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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/2681/2023

DCSO/129/2024 du 28.03.2024 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : LP.221
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2681/2023-CS DCSO/129/24

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 28 MARS 2024

 

Plainte 17 LP (A/2681/2023-CS) formée en date du 28 août 2023 par [la Banque] A______ (A______), représenté par Me Nicolas CAPT, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 8 avril 2024
à :

-       [la Banque] A______ (A______)

c/o Me CAPT Nicolas

15, Cours des Bastions

Avocats Sàrl

Case postale 519

1211 Genève 12.

- B______ SÀRL, EN LIQUIDATION
c/o Office cantonal des faillites
Faillite n° 2019 1______.

 

 


EN FAIT

A. a. La société à responsabilité limitée de droit suisse B______ SÀRL (ci-après : B______) a été inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 2013 avec pour but social "l'achat et la revente, en Suisse et à l'étranger, directement ou indirectement, en principal ou en tant qu'intermédiaire, de chambres d'hôtels, de prestations de transports et de prestations accessoires en lien avec les voyages; exploitation et gestion de la marque «B______» et du site internet «B______.com»".

Les principaux associés, à raison de 525 parts chacun sur un total de 1'400 parts, étaient les frères C______ et D______ (ci-après : les frères C______/D______). Ils étaient également les seuls gérants de la société et disposaient seuls – chacun individuellement – du pouvoir de représenter la société.

b. B______ a mis un terme à ses activités le 13 septembre 2019. Sa faillite a été déclarée par jugement du Tribunal de première instance du ______ 2019 sur requête de sa part (art. 191 al. 1 LP).

La faillite est liquidée en la forme sommaire par l'Office cantonal des faillites (ci-après : l'Office).

La [banque] A______ (ci-après : la A______) a produit dans la faillite des prétentions de 7'094'087 fr. 71 et de 11'123'452 fr.78 fondées sur un contrat de prêt conclu le 14 août 2019. L'admission de ces productions à l'état de collocation dans la faillite a été réservée en raison d'un procès opposant la masse (et les frères C______/D______) à la A______ devant les juridictions strasbourgeoises.

c. L'inventaire, dans sa première version, a été dressé du 29 octobre 2019 au
28 janvier 2020. Il a été signé le 30 janvier 2020 par D______, représentant son frère C______.

Etaient notamment mentionnées dans cette première mouture de l'inventaire (rubriques nos C12 et C13), au titre de prétentions litigieuses, deux créances à l'encontre des frères C______/D______ (l'une contre C______ pour un montant de 16'916'401 fr. 39 et la seconde contre D______ pour un montant de 6'150'779 fr. 06) au titre de divers prêts que leur avait accordés la faillie. Evaluées à 1 fr. chacune, ces prétentions n'étaient, selon l'inventaire, pas exigibles avant le 31 décembre 2020.

d. L'inventaire, dans une version complétée, a été déposé le 5 octobre 2020 en même temps que l'état de collocation. Les créances à l'encontre des frères C______/D______ y figurent toujours sous rubriques nos C12 et C13, évaluées cette fois à 8'000'000 fr, respectivement à 3'000'000 fr.

Il n'a fait l'objet, dans cette version, d'aucune plainte.

e. En janvier 2021, l'Office a invité les frères C______/D______ à s'acquitter en ses mains des montants qu'ils devaient à la faillie. Sans contester ni l'existence ni le montant desdites dettes, et tout en professant leur volonté de les acquitter dans leur totalité, ces derniers n'avaient toutefois, au jour du dépôt de la plainte, versé aucun montant.

Dans un courrier non daté adressé à l'Office, reçu le 28 octobre 2021 par celui-ci, les frères C______/D______ ont indiqué : "[…] nous vous confirmons notre intention de rembourser la totalité de nos dettes quand nos maisons seront vendues et la procédure T [engagée par la masse contre un débiteur tiers pour un montant de plusieurs centaines de millions de dollars américains] gagnée".

f. Le 15 juin 2023, l'Office a communiqué au conseil de la A______, sur demande de celui-ci, un tirage de l'inventaire dans une version "générée" le 17 mai 2023. Il résulte de ce document qu'aucun changement n'est intervenu concernant les prétentions inventoriées sous rubriques nos C12 et C13 de l'inventaire par rapport à la version de l'inventaire déposée le 5 octobre 2020.

La plainte formée par la A______ contre cette version de l'inventaire (cause A/2______/2023) a été rejetée par décision de la Chambre de surveillance de ce jour (DCSO/128/24).

g. Le 27 juin 2023, l'Office a "généré" une nouvelle version de l'inventaire, dont la A______ a pris connaissance le 17 août 2023 dans le cadre de la procédure de plainte A/3______/2023. Cette nouvelle version de l'inventaire se distingue de celle "générée" le 17 mai 2023 notamment par le fait que les prétentions litigieuses C12 et C13 n'y sont plus estimées que pour un montant de 1 fr. chacune.

B. a. Par acte adressé le 28 août 2023 à la Chambre de surveillance, la A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre l'"inventaire" du 27 juin 2023, concluant principalement à la constatation de sa nullité et subsidiairement à son annulation ainsi qu'au renvoi de la cause à l'Office pour "émission d'un nouvel inventaire". A l'appui de ces conclusions, elle a fait valoir que la version de l'inventaire qui lui avait été remise le 15 juin 2023 n'était pas signée des associés gérants de la faillie et n'avait pas été déposée; l'estimation des prétentions inventoriées à l'encontre des frères C______/D______ était par ailleurs erronée dans la mesure où, d'une part, ceux-ci avaient reconnu leurs dettes et s'étaient engagés à s'en acquitter et ou, d'autre part, l'Office avait, dans le cadre d'une circulaire adressée le 2 juin 2023 aux créanciers (cf. cause A/3______/2023), considéré crédible leur engagement de couvrir les frais, considérables, de deux procédures contre des tiers.

b. Dans ses observations du 20 septembre 2023, l'Office s'en est rapporté à justice sur la recevabilité de la plainte et, sur le fond, a conclu à son rejet. Selon lui, l'inventaire pouvait être complété et modifié jusqu'à la clôture de la faillite. La version initiale de l'inventaire avait été signée le 30 janvier 2020 par C______ (recte : par D______, par procuration de son frère C______) et la loi n'exigeait pas que les versions postérieures de l'inventaire le soient également. L'inventaire avait pour le surplus été déposé le 5 octobre 2020, en même temps que l'état de collocation, ainsi que le prévoyait l'art. 231 al. 3 ch. 3 LP, et aucune disposition légale n'imposait qu'il soit redéposé à chaque complément ou modification postérieurs.

L'estimation des prétentions inventoriées à l'encontre des frères C______/D______ avait été réduite à 1 fr. pour tenir compte du fait que l'Office n'avait, en l'état, encore rien encaissé. Il convenait en effet d'être prudent dans l'estimation des créances litigieuses, avec pour conséquence que celles-ci étaient en principe estimées à 1 fr. sous réserve d'un paiement de la part du débiteur. La diminution de la valeur d'estimation par rapport à celle figurant dans les versions antérieures aux 5 octobre 2020 et 17 mai 2023 de l'inventaire répondait également à un souci "de ne pas induire en erreur les créanciers lorsqu'ils consultent l'inventaire dans la faillite, en particulier dans la perspective d'une cession éventuelle des droits de la masse, et afin également de ne pas fausser artificiellement le dividende probable ressortant de l'état de collocation, dès lors que le total de l'estimation des actifs figurant à l'inventaire détermine le dividende prévisible expressément indiqué dans ce dernier".

c. En l'absence de réplique spontanée, la cause a été gardé à juger le 9 octobre 2023.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

La qualité pour porter plainte selon l'art. 17 LP est reconnue à toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés ou, à tout le moins, atteinte dans ses intérêts de fait par une mesure ou une omission d'un organe de la poursuite. Le plaignant doit dans tous les cas poursuivre un but concret; il doit être matériellement lésé par les effets de la décision attaquée et avoir un intérêt digne de protection à sa modification ou à son annulation (ATF 139 III 384 consid. 2.1; 138 III 219 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_48/2022 du 10 mai 2022 consid. 4.2.1 et les références).

Même en l'absence d'une plainte, ou en cas d'irrecevabilité de la plainte, la Chambre de surveillance doit constater d'office la nullité des mesures de l'office contraires à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure (art. 22 al. 1 LP).

1.2 La plainte respecte en l'espèce les exigences de forme résultant de la loi et a été formée en temps utile contre une mesure de l'Office – l'inventaire – pouvant en principe être contestée par cette voie. Dans la mesure où elle vise une diminution de la valeur d'estimation de certains actifs, et que cette valeur d'estimation est susceptible d'avoir des conséquences sur la situation concrète de la plaignante (ATF 138 III 675 consid. 3.2.2), celle-ci dispose par ailleurs de la qualité pour agir par cette voie.

La plainte est donc recevable.

2. 2.1.1 L'art. 221 LP prévoit que, dès qu'il a reçu communication de l'ouverture de la faillite, l'office des faillites doit procéder à l'inventaire des biens du failli.

L'inventaire a pour but d'énumérer et d'établir les biens et les droits que la masse considère comme appartenant au failli. Mesure purement interne à l'administration de la faillite, il n'a aucun effet sur la situation juridique des tiers et ne préjuge en rien ni de l'existence des actifs inventoriés ni de leur appartenance à la masse (ATF 90 III 18 consid. 1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_517/2012 du 24 août 2012 consid. 4.1.2; 5A_543/2011 du 14 novembre 2011 consid. 2.1; 5A_352/2008 du 13 novembre 2008 consid. 2.3.3).

Selon l'art. 227 LP, chaque actif inventorié doit être estimé. L'office des faillites est compétent pour procéder à cette estimation, avec le concours éventuel d'experts (Vouilloz, in CR LP, 2005, N 2 ad art. 227 LP). Pour les créances, l'office des faillites ne peut se borner à reprendre la valeur figurant au bilan (Vouilloz, op. cit., loc. cit.; Lustenberger/Schenker, in BSK SchKG II, 3ème édition, 2021, N 3a ad art. 227) mais doit retenir le montant qui, selon le cours ordinaire des choses, pourra effectivement être encaissé (Lustenberger/Schenker, op. cit., loc. cit.; Rüetschi/Schober, in KOV Kommentar, 2016, Milani/Wohlgemuth [éd.], N 51 ad art. 25 OAOF).

L'estimation d'un actif peut revêtir de l'importance pour déterminer si la liquidation doit ou non être suspendue (art. 230 al. 1 LP), pour évaluer le dividende de liquidation et donc la valeur litigieuse d'une action en contestation de l'état de collocation, et pour décider si la faillite sera liquidée en procédure ordinaire ou sommaire (art. 231 al. 1 ch. 1 LP) (Lustenberger/Schenker, op. cit., N 1a et 1b ad art. 227 LP). Elle est également pertinente pour déterminer si un bien a une valeur élevée au sens de l'art. 256 al. 3 LP (Lustenberger/Schenker, op. cit., N 1c ad art. 227 LP).

L'office des faillites soumet l'inventaire au failli – soit, s'agissant d'une société à responsabilité limitée, à ses organes (art. 30 OAOF) – et l'invite, après avoir expressément attiré son attention sur les conséquences d'indications incomplètes sur sa situation de fortune (art. 29 al.3 OAOF), à déclarer s'il le reconnaît exact et complet. Sa réponse est transcrite dans l'inventaire et signée par lui (art. 228 al. 1 et 2 LP; art. 29 al. 3 et 4 OAOF).

2.1.2 Lorsque la faillite est liquidée en la forme ordinaire, l'inventaire doit être communiqué aux créanciers lors de la première assemblée des créanciers (art. 237 al. 1 LP); en cas de liquidation sommaire, il doit être déposé en même temps que l'état de collocation (art. 231 al. 3 ch. 3 LP). Il n'en résulte cependant pas que l'inventaire ne puisse plus être complété après ces dates : l'office peut en effet, jusqu'à la clôture de la faillite, modifier ou compléter l'inventaire afin de tenir compte de la découverte de nouveaux actifs ou de circonstances affectant la substance ou la valeur d'actifs déjà inventoriés (Lustenberger/Schenker, op. cit., N 29 ad art. 221 LP; Rüetschi/Schober, op. cit., N 16 et 19 ad art. 25 OAOF). L'inventaire est donc un document en état d'évolution permanente ("rollendes Dokument") que l'administration de la faillite doit constamment adapter afin qu'il corresponde à la situation actuelle (Rüetschi/Schober, op. cit. N 16 ad art. 25 OAOF).

Aucune disposition légale ne prévoit que le failli devrait à nouveau signer l'inventaire après chaque modification ou complément, ni que ce document devrait être à nouveau déposé ou soumis aux créanciers chaque fois que l'Office le modifierait.

2.2.1 Il résulte en l'espèce du dossier (pièce 6 plaignante, p. 40) que l'inventaire, dans sa version initiale, a été établi du 29 octobre 2019 au 28 janvier 2020 et signé le 30 janvier 2020 par C______, lui-même gérant de la faillie, par procuration de son frère D______, également gérant. A juste titre, la plaignante ne conteste pas que les réquisits de l'art. 228 aient de la sorte été respectés.

Contrairement à ce que soutient la plaignante, on ne voit pas pour quelle raison les versions ultérieures de l'inventaire, dont l'objet était de modifier et de compléter les versions précédentes pour les adapter à la situation actuelle, auraient dû à nouveau être soumises pour signature aux organes de la faillie. Outre le fait qu'une telle obligation serait difficilement exécutable en pratique – étant relevé qu'aujourd'hui les inventaires sont en général tenus en continu sous forme électronique – elle ne répondrait pas au but de l'art. 228 LP, qui consiste à faire confirmer par le failli le caractère exact et complet de l'inventaire initial, et non celui des éventuels compléments et modifications appelés à intervenir ultérieurement avec, par exemple, la découverte de nouveaux actifs comme des prétentions litigieuses en responsabilité ou des prétentions révocatoires.

Il n'est de même pas contesté que l'inventaire a été dûment déposé le 5 octobre 2020, en même temps que l'état de collocation. Là encore, la plaignante ne saurait être suivie lorsqu'elle paraît considérer que toute modification ultérieure de l'inventaire impliquerait qu'il soit à nouveau déposé, ou communiqué de toute autre manière à l'ensemble des créanciers. Dès lors que, comme on l'a vu, l'inventaire est voué à être mis à jour jusqu'à la clôture de la faillite, une obligation de le déposer à chaque modification entraînerait des lourdeurs administratives et des frais peu compatibles avec une liquidation sommaire de la faillite. Un nouveau dépôt ne paraît par ailleurs pas nécessaire pour protéger les droits des créanciers : la situation juridique de ces derniers n'est en effet en principe pas péjorée lorsque l'administration de la faillite inventorie de nouveaux actifs, alors que la renonciation à réaliser des droits inventoriés suppose un accord de leur part.

L'inventaire "généré" le 27 juin 2023 n'est donc ni nul ni annulable au motif qu'il ne porte pas la signature des organes de la faillie et n'a pas été déposé.

2.2.2 La plaignante conteste également la valeur d'estimation (1 fr., contre 8'000'000 fr, respectivement à 3'000'000 fr. dans la version de l'inventaire au
17 mai 2023) retenue par l'Office pour les prétentions inventoriées contre les frères C______/D______, relevant d'une part que ceux-ci avaient reconnu leurs dettes et s'étaient engagés à les régler en mains de l'Office et d'autre part que l'Office lui-même, dans une circulaire aux créanciers du 2 juin 2023 (cf. cause A/3______/2023), s'était montré très optimiste sur le respect par les frères C______/D______ de leurs engagements en matière de couverture des frais de deux procédures engagées par la masse, alors que ces frais s'annonçaient très importants.

Pour justifier sa nouvelle estimation, l'Office a invoqué en premier lieu un principe de prudence imposant selon lui que des prétentions litigieuses soient évaluées à 1 fr. aussi longtemps que le débiteur n'a rien payé, et au montant de ce paiement par la suite. Toujours selon l'Office, cette pratique permettrait d'éviter d'induire les créanciers en erreur, notamment en cas de proposition d'abandon des droits de la masse et de cession au sens de l'art. 260 al. 1 LP, et de ne pas fausser le calcul du dividende probable ressortant de l'état de collocation, puisqu'il dépend en partie de l'estimation totale des actifs.

Ces considérations ne peuvent être approuvées. Comme relevé ci-dessus, l'évaluation d'une créance litigieuse portée à l'inventaire doit en effet correspondre au montant qui, selon le cours ordinaire des choses, pourra être encaissé par la masse; l'office des faillites doit ainsi procéder à une appréciation des perspectives de recouvrement fondée sur la difficulté à établir l'existence et le montant de la prétention, sa reconnaissance ou sa contestation en tout ou en partie par le débiteur, la volonté ou le refus de s'exécuter déclaré par ce dernier et bien entendu sa solvabilité. Dans le cadre de cette opération, il doit certes se montrer prudent en tant qu'il ne saurait fonder son appréciation sur une succession d'éléments aléatoires tels une simple promesse d'exécution du débiteur, mais il ne saurait non plus faire preuve d'un pessimisme de principe au risque d'induire en erreur les créanciers. Contrairement à ce que paraît considérer l'Office, en effet, les créanciers ne seront pas uniquement lésés par une estimation objectivement trop élevée des perspectives de recouvrement d'une prétention litigieuse, qui les conduirait par exemple à décider d'ouvrir action afin de faire valoir un actif sans valeur, mais également par une estimation trop basse, qui les conduirait par exemple à renoncer à faire valoir une prétention litigieuse et à en proposer la cession alors qu'il aurait été possible d'en obtenir sans trop de difficulté le paiement total ou partiel. De la même manière, une estimation trop faible faussera autant le calcul du dividende probable qu'une estimation trop élevée. La pratique évoquée par l'Office, selon laquelle une prétention litigieuse devrait être évaluée, quel que soit son montant nominal, à 1 fr. jusqu'à son règlement total ou partiel (auquel cas elle se transforme en liquidités), n'est donc pas admissible : l'Office doit au contraire s'efforcer de procéder à une évaluation réaliste des perspectives de recouvrement, fondée sur l'application au cas d'espèce de critères juridiques et économiques objectifs, et non sur des règles schématiques sans relation avec la situation concrète.

Il n'en résulte pas pour autant que l'estimation à 1 fr. des prétentions inventoriées à l'encontre des frères C______/D______ soit en l'espèce injustifiée.

A cet égard, l'affirmation de la plaignante selon laquelle les frères C______/D______ auraient promis de s'exécuter doit être relativisée. S'il est vrai que, dans un premier temps, ils ont assuré l'Office de leur volonté de rembourser la masse grâce au produit de la vente d'immeubles leur appartenant, ils n'avaient toujours exécuté aucun versement au moment du dépôt de la plainte alors que, selon la plaignante elle-même, une partie au moins des immeubles concernés avaient été vendus. Dans le dernier courrier qu'ils ont adressé à l'Office sur ce point, en octobre 2021, les frères C______/D______, tout en renouvelant leur engagement de paiement, l'ont par ailleurs assorti d'une condition supplémentaire, à savoir le gain d'une procédure engagée par la masse contre un tiers; sachant que le gain de ladite procédure permettrait à la masse d'obtenir des montants suffisants pour désintéresser totalement tous les créanciers sans qu'il soit nécessaire de réaliser d'autres actifs, cet engagement peut être économiquement assimilé à un refus, ou à tout le moins à un report sine die, ce dont l'Office devait tenir compte dans son estimation des prétentions litigieuses.

L'Office devait également, dans le cadre de son appréciation, évaluer la solvabilité des frères C______/D______ et donc leur capacité à payer les montants dus à supposer qu'ils y soient condamnés. Or, de ce point de vue, les éléments du dossier (cf. cause n° A/3______/2023 à laquelle la plaignante est partie) conduisent à considérer que les frères C______/D______ ont décidé de consacrer les ressources dont ils disposent au financement de coûteuses procédures judiciaires en France, aux Etats-Unis et en Australie, de telle sorte que – sous réserve du gain de ces procédures – leur capacité à s'acquitter en plus, au terme d'une procédure de recouvrement, des montants qu'ils seraient condamnés à payer à la masse paraît très aléatoire.

Les doutes importants entachant tant la volonté que la capacité de s'exécuter des frères C______/D______ autorisaient ainsi l'Office, sans excéder le pouvoir d'appréciation dont il dispose en la matière, à estimer à 1 fr. chacune les prétentions litigieuses inventoriées à leur encontre.

La plainte sera donc rejetée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 28 août 2023 par la [banque] A______ contre l'inventaire généré le 27 juin 2023 par l'Office cantonal des faillites dans la faillite de B______ SÀRL.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs ; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président : La greffière :

 

Patrick CHENAUX Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.