se passait réellement. Depuis la mort de U______, elle avait été systématiquement tenue à l'écart de toutes les affaires et elle demandait s'il en avait été de même pour lui. En posant des questions concernant la gestion des sociétés, elle s'était confrontée à des problèmes qu'elle n'avait pas imaginés (annexe 1 du chargé de pièce de B______ LTD du 28 novembre 2019 déposé devant le TCO).

De par l'introduction de procédures par W______, les comptes de la société B______ LTD ont été gelés, puis libérés après la transaction passée entre les frères R______/S______ et les fondations (mention dans les auditions, pièces 5'000'133 [S______ indiquant que "tous" leurs comptes étaient bloqués], 5'000'435 et 5'000'464 [A______], 5'000'708 [X______]).

S______ a indiqué être administrateur de la société B______ LTD depuis octobre 2017, sa nomination étant intervenue durant le mois de septembre de la même année (audition au MP [GE] le 7 novembre 2017).

c.a.b. Les parties et des témoins ont pris position sur les différentes opérations décrites supra.

c.a.b.a. W______ a déclaré le 30 mars 2006, dans la procédure luxembourgeoise, que la société B______ LTD ne lui disait strictement rien et ignorait qui en était le propriétaire, ce qu'elle a confirmé dans son audition du 5 avril 2006 (pièce 5'000'205 ; pièce 5'000'193).

Elle ne se serait jamais dépossédée de son vivant de ses biens. Elle était tombée des nues lorsqu'elle avait appris que l'intégralité de ses titres était partie dans la société B______ LTD (audition par le juge d'instruction du 30 mars 2006, pièce 5'000'205 ; audition du 5 avril 2006, pièce 5'000'193 ; audition du 24 mai 2006, pièce 5'000'203).

Elle n'avait conclu aucun contrat de cession de biens avec ses fils. Elle ignorait tout du contrat de vente du 29 octobre 2004 et n'avait pas signé le courrier adressé à T______ datant du même jour (audition devant la police luxembourgeoise du 5 avril 2006, pièce 5'000'193 et 5'000'194).

Elle ne se rappelait pas avoir signé des blancs (pièce 5'000'205).

Figure également à la procédure un courrier de son conseil du 9 février 2006 adressé à A______, dans lequel il lui demande où sont conservées "+/- 7'300'000 titres H______" (pièce 5'000'481).

c.a.b.b. A______ a expliqué que W______ et U______ avaient décidé de structurer leur patrimoine par le biais notamment des sociétés Z______ SA et AA______ SA (audition du 20 décembre 2017, pièce 5'000'282). L'objectif était de regrouper un patrimoine d'environ EUR 25 millions destiné à financer le train de vie de la famille (pièce 5'000'284).

La banque avait porté les titres Q______ en compte en faveur de Z______ SA, ce qui mettait cette dernière en "totale illégalité", la législation luxembourgeoise ne permettant pas pour ce type de société d'apport d'actifs d'un montant de plus d'un dixième du montant du capital-actions. Dans ces circonstances, B______ LTD avait été utilisée pour faire sortir les titres du compte Z______ SA (pièce 5'000'286).

Elle avait rédigé le masque du contrat de vente d'actions de B______ LTD (pièce 5'000'287). AC______, ancienne amie de S______, lui avait remis en 2013 la copie vierge de ce contrat, signée et paraphée par W______. En substance, elle en avait déduit de l'existence de ce blanc-seing, conjugué avec les déclarations de AC______, selon lesquelles R______ aurait volé ce blanc-seing chez sa mère W______ et se serait vanté que grâce à ce papier il deviendrait riche et puissant, que la transmission du patrimoine de B______ LTD aux fils R______/S______ s'était faite à l'insu de W______, à tout le moins à un prix auquel elle n'aurait jamais consenti (déductions résumées en pièce 5'000'443).

A______ a expliqué aux premiers juges que l'émission de ces actions avait été demandée pour la rémunérer. Selon elle, les titres avaient dans un premier temps été déposés dans un coffre car elle n'avait pas préparé ses factures (PV TCO p. 13).

c.a.b.c. D'après R______ (déclaration à la police du Luxembourg le 18 janvier 2007), le but de la création de B______ LTD était de déposer 7'280'424 titres H______ sur le compte de la société. En 2004, son père et sa mère avaient en effet calculé que, pour leurs besoins annuels, qui étaient d'un million d'euros, la société Z______ SA leur suffisait. Ils étaient restés administrateurs de la société Z______ SA tandis que A______ était administrateur délégué de la société B______ LTD. Après l'acte de vente des 50'000 actions, il était devenu bénéficiaire économique de la société et en 2006, directeur (pièce 5'000'556). Le dépôt de 7'280'424 actions Q______ sur le compte de la société B______ LTD était ordonné par sa mère. Ses parents voulaient les y déposer vu que cette société allait leur revenir par la suite (cité en pièce 5'000'561).

c.a.b.d. S______ ne pouvait pas dire grand-chose de B______ LTD, étant précisé l'existence "d'énormément" de sociétés en lien avec les affaires de la famille. Il ne s'était jamais intéressé à ces affaires, ayant "plein d'autres hobbies à côté" (pièce 5'000'133).

Devant le TCO, il a expliqué se souvenir du contrat de vente d'actions du 29 octobre 2004, dans sa version signée (PV TCO p. 30). Il n'avait rien à dire sur le fait que sa mère avait déclaré ne jamais avoir voulu leur transférer les actions de B______ LTD. Il était dans une période difficile et avait "sombré" après la mort de son père. Il n'avait jamais utilisé ce document. Il ne s'occupait pas des affaires de la famille (PV TCO p. 31).

c.a.b.e. Selon le témoin X______, directeur de la banque T______ au moment des faits, un entretien avec les quatre membres de la famille avait eu lieu au sein de la banque. Les deux frères participaient car W______ voulait constituer une vraie famille et voulait que ce soit visible, reconnaissable. La société Z______ SA était l'acronyme de leurs quatre prénoms. Les deux frères avaient parfaitement l'air de comprendre la teneur de la discussion mais c'était les parents qui avaient le leadership (pièce 5'000'711).

La vicomtesse et ses fils voulaient quitter "l'aspect public" à la mort de U______ et passer de Z______ SA à B______ LTD, qui était une société offshore. Cette mesure avait été présentée à la banque comme une mesure de protection provisoire des intérêts de W______, prise par A______, les deux enfants s'étant montrés pressants avec leur mère adoptive, comme déjà évoqué dans la déclaration du témoin X______ à la police du Luxembourg du 2 mai 2006 à la page 2 (cf. pièce non numérotée dans le classeur "Procès-verbaux et rapports (1, 2, 3 et 4) 1/2"), et de la famille R______/S______/U______/W______, qui exerçait des pressions (pièce 5'000'727). La cession des parts de B______ LTD allait dans la logique de la continuité de la relation Z______ SA depuis son ouverture. Il avait vu l'original du contrat, en avait pris une copie qu'il avait remise certifiée conforme à la banque (p. 3 de l'audition du 2 mai 2006, pièce non numérotée dans le classeur "Procès-verbaux et rapports (1, 2, 3 et 4) 1/2").

c.a.c. A______ a été acquittée au Luxembourg des faits suivants.

Il lui était reproché d'avoir, le 1er décembre 2004, à Luxembourg, au siège de la banque T______, commis un vol avec fausses clés, un vol domestique, un abus de confiance ou un vol au préjudice de W______, de 915'000 actions Q______, qui avaient été entreposées – ou qui lui avaient été confiées pour les entreposer – au coffre n° 18______ ouvert au nom de la société B______ LTD. Il lui était également reproché, d'avoir, au mois de février 2005, signé et fait signer à W______ un faux don manuel, et d'en avoir fait usage en le remettant à un notaire, dans le but de s'approprier 915'000 actions au porteur de la société Q______.

La Cour d'appel a retenu le raisonnement suivant. Au vu des dépositions de X______, AD______ (Ndr : un des commissaires de police en charge de l'enquête), d'une attestation testimoniale de AC______ et le récépissé du 2 février 2006 signé par R______ (cf. infra d.a.c.), ainsi que du témoignage de R______ et du courrier des frères R______/S______ du 13 décembre 2004 (cf. infra infra d.a.b.), il n'était plus possible de retracer les circonstances exactes du retrait des actions et la qualité en laquelle A______ a eu possession desdites actions, cette dernière ne pouvant en outre être contredite lorsqu'elle avait affirmé qu'il existait au dossier, parmi les documents saisis auprès de la banque T______ et restitués sans garder copie avant l'inculpation, un ordre de remise de titres signé par W______. Or en l'absence de preuve de faits contraires à ceux prétendus par la défense de A______, les allégations de celle-ci devaient être admises.

W______, R______, X______ et A______ ont été entendus dans le cadre de cette procédure, à l'exclusion de S______.

Affectation des actions

c.b. Le 1er décembre 2004, A______ a pris possession des 915'000 titres au porteur Q______, qui n'ont probablement jamais été déposé dans le coffre n° 18______ à la banque T______ (cf. document "Reçu coupons – Titres remboursables / Chèque" du 1er décembre 2004, pièce 303'204).

D'après les écritures des parties en appel, une action Q______ valant à l'époque entre EUR 20.- et EUR 27.5, 915'000 actions valaient entre EUR 18'300'000.- et EUR 25'162'500.- (p. 27 du mémoire d'appel de A______, bien qu'elle se contredise en p. 3 de sa réponse du 2 février 2022).

c.b.a. L'ouverture du procès en appel au Luxembourg de A______ a attiré l'attention de plusieurs banques suisses, qui ont transmis à la police fédérale une communication de soupçons de blanchiment d'argent (pièces 10'000 ss).

On sait ainsi désormais, grâce à l'instruction ouverte en Suisse, que A______ a déposé en 2005 une partie des titres sur divers comptes à Genève (pièce 5'000'423), plus précisément :

• 140'000 titres sur le compte C______ LTD CORP à la banque I______ de Genève, qui sont à l'origine du patrimoine toujours détenu par C______ LTD CORP sur le même compte, ouvert à nouveau pour les besoins de la cause, plus particulièrement pour le rapatriement en Suisse de fonds transférés au Canada en 2010 sur ordre de A______. L'origine annoncée des fonds était le don physique (pour éviter 45 % d'imposition) d'une cliente de A______, représentant 2 % de la fortune de la première, à la suite de la réorganisation totale de sa fortune, en faisant référence à l'acte notarié du 22 février 2006 en pièce 1'000'076, décrit infra au consid. d.a.a. (pièce 1'000'046) ;

• 241'925 titres sur le compte C______ LTD CORP à [la banque] AE______ à Genève, qui sont à l'origine du patrimoine actuellement détenu par G______ LTD, à Genève mais également à Monaco. A______ a justifié sa détention de ces titres auprès de la banque par le dépôt de l'acte notarié du 22 février 2006 établi par Me AF______ à AP______ en lien avec le "don manuel" de W______ du 13 décembre 2004 et par le document "Reçu Coupons – Titres remboursables /Chèques" établi par la banque T______ le 1er décembre 2004 au moment de la sortie des titres du coffre B______ LTD ;

• 80'010 titres sur le compte C______ LTD CORP à la banque AG______ LTD, devenue AH______ à Genève, qui sont à l'origine du patrimoine actuellement détenu par la fondation D______ à Dubaï, par l'intermédiaire de [la banque] O______. A______ a mensongèrement justifié sa détention de ces titres auprès de la banque par un "don, fait sous la forme authentique", dont le gestionnaire du compte indique avoir vu l'original ;

• 93'020 titres sur le compte C______ LTD CORP à la banque anciennement nommée AI______ à Genève, qui sont à l'origine du patrimoine actuellement détenu par C______ LTD CORP à la banque P______ à Singapour. À l'ouverture du compte, A______ a déclaré que les fonds qui allaient l'alimenter trouvaient leur origine dans la vente d'une partie de son étude à Luxembourg (pièce 3'060'686). Toutefois, il ressort d'une note interne à la banque du 1er mai 2012 que la banque était informée que la rémunération de A______ provenait d'un don de W______ (pièce 5'000'061) ;

• 40'045 titres sur le compte AJ______ INC. à la banque anciennement nommée AI______ à Genève, qui sont à l'origine du patrimoine actuellement détenu par G______ LTD à Porto Rico. A______ a indiqué à la banque que les fonds étaient issus d'une commission provenant de son activité professionnelle en tant qu'avocate (pièce 306'213) ; et

• 100'000 titres sur le compte AK______ à [la banque] M______ à Genève, qui sont à l'origine du patrimoine actuellement détenu par G______ LTD à Genève. A______ a justifié sa détention de ces titres auprès de M______ par le dépôt d'une copie de la convention d'honoraires à 1% passée entre elle-même et U______ et W______ à une date inconnue.

A______ était l'administratrice de E______ LTD, société enregistrée le ______ juillet 2004 aux Iles Vierges Britanniques, dès le 11 février 2005 et l'unique ayant droit économique (pièces 1'000'053, 1'000'060, 5'000'101bis et 5'000'101ter). Les actifs de la société semblent avoir été transférés dans une nouvelle société panaméenne, nommée C______ LTD CORP, constituée le 9 mai 2012 (courrier de A______ pour C______ LTD CORP à l'attention des banques I______ Canada et P______ Singapour, pièces 313'129, 313'265, et annexe 1 d'un courrier du conseil de A______ adressé à la CPAR du 30 octobre 2020, pièce 97 CPAR).

AK______ est une société enregistrée aux Iles Vierges Britanniques (pièces 313'305-379 et 313'305-920), dont A______ est devenue le 16 octobre 1995 l'unique directrice, présidente et secrétaire, avec procuration depuis le 7 janvier 2004 (pièces 3'070'128). A______ était annoncée comme l'unique ayant-droit économique dans la documentation bancaire de [la banque] M______ (pièce 3'070'104). Il semble, selon des documents interne à une banque monégasque du 29 novembre 2009, que A______ ait cédé les parts de sa société à sa sœur F______ (pièce 313'305-371).

c.b.b. A______ a en outre remis à chacun des frères R______/S______ 50'000 actions au porteur Q______, plus exactement 5 certificats de 10'000 actions, lesquels ont été mis en compte les 17 juin 2006 et 5 juin 2007 permettant la création des sociétés AL______ FOUNDATION et AM______ FOUNDATION (pièces 5'000'133 / 6'120'003 / annexe 19: Relevés de compte de la banque AN______ / Contrat de prêt produit en pièce 5'000'210, entre C______ LTD CORP, représentée par A______, et les frères R______/S______).

S______ a expliqué qu'il s'agissait d'un prêt de la part de A______, dans une période où tous leurs comptes étaient bloqués. Il ignorait si cela signifiait qu'elle en était la propriétaire, vu qu'il était à l'époque sous l'emprise de drogue et était "complètement perdu dans ces sociétés, toutes ces signatures". Les actions avaient été remises par A______ directement au banquier (pièce 5'000'133 / 134). Il ignorait ce qu'il était advenu des actions (pièce 5'000'134).

Selon A______, les frères R______/S______ l'avaient approchée entre 2006 et 2008 pour lui demander de leur faire un prêt, étant "serrés financièrement", probablement en raison du fait que leur mère leur avait coupé les vivres. Ils devaient faire face à des charges immobilières importantes, à des frais d'avocat et financer leur train de vie. Les frères R______/S______ avaient probablement vendu les titres, quand bien même ils avaient été portés au capital-actions de fondations, et vécu des fruits de la vente (pièce 5'000'277).

A______ a prétendu avoir été remboursée en mai 2009 (pièce 5'000'171).

c.b.c. Un total de 695'000 titres sur les 815'000 titres recherchés dans la présente procédure a ainsi été retrouvé, étant entendu que 100'000 des 915'000 titres ont été retournés aux frères R______/S______.

A______ a déclaré ignorer ce qu'il était advenu des 120'000 titres restants. D'une manière ou d'une autre, le patrimoine découlant des 120'000 titres initialement déposés à la banque T______ au Luxembourg avait été mélangé, c'est-à-dire avait rejoint le patrimoine qui se trouve sur les comptes susmentionnés. Il n'y avait pas d'autres comptes (pièce 5'000'425).

Selon une instruction de transfert du 6 mars 2006 de C______ LTD CORP, le solde du compte T______ contenant les titres Q______ devait être versé sur un compte auprès de la banque K______ à Monaco (pièce 313'549).

c.b.d. On comprend de l'acte d'accusation que A______ n'est poursuivie que pour le blanchiment de 695'000 titres (cf. p. 12 et chapitre C.I., p. 13 ss, contrairement à ce qui figure en page 9).

Explications de A______ sur sa possession des actions

d. A______ a déclaré de façon constante, dans la procédure suisse, à savoir une fois les titres retrouvés sur des comptes dont soit sa sœur F______ soit elle-même étaient l'ayant droit économique, avoir été légitimement en possession des titres, fournissant au gré de ses auditions plusieurs pièces destinées à le démontrer. Les frères R______/S______, W______ ou des tiers ont également versé, au cours de la procédure luxembourgeoise ou suisse, certains documents, qui seront présentés dans cette partie, tout comme leurs éventuelles prises de position au sujet de ces pièces.

d.a.  Dans la procédure luxembourgeoise, de nombreuses pièces et déclarations ont été déposées.

d.a.a. Sur demande de la police judiciaire, le conseil de W______ a produit le 13 novembre 2006 un acte daté du 15 décembre 2004, signé par A______ et contresigné par W______, par lequel la première reconnaissait avoir bénéficié d'un don manuel, "délivré le 15 décembre 2004", de 915'000 actions de la société Q______. A______ a fait enregistrer ce document de reconnaissance par la notaire Me AO______ à AP______ (France) le 22 février 2005 (pièces 10'002, 1'000'076-1'000'078, 6'120'169 à 6'120'171). D'après l'arrêt de la Cour d'appel du Luxembourg, le document avait été établi non pas à Bruxelles mais au Luxembourg (arrêt p. 72, pièce 6'000'077).

Le 8 décembre 2006, W______ a déclaré à la police luxembourgeoise ne pas avoir été d'accord avec la donation du 15 décembre 2004. Elle avait signé cet acte à une époque où elle était affaiblie, A______ ayant pris en main "les choses". À la fin de l'audition, W______ a toutefois précisé avoir été partiellement d'accord de lui donner quelque chose "bien sûr" mais "pas l'entièreté" (pièce non numérotée, dans le classeur "Procès-verbaux et rapports (1, 2, 3 et 4) 2/2").

Devant le juge d'instruction du Luxembourg, A______ a expliqué le 25 novembre 2010 qu'elle n'avait pas retiré à titre personnel et directement les 915'000 actions du coffre. Ces actions appartenaient à ses clients. Jusqu'à la perquisition du coffre par la police luxembourgeoise le 10 avril 2006 (coffre s'étant avéré vide), ses clients y avaient accès et avaient pu y enlever les documents. Le don de W______, par l'intermédiaire de ses fils, le 15 décembre 2004, était une remise "à titre fiduciaire afin que soit constituée une fondation qui avait pour objet d'acquérir des parts dans leurs différentes sociétés à savoir Z______ SA, AA______ SA, B______ LTD, AQ______, AR______". Les 915'000 actions au porteur appartenaient à la société B______ LTD, dont les bénéficiaires économiques étaient R______ et S______ (pièce 5'000'057). A______ n'avait jamais reçu un tel don à titre personnel, il s'agissait d'un "montage structurel" (pièce 5'000'058).

W______ a, le 27 avril 2007, introduit en Belgique une action contre A______ pour constater la nullité de la donation, subsidiairement la révoquer (pièce 6'000'817 et ss). Dans ses conclusions du 30 octobre 2009 devant le Tribunal de première instance de Bruxelles, A______ a affirmé que la donation de 915'000 actions Q______ n'avait jamais été exécutée et qu'elle n'avait pas reçu ces titres de W______ (pièce 6'130'460). Après leur reprise d'instance le 28 octobre 2009, les frères R______/S______, représentés par Me AS______, avaient déposé des conclusions de désistement d'action le 12 octobre 2010. Par jugement du 24 février 2011, le tribunal donnait acte aux parties de leur désistement d'action (annexe 8 du courrier du conseil de A______ du 22 janvier 2018). Devant le TCO, A______ a expliqué que W______ avait contesté la donation du 13 décembre 2004 probablement en raison du conflit familial qui l'opposait à ses fils.

d.a.b. Dans ses notes de plaidoiries de première instance, du 20 octobre 2015, A______ a affirmé, en se fondant sur une attestation testimoniale de AC______, avoir rendu le 1er décembre 2004 visite à W______, alors hospitalisée à Luxembourg. Lors de cette visite, la banque T______ avait informé A______, W______ et les frères R______/S______ que l'émission des 915'000 actions était achevée et que les titres pouvaient être "enlevés" à la banque. W______ l'avait instruite de ramener les actions à la clinique. Elle s'était alors rendue à la banque T______, se trouvant à deux pas de l'hôpital, et y avait opéré le retrait des titres du compte. De retour à l'hôpital elle avait remis les 915'000 actions à W______ et aux frères R______/S______ qui les avaient amenés à Bruxelles où "ils avaient traîné" jusqu'au 13 décembre 2004 (conclusions du 20 octobre 2015, p. 22 et 23). Son conseil a également soutenu, en se fondant sur un reçu du 2 février 2006 signé des frères R______/S______, qu'elle avait restitué à B______ LTD les 915'000 titres (pièce 5'000'479). Confrontée à cette prise de position lors de la présente procédure, notamment au fait qu'elle était en réalité en possession des actions en 2004, A______ a rétorqué que B______ LTD avait bel et bien reçu les titres en retour en 2004, avant de la payer. Elle avait produit le seul document en sa possession, soit celui de 2006, n'ayant pas retrouvé à l'époque celui de 2004 (audition du 8 mai 2018, pièce 5'000'471).

A______ a produit devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg les documents suivants :

- Une lettre manuscrite du 13 décembre 2004, selon laquelle S______ et R______ confirmaient à W______ lui avoir confié 915'000 actions Q______, dont ils étaient propriétaires, et la priaient de les remettre à A______ à titre de don (pièce 5'000'0156).

S______ a expliqué au MP (GE) qu'il pouvait s'agir de l'écriture de son frère. Sa signature pouvait figurer en bas de la lettre, dont il contestait la teneur. Il n'avait jamais disposé ou détenu ces actions (audition du 7 novembre 2017).

Sa signature, écrasée dans un coin, figurait effectivement sur le courrier. Il pouvait l'expliquer par le fait que A______ était venue un jour chez lui, quelques années après le décès de son père, avec sept valises remplies de dossiers qu'elle lui avait demandé de contresigner, ce qu'il avait fait sans lire les documents. Elle lui avait expliqué qu'elle agissait pour leur sécurité et sa propre sécurité (PV TCO/GE p. 29 et 30).

- Une enveloppe, au dos de laquelle W______ a écrit, le 13 décembre 2004 au Luxembourg, qu'elle faisait don manuel à A______ de 915'000 actions au porteur de la société Q______ dont elle était propriétaire (pièces 5'000'157 / '158).

S______ a reconnu devant le MP (GE) l'écriture de sa mère sur cette enveloppe, qu'il avait vue pour la première fois lors de la préparation de l'audience avec ses avocats.

d.a.c. En appel (Luxembourg), A______ a versé :

- Un récépissé du 2·février 2006 signé par R______, dans lequel il confirme par écrit que A______ lui a remis le contenu du coffre bancaire de la société B______ LTD détenu en dépôt par A______, à savoir notamment "des documents de sociétés en original", "pierres et bijoux de famille", "actions au porteurs Q______ et coupons ainsi que les STRIP au porteur y relatif (915'000)", "papiers familiaux", "titres de sociétés pour lesquelles Me. AU______ agissait en tant que TRUSTEE" (pièce 5'000'025).

Au MP et TCO (GE), A______ a expliqué que la teneur de ce document n'engageait que R______, qui n'avait jamais comparu au cours de la procédure (pièce 5'000'535 et PV TCO). Elle ne lui avait pas dicté le texte (pièce 5'000'535).

S______ a expliqué ne pas se souvenir de ce document même si sa signature figurait en bas de la première partie de ce reçu. Il ne s'était jamais rendu à la banque T______.

- Un courrier manuscrit des frères R______/S______ du 17 juin 2008, selon lequel ils confirmaient la donation faite par leurs soins en 2004, par le biais de leur mère, mais sur leurs avoirs personnels de leur société B______ LTD (pièce 5'000'026 / 27).

S______ a déclaré au MP (GE) ne pas du tout se souvenir de ce document, écrit cependant de sa main alors qu'il avait 29 ans. Il ne s'agissait pas de son verbe, il ne formulait pas les phrases de cette façon. Par déduction, ce texte avait dû lui être dicté par A______. Il contestait la teneur du courrier. Il lui était souvent arrivé d'établir des documents sous la dictée de A______ ou de tiers (pièce 5'000'172 / '173 / '177).

A______ a contesté dans la procédure genevoise avoir dicté ce texte (pièce 5'000'178).

En instance d'appel (Luxembourg), A______ a affirmé par la voix de son conseil avoir reçu le 15 décembre 2004 en donation des services rendus à la famille R______/S______/U______/W______ les titres litigieux. Elle aurait accepté une donation le 15 décembre 2004 avant de retourner les actions à la société B______ LTD en février 2006 comme l'attesterait le récépissé (pièce 6'000'078, p. 67 de l'arrêt).

d.a.d. Sur la base de ces documents notamment, A______ a été acquittée, au bénéfice du doute (p. 69 de l'arrêt). Pour mémoire, la trace des titres a été retrouvée en Suisse après la clôture de la procédure luxembourgeoise.

d.b. Les 14 septembre et 4 octobre 2017 devant le MP genevois, A______ a d'abord expliqué que les actions déposées en 2005 sur les comptes de C______ LTD CORP à Genève étaient des titres qu'elle avait reçu en décembre 2004 des mains de R______ et S______, au nom de B______ LTD, en paiement d'une note de frais et honoraires du 15 décembre 2004 de C______ LTD CORP à B______ LTD.

A______ a déposé les pièces suivantes lors de sa première audition du 14 septembre 2017 :

- Une note de frais et honoraires du 15 décembre 2004 émise par C______ LTD CORP et adressée à B______ LTD pour un montant total de EUR 16'761'245.-, signée par R______ et S______ avec la double mention "Bon pour accord" (pièce 5'000'022). D'après l'expertise graphologique, le document avait d'abord été imprimé, puis signé, sans qu'il ne soit toutefois possible de déterminer l'ordre des signatures (pièce 4'100'058). Il y avait de très fortes chances que ce soit bien S______ et R______ qui aient signé ce document (pièce 4'1000'060).

- Une copie d'une convention de règlement d'honoraires basés sur le résultat et prévoyant une rémunération de "10% sur l'ensemble des actifs arrêtés au 30 septembre 2004", au moyen de 795'000 actions et titres au porteur Q______, évalués à EUR 15'900'000.-. La convention est datée du 15 décembre 2004 et a été conclue entre B______ LTD, représentée "par R______ et S______ agissant ensemble en qualité de représentants et propriétaires indivis", et C______ LTD CORP, représentée par son conseil d'administration, sur laquelle est inscrit à deux reprises au bas de la page "Bon pour paiement en cash" avec en dessous la signature de R______ et S______ (pièce 5'000'023). Pour mémoire, A______ ne siégeait à l'époque pas au conseil d'administration de C______ LTD CORP (pièce 5'000'520 et consid. c.b.a. supra). D'après l'expertise graphologique, le document avait d'abord été imprimé, puis signé, sans qu'il ne soit possible de déterminer l'ordre des signatures (pièce 4'100'058). Il y avait de très fortes chances que ce soit bien S______ et R______ qui aient signé ce document (pièce 4'1000'060).

Selon A______, cet accord avait été conclu en exécution d'une convention de règlement d'honoraires basée sur le résultat et prévoyant une rémunération de "10% sur l'ensemble des actifs arrêtés au 30 septembre 2004". La convention démontrait qu'en paiement de la note de frais et honoraires datée du même jour, B______ LTD avait remis à C______ LTD CORP 795'000 actions et titres au porteur de la société Q______ dont elle était propriétaire et évalués à EUR 15'900'000.-. Il était dès lors légitime que C______ LTD CORP dispose à sa guise quelques mois plus tard des titres et les dépose sur des comptes bancaires. Elle ignorait la provenance des titres. Elle ne se rappelait pas des documents qu'elle avait fournis au moment où les titres avaient été mis sur des comptes bancaires. Elle n'avait pas produit ce document lors de la procédure luxembourgeoise parce qu'elle ne l'avait pas retrouvé à ce moment-là.

S______ a contesté avoir signé la note de frais et honoraires du 15 décembre 2004 susmentionnée tout en précisant que la mention "Bon pour accord" au-dessus de ce qui semblait être sa signature, avait été portée vraisemblablement de sa main. Il n'avait jamais donné son accord pour que la société C______ LTD CORP perçoive 16 millions d'honoraires pour des services rendus à ses parents et n'avait jamais vu ce document par le passé. Il n'avait en outre jamais vu la convention de règlement d'honoraires par le passé même si la signature y figurant ressemblait à la sienne et que la mention "Bon pour paiement en cash" ressemblait également à son écriture. Il n'avait jamais souhaité donner ou faire donner par B______ LTD à A______ 795'000 titres au porteur de la société Q______ à titre d'honoraires pour régler une facture de 16 millions. A______ lui avait fait signer des blancs-seings à de nombreuses reprises, ainsi qu'à son frère, mais il ignorait à quoi ils avaient servi, n'ayant au demeurant jamais demandé à prendre connaissance d'un document sur lequel aurait figuré sa signature. Il était possible que la convention de règlement d'honoraires ait été générée sur la base d'un blanc-seing signé avec son frère. À l'époque, il n'avait aucune qualité pour représenter B______ LTD dans la mesure où il en était uniquement actionnaire.

- Un récépissé signé par R______ daté du 15 décembre 2004 par lequel celui-ci indiquait recevoir de la part de A______ 915'000 titres au porteur de la société Q______ (pièce 5'000'021).

D'après elle, ce document constituait une confirmation d'une quittance que R______ et S______ avaient signé le 1er ou le 2 décembre 2004 lorsqu'elle leur avait remis les 915'000 titres sortis du coffre de la banque T______. Elle avait perdu ce reçu, raison pour laquelle elle avait demandé à R______, le 15 décembre 2004 lorsqu'elle l'avait revu, de lui signer un nouvel exemplaire.

S______ a déclaré que la signature ressemblait à celle de son frère mais que lui-même n'avait jamais vu ce document et qu'il ignorait la raison pour laquelle il avait été établi. Au TCO, il a confirmé que le contenu de ce document était inexplicable, dans la mesure où ni son frère, ni lui-même n'avaient jamais reçu ces titres (PV TCO p. 29).

- Une convention d'honoraires, non datée, entre U______, W______ et A______, prévoyant, en faveur de cette dernière, au titre de rémunération pour son activité d'avocate "dans le cadre de l'organisation des actifs familiaux", un montant équivalant à 10 % des avoirs mis à disposition de la structure créée par l'avocate pour détenir le patrimoine de la famille (pièce 5'000'018 ; ci-après : "convention à 10 %"). Contrairement à la première et à la dernière feuille, paraphées ou signées par la famille R______/S______/U______/W______, la seconde page, contenant l'article sur les honoraires, n'est pas paraphée. Il existe trois versions de cette convention, dont deux authentifiées le 16 mars 2006, qui ne portent pas la signature des frères R______/S______, (cf. pièce 5'000'289, avec le tampon de la commune d'Ixelles sur la première page et pièce 6'000'766, portant le tampon d'un fonctionnaire de la commune de Watermael-Boitsfort). Selon l'expertise graphologique, les trois feuilles constituaient une unité au moment de l'authentification des deux copies (pièce 4'200'030).

S______ a déclaré n'avoir jamais vu cette convention, ce qu'il a confirmé même après avoir expliqué n'avoir jamais lu les documents ("des tonnes de papier à signer") que lui apportait A______, lui faisant entièrement confiance. Il n'avait jamais été question de régler des notes d'honoraires pour le compte de ses parents et certainement pas par la remise d'actions à titre d'honoraires.

X______ a expliqué avoir vu la convention prévoyant 10 % de la somme récupérée. Le document l'avait marqué sur le montant de 10 %, qui représentait une somme au regard des 8 millions d'actions récupérées. Comme elle était signée par les quatre membres de la famille, cela signifiait pour lui que l'ensemble de la famille était au courant (pièce 5'000'721 / 22).

Selon une note interne vraisemblablement signée par le banquier X______ du 12 août 2005, "la cliente", à savoir A______, avait déposé un total de 120'000 actions H______ (soit une contrevaleur d'environ EUR 3.8 millions). Il joignait en annexe la confirmation que la propriétaire effective des titres, soit W______, les remettait à A______. Cette remise correspondait au paiement du contrat entre les époux U______/W______ et A______. Il avait personnellement vu l'original de ce contrat, prévoyant que les époux rémunèrent l'avocate à hauteur de 1 % des montants des actifs retirés des "griffes" de la famille de "Mme W______". A______ n'avait cependant pas souhaité que la banque fasse une copie de cette convention.

d.c.  Le 4 octobre 2017, A______ a refusé de répondre aux questions posées tant que les frères R______/S______ n'avaient pas été entendus par le MP.

Le MP l'a néanmoins confrontée avec pratiquement la même convention d'honoraire non datée susmentionnée, trouvée dans la documentation d'un compte bancaire au sein de M______ de la société AK______, ouvert le 8 août 2005. Les deux premières pages de la convention étaient paraphées par les époux U______/W______, tandis que la dernière est signée par leurs soins. Sur la seconde page figurait l'article sur les honoraires, stipulant un montant équivalant à 1% des avoirs mis à disposition de la structure créée par A______ pour détenir le patrimoine de la famille, étant précisé que la définition des avoirs varie entre les deux conventions (pièce 5'000'094 ; "convention à 1 %").

d.d. A______ a, lors de son audition au MP le 20 décembre 2017, livré, en lien avec les pièces susmentionnées, les explications suivantes (pièces 5'000'282 ss).

La remise des actions en paiement avait été faite avec l'accord de tous les membres de la famille. Les parents, R______ et S______ savaient "exactement" la cause de ce paiement (pièce 5'000'282).

Il existait deux conventions d'honoraires, correspondant à deux mandats différents exercés pour la famille R______/S______/U______/W______. Celle faisant état d'honoraires à 1 % correspondait à la toute première partie du mandat portant sur la structuration de la vie de W______ et U______, y compris l'organisation de leur mariage, l'adoption des garçons, etc. La seconde, prévoyant 10 % des actifs, rémunérait sa recherche des actifs Q______, conformément aux accord passés avec W______ et U______. U______ avait par oral fixé le taux en fonction des actifs qui pouvaient être récupérés, sachant qu'ils ignoraient tout à leur sujet, soit de quels actifs il s'agissait et où ils se trouvaient. Il n'avait dès lors pas pris un grand risque. Même si c'était un "voyou", U______ avait tenu parole une fois les actifs retrouvés. La convention avait été rédigée après qu'elle ait retrouvé les titres (pièce 5'000'283). Elle n'avait pas fabriqué la deuxième page de la convention à 10 % (pièce 5'000'280). Entendue le 8 janvier 2018, elle a précisé que les deux mandats avaient été discutés et négociés complètement séparément mais rédigés en même temps après leur exécution, ou à tout le moins après que le patrimoine de W______ ait été retrouvé (pièce 5'000'301).

U______ avait eu l'intention de la payer avec les titres retrouvés. Ils avaient eu une discussion approfondie à propos de sa rémunération, notamment sur la raison pour laquelle il voulait la payer en partie en titres, sur le nombre de titres qu'il allait lui remettre et sur la valorisation de ces titres au moment de la remise (pièce 5'000'286).

Fin 2004 était intervenu son paiement, par la remise de 795'000 actions Q______, sur la base de la facture de C______ LTD CORP du 15 décembre 2004. L'acte de donation de W______ n'était qu'une apparence de contradiction (pièce 5'000'286). Il s'agissait en réalité d'une reconnaissance d'un paiement qui lui était dû sur la base de prestations fournies pour la famille, étant précisé que sa cliente était une vicomtesse pour laquelle il n'était pas honorable de payer des honoraires (pièces 5'000'282 et 5'000'307). Dans l'esprit de W______, elle lui remettait ces actions et considérait que c'était une donation, voulant la justifier par la lettre et l'acte de donation, mais ce n'était en l'occurrence pas nécessaire, car une facture avait été établie (pièce 5'000'286). R______ et S______ avaient très bien compris cela (ibidem). Elle avait fait enregistrer la donation par pure opportunité, par protection, ne sachant pas ce qui pouvait arriver (pièce 5'000'287).

Elle a répété que, le 1er décembre 2004, W______, alors hospitalisée en raison d'une chute, lui avait demandé d'aller chercher ces actions au coffre de la banque T______, ce qu'elle avait fait. La vicomtesse avait voulu la payer mais, comme elle n'avait pas préparé ses factures, elle n'avait pas pu accepter les titres à l'hôpital.

d.e.  Le 8 janvier 2018, A______ a apporté les précisions suivantes.

La facture de C______ LTD CORP à B______ LTD (pièce 5'000'022) correspondait aussi à ce qui avait été discuté entre elle et U______ avant son décès. Il lui avait recommandé de faire une facture par le biais d'une société étrangère afin de ne pas avoir à facturer de TVA.

Le nombre de 795'000 actions avait été passablement discuté. À ce moment-là, W______ avait 79 ans, U______ ayant ainsi pris ce nombre comme point de référence. En outre, au moment de leurs discussions, les titres Q______ valaient EUR 20.-, raison pour laquelle cette valorisation avait été retenue. U______ était convaincu que les titres n'avaient que peu de valeur, n'étaient pas stables et allaient baisser. Il était certain qu'il parviendrait ainsi à moins la payer. Elle avait reçu 915'000 titres en tout, à savoir 795'000 en exécution de la convention d'honoraires à 10 %, soit 10 % de la valorisation du patrimoine Q______ retrouvé, et 120'000 en exécution de la convention d'honoraires à 1 %, soit 1 % du patrimoine total de la famille R______/S______/U______/W______ (pièces 5'000'301 / 302).

d.f.   Le 9 janvier 2018, A______ a précisé que les conventions d'honoraires avaient été finalisées dans le courant 2004 (pièce 5'000'306). Elle ignorait pourquoi U______ avait choisi l'âge de 79 ans de W______, alors que cette dernière était âgée de 82 ans en 2004 (pièce 5'000'307). Les négociations qu'elle avait menées avec U______ étaient connues de R______ et S______, raison pour laquelle ils s'étaient engagés à la payer, de manière volontaire, en été 2004. Le fait de l'inclure dans la famille était pour lui une forme de garantie qu'elle serait payée conformément aux accords passés mais aussi qu'elle continuerait à s'occuper des affaires de la famille une fois qu'il serait décédé (ibidem).

d.g.  Lors de son audition du 17 janvier 2018, A______ a expliqué que W______ avait intenté une action à son encontre, nommément, concernant les 915'000 titres. Lorsqu'elle avait mis fin à son mandat en janvier 2006, elle avait cru percevoir que W______ était fâchée à son égard. Elle ne semblait pas se souvenir de la donation et avait intenté contre elle une action en annulation de don. À son décès, les légataires universels d'alors, dont la fondation AV______, s'étaient substitués à W______. Deux ans plus tard au moins, une fois que leur qualité d'héritiers uniques de W______ avait été reconnue, R______ et S______ avaient repris l'instance des "mains" de la fondation, puisque cette dernière n'était plus habilitée à agir au nom de W______, et dès qu'ils avaient été maîtres de cette instance, ils s'en étaient désistés, abandonnant donc les poursuites à son encontre. Ils devaient forcément le faire puisqu'ils savaient très bien qu'ils lui avaient remis ces actions en paiement plusieurs années plus tôt (pièce 5'000'317, cf. également pièce 5'000'033 et auditions des 24 avril 2018, pièce 5'000'434, et 15 mai suivant).

d.h.      Le 22 janvier 2018, A______ a versé par l'intermédiaire de son conseil un accord entre B______ LTD et C______ LTD CORP, représentée par "A______, agissant en qualité d'administrateur de la société" portant la date du 15 décembre 2004 pour le paiement d'un honoraire de résultat de 1 %, suivant la convention du 1er janvier 2004, estimé à EUR 2'530'000.- et acquitté au moyen de 120'000 titres au porteur de la société Q______ (pièce non numérotée, dans le classeur "TMC, pièces essentielles").

Elle a expliqué qu'elle était la seule personne qui, de tout temps, depuis la constitution de la société, avait signé pour C______ LTD CORP. Elle était la seule habilitée à la représenter. La convention était basée sur un modèle, raison pour laquelle elle y figurait comme administratrice, bien qu'elle ne le fût pas formellement en décembre 2004, et non comme fondée de procuration.

d.i.    Le 24 avril 2018, A______ a été interrogée au MP sur l'apparente contradiction de ses déclarations (pièces 5'000'430 ss).

Le don de W______ était effectivement un montage structurel, tel qu'elle l'avait déclaré au juge d'instruction luxembourgeois, plus précisément un montage fiscal, en sa faveur. Les titres appartenaient à l'époque à B______ LTD, donc même si W______ avait voulu les lui donner, elle n'en avait pas le pouvoir. Elle voulait marquer par ce don sa volonté "par rapport à ce qui avait été fait". L'ensemble des avoirs dont il était question n'existait pas, en nom privé ou au nom d'une société, dans le sens où ils n'étaient pas déclarés (pièce 5'000'431).

L'affirmation faite au juge d'instruction luxembourgeois, selon laquelle les 915'000 actions appartenaient, jusqu'au jour du dépôt de son mandat en 2006, à B______ LTD et ses bénéficiaires, était un "gros mensonge". Dire la vérité, à savoir qu'elle détenait les titres pour le compte de C______ LTD CORP depuis 2004, aurait présenté des risques fiscaux pour les frères R______/S______ et/ou des conséquences dommageables liées à une potentielle violation de la clause de confidentialité de la transaction successorale (pièce 5'000'433). En outre, à cette époque elle craignait pour elle-même les conséquences pénales d'une fraude fiscale. Elle était finalement liée par son secret professionnel et ne pouvait rien révéler durant son audition susceptible de nuire à ses clients (pièce 5'000'434, ce qu'elle a confirmé le 6 juin 2018, pièce 5'000'539 et par écrit en pièce 5'000'828).

Elle a répété avoir eu intérêt "à raconter des histoires", car les litiges entre les fils R______/S______ et "la Fondation" étaient à ce moment-là à un point crucial. Elle n'était pas dans une position de dire à la Fondation AV______ "Tenez, voilà l'acte par lequel j'ai moi-même reçu ces actions en paiement de la part de B______ LTD pour le compte de C______ LTD CORP, mais W______ était ou trop vieille pour savoir ce qu'elle faisait, ou elle ne s'en souvenait pas, ou encore il y avait des désaccords entre W______ et les fils R______/S______", sa problématique fiscale s'ajoutant à tout le reste (pièce 5'000'439).

Le fait d'avoir remis l'acte de donation aux banques suisses pour justifier de sa possession des actions était un acte d'opportunité de sa part, n'ayant pas besoin de s'expliquer davantage, "ça tenait dès le départ". Elle a réfuté avoir induit les banques suisses en erreur en produisant un acte sans aucune portée selon ses termes, car W______ reconnaissait par la donation le travail effectué et venait valider la remise des titres en paiement par B______ LTD (pièce 5'000'440).

Faire enregistrer la donation se justifiait pour des raisons fiscales, ayant en sa faveur une prescription de trois ans pour le cas où elle retournait en Belgique (pièce 5'000'440).

d.j.   Le 15 mai 2018, A______ a expliqué ne pas avoir fourni "un dossier aussi complet que possible" dès sa première audition, référence étant notamment faite à l'absence de la convention à 1 % dans les documents produits, car elle était arrivée de Grèce en Suisse détenue et n'avait en sa possession qu'une minime partie de documents, qui selon elle suffisait pour démontrer qu'elle détenait ces titres légitimement. Elle avait aussi peut-être manqué de clairvoyance, mais elle ne comprenait pas exactement ce qu'on attendait d'elle. Elle ne voulait pas se contenter de mentionner des pièces qu'elle n'était pas sûre de pouvoir retrouver et verser à la procédure (pièce 5'000'491).

En 2006, elle n'avait pas mentionné au nouveau conseil de W______ les honoraires qu'elle avait reçus en 2004 pour des raisons fiscales. Tout le monde savait quels accords avaient été passés, tout le monde était d'accord. Pour des raisons personnelles, elle n'en avait pas fait mention. La donation faite par W______ avait pour but de manifester son accord avec le paiement des honoraires, elle le savait parfaitement. "Et ensuite, ils [s'étaient] écharpés" (pièce 5'000'495).

d.k. Le 6 juin 2018, A______ a déclaré au MP qu'il fallait bien réaliser qu'elle n'allait évidemment pas dire en 2013 un mot sur ce qu'il était advenu des 915'000 titres à l'avocat des frères R______/S______, qui lui annonçait que ses deux clients ou leur société B______ LTD se constituaient ou venaient de le faire comme parties plaignantes contre elle dans un procès à Luxembourg.

d.l.    Devant le TCO, A______ a persisté à contester avoir falsifié la convention d'honoraire à 10 %. Elle avait rédigé les deux conventions d'honoraires qui avaient été signées au même moment, après qu'elle ait localisé l'héritage de W______ en Belgique, par l'ensemble des parties et par ses clients en toute connaissance de cause. Ces deux conventions avaient été faites en plusieurs exemplaires, dont à tout le moins l'un était daté. Elle ignorait la raison pour laquelle les exemplaires figurant à la procédure ne l'étaient pas.

Invitée à se déterminer sur le fait que la page deux de la convention à 10% ne comportait ni paraphe, ni signature, A______ a expliqué que le document était un recto-verso et la copie d'un original que R______ avait déposé auprès de son avocat au Luxembourg.

Elle avait présenté aux banques en Suisse la convention à 1% pour justifier la provenance de ses actions et non celle à 10% par souci de discrétion sur son patrimoine.

Les conventions d'honoraires avaient été signées entre elle-même, U______ et W______ alors que les conventions de paiement d'honoraires avaient été conclues entre les sociétés B______ LTD et C______ LTD CORP, car la facture avait été émise après le décès de U______. Elle avait pour des raisons fiscales cédé à la société C______ LTD CORP, qui lui appartenait, la créance qu'elle avait à l'encontre de W______ et U______.

Invitée à se déterminer sur le fait que la convention de paiement d'honoraires à 10% portait sur 795'000 actions d'une valeur d'EUR 15'900'000.- alors que la valeur réelle de ces actions était de plus de EUR 21'000'000.-, A______ a précisé qu'ils étaient partis sur une valeur d'EUR 20.- par action et que le jour où elle avait été payée, l'action valait beaucoup moins.

Le paiement effectif par la remise des actions avait été fait au moment de l'émission de ses factures du 15 décembre 2004. Le 1er décembre 2004, W______ lui avait demandé d'aller chercher ces actions au coffre de la banque T______, ce qu'elle avait fait. La vicomtesse avait voulu la payer mais, comme elle n'avait pas préparé ses factures, elle n'avait pas pu accepter les titres à l'hôpital. Elle les avait alors remis aux frères R______/S______, en présence de W______ et de AC______, puis ces derniers étaient partis à Bruxelles. W______ lui avait ensuite envoyé un courrier le 13 décembre 2004 dans lequel elle l'informait vouloir lui donner 915'000 titres Q______ pour la remercier de ses services. R______ et S______ en avaient été informés. Ils s'étaient alors rencontrés à son étude à Bruxelles, le 15 décembre 2004, et elle leur avait présenté ses factures. Ils lui avaient remis les 915'000 actions. Deux ans plus tard, après qu'elle ait déposé son mandat, les frères R______/S______, qui étaient en procédure avec leur mère laquelle avait bloqué tous les comptes au nom de B______ LTD, étaient revenus la voir pour lui demander de l'argent. Elle leur avait alors remis en prêt par l'intermédiaire de la société C______ LTD CORP, 100'000 titres qu'ils lui avaient remboursés en 2009. Invitée à se déterminer sur ses précédentes déclarations selon lesquelles le reçu figurant à la procédure, signé par R______ le 15 décembre 2004 avait été établi en remplacement du reçu du 1er décembre 2004 qu'elle avait égaré, A______ a expliqué que le reçu du 15 décembre 2004 confirmait probablement celui du 1er décembre 2004.

Elle n'avait pas dit au juge luxembourgeois qu'elle avait acquis les actions Q______ de manière licite et n'avait pas produit la convention d'honoraires à 10% car à cette époque, les frères R______/S______ étaient ses clients et elle n'avait pas voulu violer son devoir de confidentialité à leur égard. De plus, elle ne voulait pas non plus les incriminer ou s'auto-incriminer fiscalement. En 2012, les frères R______/S______ avaient décidé de ne pas lui payer son second mandat et de la dépouiller de ce dont ils s'étaient acquittés lors de son premier mandat. Lorsque leur héritage avait été récupéré et qu'elle avait discuté avec eux de ses honoraires à 10% en lien avec ce mandat, ces derniers avaient refusé de la payer, l'avaient menacée et avaient décidé de remettre en cause un paiement qui lui avait été fait plus de quinze ans auparavant. W______ avait parlé de donation et non de paiement pour des raisons fiscales et la tentative de faire annuler cette donation en justice avait été effectuée pour des raisons purement stratégiques.

S______ avait menti lorsqu'il avait déclaré avoir signé beaucoup de documents qu'elle lui présentait en lui faisant confiance.

Elle n'avait pas émis de facture en 2003, soit au moment où les titres Q______ ont été retrouvés, car elle avait discuté oralement de ses honoraires avec U______ et leurs accords avaient été formalisés. Les "montants [avaient] fait l'objet d'un dépôt en cash de la fiduciaire sur un compte bancaire ce qui [pouvait] prendre plusieurs mois".

Invitée à se déterminer sur la raison pour laquelle le 12 août 2005, lorsqu'elle avait déposé les 120'000 actions sur le compte de la banque T______, elle avait donné l'ordre de les vendre immédiatement, A______ a expliqué que c'était en raison d'une fusion. Interrogée sur la raison pour laquelle elle n'en avait pas fait de même avec les titres déposés à la banque I______, elle a répondu gérer son patrimoine comme elle l'entendait.

Les frères R______/S______ n'étaient pas faibles et géraient parfaitement leurs affaires. Ils avaient tous les deux faits des études universitaires, R______ ayant de surcroît obtenu un MBA [master of business administration].

Prises de position de S______ sur cette possession

e. En complément des prises de position sur les pièces spécifiques résumées ci-dessus, S______ a fait les déclarations suivantes.

Lors de son audition au MP (GE) le 7 novembre 2017, il a contesté le fait que A______ ait acquis de manière légitime les actions Q______ retrouvées sur des comptes bancaires à Genève. Il n'avait jamais entendu parler de la société C______ LTD CORP avant l'ouverture de la procédure pénale suisse (pièce 5'000'132 / 133).

Il n'avait pas le souvenir que sa mère ait demandé à A______ d'aller chercher des titres Q______ à la banque T______. Ni lui-même ni son frère ne lui avaient demandé de retirer ces titres Il ne les avait jamais reçus, ni ne les avait ramenés à Bruxelles et n'avait pas vu A______ les remettre à sa mère le 1er décembre 2004 ou à une autre date (audience MP, pièce 5'000'132 / 133 et PV TCO p. 29).

Il ignorait si A______ avait été rémunérée par son père. Il l'avait une fois prise à part pour lui demander combien ils lui devaient car le temps "passait, passait". Elle lui avait alors répondu : "T'occupes, ton père s'est occupé de tout avant de mourir", sans lui montrer aucune facture ni autre document. Il lui était cependant arrivé de rémunérer A______, pour son activité après la mort de W______ (audience MP). Devant le TCO, il a expliqué que A______ avait été rémunérée pour les services rendus à ses parents par son père ou W______. Il n'avait pas discuté avec ses parents du paiement des honoraires de A______ dans la mesure où cela ne le regardait pas. Il avait vu des notes d'honoraires établies par A______ uniquement dans le cadre de cette procédure et n'avait jamais vu de conventions de paiement d'honoraires. Il contestait la validité de la convention à 10%, mais la convention à 1% lui semblait correcte. Il avait lui-même payé A______ en Angleterre pour les services qu'elle leur avait rendu entre 2008 et 2012, à hauteur de GBP 10'000.- par mois. Il ne se souvenait toutefois pas du montant total qu'il lui avait versé ni s'il l'avait rémunérée en cash ou par virement bancaire (PV TCO p. 29).

Il ne contestait ni le fait que les mentions "bon pour paiement en cash" apposées sur les conventions de paiement d'honoraires et les notes d'honoraires ressemblaient à son écriture, ni l'expertise graphologique qui avait été réalisée au sujet de ces documents, sur lesquels il reconnaissait son écriture et celle de son frère. Il contestait en revanche les documents en eux-mêmes. Lui et son frère avaient signé des dizaines de blancs-seings, dont certains portaient les mentions "bon pour accord" et "bon pour paiement en cash" parce qu'ils avaient une confiance aveugle en A______. Elle était une amie de la famille depuis plus de vingt ans. Un jour, elle était venue chez lui, après le décès de son père, avec sept valises remplies de dossiers qu'elle lui avait demandé de contresigner, ce qu'il avait fait sans lire les documents (PV TCO p. 29).

Son frère et lui-même n'avaient jamais été d'accord que A______ perçoive 16 millions d'euros à titre d'honoraires.

Autres documents figurant à la procédure

f.a. D'après l'enquête menée par la police luxembourgeoise, l'étude de A______ avait reçu des sociétés Z______ SA et AA______ SA un total de EUR 534'252.- de juin 2004 à janvier 2006 à titre de frais, provisions et honoraires. De cette somme, on relèvera à la date du 22 juin 2004 un montant de EUR 249'308.- libellé "transfert provision, constitution, frais d'acte notaire de EUR 249'500.-". Au demeurant, il s'agit de remboursement de frais de déplacement et d'un versement mensuel de EUR 12'350.- (rapport de police du 7 mars 2007, p. 2 et annexes, pièce non référencée, classeur "Procès-verbaux et rapports").

f.b. Dans un courrier nommé "Décharge" du 23 septembre 2010, S______ et R______ ont déclaré se désister de toutes les procédures pénales et civiles à Luxembourg, Bruxelles ou Genève relatives à toutes personne ou société visées par ces procédures et vouloir exécuter la "transaction" qui prévoyait notamment un désistement formel et complet de toute action, tant civile que pénale, en leur nom et en celui des sociétés Z______ SA, AA______ SA et B______ LTD, contre quiconque directement et/ou indirectement impliqué dans une procédure liée à la succession de W______ et de U______. W______ avait formulé dans ces plaintes des accusations graves contre eux et contre A______, qu'ils ne cautionnaient pas et qui justifiaient leur désistement. Seul R______ a signé le courrier, avec la mention "Bon pour accord" (annexe 10 du chargé de pièce du 14 septembre 2017, pièce 5'000'031).

L'acte de désistement d'action du 1er décembre 2010 à Bruxelles mettait fin à la procédure que W______ avait entamée contre A______, au sujet du don de 915'000 titres, étant précisé que R______ et S______ avaient repris l'instance au décès de leur mère adoptive (annexe 12 du chargé du 14 septembre 2017, pièce 5'000'033).

f.c. La banque T______ a souscrit une assurance particulière pour le coffre de B______ LTD et a dans ce but débité le compte de EUR 10'405.- pour la couverture allant du 2 décembre 2004 au 1er décembre 2005 (pièce 6'130'096). La police d'assurance établie le 19 janvier 2005 mentionnait : "Montant maximum assuré par sinistre et par année : EUR 20.000.000 ; la garantie porte sur des titres au porteur placés dans le compartiment 18______ de la chambre forte" (pièce 6'130'098).

Dépositions des témoins

g.a.a. Lors de son audition au MP, AC______, ancienne amie intime de S______, a expliqué qu'en décembre 2004, alors que W______ était hospitalisée au Luxembourg, cette dernière et ses deux fils avaient demandé à A______ d'aller chercher 915'000 actions Q______ entreposées dans le coffre d'une banque. Elle avait vu A______ remettre lesdites actions aux deux frères et R______ signer juste après un reçu qu'il avait remis à A______. Elle n'avait toutefois pas vu le contenu de ce que ce dernier avait rédigé. Elle n'avait pas vu les titres mais uniquement une épaisse enveloppe brune. R______ et S______ avaient ensuite ramené les titres avec eux à Bruxelles en voiture. À cette époque, W______ était en pleine possession de ses facultés mentales (pièces 5'000'247 ss).

Durant sa vie commune avec S______, elle avait très souvent vu A______ avec celui-ci et son frère. Elle avait assisté à des réunions entre A______ et les frères R______/S______ lors desquelles celle-ci leur soumettait des documents dont elle expliquait le contenu. Elle n'avait pas vu S______ signer des liasses de documents sans les lire. R______ était très pointilleux pour lire chaque page des documents qu'il signait (pièce 5'000'251).

Elle avait assisté à des conversations entre les frères R______/S______ et A______ au sujet des honoraires de celle-ci après la mort de W______, plus précisément sur un accord à teneur duquel elle allait être rémunérée 10% de l'héritage qu'elle allait récupérer pour eux. À sa connaissance, elle avait effectivement perçu un certain pourcentage mais elle ignorait lequel (pièce 5'000'252).

Après sa rupture avec S______, elle avait maintenu des liens d'amitié étroits avec A______ (pièce 5'000'247).

g.a.b. AC______ est en litige civil avec S______ dans le canton du Valais au sujet d'une reconnaissance de dette qu'il a nié avoir signée (pièce 5'000'247 ; pièce 6'000'456 ; pièce 6'002'242).

g.a.c. D'après S______, AC______ ne savait pas tout, elle restait dans le salon pendant que lui-même s'entretenait avec A______ (pièce 5'000'179).

Selon X______, AC______ n'assistait jamais aux réunions financières qu'il avait avec R______ et S______ (pièce 5'000'732).

g.b. X______ a expliqué au MP ne pas avoir été présent au moment de la matérialisation des 915'000 titres. L'explication fournie à la banque était que W______ voulait tenir ces titres au coffre. Il ignorait ce qui était advenu des actions, à l'exception d'environ 100'000 qui avaient été déposées sur le compte C______ LTD CORP à T______ (pièce 5'000'723).

Capacité de discernement des frères R______/S______

h.a. D'après S______, sa toxicomanie lui avait fait perdre sa capacité de discernement. En 2004, il avait encore sa tête mais après le décès de son père puis le décès de W______, plus le fait qu'il s'était retrouvé "tout seul", il avait été perdu, tout comme son frère. Ils avaient sombré et eu de mauvaises fréquentations. Il ne pouvait pas dire précisément à partir de quelle date il considérait que sa capacité de discernement avait été sérieusement altérée, mais c'était en tout état après la mort de son père. Clean ou pas, il avait d'ailleurs de la peine à comprendre un texte à caractère juridique, bien qu'il ait été amené à signer quantité de documents. Lorsqu'il avait touché l'héritage de W______, il avait "bien sûr" sa capacité de discernement. Après des années de paperasses, de visites, de lettres, le jour J était arrivé et il avait compris que le processus de la succession était arrivé à son terme.

Au TCO, il a expliqué qu'entre 2002 et 2012, il avait touché à la drogue et à l'alcool tout comme son frère. Il s'en était sorti en 2014, contrairement à R______. À l'époque, il était égaré dans toutes ces sociétés et ces signatures et avait perdu la capacité de discernement. Il avait demandé à plusieurs reprises à A______ de lui expliquer et de lui faire un organigramme de toutes leurs sociétés. Elle l'avait fait à main levée sur une feuille de papier chez lui à Bruxelles mais ce document, qu'il n'avait jamais compris, était ensuite resté sur une table avant d'être jeté. Quand il lui demandait des explications sur les sociétés, elle les lui donnait. Il consommait environ 3 grammes de cocaïne par jour et buvait quotidiennement deux grandes bouteilles de rhum pour faire descendre l'effet de la cocaïne. L'alternance entre le rhum et la cocaïne l'empêchant de dormir, il prenait également des somnifères. Son frère consommait entre 200 et 300 pilules de STILNOX par jour juste avant la mort de leur père, avant de basculer dans la morphine par injections veineuses. Ils avaient essayé de l'hospitaliser plusieurs fois mais sans succès. Lui-même avait régulièrement vingt personnes qui venaient faire la fête chez lui durant deux à quatre jours d'affilée sans dormir. Son cerveau était malmené. Il avait fait des crises d'épilepsie, ainsi que des arrêts respiratoires pendant plus de deux minutes. A______, qui était une amie de la famille, était au courant de l'état dans lequel son frère et lui-même se trouvaient. Ils étaient déjà dépendants aux médicaments, à l'alcool et à la drogue avant le décès de leur père et la situation avait empiré par la suite.

Il avait suivi des études, à l'université, l'école hôtelière et la BW______ Business school à Genève, ne se souvenant toutefois pas des périodes ("deux ans par-ci, deux ans par-là"). Il n'avait pas passé d'examen. R______ avait obtenu un master à la BW______ Business school, mais n'avait jamais travaillé. Depuis une année, il ne voyait plus son frère, qui était "dans le délire".

h.b. R______ a été entendu par la police luxembourgeoise le 18 janvier 2007. Il s'est présenté comme étudiant et administrateur de société. Il a répondu de façon claire et circonstanciée aux questions du policier, portant sur les affaires de la famille, en particulier sur Z______ SA, AA______ SA, B______ LTD, les actions H______ et certaines transactions réalisées à l'époque (pièce 5'000'554).

h.c.a. D'après A______, quand les frères R______/S______ venaient, toujours tôt, la voir au cabinet, ils paraissaient "ok" (pièce 5'000'319). Elle a admis devant le TCO pouvoir imaginer que les frères R______/S______ étaient aujourd'hui "faibles". Lors du premier mandat qu'elle avait conclu avec leurs parents, ils étaient des exécutants. Ils avaient ensuite pu se battre entre 2006 et 2013 contre leur mère qui voulait les déshériter puis contre le légataire, avec ou sans son aide. Ils n'étaient ainsi pas faibles et géraient parfaitement leurs affaires. Ils avaient tous les deux suivi des études universitaires, R______ ayant de surcroît obtenu un MBA.

h.c.b. R______ allait à la banque P______, à tout le moins dès mi-2012 (audition de la témoin AW______, pièce 5'000'585). Il était courant pour la gérante d'appeler R______. Quand elle le voyait en personne, elle avait l'impression qu'il se comportait comme quelqu'un capable de discernement (pièces 5'000'588 / 89). Selon un autre gérant de P______, R______ et S______ lui avaient semblé capables de discernement et "normaux". Ils étaient informés de la gestion de leurs affaires et avoirs par la banque. R______ était particulièrement impliqué dans l'administration des comptes (pièces 5'000'640 / 41). Selon AW______, R______ contrôlait le débit des comptes et chaque ordre, avant qu'il ne soit exécuté (pièce 5'000'664). Il paraissait au courant de la gestion des comptes. AW______ avait en revanche très peu vu S______ (pièces 5'000'666 / 67). Elle s'est parfois dit que R______ paraissait endormi ou fatigué.

Il ressort d'un rapport de la banque que le 12 mars 2012, R______ s'est présenté seul à la banque pour exposer la crise de confiance qu'il vivait à l'égard de A______ (pièce 5'000'601).

h.c.c. X______ a été mandaté à plusieurs reprises par les frères R______/S______ entre 2009 et 2013. Ils avaient pris le contrôle des sociétés en 2006 mais le blocage judiciaire des avoirs les avait arrêtés. Ils n'avaient eu aucun contact entre 2006 et 2009. Dès 2011, il voyait régulièrement les frères R______/S______ au moins une fois par mois, voire tous les deux mois. Pour tout ce qui était important, ils étaient deux. Pour le suivi régulier, il voyait principalement R______. Les entretiens duraient en moyenne une heure. A______ était parfois présente. Il leur était arrivé sur la tête une fortune colossale. Cette situation n'était pas simple à gérer. Ils avaient appris à suivre l'évolution de leurs actifs. R______ était clairement le leader d'opinion. S______ suivait ce qu'il se passait, s'informait mais était moins au "cordeau" que son frère. Il avait constaté qu'entre leur première rencontre en 2004 et la fin de leurs rapports en 2013, ils avaient pris de l'expérience. Ils savaient ce qu'ils faisaient. R______ était devenu le spécialiste des actions des groupes brassicoles mondiaux, il était fasciné par ça et il les connaissait tous. Dans les dossiers que lui-même gérait, A______ n'avait aucun pouvoir de disposition sur les avoirs et n'intervenait pas. Les deux frères ne lui avaient jamais semblés apathiques. Il n'avait pas pu constater de signe d'addiction. Lors d'un dîner, en 2011 ou 2012, qui se tenait pour l'anniversaire de A______, R______ a remercié publiquement A______ pour son aide durant cette période difficile (pièces 5'000'717ss).

h.c.d. AC______ avait constaté des signes d'une dépendance à l'alcool ou aux médicaments fin 2012 (pièce 5'000'249). Dans une procédure valaisanne, elle a déclaré ne pas être au courant de problèmes de S______ d'addiction à l'alcool, aux stupéfiants ou aux médicaments (pièce 6'002'352).

h.c.e. Les frères R______/S______ ont produit des attestations d'amis, proches ou employés de R______, qui avaient toutes et tous remarqué les problèmes d'alcoolisme voire d'addiction à la cocaïne de celui-ci. Parfois, aucune date ou période n'est mentionnée ou alors, quand cela est fait, les faits datent de 2006 ou 2007 (annexe 6 du chargé déposé par B______ LTD le 28 novembre 2019, cf. également attestation de AX______ en pièce 6'001'339, ou audition de AY______ du 8 juillet 2019 par le Tribunal [du district] de BX______ [VS], pièce 6'002'551).

h.c.f. A______ a produit une attestation de AZ______ SA, architecte d'intérieur, mandatée par R______ en 2009 pour des projets de décoration d'appartements. Elle avait régulièrement vu celui-ci pour discuter des projets, des devis et des contrats à signer mais aussi de sa vie personnelle. Il était très exigeant et impliqué. Il avait parfois des comportements "manipulateurs et un peu pervers" mais n'avait jamais montré de signes d'instabilité ou d'anormalité. En 2012, il l'avait informée de son désir de se séparer de A______, qui lui coutait trop cher et qu'il avait déjà plus que suffisamment payée. R______ lui devait à elle-même encore "beaucoup d'argent" (attestation du 15 juin 2019, annexe 4 du chargé de pièce de A______, classeur TCO 2/4).

h.d. Les avocats des frères R______/S______ ont établi leur historique médical sous forme de tableau (annexe 11 et 12 du chargé du 28 novembre 2019 de B______ LTD déposé devant le TCO). Il en ressort que la première mention de consommation de médicaments (Stilnox et Depakin) par R______ date d'un rapport du 24 mai 2007, selon lequel le patient présentait quelques difficultés à se remémorer des faits récents et à se souvenir des noms d'amis de longue date (p. 18). Il est ensuite fait état d'un rapport de la clinique BA______ du 7 mars 2011, d'après lequel en 2010, de la morphine lui avait été prescrite, qu'il se faisait injecter régulièrement par un infirmier, pour faire face à ses obligations professionnelles. Il avait suivi avec succès un programme de sevrage aux opiacés entre décembre 2010 et janvier 2011 (p. 13).

La première entrée dans le tableau de S______ est un rapport d'hospitalisation du 29 mai 2007 pour une prise en charge d'un malaise sur prise de cocaïne. Le patient avec expliqué avoir une consommation régulière de cocaïne depuis trois ans (p. 1). Dans un rapport du 20 mars 2013, il était fait mention de ses addictions multiples (alcool, benzodiazépines, cocaïne).

Selon ses déclarations au TCO, il avait fait des crises d'épilepsie avant la première figurant sur les certificats médicaux produits. Il s'était en effet réveillé "plusieurs fois" la tête en sang avant 2007, sans avoir été traité ou hospitalisé (PV TCO p. 32).

h.e. Selon l'expertise psychiatrique ordonnée par le MP, R______ souffrait en juillet 2019 d'un trouble psychotique, non permanent, lié à l'utilisation de substances psychoactives. L'état constaté par l'expert ne lui permettait pas de suivre une simple conversation. R______ était totalement incapable de se déterminer de façon cohérente et de maintenir son attention.

h.f. Dans un rapport du 19 septembre 2018, un détective privé a détaillé les mouvements de R______ en vacances à BB______ (F) le 28 août 2018.

i. Il figure à la procédure des expertises et rapports au sujet de la santé mentale de W______, dont il ressort en substance qu'elle disposait postérieurement aux faits de la cause de toutes ses capacités mentales pour gérer normalement sa personne et ses biens (cf. notamment rapports d'expertise des 28 septembre 2005 et 11 mars 2006 du BC______, pièces non numérotée dans le classeur "Procès-verbaux et rapports (1, 2, 3 et 4) 1/2"; ou encore le courrier de Me BD______ au MP du 16 février 2018, pièce 8'050'479).

Un ami de W______ a déclaré à la police luxembourgeoise qu'elle ne comprenait plus rien de sa situation financière et semblait s'écarter de la gestion de ses biens. Il avait compris que A______ gérait tous les biens de W______, cette dernière ne recevant pas les informations, comptes et documents qu'elle était en droit d'attendre de son conseil. Il avait cependant coupé tout lien avec W______ lorsque cette dernière avant décidé de ne pas suivre ses conseils de changer d'avocat (audition du comte BE______ de BF______).

La police du Luxembourg a quant à elle constaté que les souvenirs de W______ étaient parfois lacunaires (pièce non numérotée, dans le classeur "Procès-verbaux et rapports (1, 2, 3 et 4) 2/2").

Usage de blancs-seings

j.a. S______ a expliqué que la pratique du blanc-seing était courante dans ses rapports avec A______. Une partie de ses dépositions à ce sujet ont déjà été reportées supra (cf. consid. d.b. et e.a.). Leur avocate leur avait fait signer "maintes et maintes fois" des documents pour ne pas avoir à se déplacer. Il ignorait quelle était leur destination (notamment pages 15 et 16 du PV du 7.11.2017, pièces 5'000'145 et 5'000'146).

j.b. Par courriers des 20 décembre 2018, 21 décembre 2018 et 14 janvier 2019, les conseils des parties plaignantes ont versé à la procédure un très grand nombre de documents relatifs à des paiements de factures ou de frais divers pour les frères R______/S______, essentiellement pour R______, dans les années 2010 à 2012 (pièces 5'000'695 et 6'001'860 ss). Les pièces signées par R______ comportent une signature identique située à une distance identique du bas de page et de la marge.

j.c. Selon A______, R______ avait pu demander la gestion d'un service administratif (soit le paiement de petites factures) de la part de son bureau à Luxembourg, ce n'était pas elle-même qui gérait ces factures. N'étant ni secrétaire, ni comptable, elle s'occupait de la partie contentieuse et des clients. Il lui parait possible que R______, qui passait régulièrement à l'étude à compter de 2008, soit du moment où il est lui-même devenu client, ait décidé d'envoyer ses factures pour les faires payer. En 2004, une telle pratique aurait été inimaginable. Elle n'avait cependant jamais donné l'instruction à son personnel d'utiliser des signatures de S______ ou de R______ pour régler leurs factures (audition MP du 5 février 2019, pièce 5'000'696).

Interrogée sur les documents évoqués supra, A______ a maintenu ne jamais avoir utilisé cette pratique dans le cadre de son mandat avec la famille R______/S______/U______/W______ (PV TCO p. 9).

j.d. W______ a déclaré au juge d'instruction luxembourgeois ne pas se souvenir si elle avait signé des blancs (pièce 5'000'205).

k. De nombreuses personnes, amis ou anciens clients, ont par écrit ou devant le TCO loué les compétences humaines et professionnelles de A______ (notamment BG______ LTD, BH______, BI______, BJ______, BK______, etc.).

 

Des faux dans les titres ; formulaires A sur les comptes G______ LTD

l. A______ a ouvert quatre comptes bancaires au nom de la société G______ LTD auprès des banques AE______, M______ et N______.

l.a. Le 1er juin 2010, A______ a signé les documents d'ouverture du compte G______ LTD n° 11______ (relation n° 12______) auprès de la banque AE______ à Genève, en se désignant elle-même comme "Director" et seule signataire autorisée sur le compte mais en indiquant sur le formulaire A sa sœur F______ comme bénéficiaire économique de ce compte.

F______ a déclaré en octobre 2017 ignorer l'existence de ce compte.

Ce compte G______ LTD a servi à recevoir en décembre 2010, sur instructions de A______, les avoirs du compte C______ LTD CORP n° 13______, clôturé le 17 décembre 2010 dans les livres de AE______ à Genève, dont A______ était de tout temps l'unique bénéficiaire économique déclarée.

Les avoirs du compte de C______ LTD CORP auprès de AE______ découlaient directement et exclusivement de sa possession de 241'925 titres Q______.

Par la suite, A______ a requis la clôture de la relation le 7 février 2014 par une instruction qui porte la signature de F______, ce dont cette dernière n'a cependant aucun souvenir.

Les instructions de clôture ont consisté à faire transférer la totalité des avoirs détenus sur ce compte vers un nouveau compte G______ LTD, portant le n° 7______, détenu auprès de N______ à Genève (cf. infra consid. l.d.).

l.b. Le 2 juin 2010, A______ a signé les documents d'ouverture du compte G______ LTD n° 14______, lequel inclut la rubrique n° 5______, auprès de [la banque] M______ à Genève, en se désignant elle-même comme seule signataire autorisée sur le compte mais en indiquant sur le formulaire A sa sœur F______ comme bénéficiaire économique de ce compte (pièces 307'213 ss et 3'070'286). Cette dernière a signé un deuxième formulaire A. Le 17 juillet 2010, A______ a souscrit 3 cartes "BL______" [cartes de crédit prepaid] au nom de F______ (pièces 3'070'300 à 3'070'032). Le 2 juillet 2016, F______ demandait à sa gestionnaire de retirer la procuration de sa sœur sur ses comptes (pièce 3'070'588).

Ce compte G______ LTD a servi à recevoir en juillet 2010, sur instructions de A______, l'intégralité des avoirs du compte AK______ SA n° 15______, clôturé le 28 septembre 2010 dans les livres de [la banque] M______ à Genève, dont A______ était de tout temps l'unique bénéficiaire économique déclarée (pièce 3'070'104).

Les avoirs de AK______ provenaient du dépôt le 8 août 2005 de 100'000 actions au porteur de la société Q______, issues du lot de 915'000 titres Q______, vendues entre le 12 octobre 2005 et le 7 février 2007. Avec ces fonds désormais disponibles, A______ a acquis (par AK______) les 29 et 30 septembre 2009, 47'500 nouveaux titres H______. Le 15 juillet 2010, A______ a donné pour instruction à [la banque] M______ de procéder à la clôture du compte AK______ et de transférer l'intégralité des avoirs (liquidités et titres) sur le compte G______ LTD n° 5______ ouvert (le 2 juin 2010 par A______, cf. ci-dessus) dans la même banque. Les écritures de clôture font notamment état de trois virements en faveur du compte G______ LTD, consistant dans le transfert des liquidités disponibles sur le compte AK______ : USD 749'732 le 15 juillet 2010, EUR 150'000 le 15 juillet 2010 et EUR 63'335.44 le 21 septembre 2010. Le transfert du portefeuille de titres du compte AK______ vers le compte G______ LTD n'est pas documenté et on ignore la valeur exacte de ce portefeuille à la date du transfert.

A______ a justifié auprès de la banque le transfert des avoirs de AK______ à G______ LTD par une volonté de "gestion des avoirs de la famille". La banque dit avoir compris qu'il s'agissait d'une "répartition de la fortune familiale entre les sœurs".

Au cours de l'instruction, A______ a expliqué que le transfert de ces avoirs consistait dans le paiement à sa sœur d'une partie de la part d'héritage qu'elle lui devait dans la succession de feu l'époux de F______, BM______, avocat, qui avait été l'associé de A______ durant plusieurs années et avec lequel celle-ci détenait plusieurs biens immobiliers.

F______ a déclaré connaître l'existence de ce compte G______ LTD à [la banque] M______ et se considère comme l'ayant-droit effective des avoirs. Elle a confirmé avoir compris que les fonds versés par A______ sur ce compte correspondaient à un versement au titre de la répartition de l'héritage de feu son époux, comme A______ l'avait expliqué.

Entre le 11 septembre 2015 et le 2 septembre 2016, A______ avait débité du compte EUR 50'587.13, puis EUR 27'879.2 entre le 7 novembre 2016 et le 19 février 2017 (pièces 3'070'539 ss, 3'070'778, 3'070'805, 3'070'858 et 3'071'011). Sa fille avait également débité entre le 16 octobre 2016 et le 12 juin 2017 EUR 11'650.02 (pièce 3'070'700 ss). F______ a dans la même période aussi débité des sommes de ce compte (cf. notamment pièces 3'070'542, 3'070'575, 3'070'586). Cette dernière visait et validait les différentes factures liées à l'utilisation des cartes de crédits (cf. par exemple pièces 3'070'561, 3'070'563, 3'070'568, 3'070'578).

F______ donnait des instructions sur la gestion des avoirs détenus sur le compte G______ LTD (cf. notamment pièces 3'070'656 et 3'070'666 ; 3'070'281, 3'070'822).

Le 18 mai 2017, à la demande de F______, un transfert de EUR 1 million a été effectué au débit du compte G______ LTD en faveur d'un nouveau compte n° 6______ ouvert par F______ en son nom propre au sein de la même M______, en vue d'un achat immobilier en Belgique. De ce compte, EUR 600'000.- ont été débités le 21 juin 2017 en faveur d'un cabinet de notaires belges en vue d'une acquisition immobilière.

l.c. Le 18 juin 2010, A______ a signé les documents d'ouverture de la relation G______ LTD n° 16______ auprès de l'intermédiaire financier N______ à Genève. A______ a commencé par s'en déclarer elle-même ayant-droit économique puis elle a indiqué le nom de sa sœur sur un premier formulaire A. Ultérieurement, mais à une date non définie car N______ l'a fait coïncider avec la date de l'ouverture du compte, un deuxième formulaire A a été signé, portant la signature de F______ en plus de celle de sa sœur. F______ dispose d'une procuration générale et A______ dispose d'un droit de signature individuelle sur le compte.

F______ a déclaré en octobre 2017 ignorer l'existence de ce compte.

Cette relation G______ LTD a été alimentée à son ouverture, sur instructions de A______, par des avoirs en provenance du compte C______ LTD CORP n° 13______ auprès de AE______ à Genève, dont A______ était de tout temps l'unique bénéficiaire économique déclarée. Plus particulièrement, elle a ordonné le transfert le 6 juillet 2010 de EUR 100'000 puis le transfert le 23 juillet 2010 de 125'320 actions H______ et 77'120 strips AT______ H______. Or les avoirs du compte E______ LTD n° 13______ auprès de AE______ provenaient de 241'925 actions au porteur de la société Q______, dont il est établi que les numéros correspondent aux numéros des titres sortis le 1er décembre 2004 du coffre de B______ LTD à la banque T______ au Luxembourg.

Entre le 9 juillet 2012 et le 21 mai 2013, en neuf transactions, sur instructions de A______, l'intégralité des 125'320 actions H______ détenues sur le compte 16______ de G______ LTD ont été vendues, à un cours qui ne cessait de croître (cours de EUR 62.7 le 9 juillet 2012, et de EUR 75.46 le 21 mai 2013).

Entre juin 2011 et juin 2013, A______ a donné de nombreuses instructions de transfert de fonds (espèces) au débit du compte :

- huit transferts en faveur de la société BN______ à Luxembourg, pour un total de plus de EUR 760'000.-. Il ressort de l'audition du témoin X______, alors l'un des directeurs de BN______, que ces fonds étaient régulièrement mis à la disposition de A______ en liquide au Luxembourg, à sa demande et sur ses instructions, et que A______ était la seule personne à faire fonctionner le compte (rubrique G______ LTD) sur lequel ces fonds étaient transférés au Luxembourg ;

- deux transferts en faveur du compte n° 19______ ouvert par A______ le 19 octobre 2012 (et clôturé le 18 février 2013) en son nom propre auprès de [la banque] N______ à Genève, soit un transfert de GBP 1'240'000.- le 23 novembre 2012, et un virement de EUR 1'550'000.- le 18 décembre 2012 ;

- deux transferts en faveur du compte n° 4______ ouvert par A______ le 21 juin 2013 en son nom propre auprès de la banque K______ à Genève, soit un transfert de EUR 5'022'428.- le 26 juin 2013 et un transfert de GBP 2'343.26 le même jour.

l.d. Le 25 novembre 2013, A______ a signé les documents d'ouverture d'une nouvelle relation G______ LTD n° 7______ auprès de l'intermédiaire financier N______ à Genève (la précédente relation ouverte au même nom ayant été clôturée en juin 2013), en se désignant elle-même comme signataire autorisée sur le compte mais en désignant sur le formulaire A sa sœur F______ comme bénéficiaire économique de ce compte.

Elle a octroyé une procuration générale à sa sœur F______, qu'elle déclare ayant-droit économique du compte. A______ s'octroie à elle-même un pouvoir de signature individuel sur le compte. Elle indique à l'intermédiaire financier N______ que l'origine des fonds versés en compte provient de l'épargne familiale et professionnelle.

F______ a déclaré en octobre 2017 ignorer complètement l'existence de ce compte et n'avoir aucun souvenir des documents potentiellement signés par elle en lien avec ce compte.

La relation G______ LTD a été alimentée peu après son ouverture, sur instructions de A______, par des avoirs en provenance du compte G______ LTD n° 11______ (relation n° 12______) auprès de la banque AE______ à Genève.

Sur instructions de A______, les fonds versés sur ce compte G______ LTD ont fait l'objet de nombreux débits entre le 17 avril 2014 et le 13 juillet 2017 :

• plus de EUR 870'000 au total en faveur de BN______ à la banque BO______ au Luxembourg ;

• plusieurs virements en GBP (pour un total d'environ GBP 40'000) en faveur soit d'un compte au nom de BP______ LTD à [la banque] BQ______ de Londres (étant rappelé que BP______ LTD correspond au nom de l'étude BR______, c'est-à-dire l'étude d'avocats de A______, et que celle-ci était alors domiciliée à Londres), soit pour payer un écolage en Angleterre relatif à l'un des enfants de A______ ;

• un débit de EUR 174'255 correspondant au paiement d'une tranche d'un investissement immobilier à BS______ au Maroc. Interrogée à ce propos en octobre 2017, F______ a indiqué n'avoir jamais entendu parler de ce projet d'acquisition immobilière.

C. a. En raison de la situation sanitaire et de la santé de A______, après plusieurs tentatives de fixer des débats, la juridiction d'appel a ordonné, à la demande de A______, l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord de toutes les parties.

b. Le Président de la CPAR a ordonné un complément d'expertise au sujet de R______, ainsi que de procéder à tout prélèvement utile (prise de sang et/ou prélèvement capillaire) susceptible de mettre en évidence la consommation dans la durée par R______ de substances psychoactives ainsi que leur nature.

b.a. D'après l'expertise toxicologique, R______ s'était intégralement rasé la tête avant le prélèvement, de sorte que seuls des poils thoraciques avaient pu être prélevés. Or l'analyse de ces derniers ne permettaient pas de montrer une consommation de substance dans le temps. En l'absence d'échantillons de cheveux, il était impossible de donner un historique de la consommation de R______.

Dans son sang et son urine avaient été mis en évidence de la morphine, de la cocaïne et des métabolites de cocaïne. Les benzodiazépines présentes dans l'urine et le sang suggéraient une consommation de diazépam (Valium). Enfin, du fentanyl (qui est un opioïde, utilisé pour l'anesthésie et le traitement postopératoire des douleurs) et un métabolite de fentanyl avaient été retrouvés dans l'urine.

b.b. Au niveau psychiatrique, l'expert maintenait son diagnostic (troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation de substances psychoactives multiples ; trouble psychotique) et assurait que R______ restait dans l'impossibilité d'être auditionné par la justice.

c. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions en les précisant néanmoins, concluant à l'irrecevabilité des conclusions civiles de B______ LTD, à l'absence de qualité de partie plaignante de cette dernière, de S______ et R______ ainsi qu'au classement de la procédure s'agissant des faits qualifiés de blanchiment d'argent aggravé, subsidiairement à son acquittement de ce chef, et demande le versement de CHF 82'750.-, avec intérêt à 5 % l'an depuis le 4 décembre 2019, au titre de réparation du tort moral subi du fait de sa détention et des mesures de substitution injustifiées.

d. C______ LTD CORP persiste dans ses conclusions, renonçant toutefois au prononcé d'une indemnité pour ses frais de défense.

e. Selon son mémoire d'appel et son mémoire réponse, B______ LTD persiste dans ses conclusions et conclut au rejet des autres appels.

f. F______ et G______ LTD persistent dans leurs conclusions.

g. La fondation D______ persiste dans ses conclusions.

h. Le MP persiste dans ses conclusions, demandant au surplus le rejet des appels de A______ et F______, B______ LTD, G______ LTD, C______ LTD CORP et la fondation D______.

i. Les arguments développés à l'appui des conclusions des parties seront discutés au fil des considérants ci-après, dans la mesure de leur pertinence.

D. A______ est née le ______ 1962 à BT______ au Maroc. Elle est mariée et mère de trois enfants majeurs. Elle a démissionné du barreau du Luxembourg en 2013 et s'est démise du barreau en Belgique en 2016. Avant 2017, ses revenus variaient entre GBP 5'000.- et 7'000.- par mois et étaient tirés de ses activités de consulting dans divers domaines. Elle possédait un domicile au Boulevard 17______ no. ______ à BS______ au Maroc.

À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, A______ est sans antécédents. Elle a été condamnée le 26 octobre 2017 par la Cour de cassation du Luxembourg pour recel et tentative d'escroquerie à une peine privative de liberté de 24 mois, dont 15 avec sursis. Elle a bénéficié, après avoir été mise en détention le 13 décembre 2019, de la libération conditionnelle le 23 avril 2020.

EN DROIT :

1.             Les appels et l'appel joint sont recevables pour avoir été interjetés et motivés selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398, 399 et 401 CPP).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2.             L'appelante A______ demande à la CPAR de nier la qualité de partie plaignante de B______ LTD et des frères R______/S______.

2.1.       Au sens de l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil.

La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction.

2.2.       En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte. Les droits touchés sont les biens juridiques individuels tels que la vie et l'intégrité corporelle, la propriété, l'honneur, etc. (ATF 141 IV 1 consid. 3.1).

La déclaration de partie plaignante doit avoir lieu avant la clôture de la procédure préliminaire (art. 118 al. 3 CPP), soit à un moment où l'instruction n'est pas encore achevée. Dès lors, tant que les faits déterminants ne sont pas définitivement arrêtés sur ce point, il y a lieu de se fonder sur les allégués de celui qui se prétend lésé pour déterminer si tel est effectivement le cas. Celui qui entend se constituer partie plaignante doit toutefois rendre vraisemblable le préjudice et le lien de causalité entre celui-ci et l'infraction dénoncée (ATF 141 IV 1 consid. 3.1).

2.3.       En l'espèce, les frères R______/S______ ne sont d'ores et déjà plus parties à la procédure qui se déroule devant la juridiction d'appel, de sorte que la question de leur qualité de partie plaignante ne se pose plus, étant effectivement relevé que c'était bien la société B______ LTD qui selon les agissements de A______ décrits dans l'acte d'accusation paraît avoir été lésée.

Par ailleurs, il sera considéré que B______ LTD bénéficie de la qualité de partie plaignante, dans la mesure où la société a rendu vraisemblable son préjudice et le lien de causalité entre celui-ci et l'infraction dénoncée. Elle n'a d'ailleurs en apparence pas renoncé à ses prétentions civiles dans la procédure belge, à laquelle elle n'était pas partie. La question de la transparence entre les actionnaires et leur société ou plutôt de l'opposabilité du désistement d'action des frères R______/S______ en lien avec l'annulation de don de leur mère adoptive envers A______ ne doit pas être réglée à ce stade de la procédure, d'autant plus au regard des considérants qui suivent.

La conclusion de A______ portant sur la qualité de partie plaignante de B______ LTD, laquelle sera confirmée, sera rejetée.

3.             3.1. Avant d'examiner la réalisation ou non des éléments constitutifs du blanchiment d'argent, il convient d'analyser la violation du principe ne bis in idem invoquée par l'appelante A______.

Elle argue que les faits pour lesquels elle avait été jugée et acquittée au Luxembourg faisaient indéniablement partie d'un ensemble de faits indissociablement liés, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), à ceux faisant l'objet de la présente procédure. La justice luxembourgeoise avait examiné l'intégralité des faits s'étant déroulés entre le retrait des titres du coffre en novembre 2004 et leur supposée restitution en février 2006 et des circonstances dans lesquelles elle était entrée puis restée en possession des 915'000 titres litigieux. Dans la présente procédure, elle était renvoyée en jugement pour le blanchiment d'argent du produit d'un crime préalable que le MP avait construit précisément autour des mêmes faits que ceux déjà examinés par la justice luxembourgeoise. Si la découverte des actions litigieuses postérieurement au jugement luxembourgeois consistait en un fait nouveau, ce qui était contesté, seule la justice luxembourgeoise aurait été à même de déterminer une réouverture de la procédure. L'interdiction de la double poursuite constituait un empêchement de procédure au sens de l'art. 329 al. 4 CPP, de sorte que la procédure devait être classée.

Elle produit un avis de droit, qui parvient à la conclusion que les faits dont l'appelante avait été acquittée au Luxembourg étaient indissociablement liés à ceux qui lui étaient reprochés dans la présente procédure.

3.2.       Le principe ne bis in idem est garanti par l'art. 4 par. 1 du Protocole additionnel n° 7 à la CEDH du 22 novembre 1984 (RS 0.101.07; ci-après: Protocole n° 7), ainsi que par l'art. 14 par. 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclu à New York le 16 décembre 1966 (Pacte ONU II; RS 0.103.2). La règle ne bis in idem découle en outre implicitement de la Constitution fédérale (ATF 137 I 363 consid. 2.1 p. 365). Sous la note marginale "interdiction de la double poursuite", l'art. 11 al. 1 CPP prévoit également qu'aucune personne condamnée ou acquittée en Suisse par un jugement entré en force ne peut être poursuivie une nouvelle fois pour la même infraction.

Les dispositions de la Convention d'application de l'Accord de Schengen 14 juin 1985 (CAAS) sont mises en œuvre et appliquées en Suisse en vertu de l'art. 2 ch. 1 en lien avec l'annexe A partie 1 de l'Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse, l'Union européenne et la Communauté européenne sur l'association de la Confédération suisse à la mise en œuvre, à l'application et au développement de l'acquis de Schengen (Accord sur l'acquis Schengen – RS 0.362.31). Le Luxembourg, membre de l'Union européenne, est partie à la CAAS.

Selon l'art. 54 CAAS, une personne qui a été définitivement jugée par une partie contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la partie contractante de condamnation. Conformément à l'art. 55 par. 1 et 2 CAAS, la Confédération suisse a émis une réserve en déclarant n'être pas liée par l'art. 54 CAAS, notamment lorsque les faits visés par le jugement étranger ont eu lieu soit en tout, soit en partie sur son territoire; dans ce dernier cas, cette exception ne s'applique cependant pas si ces faits ont eu lieu en partie sur le territoire de la Partie contractante où le jugement a été rendu (Déclarations et communications de la Suisse relatives à l'Accord sur l'acquis Schengen).

Le Tribunal fédéral a déterminé que l'autorité de la chose jugée et le principe ne bis in idem supposaient qu'il existe une identité de faits visés par les procédures pénales (ATF 123 II 464 consid. 2b p. 466; 125 II 402 consid. 1b p. 404; 120 IV 10 consid. 2c p. 12). Cette interprétation est identique à celle donnée à l'art. 54 CAAS par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

La CJUE a jugé que le seul critère pertinent aux fins de l'application de l'art. 54 CAAS est celui de l'identité des faits matériels, compris comme l'existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles. Pour déterminer s'il existe un tel ensemble de circonstances concrètes, les instances nationales compétentes doivent déterminer si les faits matériels des deux procédures constituent un ensemble de faits indissociablement liés dans le temps, dans l'espace ainsi que par leur objet (arrêts de la CJUE Kraaijenbrink du 18 juillet 2007,
C-367/05, point 26 et 27 ; Van Esbroeck du 9 mars 2006, point 36 et 38 ; Gasparini e.a. du 28 septembre 2006, C‑467/04, point 54 et 56, et Van Straaten du 28 septembre 2006, C-150/05, point 48 et 52). La seule circonstance que l'auteur présumé a agi avec la même intention criminelle ne saurait suffire pour assurer l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles (arrêt Kraaijenbrink précité, point 26 et 27).

La jurisprudence de la CJUE écarte la prise en compte de différents intérêts juridiques poursuivis (arrêt Kretzinger du 18 juillet 2007, C-288/05, point 34).

3.3.       Dans les considérants non publiés de l'ATF 137 IV 79, le Tribunal fédéral a relevé que l'infraction de corruption poursuivie en Italie et la poursuite pour blanchiment d'argent en Suisse ne semblaient pas couvrir les mêmes faits. Faute cependant pour le Ministère public de la Confédération (MPC) d'avoir pu démonter l'arbitraire dans les considérants de l'autorité précédente, la Haute-Cour avait rejeté son recours et confirmé l'application du principe ne bis in idem (arrêt du Tribunal fédéral 6B_221/2010 du 25 janvier 2010 consid. 2.2, non publié in ATF 137 IV 79).

Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a retenu dans ses considérants qu'en vertu du principe ne bis in idem, un acquittement prononcé à l'étranger ou en Suisse à l'égard du crime préalable, pouvait avoir pour conséquence, suivant ce que contenait la motivation du jugement, que l'auteur acquitté du crime préalable ne pouvait plus être poursuivi en Suisse pour blanchiment (décision de la Cour des plaintes BB.2014.123 du 17 juin 2015 consid. 5.4). Cette juridiction a cependant récemment retenu que même s'ils procédaient d'une même intention criminelle, le fait de détenir dans un État le produit d'un trafic de stupéfiants, et de le blanchir dans un autre, ne constituaient pas des mêmes faits, auxquels s'appliquerait la règle ne bis in idem (décision de la Cour des plaintes BB.2021.75 du 28 juin 2022 consid. 2.2.2 ; arrêt Kraaijenbrink précité, point 36 ; cf. également ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 5ème éd. 2019, n. 664 p. 723).

3.4.       En l'espèce, selon les documents en possession de la CPAR, l'appelante A______ a été acquittée du chef de vol sinon d'abus de confiance par jugement du 19 novembre 2015, confirmé par arrêt de la Cour d'appel du Grand-Duché de Luxembourg du 25 octobre 2016.

Dans l'acte d'accusation de la présente procédure, le descriptif de l'acte préalable commence par le paragraphe suivant : "Il est désormais établi que A______ n'a pas volé ni pris indument possession à un autre titre, en vue de se les approprier, de ces 915'000 titres Q______ le 1er décembre 2004, c'est-à-dire lorsqu'elle les a sortis du coffre n° 18______ de B______ LTD à la banque T______", qui est suivi plus loin par cette phrase : "Il s'agit (…) d'une autre prévention que celle pour laquelle A______ a bénéficié d'un acquittement à Luxembourg" (acte d'accusation p. 9). L'appréciation juridique des faits ("vol", "indument pris possession à un autre titre") n'est cependant pas pertinente dans l'examen du principe ne bis in idem, seule l'identité matérielle devant être examinée. Malgré l'indication selon laquelle le complexe de faits poursuivi au Luxembourg était différent, le MP genevois paraît en substance retenir, au titre de l'infraction préalable, que l'appelante s'est approprié illégitimement les titres Q______.

En tout état, il appert au regard de ce qui suit que l'appelante n'est pas poursuivie pour les mêmes faits en Suisse que ceux pour lesquels elle l'était au Luxembourg.

Les deux procédures se rapportent à des faits distincts, qui se sont produits, contrairement à ce que l'appelante soutient, en un autre lieu et à une autre date. Les faits poursuivis au Luxembourg y avaient été prétendument commis le 1er décembre 2004 tandis que ceux faisant l'objet de la présente procédure l'ont prétendument été en Suisse, les valeurs patrimoniales ayant été déposées puis transférées sur des comptes bancaires suisses, durant la période du 21 juillet 2005 (p. 13 de l'acte d'accusation) au 13 juillet 2017 (p. 19 de l'acte d'accusation, pt 2.13).

Dans la procédure luxembourgeoise, il s'agissait de savoir si l'appelante avait dérobé ou détourné frauduleusement, au préjudice de W______, 915'000 actions entreposées dans un coffre ouvert au nom de la société B______ LTD. Aucune décision, cristallisée dans un dispositif, ne sera rendue dans la présente procédure sur la question du comportement de l'appelante en lien avec la détention litigieuse des 915'000 titres. Il ressort des considérants de l'arrêt luxembourgeois que la Cour luxembourgeoise n'a ni examiné, ni a fortiori tranché la question de la dissimulation des valeurs patrimoniales. Contrairement aux arrêts précités au consid. 2.3, la dissimulation des actions ne fait pas partie de l'infraction de vol et/ou abus de confiance luxembourgeois. Dans la procédure actuelle, la question dont les autorités pénales sont saisies porte sur la prétendue dissimulation des valeurs patrimoniales. Il n'y a dès lors pas d'ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles (cf. également K. VILLARD, L'application du principe ne bis in idem transnational à l'entreprise, RPS 3/2019, p. 329, qui distingue la réalisation d'une infraction et l'obtention de profits de leur dissimulation).

Une réflexion théorique ne fait pas parvenir à un autre résultat. Le Tribunal fédéral a confirmé que l'art. 305bis CP peut s'appliquer à celui qui recycle le produit d'un crime qu'il a lui-même commis (ATF 120 IV 323). Ainsi, au regard de la construction de l'infraction de blanchiment d'argent, dont l'un des éléments constitutifs objectifs est la commission d'une infraction préalable, une personne s'étant vue condamnée pour un crime ne pourrait jamais être condamnée pour blanchiment d'argent du produit de son crime si application du principe ne bis in idem était faite, ce qui reviendrait à vider de sa substance l'infraction. La doctrine estime d'ailleurs que le jugement pénal entré en force est suffisant pour apporter la preuve de la réalisation d'un acte préalable au blanchiment d'argent, preuve qu'elle ne considère pas problématique au regard de l'interdiction de la double poursuite l'utilisation par un tribunal d'un jugement exécutoire (cf. notamment M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 19 ad art. 305bis ; J.-B. ACKERMANN, Wirtschaftsstrafrecht der Schweiz, 2ème éd., Berne 2021, n. 96 ad § 15 ; S. TRECHSEL / M. PIETH, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, Zurich 2021, n. 11 ad art. 305bis).

L'état de fait qui fonde l'accusation n'étant pas identique, le principe ne bis in idem ne trouve pas application.

3.5.       Se pose encore la question de la reconnaissance en Suisse de jugements pénaux rendus par des autorités judiciaires étrangères, plus particulièrement de savoir si la CPAR est tenue de prendre en compte la décision d'acquittement de l'appelante, rendue par les autorités judiciaires luxembourgeoises, dans le cadre de son examen de l'infraction de blanchiment d'argent.

3.5.1.      Le Tribunal pénal fédéral s'est penché plusieurs fois sur la question de l'effet des jugements étrangers sur une procédure ouverte en Suisse mais sa pratique n'est pas constante (cf. également L. MOREILLON / M. VON WURSTEMBERGER, La reconnaissance mutuelle des décisions pénales et le principe ne bis in idem, RPS 2/2019 p. 121-140, p. 140).

La Cour des affaires pénales a d'abord retenu dans le TPF 2011 8 que lorsque le crime générateur des fonds blanchis en Suisse a été constaté dans un jugement étranger passé en force, le juge du blanchiment pouvait se fonder sur cette condamnation (arrêt de la Cour des affaires pénales SK.2010.9 du 24 novembre 2010 publié in TPF 2011 8 consid. 3.2.2). Un arrêt AARP/47/2019 de la CPAR a repris cette jurisprudence. Toujours dans la même décision du TPF, plus loin dans ses considérants, la juridiction a retenu qu'il serait peu soutenable d'admettre, de manière générale, que le non aboutissement d'une procédure étrangère emporterait d'emblée un non-lieu en faveur du prévenu dans le cadre de la procédure pour blanchiment d’argent en Suisse (arrêt SK.2010.9 précité consid. 3.2.6 non publié in TPF 2011 8 ; plus récemment BB.2016.78, BB.2016.79, BB.2016.80 consid. 4.4).

Appelé à statuer sur la confiscation de valeurs patrimoniales blanchies en Suisse, le le TPF a retenu qu'un juge suisse devait, sauf circonstances exceptionnelles, s'en tenir aux constatations du juge étranger au sujet de l'existence du crime préalable. Selon cette juridiction, la Suisse ne pouvait, ayant adhéré à l'espace Schengen, se soustraire à certains principes du droit pénal européen qui en découlent et notamment celui de la reconnaissance mutuelle des jugements (voir AMBOS, Internationales Strafrecht, 5ème éd. 2018, p. 439 ss. ; KLIP, European Criminal Law, 3ème éd. 2016, p. 373 ss ; PELOPIDAS ANDREOU, Gegenseitige Anerkennung von Entscheidungen in Strafsachen in der Europäischen Union, 2009 ; V. MITSILEGAS, EU Criminal Law, 2016, p. 148 ; M. JUPPE, Die gegenseitige Anerkennung strafrechtlicher Entscheidungen in Europa, 2007). La Cour de justice de l'Union européenne a retenu que le principe ne bis in idem de l'art. 54 CAAS impliquait une confiance réciproque entre les États de l'Espace Schengen vis-à-vis de leurs systèmes judiciaires respectifs, chacun devant admettre l'application du droit pénal en vigueur dans les autres États (cf. arrêt Gözütok et Brügge du 11 février 2003, Affaires jointes C-187/01 et
C-385/01, Rec. 2003 I-01345). L'art. 54 CAAS n'avait donc pas pour seul rôle de confirmer un droit fondamental subjectif, mais revêtait aussi une fonction objective en rapport avec le principe de reconnaissance mutuelle des jugements évoqué plus haut et la volonté des États adhérents à l’espace Schengen de garantir une plus grande efficacité et une plus grande coordination en matière de poursuite pénale transnationale. Dans un domaine comme celui du blanchiment d'argent et du crime organisé, la tendance non seulement européenne, mais internationale, suivie de manière cohérente par le législateur suisse consistait à établir un système global toujours mieux intégré. Un tel système suppose, en plus de l’assistance judiciaire qui en constitue l’élément principal, l'existence d’une confiance réciproque entre les États concernés. Cette confiance impose non seulement au juge de l'entraide, mais également au juge pénal du fond, une très grande réserve dans la possibilité de s’écarter des faits établis par l’autorité judiciaire étrangère (arrêt de la Cour des plaintes BB.2014.4 du 9 mai 2014, publié in TPF 2014 31 et SJ 2014 I 470, consid. 4.5 ; plus récemment arrêts de la Cour des plaintes BB.2020.62 du 15 juillet 2020 consid. 2.3 et de la Cour des affaires pénales SK.2019.61 du 1er juillet 2021 consid. 6.2).

3.5.2.      Une partie de la doctrine se fonde sur cette dernière jurisprudence du Tribunal pénal fédéral (BB.2014.4 du 9 mai 2014, publié in TPF 2014 31 et SJ 2014 I 470) pour soutenir qu'une décision étrangère sur le fond bénéficie en tout état de la protection de l'art. 54 CAAS, invoqué in casu par la défense (cf. R. ROTH / L. MOREILLON, Portée et exploitabilité dans une procédure pénale suisse d’éléments de preuve recueillis dans le cadre d’une procédure pénale étrangère dans des conditions illégales. Lex loci ou lex fori ?, RPS 139/2021 p. 159, p. 164 ; L. MOREILLON, Blanchiment et crime préalable reconnu à l’étranger par … obiter dictum?, in Y. JEANNERET / B. STRAÜLI, Empreinte d'une pionnière sur le droit pénal, Mélanges en l'honneur d'Ursula Cassani, Zurich 2021).

3.5.3.      Or, le Tribunal fédéral a tranché que l'art. 54 CAAS ne règle pas, de manière générale, la question de savoir dans quelle mesure un État membre est lié par une décision pénale rendue dans un autre État membre. La disposition ne traite expressément que du principe ne bis in idem (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_1269/2016 du 21 août 2017 consid. 3.3 ; 6B_947/2015 du 29 juin 2017 consid. 8.1). Il a également jugé admissible de faire abstraction d'un jugement d'acquittement étranger dans une procédure menée en Suisse, étant précisé que le cas examiné par la juridiction suprême concernait deux personnes différentes, l'une poursuivie puis acquittée en Autriche et l'autre condamnée en Suisse, dans un même complexe de faits (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_947/2015 consid. 8.1).

En tout état, le droit actuel ne semble pas contraindre le juge pénal du fond à tenir compte, dans le cadre de son appréciation des faits, d'un jugement étranger portant la culpabilité ou non d'un prévenu, hormis dans les cas explicitement prévus dans la loi, comme l'exception notable susmentionnée de l'interdiction de la double poursuite étendue à l'espace Schengen (cf. supra consid. 2.2 ; art. 54 CAAS ; L. MOREILLON / M. VON WURSTEMBERGER, La reconnaissance mutuelle des décisions pénales et le principe ne bis in idem, RPS 137/2019 121 ss, p. 131) ou encore l'exécution des décisions pénales (notamment de la peine), prévue dans la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale (cf. 1 al. 1 let. d et art. 94 ss EIMP). S'agissant des arrêts du TPF, il paraît douteux que la Suisse, en adhérant à l'espace Schengen, ait soumis implicitement ses tribunaux à un principe de reconnaissance mutuelle des jugements. Ce principe paraît en réalité consacré dans le droit de l'Union européenne, plus précisément à l'art. 82 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, auquel la Suisse n'est pas partie (art. 82 TFUE ; cf. pour plus de développement, notamment sur les décisions cadres, L. MOREILLON / M. VON WURSTEMBERGER, op. cit., p. 123 ss). Il n'est en outre pas reconnu que la confiance réciproque entre les États membres de Schengen impose au juge pénal du fond une très grande réserve dans la possibilité de s'écarter des faits établis par l'autorité judiciaire étrangère.

3.5.4.      Il ressort de ce qui précède que la CPAR n'est pas liée par les constatations des autorités judiciaires luxembourgeoises d'autant plus qu'elles ont été rendues sans connaissance de certains faits découverts dans la procédure suisse. À l'instar de la façon de procéder du Tribunal fédéral, il conviendra de prendre en compte le jugement luxembourgeois comme un moyen de preuve (cf. notamment ATF 145 IV 470 consid. 4.6), soumis comme les autres à l'appréciation de la CPAR, en lien notamment avec tous les autres éléments de preuve dont elle dispose (art. 10 al. 2 CPP). La libre appréciation des preuves implique que l'état de fait retenu pour construire la solution doit être déduit des divers éléments et indices, qui doivent être examinés et évalués dans leur ensemble (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1169/2017 du 15 juin 2018 consid. 1.1 ; 6B_608/2017 du 12 avril 2018 consid. 3.1).

La procédure ne sera partant pas classée pour les faits qualifiés de blanchiment d'argent.

A______ succombe sur ce point.

Du blanchiment d'argent

4.             4.1. Au sens de l'art. 305bis CP, se rend coupable de blanchiment d'argent celui qui aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié.

L'article 305bis ch. 3 CP dispose que l'auteur du blanchiment est aussi punissable lorsque l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est punissable dans l'État où elle a été commise.

4.2.       Le blanchiment d'argent suppose en premier lieu l'existence de valeurs patrimoniales provenant d'un crime – au sens de l'art. 10 al. 2 CP, soit d'une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans –, ou d'un délit fiscal qualifié.

L'exigence de la provenance criminelle des valeurs patrimoniales blanchies suppose qu'il puisse être établi de quelle infraction principale (ou préalable) les valeurs patrimoniales proviennent. La preuve stricte de l'acte préalable n'est toutefois pas exigée. Il n'est pas nécessaire que l'on connaisse en détail les circonstances du crime, singulièrement son auteur, pour pouvoir réprimer le blanchiment. Le lien exigé entre le crime à l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est ainsi volontairement ténu (ATF 138 IV 1 consid. 4.2.2 p. 5).

Le Tribunal fédéral a considérablement assoupli les exigences en la matière et renoncé à une preuve stricte de l’acte préalable. Il n'en va pas moins que la provenance d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié est un élément essentiel de l'art. 305bis CP, sans lequel l’infraction serait privée de ses contours, et qu’il appartient au procureur d'établir les éléments à charge. Il faut donc au moins exiger que les faits soient élucidés avec suffisamment de précision pour que les avoirs puissent être attribués causalement à une activité constitutive d’une infraction non prescrite représentant un crime ou un délit fiscal qualifié (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ [éds], Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 31 ad art. 305bis).

4.3.       En l'occurrence, le MP estime en substance que la possession de 915'000 titres par l'appelante résultait d'une infraction contre le patrimoine, commise à l'encontre de B______ LTD ou à l'encontre de R______ et S______, autour du 15 décembre 2004 mais en tout état avant le 17 mars 2005.

4.4.       Il convient dans un premier temps de se demander pour quelle(s) raison(s) les titres litigieux ont été émis puis retirés de la banque.

A______ et W______ ont requis ensemble le 29 septembre 2004 l'émission de 915'000 titres au porteur. Cela n'étant pas contesté, il sera parti du principe qu'il s'agit des titres litigieux, même si le lien entre ce courrier et les titres prélevées de la banque le 1er décembre 2004 n'est pas formellement démontré par pièces.

La seule justification pour cette opération donnée par A______ l'a été en première instance (GE), soit que l'émission avait été réalisée en vue de sa rémunération (PV TCO p. 13, cf. supra consid. c.a.b.). Contrairement à ce qui figure dans le jugement du TCO, il n'a pas été question lors d'une audition au MP (GE) de "constituer une réserve en faveur de la vicomtesse" (cf. non pas en pièce 5'000'437 comme cité en p. 4 du jugement mais pièces 5'000'438 et 5'000'442), de sorte que A______ n'a pas donné des explications contradictoires.

Les autres éléments au dossier ne permettent pas d'apprécier isolément cette explication au sujet de l'émission des actions, dans la mesure où rien ne la confirme ou ne l'infirme en tant que tel. Le banquier X______ a déclaré que l'explication fournie à la banque était que W______ voulait tenir ces titres au coffre. Le fait qu'un coffre avait été loué et qu'une assurance avait été souscrite n'est pas non plus une preuve que les actions avaient été soustraites contrairement à la volonté des ayants-droit, d'autant plus que c'est A______ qui était en contact avec la banque et qui avait formulé une telle demande. Il n'est pas établi qu'elle avait cherché par là à cacher quelque chose à la famille R______/S______/U______/W______, mais en tout état certainement pas à la banque, qui ne pouvait qu'être informée de la possession des titres par A______, dans la mesure où ces derniers avaient été remis à elle directement par le personnel de T______.

La justification donnée par A______ reste ainsi plausible, tout comme une autre thèse, contraire, selon laquelle elle a profité du manque de maîtrise de W______ sur ses affaires et de sa faiblesse, en raison du fait que son époux était en fin de vie, pour devenir administratrice de B______ LTD et lui faire signer ce document pour faire émettre les actions sous forme de titres au porteur, dans le but de se les approprier. W______ a dit n'avoir jamais entendu parler de B______ LTD, alors que la demande est faite au nom de B______ LTD. Cependant, la faiblesse de W______ reste difficile à établir, notamment au regard des rapports médicaux figurant à la procédure. Cela n'est d'ailleurs pas l'objet de la présente cause. En tout état, cette thèse ne trouve que difficilement appui sur des preuves du dossier et n'est pas celle soutenue par le MP.

4.5.       Il n'est pas contesté que A______ a retiré le 1er décembre 2004 de la banque les 915'000 actions litigieuses, en sa qualité d'administratrice de la société B______ LTD.

Ses explications tenues dans la procédure luxembourgeoise, selon lesquelles elle avait retiré les 915'000 actions à titre fiduciaire, ne seront pas prises en compte dans la mesure où elle a reconnu avoir menti sur certains points ou tout au plus avoir été imprécise ou incomplète (cf. également consid. 3.7 infra).

Elle a expliqué au MP (GE) le 20 décembre 2017 et au TCO avoir agi sur demande de W______, alors hospitalisée, cette dernière voulant la rémunérer. Selon ses explications au TCO, elle-même n'avait pas pu accepter les titres, n'ayant pas préparé ses factures. Les frères R______/S______ étaient reparti avec eux et les lui avaient remis le 15 décembre 2004, après que W______ l'informait par courrier du 13 décembre 2004 vouloir les lui donner pour la remercier de ses services. Elle avait montré ses factures aux frères R______/S______.

Devant le TCO, S______ a déclaré ne pas avoir le souvenir que sa mère ait demandé à A______ d'aller chercher des titres Q______ à la banque T______. Il n'avait jamais reçu ces titres, ni ne les avait ramenés à Bruxelles et n'avait pas vu A______ remettre à sa mère ces titres le 1er décembre 2004 ou à une autre date. Ni lui-même ni son frère n'avaient demandé à A______ de retirer ces titres (PV TCO p. 29).

À ce stade toujours, il paraît difficile d'établir quelles déclarations sont les plus crédibles. L'authenticité de la lettre manuscrite des frères R______/S______ du 13 décembre 2004, selon laquelle ils confirmaient à W______ lui avoir confié 915'000 actions Q______, n'a pas été remise en question, quand bien même S______ a en audition contesté sa teneur ou a nié l'avoir lue avant signature. On peut en déduire qu'ils ont été en possession des titres début décembre 2004 et donc que la version de A______ est confirmée, mais cela semble douteux. En effet, le déroulé des faits qu'elle a décrits semble assez compliqué et peu rationnel. Il est en effet surprenant que W______ alors affaiblie sur un lit d'hôpital et en deuil de son mari ait ressenti l'urgence de rémunérer son avocate. Il ne semble y avoir aucun intérêt à agir dans la précipitation, sauf si d'aucuns se seraient inquiétés d'une disparition soudaine de leur deuxième mandant, avant d'avoir été payés. Il paraît également compliqué que les actions aient été emmenées à Bruxelles par les frères R______/S______ avant qu'elles les lui aient été remises deux semaines plus tard. Le témoignage de AC______ n'aide en rien car il paraît trop détaillé si longtemps après les faits. Cette dernière est en outre en conflit ouvert avec S______ pour des questions pécuniaires et elle paraît trop impliquée pour que son témoignage ne soit pas entaché. Quant à la version de S______, il est relevé qu'elle n'est que moyennement convaincante, ce dernier s'étant comme souvent contenté de déclarer ne pas avoir de souvenirs ou de nier les faits. Il a évidemment un intérêt à ne pas se rappeler, vu qu'il a demandé par l'intermédiaire de sa société la restitution de ces actions, tout comme A______ pourrait présenter un intérêt à adapter la réalité, pour pouvoir garder ces titres.

Une thèse probable est que A______ soit tout simplement entrée en possession des actions le 1er décembre 2004, sans les amener à l'hôpital et que toutes ces explications aient été fournies pour donner un sens aux pièces produites ou découvertes. Cela ne veut pas encore dire qu'elle s'est approprié illégitimement les actions.

Il convient dès lors d'examiner les déclarations de l'appelante ainsi que des autres participants à la procédure et les pièces, notamment en relation avec les explications données pour déterminer si sa possession des titres était légitime ou non.

4.6.       L'appelante a de façon constante expliqué devant les autorités genevoises avoir reçu les actions au titre de rémunération de son mandat. Or, elle avait prétendu lors de la procédure luxembourgeoise avoir restitué les actions aux frères R______/S______.

Cette variation peut s'expliquer de différentes manières. En tout état, elle n'a pas pu adopter la même position au Luxembourg qu'en Suisse, dans la mesure où la trace des titres avait été retrouvée en 2016, avant sa première audition le 14 septembre 2017, sur les comptes à Genève des sociétés C______ LTD CORP, AJ______ INC et AK______ dont elle était ayant-droit économique. Elle ne pouvait ainsi pas alléguer ne pas être en leur possession. Il est difficile de déterminer s'il s'agit d'un indice sur la capacité de l'appelante à adapter sa stratégie en fonction des éléments à la procédure ou si, conformément à ses déclarations, elle ne s'exposait plus à une problématique fiscale une fois la prescription atteinte.

Le contexte de la procédure au Luxembourg paraît crucial pour comprendre sa posture. Alors qu'elle est entendue par le juge d'instruction le 25 novembre 2010, les frères R______/S______ viennent de déposer le 12 octobre 2010, par un autre avocat, leurs conclusions en désistement de l'action en constatation de la nullité de la donation du 15 décembre 2004 faite par W______ (cf. consid. d.a.a supra). Sa stratégie de nier toute possession des titres, même si elle est mensongère, peut se concevoir, étant rappelé qu'elle était dans son droit de ne pas dire la vérité. On a vu dans la présente procédure comme chaque pièce a pu être discutée et remise en cause par la partie adverse. Elle a également déclaré au MP (GE) avoir eu intérêt "à raconter des histoires", car les litiges entre les fils R______/S______ et la Fondation AV______ étaient à ce moment-là à un point crucial (cf. consid. d.i et d.l. supra). Pour mémoire, le contrat de transaction avait été conclu le 23 septembre 2010. En tout état, elle a également dit ne pas être dans une disposition de pouvoir dire à la Fondation AV______ : "Tenez, voilà l'acte par lequel j'ai moi-même reçu ces actions en paiement de la part de B______ LTD pour le compte de C______ LTD CORP, mais W______ était ou trop vieille pour savoir ce qu'elle faisait, ou elle ne s'en souvenait pas, ou encore il y avait des désaccords entre W______ et les fils R______/S______". On peut imaginer que, dans les conflits opposant les parties, l'histoire des 915'000 actions n'avait pas intérêt à apparaître. Ensuite, lorsque les litiges ont surgi avec les frères R______/S______ en 2013, sa stratégie de nier la possession des titres avait également du sens. Elle a déclaré au MP (GE) qu'elle n'allait "évidemment" pas dire un mot sur ce qu'il était advenu des 915'000 titres à l'avocat des frères R______/S______, qui lui annonçait que ses deux clients ou leur société B______ LTD se constituaient ou venaient de le faire comme parties plaignantes contre elle dans un procès (consid. d.k. supra).

Son changement de version entre les deux procédures ne sera pas retenu à sa charge et s'explique à tout le moins par le contexte dans lequel la procédure luxembourgeoise était inscrite.

Au regard des conflits avec ses anciens clients, il est aussi explicable qu'elle n'ait en 2006 pas mentionné au nouveau conseil de W______ les honoraires qu'elle avait reçu deux ans auparavant, bien que son comportement ait violé son obligation de reddition de compte. Elle était depuis le début de l'année en opposition avec cette dernière. Elle a également affirmé que "tout le monde savait quels accords avaient été passés, tout le monde était d'accord", ce qui n'est, on le verra infra, pas exclu.

Se pose aussi la question des informations fournies aux banques suisses. Le fait d'avoir remis l'acte de donation à certaines banques suisses pour justifier sa possession des actions peut relever d'un acte d'opportunité de sa part, n'ayant pas besoin de s'expliquer davantage, "ça tenait dès le départ". Elle a réfuté avoir induit les banques suisses en erreur en produisant un acte sans aucune portée selon ses termes, car W______ reconnaissait par la donation le travail effectué et venait valider la remise des titres en paiement par B______ LTD (consid. d.i. supra). On peut imaginer que l'origine de sa fortune pouvait être mieux comprise en raison de ce don par une riche personnalité belge plutôt que par une convention de règlement d'honoraires entre deux sociétés BU______ (B______ LTD et C______ LTD CORP, pièces 5'000'022 et 5'000'023), ce qu'elle a d'ailleurs déclaré ("personne ne connaissait B______ LTD"). Elle avait présenté à d'autres banques en Suisse la convention à 1% pour justifier la provenance de ses actions et non celle à 10% par souci de discrétion sur son patrimoine, ce qui est également plausible (consid. d.l.).

Les déclarations de A______ n'ont ainsi pas, en tant que telles, une valeur probante faible.

4.7.       Si l'on se base sur les pièces figurant à la procédure, la situation de la rémunération de A______ ne paraît pas claire, étant précisé qu'il n'est pas contesté qu'elle avait droit à une rémunération.

A______ a exercé plusieurs mandats pour la famille R______/S______/U______/W______, du début des années 2000 à 2012/13. Le principal nous intéressant est le premier, soit celui ayant duré jusqu'à la fin 2004, portant en partie sur la recherche des actifs de W______, mais aussi sur la structuration de sa vie familiale. B______ LTD a dans son mémoire réponse critiqué la prétendue ampleur de ce mandat et soutient qu'il n'y avait en 2004 ni motif ni fondement pour les époux U______/W______ de convenir avec leur avocate d'une prime de 10 %, correspondant à un montant de l'ordre de EUR 20 millions, pour retrouver les titres Q______. Or, au regard du dossier, on ignore tout de la situation à l'époque. Certes, la structuration du patrimoine des époux U______/W______ n'a pas semblé requérir une activité intense de la part de A______. Quant aux titres, ils ont été retrouvés sans que l'on sache l'étendue des recherches, étant précisé que W______ n'a lors de son audition à la police (LU) pas évoqué une telle perte, se référant au surcroît à la fiduciaire qui gardait ses titres. Elle a cependant affirmé cela bien après que les titres aient été retrouvés, ce qui ne permet de pas savoir si elle avait eu l'information de A______ ou si elle maîtrisait réellement son patrimoine avant 2004. X______, qui avait à l'époque un important intérêt à voir arriver sur les comptes de sa banque plus de 8 millions de titres Q______, a déclaré n'avoir jamais vu une cliente avec un tel niveau de fortune sans en avoir aucune maîtrise (consid. b.a. supra). Un courrier, retrouvé a posteriori, de la fiduciaire qui gardait pour W______ les titres Q______ daté de 2002 ne permet pas d'en déduire que A______ n'avait pas dû mener, sur mandat des époux, des recherches poussées pour réunir les actions.

Bien qu'une rémunération de 10 % sur l'ensemble des actifs puisse paraître excessive, sans être toutefois abusive, figurent à la procédure un grand nombre de documents qui démontrent la remise des actions à A______ au titre de sa rémunération. Chaque pièce peut être interprétée dans un sens ou un autre, confirmer une hypothèse ou en soutenir une autre, ce que les parties ne se sont pas abstenues de faire.

Certes, ces pièces paraissent sujettes à caution. Avant tout, hors de tout contexte, les diverses conventions et notes d'honoraires produites ne peuvent pas coexister ou que difficilement. En effet, elles chiffrent toutes différemment la même créance, la créancière étant parfois C______ LTD CORP ou d'autres fois A______ et les débiteurs B______ LTD ou U______ et W______, voire leurs fils. Concrètement, une note de frais de C______ LTD CORP indique un montant total de EUR 16'761'245 (note de frais et honoraires du 15 décembre 2004, pièce 5'000'022), tandis qu'une convention de règlement d'honoraires porte sur EUR 15'900'000.- (convention du 15 décembre 2004 conclue entre B______ LTD et C______ LTD CORP, pièce 5'000'023) ou la convention à 10 % mènerait le montant des honoraires à une fourchette entre EUR 16'359'200.- et EUR 22'493'900.- (pièce 5'000'018 ; 10 % de 8'179'600 d'actions retrouvées, dont la valeur par action était estimée entre EUR 20.- et EUR 27.5) et celle à 1 % à une fourchette entre EUR 1'635'920.- et EUR 1'635'920.- (pièce 5'000'094 ; 1 % de 8'179'600 d'actions retrouvées, à la valeur susmentionnée). Il a aussi été question d'un don par W______ le 13 ou 15 décembre 2004 des 915'000 actions, estimées à une valeur entre EUR 18'300'000.- et EUR 25'162'500.-, à A______ et non à sa société (don manuscrit du 13 décembre 2004 au dos d'une enveloppe, pièce 5'000'158, ou un acte daté du 15 décembre 2004, pièce 1'000'076), confirmé par un courrier des frères R______/S______ du 17 juin 2008 (pièce 5'000'026 / 27). Il existe aussi un courrier de ces derniers, dans lequel ils demandaient à W______ de remettre les titres à A______ à titre de don (lettre manuscrite du 13 décembre 2004, pièce 5'000'0156). Il figure même à la procédure un courrier manuscrit de R______ du 2 février 2006 duquel il ressort que les actions leur avaient été restituées, ce qui était simplement impossible (pièce 5'000'025).

A______ a prétendu que le choix des montants ou des qualifications des documents (success-fee, donation, etc.) avait été réalisé par les membres de la famille R______/S______/U______/W______, ce dont elle ne pouvait être tenue pour responsable (p. 31 mémoire d'appel). Si on ignore si c'était formellement elle qui gérait exclusivement leurs affaires (comme semblait le soutenir W______ et S______), il convient de relever qu'elle a admis avoir rédigé certaines de ces pièces et que, en tant qu'avocate, elle aurait pu demander à ses clients une clarification. La prétendue négligence de ses anciens clients ne suffit pas à expliquer les contradictions entre les pièces. Elle a cependant raison de dire qu'elle n'a pas cherché par ces différents actes à être doublement, triplement ou plus rémunérée.

A______ a pu donner pour chaque apparente contradiction un éclaircissement.

Elle a rappelé le fait que le courrier de R______ du 2 février 2006 selon lequel les actions avaient été restituées n'engageait que lui. Il sera revenu plus tard sur les allégations de dictée par A______ aux frères R______/S______ soutenues par la partie plaignante, étant déjà relevé que R______ ne s'est jamais exprimé à ce sujet, faute pour lui d'avoir comparu dans la présente procédure. A______ a reconnu dans la présente cause que les actions ne lui avaient pas été restituées. Elle avait produit ce document dans la procédure luxembourgeoise, alors que cela correspondait à sa stratégie de l'époque comme on l'a déjà vu.

A______ a expliqué que le don n'en était pas un et correspondait à une rémunération de la part de W______, peu importe dès lors que cette dernière n'était pas propriétaire des titres à l'époque (contrairement à B______ LTD, à qui les titres avaient été cédés) ou que l'acte date du 13 ou 15 décembre 2004. Cette affirmation peut tout aussi être véritable que fausse. Certes, W______ a déposé une action en annulation de don, ce qui jette un doute sur sa volonté à remettre à son avocate les titres. Les déclarations de A______ à ce sujet ne sont que moyennement convaincantes. Il sera toutefois considéré que W______ avait reconnu qu'elle avait été d'accord de lui donner "quelque chose". Vu que ses relations avec son avocate s'étaient détériorées, on ignore si une introduction d'une telle requête ne s'inscrivait pas dans un contexte conflictuel plus large et dans une perspective de remettre en cause toutes les conventions passées. Ses fils ont ensuite retiré la demande en justice, sous la plume d'un autre avocat que l'appelante (il sera à nouveau discuté plus bas de la capacité de discernement des frères R______/S______), signe qu'ils ne remettaient plus en question cette libéralité. Le premier don avait été rédigé à la main puis enregistré par une notaire en France, plusieurs mois après. Effectivement, le faux testament pour lequel A______ a été condamnée au Luxembourg avait également été rédigé par la main de W______, ce dont on peut déduire qu'il a pu arriver à cette dernière d'écrire des textes sous la dictée, la suggestion ou l'inspiration de l'appelante. Sa condamnation au Luxembourg retenait cependant qu'elle lui avait fait croire que l'argent irait dans une fondation. Mais rien de tel en l'espèce. On ignore totalement ce qu'elle aurait pu lui faire croire. On ne peut au demeurant en conclure que chaque lettre ou autre document de la main de la défunte a été rédigé sous la commande de A______, d'autant plus qu'il s'agit là de deux actes distincts (le don, puis l'enregistrement du don) à plusieurs mois d'intervalle. Surtout, d'autres documents attestent de la facturation d'honoraires de A______ à la famille R______/S______/U______/W______.

Il convient de se pencher sur les conventions d'honoraires à 1 et 10 %, signées, soit par les époux U______/W______, soit par l'intégralité de la famille. A______ a expliqué les variations entre ces deux conventions par les différents mandats qu'elle a exercés pour la famille. La convention à 1 % couvrait la première activité et la seconde convention portait sur la recherche des actifs. Contrairement aux fourchettes réalisées juste au-dessus, les assiettes de calculs différeraient, toujours selon A______, ce qui justifierait la remise d'un total de 915'000 actions, estimée à EUR 20.- au moment des négociations (795'000 en exécution de la convention à 10 % [EUR 15'900'000.-] et 120'000 [EUR 2'400'000.-] en exécution de celle à 1 %). Ces explications sont sur le principe plausibles, contrairement à celles faites au sujet de l'âge de W______. X______ a déclaré avoir vu la convention à 10 %. Il a souligné en quoi elle l'avait marqué, ce qui penche en faveur de sa crédibilité. Mais la note interne à la banque du 12 août 2005 le contredit, dans la mesure où il a inscrit avoir personnellement vu la convention à 1 %. Ce fait n'exclut pas la thèse de l'existence de deux conventions. Son témoignage, presque 15 ans après les faits, n'est dès lors pas déterminant, sans qu'on ait besoin de se pencher sur le fait qu'il aurait obtenu, d'après B______ LTD, de A______ beaucoup d'argent, ce qui selon les parties plaignantes lui donnerait un intérêt à ne pas dire la vérité (cf. mémoire de B______ LTD p. 48 ss). On ne peut établir si elle a véritablement cherché à cacher au MP la convention à 1 % ou si elle n'avait effectivement produit que les documents qu'elle avait au moment de son arrestation, étant rappelé qu'elle a été extradée de Grèce en Suisse, et qui étaient suffisants pour démontrer sa possession. Elle a reconnu avoir peut-être manqué de clairvoyance sur l'organisation de sa défense, cet aveu pouvant être retenu à décharge.

Il est en revanche équivoque que la convention à 10 % ne porte pas le paraphe des débiteurs sur la deuxième feuille. Cela laisse supposer que la page réglant les honoraires a été opportunément remplacée, thèse soutenue par le MP et B______ LTD mais contestée par A______. Les copies authentiques, dont on sait qu'elles forment une unité, ne sont d'aucune utilité, dans la mesure où la seconde page a pu être substituée avant leur authentification. Des quatre personnes concernées et signataires, seule une, soit S______, a pu être entendue et a nié l'authenticité de cette convention, comme toutes les pièces paraissant à son désavantage. Si comme A______ l'a prétendu, les conventions ont été rédigées au même moment, il n'existe aucune raison à part la thèse des parties adverses pour expliquer l'absence de paraphe sur la page des honoraires – la plus importante, contrairement aux usages et surtout à la convention à 1 %. On ne peut expliquer pourquoi W______ et U______ aurait paraphé la seconde page de cette dernière convention mais pas celle de la convention à 10 %.

Cette convention à 10 % paraît réellement douteuse et demeure ainsi impropre à démontrer une possession légitime des titres. Il est cependant troublant de retrouver ce même pourcentage dans la convention de règlement d'honoraires datée du 15 décembre 2004 (pièce 5'000'023), signée par les frères R______/S______, bien que S______ en ait contesté l'authenticité.

Figure également à la procédure un accord, signé par les frères R______/S______, du 15 décembre 2004 entre B______ LTD et C______ LTD CORP pour le paiement d'un honoraire de résultat de 1 % acquitté au moyen de 120'000 titres au porteur de la société Q______ (pièce non numérotée). Ces deux documents, à savoir ce dernier accord et la convention de règlement d'honoraires du même jour (10 % du résultat, pièce 5'000'023), rendent plausible la version de A______, selon laquelle deux rémunérations, respectivement de 1 et 10 %, avaient été convenues avec la famille R______/S______/U______/W______.

Il y a aussi le rapport de la police luxembourgeoise du 7 mars 2007, sur lequel B______ LTD s'appuie pour indiquer qu'elle avait déjà bénéficié d'honoraires. Or, outre le fait que la CPAR n'est pas en possession des pièces sur lesquelles se fonde le rapport, il convient de relever que la moitié à tout le moins des frais provient apparemment du remboursement de frais de notaire, s'élevant à EUR 249'000.- (cf. annexe du rapport, tableau réalisé par la police, pièce non référencée, classeur "Procès-verbaux et rapports"). Pour le surplus, il s'agit principalement de frais de déplacement ou un versement mensuel, correspondant plus ou moins au montant que W______ avait évoqué en audition. À ce sujet, il ne paraît pas non plus déterminant que, postérieurement aux faits, A______ ait perçu un honoraire mensuel de EUR 10'000.- tel que l'a déclaré W______, les mandats étant distincts.

Il ressort de tout ce qui précède que les documents figurant à la procédure ne permettent pas d'établir avec exactitude les créances dues par la famille R______/S______/U______/W______ à A______ pour son activité. On ignore la teneur exacte des arrangements conclus entre la famille R______/S______/U______/W______ et cette dernière.

Manifestement, les documents versés à la procédure posent un certain nombre de problèmes et s'avèrent dans leur ensemble peu probants. Cela ne suffit pas pour retenir que la famille, plus précisément les frères R______/S______, étaient opposés à toute forme d'honoraires. Il n'est en tant que tel pas contesté que des sommes d'argent importantes étaient dues en rémunération des mandats de A______, comme démontré infra. Il reste difficile à établir si l'établissement de ces pièces, postérieurement à l'exécution desdits mandats, visait à masquer des malversations ou simplement à légitimer par écrit la volonté des parties.

4.8.       S______ l'a déclaré, A______ et son père avaient tout arrangé s'agissant de ses honoraires. Il est plausible que les négociations sur la rémunération de l'avocate se soient déroulées oralement (déclarations de A______, consid. d.d., mais également d.e. supra), surtout pour des motifs de discrétion. U______ ne paraissait également pas très intéressé par la formalisation des actes, référence étant faite à l'absence de déclaration de revenus en Belgique. Vu les opérations réalisées juste après son décès, il n'est pas exclu que des accords aient été passés pour sauvegarder les intérêts de ses fils (cf. notamment la cession de B______ LTD, propriétaire de plus de 7 millions d'actions H______). A______ a d'ailleurs confirmé s'être engagée à s'occuper des "affaires de la famille" après sa mort (audition devant le MP du 9 janvier 2018). Sans évoquer les conventions d'honoraires à 1 ou 10 %, les accords de convention de règlement de frais ont bel et bien été signées par ses fils, sans qu'il ne s'agisse de blanc-seing à la lecture de l'expertise graphologique. Il existe par ailleurs deux courriers manuscrits des frères R______/S______ des 13 décembre 2004 et 17 juin 2008, par lequel ils ont confirmé la donation faite par leurs soins en 2004, par le biais de leur mère, mais sur leurs avoirs personnels issus de leur société B______ LTD. À ce sujet, les libéralités de W______ comptent également, tout comme le fait qu'elle a reconnu avoir été partiellement d'accord de donner quelque chose à A______. S______ a prétendu que son frère et lui n'avaient pas compté régler les notes d'honoraires de leurs parents sous la forme de titres, mais il convient de rappeler qu'ils n'avaient aucun autre bien à l'époque. Pour couronner le tout, les frères R______/S______ ont requis le désistement de l'action en annulation de don, démontrant par là qu'ils étaient en désaccord avec la démarche entreprise par leur mère.

Le fait d'avoir refusé toute reddition de compte, notamment de justifier son activité ou d'être transparente sur ses honoraires, étant rappelé qu'elle avait nié être en possession des titres litigieux, peut être un indice de la volonté de A______ de cacher à ses anciens clients certains faits, si l'on considère que les frères R______/S______ n'étaient véritablement pas au courant de cette possession, ce qui n'est pas établi. On peut cependant aussi retenir qu'il s'agissait d'une volonté de les agacer ("je n'avais pas à remettre à Me BZ______ l'intégralité de mes archives" ; "je n'ai donc pas estimé nécessaire de remettre les documents dont nous discutons aujourd'hui"). À l'aune de ce qui est su aujourd'hui, elle n'avait aucun intérêt à réagir aux courriers des frères R______/S______, notamment au regard du fait qu'ils s'étaient constitués parties plaignantes dans la procédure luxembourgeoise, dans laquelle les titres étaient recherchés.

La théorie de B______ LTD (p. 39 du mémoire réponse) selon laquelle A______ s'est rendue compte après coup que la donation de W______ n'avait aucune valeur, vu qu'elle n'était plus propriétaire des titres, et qu'elle ait ainsi dicté la lettre des frères R______/S______ prétendument rédigée le 13 décembre 2004, qui en étaient les véritables détenteurs, ne trouve nullement assise dans le dossier, ni d'ailleurs dans l'acte d'accusation.

Les éléments susmentionnés – et toutes les incertitudes du dossier – ne permettent pas d'exclure que la prévenue a passé avec la famille R______/S______/U______/W______, et principalement avec U______, qui gérait le patrimoine familial, un accord pour sa rémunération, dont on ignore la véritable étendue. Il convient également de se rappeler du contexte, soit que les membres de la famille R______/S______/U______/W______ voulaient se montrer discrets, notamment vis-à-vis des autorités fiscales belges. Il n'est pas non plus exclu que A______ ait craint de voir W______ décéder avant que la question de ses honoraires ne soit réglée, en se doutant que sa succession allait être complexe, ce qui a effectivement été le cas. Si cela est vrai, les choses ont été faites très malhabilement mais dénotent sa volonté, par tous les moyens, de démontrer sa légitimité à détenir les actions litigieuses. Ou alors, cette masse de documents et d'informations peut aussi démontrer une grande volonté délictuelle de A______. Il est d'emblée précisé que le MP ne soutient pas que ces pièces aient été destinées à masquer une infraction. Celui-ci estime néanmoins qu'elle a commis une infraction qu'il convient désormais d'examiner.

4.9.       La thèse du MP est reproduite au considérant b.a. du présent arrêt.

4.9.1. De prime abord, il convient de relever que la vulnérabilité des frères R______/S______ aux alentours de décembre 2004 n'est pas établie.

À cette date, ils étaient jeunes mais majeurs. Ils étaient certes devenus orphelins peu avant, mais il s'agit de la seule information dont la CPAR dispose au sujet de leur vie à cette époque. Contrairement à ce que soutient B______ LTD dans son mémoire de réponse, il n'est pas topique que les frères R______/S______ étaient dans le désarroi au moment du décès de leur mère adoptive, qui dans un courrier à R______ rappelle qu'ils ne se voyaient que très peu (p. 40 du mémoire). W______ est en effet décédée en 2008. A______ n'a ainsi pas pu tirer quatre ans après les faits un quelconque profit du désarroi de ses fils adoptifs, comme B______ LTD le soutient, pour s'approprier les actions.

A______ avait probablement une place centrale dans la famille, mais on ne peut en déduire une "dépendance totale vis-à-vis d'elle" ou que les frères R______/S______ ne comprenaient pas ce qu'ils signaient. On sait qu'ils ont suivi des études, même si S______ ne les a pas terminées, contrairement à son frère. Il appert qu'ils étaient capables de lire les documents qu'on leur présentait. On peut croire S______ lorsqu'il a dit avoir de la peine à comprendre un texte à caractère juridique. Dans la présente procédure, il ne s'agit cependant que de notes de frais et conventions d'honoraires, sur des sommes très importantes, ce qui n'est pas hors de portée pour une personne sans formation juridique. Lors de l'instruction, S______ a déclaré sur présentation d'une pièce qu'il se serait souvenu si on lui avait présenté une note de frais comportant un tel montant, signe qu'il est capable de réagir devant un montant.

Personne n'a prétendu que A______ leur mentait en présentant des documents à signer, on ignore ainsi à quels faits se réfère le MP quand il indique que A______ avait induis "volontairement [les frères R______/S______] en erreur par l'affirmation de faits faux". S______ a d'ailleurs déclaré que A______ lui donnait des explications sur les sociétés quand il les lui demandait. Il a dit avoir systématiquement signé des documents sans les lire et ne se souvenir de rien, mais peut soudainement affirmer avec aplomb n'avoir jamais vu une convention précise ou entendu parler de C______ LTD CORP, ce qui interpelle. Il a également déclaré avoir "bien sûr" sa capacité de discernement lorsqu'il avait hérité de W______. On peut douter de la qualité de ses souvenirs et lui reprocher une mémoire sélective. Aussi, contrairement à ce que B______ LTD soutient dans son mémoire réponse, S______ n'a pas tenu des déclarations précises et détaillées chargeant l'accusée, même si elles ont été dans une mesure constantes, vu qu'il a très souvent allégué ne se souvenir de rien (cf. p. 9 et notamment note 4 du mémoire de réponse).

Il paraît également étonnant pour S______ de soutenir avoir ignoré que A______ était en possession des titres, dans la mesure où son frère et lui ont "emprunté" (en réalité, il s'agissait d'une remise d'actions pour les affecter à la constitution du capital-actions de deux sociétés) 100'000 actions Q______, bien que B______ LTD a paru contester que ces actions proviennent des 915'000 titres, en contradiction toutefois d'une position dans une note de son conseil du 26 juin 2017 (pièce 6'120'000). Pourtant, quand il est interrogé sur le fait qu'elle lui a prêté des actions entre 2006 et 2007 et qu'il aurait pu déduire qu'elle avait en sa possession des actions Q______, il n'a rien pu dire et a soutenu avoir été à l'époque drogué, ce qui interpelle.

Lorsque R______ est entendu par la police au Luxembourg, se présentant comme administrateur de sociétés, il répond de façon claire et circonstanciée aux questions posées, qui portent sur B______ LTD, Z______ SA et les titres Q______. Il s'est rendu régulièrement dans les établissements bancaires. Les gérants de P______ ont rapporté qu'il était particulièrement impliqué, à l'inverse de son frère. Le fait qu'ils reconnaissent qu'un des deux était plus investi que l'autre renforce leur crédibilité. L'implication de R______ trouve également assise dans le dossier, notamment dans les déclarations de X______ ou les rapports internes de la banque P______ (pièce 5'000'601). L'image qu'on se représente de lui quelques temps après les faits à la lecture du dossier dénote complètement de celle qui ressort de l'acte d'accusation.

4.9.2. L'utilisation de blanc-seing dans le cas précis n'est également pas certaine.

On sait grâce à l'expertise graphologique que la note de frais et honoraires ainsi que la convention de règlement d'honoraires du 15 décembre 2004 ont été signés après leur impression, contrairement à ce que S______ avait soutenu.

Les documents produits par B______ LTD des années 2010 à 2012, dont on pourrait déduire une pratique de blanc-seing, datent de largement après les faits.

Les lettres et notes rédigées à la main par les frères R______/S______, dont la teneur est très claire et ne peut porter à confusion, ne peuvent être des blancs-seings, tout comme celles de W______.

4.9.3. S______ a prétendu que ces lettres leur avaient été dictées alors qu'ils étaient sous emprise de stupéfiants. Or, leur incapacité de discernement en raison de consommation de drogue ou d'alcool n'est pas non plus établie.

Au MP, S______ a déclaré avoir encore eu "toute sa tête" en 2004, année des faits. Bien qu'il tempère, juste après, en indiquant avoir été perdu à la suite du décès de son père, il a aussi évoqué comme motif de sa perte de mémoire le décès de sa mère adoptive, pour mémoire en 2008, soit bien après les faits. Lui-même n'a pu indiquer à partir de quelle date sa capacité de discernement aurait été sérieusement altérée. Il n'a pas été plus précis devant le TCO. Lorsqu'il a évoqué des fêtes de plusieurs jours sans dormir et du fait que son cerveau était malmené, il n'a pas évoqué de période. De telles habitudes de vie ou de consommation ne riment au demeurant pas systématiquement avec une incapacité totale et permanente de discernement. Il n'existe pas de preuve au dossier que sa capacité de prendre des décisions était altérée. En tout état, selon l'historique médical établi par ses avocats, sa première hospitalisation date de mai 2007. Il a mentionné des épisodes antérieurs mais sans plus de précisions. Les témoignages produits, selon lesquels il était constamment ivre ou drogué, n'indiquent pas de dates ou de périodes.

Il est en de même pour R______. La Cour a bien pris acte des expertises attestant de son incapacité à procéder en justice. Selon son frère, il était dépendant au Stilnox. Or la première mention d'une surconsommation de médicaments dans son historique médical date de 2007. L'injection de morphine, sous contrôle médical, date de 2010, soit plus de cinq ans après les faits. Elle est en plus destinée à lui permettre de pouvoir travailler, indice que sa capacité de discernement ne devait pas être complètement altérée comme cela est cependant soutenu. Son trouble psychotique a été diagnostiqué par les experts dans le cadre de la présente procédure en juillet 2019. Il est équivoque que, malgré ce trouble, il ait planifié et se soit effectivement rasé le crâne quelques jours avant un prélèvement capillaire auquel il devait s'attendre, empêchant de la sorte les experts de déterminer sa consommation de substance dans le temps. Il est tout autant étrange qu'il puisse se rendre en 2018 en vacances dans le sud de la France s'il était véritablement "totalement incapable de se déterminer de façon cohérente et de maintenir son attention". Quoiqu'il en soit, on ignore son état au moment déterminant, à savoir aux alentours de décembre 2004, mais rien n'établit qu'il fût altéré.

Il n'est ainsi nullement démontré que les frères R______/S______ étaient vulnérables et dans une dépendance totale vis-à-vis de A______.

Il subsiste en l'état des doutes sur la version des faits retenue par le MP, soit que les frères R______/S______ ignoraient en raison de leur vulnérabilité qu'ils signaient la convention d'honoraires à 10 % (étant précisé qu'ils n'ont pas paraphé la seconde page et qu'il est en soit litigieux qu'ils aient véritablement signé cette convention) puis qu'ils ne se sont pas rendus compte qu'ils signaient les accords de paiement ainsi que les notes de frais et honoraires du 15 décembre 2004. D'autant plus que, comme on l'a vu ci-dessus, que la volonté de la famille R______/S______/U______/W______ de rémunérer A______ ressort du dossier, même si l'ampleur de la rémunération est sujette à des divergences entre les parties.

4.9.4. Surtout, il n'est pas établi que les accords de paiement signés par les frères R______/S______ le 15 décembre 2004 soient à l'origine de l'appropriation des actions par A______ probablement le 1er décembre 2004. Le MP n'est à ce sujet pas entièrement clair sur le nombre d'actions qu'il reproche à A______ de s'être appropriées. Si une infraction avait été commise, elle l'aurait été avant la période pénale indiquée dans l'acte d'accusation, soit la période préalable et jusqu'au 1er décembre 2004. En tout état, même si les frères R______/S______ étaient détenteurs de B______ LTD au moment des faits, il paraît peu probable que A______ ait obtenu d'eux qu'ils accomplissent des actes préjudiciables à leurs intérêts patrimoniaux en lien avec l'appropriation des actions Q______. En effet, elle paraît en avoir pris simplement possession à la banque en sa qualité d'administratrice de B______ LTD, ce qui n'a pas été instruit par le MP. L'intervention des frères R______/S______ par leur signature n'a pas aidé ou permis ses agissements. Il est probable que ces derniers ne lui ont pas remis volontairement ces actions, contrairement à ce qui figure dans l'acte d'accusation, même si cela n'est pas établi. Même si en toute hypothèse, selon la CPAR non vérifiée, elle avait poussé les frères R______/S______ à signer des documents alors qu'ils étaient sous son influence, ces pièces auraient plutôt servi à camoufler ou à justifier des agissements, contraires ou non au droit, fiscal ou pénal général, plutôt que d'être à l'origine de la prise de possession des actions par A______, ce qui n'est nullement soutenu par les parties plaignantes ou le MP et ce que la CPAR ne peut partant retenir.

Faute de pouvoir démontrer la réalisation d'une infraction préalable, A______ doit être acquittée du chef de blanchiment d'argent. Le jugement entrepris sera réformé.

Faux dans les titres

5.             5.1. L'art. 251 ch. 1 CP réprime le comportement de celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre. Cette disposition vise tant le faux matériel que le faux intellectuel.

Dans les cas de très peu de gravité, le juge pourra prononcer une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire (art. 251 ch. 2 CP).

5.2.       L'art. 251 CP vise tant le faux matériel, qui consiste dans la fabrication d'un titre faux ou la falsification d'un titre, que le faux intellectuel, qui consiste dans la constatation d'un fait inexact, en ce sens que la déclaration contenue dans le titre ne correspond pas à la réalité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_589/2009 du 14 septembre 2009 consid. 2.1).

De la convention à 10 %

5.3.       Comme cela ressort des considérants supra, il existe à la procédure deux conventions d'honoraires, non datées, pratiquement identiques, signées par U______ et W______, selon les exemplaires, parfois avec les frères R______/S______ en sus. La grande différence entre ces conventions est contenue dans la seconde page et porte sur l'honoraire de résultat, une fois fixé à 1 % des avoirs, et l'autre fois à 10 %, étant précisé que la définition des avoirs varie également entre les deux conventions.

La seconde page de la convention à 10 % n'est pas paraphée. Il n'existe aucune raison pour justifier l'absence de paraphe sur la page la plus importante de la convention, ce contrairement aux usages et à la pratique de la famille (cf. convention à 1 % notamment). A______ a en outre soutenu que ses clients auraient signé les conventions au même moment, ce qui rend encore plus inexplicable l'omission d'un tel paraphe.

Or, d'une part, il a été démontré ci-dessus que les faits n'étaient pas suffisamment établis pour pouvoir soutenir que l'avocate n'avait pas le droit à une telle rémunération. On ignore d'autre part et surtout si ce document produit a véritablement été fabriqué sans le consentement de la famille R______/S______/U______/W______, notamment au regard des autres documents signés ou écrits par les membres de cette dernière, qui confirment plus ou moins le montant de 10 %. Il n'est ainsi pas établi que A______ avait l'intention de tromper le MP ou les parties plaignantes en faisant usage de cette convention pour démontrer la possession légitime de ces titres.

Elle sera partant acquittée de faux dans les titres et le jugement de première instance réformé sur ce point.

Des formulaires A

5.4.       Un formulaire A, dont le contenu est inexact quant à la personne de l'ayant droit économique, constitue un faux dans les titres au sens de l'art. 251 CP (cf. arrêts 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 8.3.3.2 non publié aux ATF 145 IV 470; 6S_293/2005 du 24 février 2006 consid. 8, in SJ 2006 I 309).

5.5.       En l'espèce, F______ ne conteste que la confiscation des avoirs placés sur le compte G______ LTD et le compte ouvert à son nom à M______. Elle ne critique pas la mesure ordonnée par le TCO sur le compte de G______ LTD auprès de l'établissement N______ (n° 7______) ou ne demande pas la restitution d'avoirs transférés en partie depuis les comptes litigieux sur le compte de A______ ouvert auprès de la banque K______. Il s'agit d'un premier indice que les avoirs à l'époque contenus sur les trois comptes AE______ et N______ (n° 16______ et n° 7______) n'étaient pas les siens.

Renforce cette hypothèse, le fait que F______ ait déclaré au MP n'avoir jamais entendu parler de ces comptes, peu importe que sa sœur ait expliqué en appel qu'elle n'était pas en état de connaître ses affaires. Elle-même ne l'a pas, ou ne prétend plus qu'elle était titulaire des biens déposés sur les trois comptes en cause. A______ ne conteste pas que les fonds déposés sur ces comptes provenaient directement et exclusivement des titres Q______ litigieux, déposés sur des comptes dont elle s'était déclarée comme étant la seule ayant droit économique.

C'est ainsi à tort qu'elle a indiqué que sa sœur était ayant droit économique sur trois formulaires A lors de l'ouverture des comptes G______ LTD n° 11______ (relation n° 12______) auprès de la banque AE______, n° 16______ et n° 7______ auprès de l'intermédiaire financier N______.

Sa culpabilité de chef de faux dans les titres sera confirmée et son appel rejeté sur ce point.

5.6.       F______ et G______ LTD affirment en revanche que la première est ayant droit économique du compte n° 5______ ouvert au nom de la seconde auprès de [la banque] M______ à Genève.

Certes, l'origine des fonds déposés par A______ après l'ouverture du compte provient de 100'000 actions Q______, comprises dans le lot de 915'000 actions déposées sur le compte B______ LTD. F______ a cependant soutenu, alors que sa sœur était en détention, que ces avoirs lui avaient été versés en liquidation de la succession de son défunt mari, ancien associé de A______. Cette dernière a confirmé ces explications. Elles ressortent également des documents internes de la banque, selon lesquels les avoirs sur le compte de G______ LTD provenaient de la répartition de la fortune familiale. Au regard cependant de la question qui se pose en lien avec l'infraction de faux dans les titres, l'origine des fonds peut être laissée ouverte.

En effet, à la grande différence des autres comptes bancaires, F______ avait la maîtrise du compte et était la seule interlocutrice des gestionnaires. En 2016, elle a demandé la révocation des pouvoirs de sa sœur sur ses comptes. Elle décidait des mouvements et bénéficiait de plusieurs cartes bancaires à son nom, qu'elle utilisait. En parallèle, sur une période limitée, A______ puis sa fille ont certes débité du compte des montants d'argent mais toujours sous le contrôle et la validation de F______. Le 18 mai 2017, un million d'euros a été transféré sur le compte de cette dernière en vue d'un achat immobilier en Belgique, indice supplémentaire qu'elle était la propriétaire des avoirs déposés sur le compte.

Il semble ainsi très plausible que F______ était bien l'ayant droit économique du compte G______ LTD à [la banque] M______, conformément à ce qui est indiqué sur le formulaire A.

Ainsi, A______ sera acquittée du chef de faux dans les titres s'agissant du formulaire A de cette banque.

6.             6.1. Le faux dans les titres est réprimé par une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

6.2.       Selon l'art. 2 al. 1 CP, la loi pénale ne s'applique qu'aux faits commis après son entrée en vigueur (principe de la non-rétroactivité de la loi pénale). Cependant, en vertu de l'art. 2 al. 2 CP, une loi nouvelle s'applique aux faits qui lui sont antérieurs si, d'une part, l'auteur est mis en jugement après son entrée en vigueur et si, d'autre part, elle est plus favorable à l'auteur que l'ancienne (exception de la lex mitior). Il en découle que l'on applique en principe la loi en vigueur au moment où l'acte a été commis, à moins que la nouvelle loi ne soit plus favorable à l'auteur (ATF 147 IV 241 consid. 4.2.1 p. 246).

Pour déterminer quel est le droit le plus favorable, il y a lieu d'examiner l'ancien et le nouveau droit dans leur ensemble et de comparer les résultats auxquels ils conduisent dans le cas concret. Le nouveau droit ne doit être appliqué que s'il conduit effectivement à un résultat plus favorable au condamné (ATF 147 IV 241 consid. 4.2.2 p. 246).

Dans la mesure où le nouvel art. 34 al. 1 CP prévoyait une diminution de la peine pécuniaire maximale de 360 à 180 jours-amende, le nouveau droit vise à réduire le champ d'application de la peine pécuniaire et par conséquent à accroître celui de la peine privative de liberté. Aussi, l'ancien régime des peines était, à tout le moins sous cet angle, moins sévère que le droit en vigueur depuis le 1er janvier 2018 (ATF 147 IV 241 consid. 4.3.2).

En l'occurrence, vu la quotité de la peine concrètement adéquate, le nouveau droit n'est pas plus favorable à l'appelante, de sorte qu'il convient d’appliquer l’ancien droit.

6.3.       Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1).

6.4.       Aux termes de l'art. 42 al. 1 aCP, le juge suspend en règle générale l'exécution d'une peine pécuniaire, d'un travail d'intérêt général ou d'une peine privative de liberté de six mois au moins et de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

6.5.       Au sens de l'art. 51 CP, le juge impute sur la peine la détention avant jugement subie par l’auteur dans le cadre de l’affaire qui vient d’être jugée ou d’une autre procédure. Un jour de détention correspond à un jour-amende ou à quatre heures de travail d’intérêt général.

L'art. 14 EIMP règle la question de l'imputation sur la peine prononcée en Suisse de la détention extraditionnelle subie à l'étranger et renvoie à l'art. 51 CP (arrêt 6B_794/2017 du 18 avril 2018 consid. 1.4).

Si des peines de nature différente sont prononcées en même temps, la détention avant jugement doit être imputée sur la peine principale, indépendamment du fait que celle-ci soit assortie du sursis ou non. Ainsi, la détention sera imputée en premier lieu sur la peine privative de liberté, puis sur la peine pécuniaire et enfin sur l'amende (ATF 135 IV 126 consid. 1.3).

6.6.       En l'espèce, la faute de l'appelante n'est pas négligeable. Elle a donné à trois reprises de fausses informations à la banque par l'entremise de formulaires A, en indiquant que sa sœur était l'ayant-droit économique de comptes bancaires. Elle a ainsi porté atteinte pour des motifs égoïstes, à savoir cacher sa propre détention des avoirs, à la confiance qui, dans les relations juridiques, est placée dans un titre comme moyen de preuve. Sa situation personnelle, confortable à l'époque, n'explique pas ses agissements. Sa collaboration n'a pas été bonne et elle n'a exprimé aucun regret ou remise en question. Au moment des faits, elle n'avait aucun antécédent judiciaire.

Au regard de ce qui précède, la peine pour un premier faux dans les titres sera fixée à 100 jours-amende, aggravée de deux fois 75 jours-amende pour tenir compte des règles sur le concours (peine hypothétique pour chacun des faux dans les titres : 100 jours-amende). La peine sera ainsi de 250 jours-amende. Elle est la même que celle fixée par le TCO probablement pour cinq faux dans les titres, bien qu'il n'y ait aucune mention ou motivation à ce sujet, alors que deux acquittements ont été prononcés en appel. La peine fixée est cependant adéquate pour réprimer les trois faux dans les titres subsistants.

L'unité du jour-amende fixé à CHF 300.- est adéquat. La Cour estime que la peine prononcée devrait être désormais de nature à permettre à A______ de comprendre la gravité de sa faute et de lui éviter toute récidive. Elle sera donc assortie du sursis, avec un délai d'épreuve de trois ans.

L'appelante a subi 46 jours de détention extraditionnelle, selon les calculs effectués par le TCO en p. 56 du jugement auxquels il est renvoyé, et 244 jours de détention provisoire. 250 de ces jours de détention avant jugement seront imputés sur la peine.

Le jugement de première instance sera réformé dans le sens qui précède.

L'appel joint du MP qui portait sur la peine sera rejeté.

7.             7.1. Au sens de l'art. 126 al. 1 CPP, le tribunal statue sur les conclusions civiles présentées lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu (let. a) ou lorsqu'il acquitte le prévenu et que l'état de fait est suffisamment établi (let. b).

Il renvoie la partie plaignante à agir par la voie civile lorsque le prévenu est acquitté alors que l’état de fait n’a pas été suffisamment établi (art. 126 al. 2 let. d CPP).

7.2. En l'espèce, l'appelante a été acquittée des faits sur lesquels la partie plaignante fonde ses conclusions civiles. Il ressort des considérants supra que l'état de fait est loin d'être suffisamment établi pour permettre à la CPAR de statuer sur les conclusions civiles déposées par B______ LTD. Il n'est en effet pas démontré que la détention des titres par l'appelante découle d'une appropriation illégitime et pénale.

Par ailleurs, la CPAR n'est pas compétente pour examiner les prétentions découlant d'une prétendue obligation contractuelle de restituer les titres que l'appelante aurait détenu par l'effet d'une délégation de possession (cf. p. 16 du mémoire d'appel de B______ LTD et arrêt du Tribunal fédéral 6B_1310/2021 du 15 août 2022 destiné à la publication).

Partant, B______ LTD sera renvoyé à agir par la voie civile.

Le jugement de première instance sera réformé.

L'appel de B______ LTD sera rejeté.

8.             8.1. Au sens de l'art. 70 al. 1 CP, le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits. D'après l'art. 71 al. 1 CP, lorsque les valeurs patrimoniales à confisquer ne sont plus disponibles, le juge ordonne leur remplacement par une créance compensatrice de l’État d’un montant équivalent.

L'indépendance juridique de la personne morale par rapport à la personne physique détenant celle-ci économiquement peut être exceptionnellement rompue par le biais de la théorie de la transparence (Durchgriff). Cela suppose, d'une part, qu'il existe une identité économique entre la personne morale et la personne physique qui se trouve derrière elle et, d'autre part, que l'invocation de l'indépendance juridique de la personne morale serve à contourner des dispositions légales ou à violer les droits des tiers. Ainsi, on ne saurait s'en tenir sans réserve à l'existence formelle de deux personnes juridiquement distinctes lorsque l'une d'elles est une personne morale qui se révèle être un simple instrument dans la main de son auteur, lequel, économiquement, ne fait qu'un avec elle. On doit dès lors admettre, à certains égards, que, conformément à la réalité économique, il y a identité de personnes et que les rapports de droit liant l'une lient également l'autre ; tel sera le cas chaque fois que le fait d'invoquer la diversité des sujets constitue un abus de droit ou a pour effet une atteinte manifeste à des intérêts légitimes (ATF 136 I 49 consid. 5.4 p. 60 s.; 132 III 489 consid. 3.2 p. 493).

8.2. En l'espèce, il n'est pas établi que les valeurs patrimoniales séquestrées proviennent d'une infraction, de sorte qu'elles ne peuvent être confisquées.

Il n'y a dès lors pas lieu de prononcer une créance compensatrice.

Les valeurs patrimoniales du compte n° 1______ ouvert au nom de C______ LTD CORP auprès de la banque I______ à Genève serviront, en vertu de la théorie de la transparence, à compenser à due concurrence la créance de l'État portant sur les frais de la procédure (art. 442 al. 4 CPP ; cf. infra). Un séquestre à hauteur de ces frais de procédure sera maintenu sur le compte.

Seront levés sans restriction les séquestres prononcés par le MP et le TCO sur les comptes suivants :

- compte n° 2______ ouvert au nom de J______ FUND auprès de [la banque] K______ à Genève.

- compte n° 3______ ouvert au nom de L______ auprès de K______ à Genève.

- compte n° 4______ ouvert au nom de A______ auprès de K______ à Genève.

- compte n° 5______ ouvert au nom de G______ LTD auprès de [la banque] M______ à Genève.

- compte n° 6______ ouvert au nom de F______ auprès de M______ à Genève.

- compte n° 7______ ouvert au nom de G______ LTD auprès de [la banque] N______ à Genève.

- compte n° 8______ ouvert au nom de la FONDATION D______ auprès de [la banque] O______ à Dubaï.

- compte n° 9______ ouvert au nom de E______ LTD auprès de [la banque] P______ à Singapour.

Le jugement entrepris sera réformé sur ces points.

Les appels de C______ LTD CORP, G______ LTD, F______ et la fondation D______ seront admis.

9.             9.1. En principe, les frais de procédure sont mis à la charge du canton qui a conduit la procédure (art. 423 al. 1 CPP). Cependant, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à charge du prévenu acquitté s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 426 al. 2 CPP).

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais ne constitue pas la sanction d'un comportement contraire au droit pénal mais plutôt la réparation d'un dommage consécutif à un comportement fautif, en d'autres termes une responsabilité proche de celle qui découle du droit civil en cas de comportement illicite (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334 ; ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 168 ss). Le but est d'éviter que l'État doive assumer les frais d'une enquête ouverte en raison d'un comportement fautif d'un justiciable, ce qui serait insatisfaisant et même choquant (ATF 116 Ia 162 consid. 2d/bb p. 173).

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 et les références citées).

Selon la jurisprudence, la violation des devoirs du mandataire envers le mandant peut justifier que soient mis à la charge du mandataire les frais afférents à une procédure pénale ouverte contre lui en raison d'infractions contre le patrimoine (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_1090/2020 du 1er avril 2021 consid. 2.1.1).

Au sens de l'art. 400 al. 1 CO, le mandataire est tenu, à la demande du mandant, de lui rendre en tout temps compte de sa gestion et de lui restituer tout ce qu’il a reçu de ce chef, à quelque titre que ce soit.

9.2. En l'espèce, A______ a manifestement omis de rendre compte précisément à ses anciens clients de sa gestion. Elle a par-là contribué à faire naître le soupçon d'une réalisation d'une infraction contre leur patrimoine, ce qui était de nature à provoquer illicitement et fautivement l'ouverture d'une procédure pénale.

Au regard de ces considérations, l'imputation de l'intégralité des frais d'instruction et de première instance à la prévenue se justifie.

9.3. Au sens de l'art. 428 al. 1 CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé.

9.4. La fondation D______, C______ LTD CORP, F______ et G______ LTD obtiennent intégralement gain de cause, dans la mesure où les séquestres frappant leurs comptes seront levés. Elles ne supporteront aucun frais de procédure d'appel.

A______ obtient gain de cause sur la majeure partie de son appel, mais succombe au sujet de sa demande de classement de la procédure, de la négation de la qualité de partie plaignante de B______ LTD, de trois faux dans les titres et de la peine. Elle supportera un tiers des frais de la procédure d'appel.

B______ LTD voit son appel sur ses conclusions civiles entièrement rejeté, lequel n'a cependant pas entraîné de frais particulier, et succombe sur ses conclusions portant sur l'appel de A______ et des tiers saisis. La société devra supporter un tiers des frais d'appel.

Il en est de même pour le MP (rejet de son appel joint qui n'a pas occasionné de frais et rejet de la plupart de ses conclusions sur l'appel de A______ ainsi que des tiers saisis). Un tiers des frais de la procédure sera partant laissé à la charge de l'État.

Les frais de la procédure d'appel comprennent un émolument de décision de CHF 30'000.- (art. 14 al. 1 let. e du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]).

10.         10.1. Au sens de l'art. 429 al. 1 let. a et c CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure et à une réparation du tort moral subi en raison d’une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté.

10.2. Au sens de l'art. 431 al. 1 CPP, si le prévenu a, de manière illicite, fait l'objet de mesures de contrainte, l’autorité pénale lui alloue une juste indemnité et réparation du tort moral.

L'art. 431 CPP garantit une indemnité et une réparation pour tort moral en cas de mesures de contrainte (al. 1) ou de détention illicite (al. 2). Il y a détention excessive (Überhaft) lorsque la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté ont été ordonnées de manière licite dans le respect des conditions formelles et matérielles, mais que cette détention dépasse la durée de la privation de liberté prononcée dans le jugement, c'est-à-dire dure plus longtemps que la sanction finalement prononcée. En cas de détention excessive selon l'art. 431 al. 2 CPP, ce n'est pas la détention en soi, mais seulement la durée de celle-ci qui est injustifiée. La détention ne sera qualifiée d'excessive qu'après le prononcé du jugement (ATF 141 IV 236 consid. 3.2 p. 238 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_343/2015 du 2 février 2016 consid. 1.2.4).

Dans le cadre de l'art. 431 CPP, il n'est prévu aucune restriction au droit à l'indemnisation et aucun motif de réduction. L'art. 430 CPP en particulier n'est pas applicable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1090/2020 du 1 avril 2021 consid. 2.3.1).

10.3. Conformément au principe consacré en responsabilité civile, l'évaluation du tort moral subi à la suite d'une privation de liberté s'opère en deux temps. Le tort moral doit d'abord être calculé sur la base d'une indemnité journalière, ce qui permet d'obtenir une estimation de l'indemnisation à verser. Le taux journalier n'est cependant qu'un critère qui permet de déterminer un ordre de grandeur pour le tort moral (arrêt 6B_1057/2015 du 25 mai 2016). L'indemnité allouée doit être équitable et proportionnée à l'intensité des souffrances morales causées à la victime (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704 et les arrêts cités ; décision du Tribunal pénal fédéral SK.2013.3/5/6 du 24 avril 2016).

Ensuite, il convient de déterminer s'il existe des circonstances particulières aggravantes ou atténuantes justifiant le versement d'un montant inférieur ou supérieur (arrêts du Tribunal fédéral 6B_574/2010 du 31 janvier 2011 consid. 2.3 ; 6B_745/2009 du 12 novembre 2009). Constituent notamment de telles circonstances les motifs ayant conduit à la privation de liberté du prévenu et la durée de la détention, la gravité des actes qui ont été reprochés au prévenu, la sensibilité de ce dernier à la détention subie, ainsi que les effets de celle-ci sur son intégrité physique ou psychique, son environnement, ses liens sociaux et sa réputation (K. HÜTTE / P. DUCKSCH / K. GUERRERO, Die Genugtuung, 3ème éd., Zurich 2005, n. 10.5 ss, p. I/105 s. ; A. KUHN / Y. JEANNERET [éds.], Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., 2019, n. 48 ad art. 429 CPP ; arrêt 6B_1052/2014 du 22 décembre 2015 consid. 2.1 ; 6B.1057/2015 du 25 mai 2016 consid. 4.1).

10.4. Toute comparaison avec d'autres affaires ne peut se faire qu'avec prudence puisque le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment face au malheur qui le frappe ; cela étant, une comparaison n'est pas dépourvue d'intérêt et peut être, suivant les circonstances, un élément utile d'orientation (ATF 130 III 699 consid. 5.1. p. 705).

Pour le Tribunal fédéral, une indemnité journalière de CHF 200.- constitue en principe une réparation appropriée en cas de détention injustifiée de courte durée (art. 429 CPP), à condition qu'il n'existe pas de circonstances particulières qui pourraient fonder le versement d'un montant inférieur ou supérieur (arrêts du Tribunal fédéral 6B_133/2014 du 18 septembre 2014 consid. 3.2).

En matière de conditions de détention contraires à l'art. 3 CEDH, le Tribunal fédéral a confirmé l'allocation d'une indemnité de CHF 50.- par jour (ATF 140 I 246 consid. 2.4.2, 2.5.2 et 2.6.1 p. 249 ss), et même de CHF 20.-/CHF 25.-, précisant que l'on "peut admettre qu'une période de détention dans des conditions illicites porte moins préjudice au prévenu qu'une détention injustifiée, la privation de liberté étant, dans le premier cas, légitime" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1057/2015 du 25 mai 2016 consid. 5.3.2).

Appelé à se prononcer sur le montant d'une indemnité pour tort moral fondé sur l'art. 431 al. 1 CPP, la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral a considéré qu'une indemnité de faible ampleur, de CHF 10.- par jour, était suffisante, les circonstances du cas d'espèce ne mettant pas en lumière des souffrances particulières (décision SK.2013.3/5/6 du 24 avril 2013).

10.4. A______ renonce à demander une indemnité pour ses frais de défense mais conclut à l'indemnisation de son "tort moral subi en raison de sa détention provisoire et des mesures de substitution". Au vu de sa condamnation, elle est habilitée à fonder son droit à une indemnisation non pas sur 429 al. 1 let. c CPP (détention injustifiée), mais au sens de l'art. 431 al. 2 CPP (détention excessive).

La majorité des jours de détention avant jugement, soit 250 jours, a, conformément à la jurisprudence, d'abord été imputée sur la peine (cf. ATF 141 IV 236 consid. 3.3). A______ a ainsi subi 40 jours de détention excessive, pour lesquels elle sera indemnisé à CHF 100.-/jour, dans la mesure où sa privation de liberté a été en l'occurrence licite et proportionnée.

Les 578 jours de mesures de substitution, à savoir le dépôt de ses documents d'identité, une assignation de résidence à Genève puis en Suisse et sa présentation hebdomadaire au poste de police, fondent un droit à une indemnité fondée sur l'art. 431 al. 1 CPP (cf. M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 111-392 StGB, 4e éd., Bâle 2018,SK, n. 4b ad art. 431). Comme relevé par le TCO, ces mesures l'ont en effet passablement entravée dans sa liberté, l'empêchant d'exercer son activité professionnelle ou d'entretenir un contact régulier avec ses enfants. Le taux journalier de CHF 100.-/jour paraît cependant excessif pour indemniser des mesures de substitution, qui ont certes impacté sa liberté mais dans une faible mesure en comparaison de sa détention, et sera abaissé à CHF 20.-/jour.

Une indemnité globale de CHF 15'560.- sera partant allouée à A______.

En vertu de la jurisprudence, applicable par analogie à une indemnité pour tort moral selon 431 CPP, la prétention en réparation du tort moral du prévenu libéré (art. 429 al. 1 let. c CPP) ne peut pas être éteinte par compensation avec la créance de l'État portant sur les frais de procédure (ATF 139 IV 243 consid. 5), de sorte que l'indemnité accordée à A______ ne sera pas compensée avec les frais de procédure mis à sa charge.

11.         11.1. Au sens de l'art. 433 al. 1 let. a et b CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure elle obtient gain de cause ou le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l’art. 426 al. 2 CC.

11.2. En l'espèce, A______ a certes été condamnée au paiement des frais de la procédure préliminaire et de première instance. Cependant, l'établissement des faits n'a pas permis de considérer les frères R______/S______, ayants-droit économique de B______ LTD, comme totalement étrangers aux faits qu'ils ont par la suite dénoncés et l'ensemble du dossier laisse entendre une certaine entente avec leur avocate au moment des faits. Conformément au pouvoir d'appréciation conféré au juge par l'art. 433 al. 1 CPP, la CPAR réformera le jugement du TCO et ne condamnera pas A______ à indemniser B______ LTD pour ses dépenses occasionnées par la procédure d'instruction et de première instance.

Le jugement de première instance sera réformé sur ce point.

Comme B______ LTD succombe en appel, elle n'a pas le droit à une indemnité pour ses frais d'avocats.

12.         12.1. D'après l'art. 434 al. 1 CPP, les tiers qui, par le fait d'actes de procédure ou du fait de l'aide apportée aux autorités pénales, subissent un dommage ont droit à une juste compensation si le dommage n'est pas couvert d'une autre manière, ainsi qu'à une réparation du tort moral. L'art. 433 al. 2 CPP est applicable par analogie.

12.2. C______ LTD CORP et la fondation D______ n'ont pas adressé de prétentions à l'autorité pénale, de sorte qu'aucune indemnité ne leur saura allouée. Si F______ et G______ LTD ont certes formulé leurs prétentions en indemnisation et les ont chiffrées à CHF 20'000.-, force est de constater qu'elles n'ont pas été justifiées, de sorte que leur demande sera rejetée.

13.         Les frais de procédure mis à la charge de A______ (frais d'instruction et de première instance, plus la moitié de l'émolument complémentaire de jugement ainsi qu'un tiers des frais d'appel) seront compensés, à due concurrence, par les valeurs patrimoniales séquestrées sur le compte I______ de C______ LTD CORP, vu l'identité entre cette société et A______, qui est en la seule actionnaire (art. 442 al. 4 CPP ; cf. A. KUHN / Y. JEANNERET [éds.], op. cit., 2ème éd., 2019, n. 8 ad art. 268 ; séquestre en pièce 307'300).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Reçoit les appels formés par A______ et F______, B______ LTD, C______ LTD CORP, G______ LTD et la fondation D______ ainsi que l'appel joint du Ministère public contre le jugement JTCO/174/2019 rendu le rendu le 9 décembre 2019 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/17122/2016.

Admet partiellement l'appel de A______.

Rejette l'appel de B______ LTD.

Admet les appels de F______, C______ LTD CORP, G______ LTD et la fondation D______.

Rejette l'appel joint du Ministère public.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ du chef de blanchiment d'argent aggravé.

L'acquitte du chef de faux dans les titres s'agissant de la convention à 10 % et du formulaire A transmis à M______ pour l'ouverture du compte n°5______ au nom de G______ LTD.

La reconnait coupable de faux dans les titres s'agissant des formulaires A transmis à la banque AE______, pour l'ouverture du compte n° 11______, et à l'intermédiaire financier N______, pour l'ouverture des comptes n° 16______ et n° 7______ (art. 251 CP).

La condamne à une peine pécuniaire de 250 jours-amende, sous déduction de 250 jours de détention avant jugement.

Fixe le montant du jour-amende à CHF 300.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 aCP).

L'avertit que si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 aCP).

Ordonne la levée des séquestres des avoirs figurant sur les comptes suivants :

- compte n° 2______ ouvert au nom de J______ FUND auprès de [la banque] K______ à Genève.

- compte n° 3______ ouvert au nom de L______ auprès de K______ à Genève.

- compte n° 4______ ouvert au nom de A______ auprès de K______ à Genève.

- compte n° 5______ ouvert au nom de G______ LTD auprès de [la banque] M______ à Genève.

- compte n° 6______ ouvert au nom de F______ auprès de M______ à Genève.

- compte n° 7______ ouvert au nom de G______ LTD auprès de [la banque] N______ à Genève.

- compte n° 8______ ouvert au nom de la FONDATION D______ auprès de [la banque] O______ à Dubaï.

- compte n° 9______00 ouvert au nom de E______ LTD auprès de [la banque] P______ à Singapour.

Ordonne le séquestre en couverture des frais de CHF 63'183.70 correspondant aux frais de la procédure de première instance ainsi qu'à la moitié de l'émolument de jugement et au tiers des frais de la procédure d'appel (CHF 52'098.70 + CHF 11'085.-) ; placés sur le compte n° 1______ ouvert au nom de C______ LTD CORP auprès de la banque I______ à Genève. Ordonne la levée du séquestre sur ce compte pour le surplus.

Renvoie B______ LTD à agir par la voie civile (art. 126 al. 2 CPP).

Alloue à A______ une indemnité de CHF 15'560.- pour la détention et les mesures de substitution excessives (art. 431 al. 1 et 2 CPP).

Rejette les prétentions en indemnisation de F______, G______ LTD et B______ LTD.

Condamne A______ aux frais de la procédure de première instance et d'instruction, qui s'élèvent à CHF 44'598.70, y compris un émolument de jugement de CHF 5'000.- (art. 426 al. 1 CPP).

Met l'émolument de jugement complémentaire du Tribunal correctionnel fixé à CHF 15'000.- à la charge de A______ et de B______ LTD, à hauteur de CHF 7'500.- chacun.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 33'255.-, y compris un émolument de jugement de CHF 30'000.-.

Met 1/3 de ces frais, soit CHF 11'085.- à la charge de A______ et CHF 11'085.- à celle de B______ LTD. Laisse le solde de ces frais à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel, à l'Office cantonal de la population et des migrations, à l'Office Fédéral de la police – Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS).

 

La greffière :

Dagmara MORARJEE

 

Le président :

Gregory ORCI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal correctionnel :

CHF

59'633.70

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

3'180.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

0.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

30'000

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

33'255.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

92'888.70