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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/13513/2021

AARP/275/2022 du 15.09.2022 sur JTDP/26/2022 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : RUPTURE DE BAN;INTENTION;ÉTAT DE NÉCESSITÉ;APATRIDE
Normes : CP.291; CP.12; CP
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13513/2021 AARP/275/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 15 septembre 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à l'Établissement fermé de B______ en exécution de peine dans une autre cause, comparant par Me C______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/26/2022 rendu le 13 janvier 2022 par le Tribunal de police,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/26/2022 du 13 janvier 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de rupture de ban (art. 291 al. 1 du Code pénal suisse [CP]) et l'a condamné à une peine privative de liberté de cinq mois, sous déduction d'un jour de détention avant jugement, ainsi qu'aux frais de la procédure.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement. Subsidiairement, il requiert le prononcé d'une peine pécuniaire clémente n'excédant pas CHF 10.- le jour-amende.

b. Selon l'ordonnance pénale du 5 juillet 2021, valant acte d'accusation, il est reproché ce qui suit à A______ :

Entre le 1er mai 2021, lendemain de sa dernière condamnation pas encore définitive et exécutoire, et le 5 juillet 2021, date de son interpellation, il a persisté à séjourner sur le territoire suisse, à Genève, alors qu'il faisait l'objet d'une expulsion judiciaire prononcée le 13 mars 2019 par la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), pour une durée de dix ans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, né le ______ 1986 en Côte d'Ivoire, est arrivé en Suisse en 2004, où il a déposé une demande d'asile qui a abouti à une décision de non-entrée en matière la même année.

b.a. Par arrêt du 13 mars 2019, désormais en force, la CPAR a prononcé à l'encontre de A______ une peine privative de liberté de sept mois, une amende de CHF 100.- et une expulsion pour une durée de dix ans pour séjour illégal, délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c et d LStup) et contravention selon l'art. 19a ch. 1 LStup (P/1______/2018).

La demande de révision, ainsi que le recours au Tribunal fédéral (TF) ayant suivi, ont tous deux été rejetés.

b.b. Dans ledit arrêt et dans un second du 25 janvier 2022, la CPAR avait écarté l'argumentation de A______ tirée de son statut allégué d'apatride au motif qu'il lui appartenait de le faire constater par les autorités compétentes.

b.c. Suite au prononcé de la CPAR du 13 mars 2019, l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) a délivré une carte de sortie à A______, le 21 mai 2019, lui impartissant un délai de 48 heures pour quitter la Suisse.

c.a. A______ a été interpellé le 5 juillet 2021. Il était démuni de papiers d'identité indiquant sa nationalité et a été conduit au poste de police pour les contrôles d'usage, où il a été identifié. À teneur des bases de données consultées, il séjournait illégalement en Suisse, faisait l'objet d'un mandat d'arrêt genevois pour l'exécution d'une peine privative de liberté de quatre mois et 28 jours à la prison de D______, et d'un mandat d'arrêt émanant de l'OCPM pour l'exécution d'une expulsion judiciaire.

c.b. A______ a notamment exposé à la police qu'il était dans l'incapacité de quitter la Suisse car il y avait passé toute sa vie et qu'il était apatride.

c.c. Devant le Ministère public (MP), A______ a motivé son opposition à l'ordonnance pénale prononcée à son encontre pour rupture de ban par le fait qu'il contestait la condamnation à une mesure d'expulsion sur laquelle elle se fondait. Il n'avait jamais eu l'intention de commettre l'infraction incriminée ; la Côte d'Ivoire ne l'avait pas reconnu comme étant son ressortissant et il ignorait si un autre pays allait le faire. Ainsi, il n'avait nul part où aller ailleurs que la Suisse. Il devait être considéré comme apatride et bénéficier de la protection offerte par ce statut.

d.a. À teneur d'un courriel de l'OCPM du 10 janvier 2022, A______ n'avait pas été reconnu par la délégation ivoirienne lors des auditions centralisées organisées par le Secrétariat d'État aux migrations (SEM) le 14 décembre 2021, et il n'avait pas non plus été reconnu par les autorités ghanéennes lors des auditions centralisées en septembre 2018.

d.b. A______ ayant déclaré avoir vécu au Mali, l'OCPM l'avait inscrit sur la liste des candidats aux prochaines auditions centralisées organisées avec la délégation malienne, dont la date était encore inconnue le 10 janvier 2022.

e. Lors des débats devant le TP, A______ a reconnu être resté sur le territoire suisse entre le 1er mai 2021 et le 5 juillet 2021 et être conscient qu'il faisait l'objet d'une expulsion judiciaire. Toutefois, il était resté en raison de ses rendez-vous médicaux à l'hôpital et ne pouvait pas aller ailleurs légalement. Il souhaitait aller en France en sortant de prison car il était fatigué de sa situation en Suisse, il suffisait d'un contrôle et il se retrouvait en prison.

C. a. À l'appui de son appel, A______ a produit une décision rendue par le SEM le 5 septembre 2022, laquelle lui reconnaît la qualité d'apatride et lui donne désormais droit à une autorisation de séjour en Suisse et à la délivrance d'un document de voyage suisse.

b. Aux débats d'appel, A______ a expliqué avoir saisi le SEM le 28 mars 2022, suite à l'arrêt de la CPAR rendu le 25 janvier 2022, afin de mettre un terme à la spirale dans laquelle il se trouvait.

Pour le surplus, il a confirmé ses précédentes déclarations dans la procédure.

c. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions. La décision du SEM venait mettre un terme à la situation kafkaïenne dans laquelle il se trouvait depuis plus de 20 ans et ne faisait que constater ce qu'il soutenait depuis longtemps, soit qu'il était apatride et qu'il n'avait aucun pays où résider légalement. L'élément intentionnel de l'infraction de rupture de ban n'était pas rempli. Si la période pénale litigieuse se situait entre le 1er mai et le 5 juillet 2021, soit avant la décision du SEM, il était apatride depuis sa naissance. Il n'était pas dans un cas où il aurait perdu sa nationalité après le prononcé de l'expulsion.

D. Me C______, défenseur d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, une heure et 30 minutes d'activité de chef d'étude et sept heures et 10 minutes d'activité d'avocat-stagiaire.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. La rupture de ban punit celui qui aura contrevenu à une décision d'expulsion du territoire de la Confédération ou d'un canton prononcée par une autorité compétente (art. 291 CP).

Cette infraction suppose la réunion de trois conditions : une décision d'expulsion, la transgression de celle-ci et l'intention. L'infraction est consommée si l'auteur reste en Suisse après l'entrée en force de la décision, alors qu'il a le devoir de partir, ou s'il y entre pendant la durée de validité de l'expulsion.

Sur le plan subjectif, l'infraction est intentionnelle, le dol éventuel étant toutefois suffisant. Il faut non seulement que l'auteur entre ou reste en Suisse volontairement, mais encore qu'il sache qu'il est expulsé ou accepte cette éventualité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1191/2019 du 4 décembre 2019 consid. 5.1 et les références citées).

2.2. Sauf disposition expresse et contraire de la loi, est seul punissable l'auteur d'un crime ou d'un délit qui agit intentionnellement (art. 12 al. 1 CP). Agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté (art. 12 al. 2 CP, 1ère phrase).

Dans la conception moderne du droit pénal, l'État n'est pas fondé à punir une personne du seul fait que son comportement contrevient objectivement à la norme pénale. Il faut encore que l'on puisse lui reprocher d'avoir violé la loi. La justification morale de la répression réside dans ce reproche. Il faut dès lors que l'auteur ait eu la liberté de se soumettre au droit. Le reproche résulte de ce que ledit auteur a fait un mauvais usage de sa liberté. Ce mésusage est qualifié de faute, sur laquelle est fondé le droit pénal moderne (L. MOREILLON / N. QUELOZ / A. MACALUSO / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2020, n. 3 et 4 ad art. 12).

En matière de rupture de ban, l'intention devra être niée lorsque l'expulsé ne peut pas quitter la Suisse notamment parce que son État d'origine ne l'accepte pas, étant précisé que l'on ne peut évidemment pas attendre d'une personne qu'elle enfreigne les lois d'autres pays pour quitter la Suisse ; il en va de même de celui qui risque sa vie en regagnant son pays d'origine, ce qui, au demeurant, imposerait le report de l'expulsion en application de l'art. 66d CP (S. GRODECKI / Y. JEANNERET, L'expulsion judiciaire, in Droit pénal - évolutions en 2018, CEMAJ, Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, Bâle 2017, pp. 167 ss, p. 182).

2.3. L'état de nécessité licite (art. 17 CP) pourrait être envisagé lorsque l'auteur devrait violer la loi d'un autre État en conséquence de l'interdiction d'entrée en Suisse, par exemple parce qu'il est impossible pour lui de se rendre dans cet État faute de papiers (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ [éds], Commentaire romand, Code pénal II, Bâle 2017, n. 21 ad art. 291 ; M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER [éds], Basler Kommentar, Strafrecht II : Art. 137-392 StGB, Jugendstrafgesetz, 4e éd., Bâle 2019, n. 37 ad art. 291).

De jurisprudence constante, la punissabilité du séjour illégal selon l'art. 115 al. 1 let. b LEI suppose que l'étranger ne se trouve pas dans l'impossibilité objective – par exemple en raison d'un refus du pays d'origine d'admettre le retour de ses ressortissants ou de délivrer des papiers d'identité – de quitter la Suisse et de rentrer légalement dans son pays d'origine. En effet, le principe de la faute suppose la liberté de pouvoir agir autrement. Cependant, le ressortissant étranger faisant l'objet d'une décision de renvoi avec ordre de quitter la Suisse immédiatement, qui disparait après l'entrée en force de la décision et ne collabore d'aucune manière à l'établissement de documents de voyage, se rend coupable de l'infraction. Il ne peut faire valoir l'impossibilité objective de quitter la Suisse (arrêt 6B_274/2016 du 15 mai 2017, consid. 1.6.1).

2.4. En l'espèce, il est établi que l'appelant a persisté à séjourner en Suisse alors qu'il faisait l'objet d'une expulsion judiciaire entrée en force et qu'il avait connaissance de cette décision, ce qu'il ne conteste pas.

Toutefois, force est de constater que, malgré l'incohérence de certaines de ses déclarations sur ses origines dans les différentes procédures le concernant, l'appelant a toujours affirmé qu'il ne savait pas quelle était sa nationalité et qu'il n'y avait aucun pays où il pouvait résider légalement. Si, par le passé, l'appelant a été condamné pour rupture de ban au motif qu'il n'avait entrepris aucune démarche visant à établir ses origines, sa nationalité ou son statut d'apatride, la situation est aujourd'hui différente : l'appelant a entrepris les démarches nécessaires pour régulariser sa situation et le SEM a rendu une décision reconnaissant son statut d'apatride. Aucun élément au dossier ne permet de soupçonner que l'appelant aurait été déchu de sa nationalité durant la période pénale, indication qui ne figure d'ailleurs pas dans la décision rendue par le SEM.

Eût-il voulu quitter le territoire suisse, l'appelant aurait été dans l'impossibilité objective de le faire en raison de son statut d'apatride avec pour conséquence qu'il n'avait nul part où aller sans violer la loi d'un autre État. On ne pouvait exiger de lui qu'il se rendît dans un pays sans avoir le droit d'y séjourner ; dès lors, l'appelant n'avait manifestement pas la liberté de se soumettre à l'art. 291 CP. L'élément intentionnel fait défaut.

Ainsi, il ne peut pas lui être imputé à faute d'être resté en Suisse durant la période incriminée, du 1er mai au 5 juillet 2021. L'appelant sera donc acquitté du chef d'infraction de rupture de ban (art. 291 CP) et le jugement entrepris réformé en ce sens.

3. L'appel ayant été admis et le prévenu acquitté, les frais de la procédure (préliminaire, de première instance et de seconde instance) seront laissés à la charge de l'État (art. 423 al. 1 et cum 428 al. 3 CPP et art. 428 al. 1 CPP).

4. Considéré globalement, l'état de frais produit par Me C______, défenseur d'office de l'appelant, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale.

Sa rémunération sera partant arrêtée à CHF 1'018.83 correspondant à une heure et 30 minutes d'activité au tarif de CHF 200.-/heure et sept heures et 10 minutes d'activité au tarif de CHF 110.-/heure (CHF 788.33), plus la majoration forfaitaire de 20% (CHF 157.66) et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 72.84.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/26/2022 rendu le 13 janvier 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/13513/2021.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ de l'infraction de rupture de ban (art. 291 CP).

Laisse les frais de la procédure préliminaire et de première instance à la charge de l'État.

Prend acte de ce que le premier juge a fixé à CHF 2'089.40 l'indemnité de procédure due à Me C______, défenseur d'office de A______ (art. 135 CPP), pour la procédure de première instance.

Laisse les frais de la procédure d'appel à la charge de l'État.

Arrête à CHF 1'018.83, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me C______, défenseur d'office de A______, pour la procédure d'appel.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Andreia GRAÇA BOUÇA

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).