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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3330/2018

DCSO/82/2019 du 28.02.2019 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : LP.260
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3330/2018-CS DCSO/82/19

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 28 FEVRIER 2019

Plainte 17 LP (A/3330/2018-CS) formée en date du 24 septembre 2018 par A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______ et I______, élisant domicile en l'étude de Me J______, avocat, et K______ SA et L______, élisant domicile en l'étude de Me H______, avocate.

* * * * *

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 28 février 2019
à :

- M______

c/o Me H______

et Me J______

p.a. Etude ______

Rue ______

______ Genève.

- N______

c/o Me GRUBER André

Rue Bartholoni 6

Case postale 5210

1211 Genève 11.

- O______ Sàrl, en liquidation
c/o Office cantonal des faillites
Faillite n° 1______ - groupe 3.

 

 


EN FAIT

A.           a. Entre 2011 et 2012 se sont déroulés, sur la parcelle n° 2______ de la commune de P______ (ci-après : la parcelle n° 2______) propriété de N______, d'importants travaux de construction dirigés et coordonnés par la société O______ SARL (ci-après : O______ SARL).

Ces travaux et leur rémunération ont donné lieu à un litige entre N______ et O______ SARL, tranché, au terme d'une procédure judiciaire C/3______/2013 les opposant, par un jugement n° JTPI/10496/2017 daté du 23 août 2017, aujourd'hui entré en force, par lequel le Tribunal a, notamment, condamné O______ SARL à payer à N______ les montants de 277'640 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 12 juin 2014, de 5'800 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter de cette même date et de 16'035 fr. Il résulte des considérants de cette décision que le Tribunal a considéré que les parties étaient liées par un contrat d'entreprise générale et totale dans le cadre duquel l'entrepreneur, soit O______ SARL, avait fait appel à diverses entreprises sous-traitantes au nombre desquelles, essentiellement pour des travaux de gros oeuvre, la société Q______ SA.

b. Alléguant ne pas avoir été rémunérée pour les travaux qu'elle avait effectués sur la parcelle n° 2______, Q______ SA a requis et obtenu du Tribunal de première instance l'inscription à titre provisoire d'une hypothèque légale d'entrepreneur, grevant ladite parcelle à concurrence de 298'638 fr. 65 avec intérêts à 5% dès le 27 octobre 2012.

Le 25 novembre 2013, elle a déposé en conciliation devant le Tribunal de première instance une action au fond (cause C/4______/2013) dirigée contre O______ SARL et N______ par laquelle elle a conclu, d'une part, à l'inscription définitive de l'hypothèque légale provisoire d'entrepreneur grevant la parcelle n° 2______ et, d'autre part, à la condamnation de O______ SARL, subsidiairement à celle de N______, à lui payer les montants de 298'638 fr. 65 avec intérêts à 5% dès le 27 octobre 2012, de 945 fr. 55 à titre de frais liés à l'inscription provisoire de l'hypothèque légale, ainsi que des frais non compris dans cette dernière somme liés à l'inscription définitive.

c. La faillite de Q______ SA a été déclarée avec effet au 20 janvier 2014.

Dans le cadre de la liquidation de la faillite, les prétentions litigieuses invoquées par Q______ SA à l'encontre de O______ SARL et de N______ ont été cédées, au sens de l'art. 260 LP, à A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, K______ SA et L______ (ci-après, collectivement, le R______), créanciers admis à l'état de collocation.

En application de cette cession, le R______, agissant au nom des créanciers cessionnaires, s'est substitué à Q______ SA dans la cause C/4______/2013.

d. La faillite de O______ SARL a été déclarée avec effet au 19 octobre 2017.

L'état de collocation a été déposé le 31 juillet 2018. Il en résulte notamment les décisions suivantes :

·         Sous n° 26, l'administration de la faillite a mentionné conformément à
l'art. 63 al. 1 OAOF la créance litigieuse invoquée par le R______ à l'encontre de la faillie dans la cause C/4______/2013, pour un montant de 403'898 fr. 90 en capital et intérêts; il était indiqué que l'administration de la masse proposait de renoncer à poursuivre le procès, ce qui, sous réserve d'une éventuelle cession des droits de la masse au sens de l'art. 260 LP, aurait pour conséquence la collocation définitive de cette créance litigieuse en troisième classe; les créanciers étaient invités à se déterminer dans les dix jours - leur silence valant acceptation - et ceux d'entre eux souhaitant obtenir la cession des droits de la masse devaient la requérir dans le même délai de dix jours;

·         Sous n° 29 a été définitivement colloquée en troisième classe une créance de 347'039 fr. 55 en capital et intérêts invoquée par N______, correspondant aux condamnations prononcées par le Tribunal de première instance dans la cause C/3______/2013;

·         Sous n° 30, l'administration de la faillite a mentionné une prétention récursoire de 374'990 fr. 33 invoquée par N______ pour le cas où, au terme de la procédure conduite dans la cause C/4______/2013, l'inscription définitive d'une hypothèque légale sur la parcelle n° 2______ serait ordonnée; il était précisé que la collocation de cette créance était suspendue en application de l'art. 59 al. 3 OAOF.

e. Par courrier du 8 août 2018, N______ a dûment sollicité la cession des droits de la masse en relation avec la créance invoquée par le R______ dans le cadre de la cause C/4______/2013.

Par acte daté du 12 septembre 2018, l'administration de la faillite lui a cédé ces droits au sens de l'art. 260 LP, précisant que cette cession comportait le droit d'agir en lieu et place de la masse dans le procès en cours.

Cet acte de cession a été reçu le 13 septembre 2018 par les conseils du R______.

B. a. Par acte adressé le lundi 24 septembre 2018 à la Chambre de surveillance, le R______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre l'acte de cession daté du 12 septembre 2018, concluant à son annulation. Selon le R______, la cession serait inadmissible car la cession portait sur une prétention dont la cessionnaire était elle-même débitrice. En outre, la cessionnaire n'avait pas qualité de créancière admise à l'état de collocation puisque la collocation de sa production avait été suspendue.

b. Dans ses observations datées du 16 octobre 2018, l'Office des faillites
(ci-après : l'Office) a conclu au rejet de la plainte. Selon lui, la qualité de créancière de la masse de N______ était établie puisque l'une des deux productions formées par cette dernière avait été définitivement admise à l'état de collocation. Il n'existait pour le surplus aucun conflit d'intérêts entre la masse et la cessionnaire puisque la première ne faisait valoir aucune prétention à l'égard de la seconde.

c. Par détermination datée du 16 octobre 2018, N______ a elle aussi conclu au rejet de la plainte. Relevant comme l'Office que l'une de ses productions avait été définitivement admise à l'état de collocation, ce qui lui conférait la qualité de créancière de la masse, elle a soutenu que c'était au juge civil, et non à l'Office ou à l'autorité de surveillance, d'examiner sous l'angle de l'interdiction de l'abus de droit si la cessionnaire était elle-même débitrice de la prétention cédée ou proche de ladite débitrice.

d. La cause a été gardée à juger le 16 octobre 2018, ce dont les parties ont été informées par avis du même jour.

EN DROIT

1.             1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP).

A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). C'est en principe toujours le cas du débiteur poursuivi et du créancier poursuivant (Erard,
in CR LP, 2005, Dallèves/Foëx/Jeandin [éd.], n° 25 et 26 ad art. 17 LP; Dieth/Wohl, in KUKO SchKG, 2ème édition, 2014, Hunkeler [éd.], n° 11 et 12
ad art. 17 LP).

La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

1.2 La plainte a en l'espèce été déposée en temps utile et dans les formes prévues par la loi contre un acte pouvant être contesté par cette voie.

La qualité pour former une plainte doit par ailleurs être reconnue aux membres du R______, lesquels ont été admis - même pro memoria (ATF 128 III 291) - à l'état de collocation.

2. 2.1 Selon l'art. 260 LP, si l'ensemble des créanciers renonce à faire valoir une prétention, chacun d'eux peut en demander la cession à la masse; le produit, déduction faite des frais, sert à couvrir les créances des cessionnaires dans l'ordre de leur rang et l'excédent est versé à la masse.

La cession prévue par cette disposition est une institution du droit de la faillite et du droit de procédure "sui generis" qui peut être considérée comme une "Prozessstandschaft", permettant au cessionnaire d'entamer un procès en son propre nom ou de reprendre celui-ci dans les mêmes conditions, sans qu'il devienne pour autant, par la cession, le titulaire de la prétention litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 5A_344/2018 du 18 septembre 2018 consid. 4.1.1 et références citées).

Le droit d'obtenir une cession des droits de la masse au sens de l'art. 260 LP est lié ex lege à la qualité d'intervenant du créancier colloqué. Ainsi, chaque créancier porté à l'état de collocation a le droit de requérir et d'obtenir la cession des droits de la masse aussi longtemps que sa créance n'a pas été définitivement écartée de l'état de collocation à la suite d'un procès intenté conformément à l'art. 250 LP (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2).

De jurisprudence constante (ATF 39 I 461 consid. 1), la cession des droits de la masse à un cessionnaire qui est lui-même débiteur des droits cédés est inadmissible. Dans une telle hypothèse en effet, l'exécution par le créancier cessionnaire du mandat procédural qui lui est délivré serait impossible et ce dernier ne pourrait prétendre à un droit de préférence sur l'éventuel produit d'un procès.

2.2 La cession est une mesure de liquidation de la faillite, qui relève de la compétence de l'administration de la faillite puis, sur plainte, de l'autorité de surveillance. Il s'agit d'une décision de procédure, rendue sur la base de la teneur de l'état de collocation, qui détermine les créanciers, et de l'inventaire, qui constate l'étendue de la masse active. Elle porte sur le droit d'un créancier à conduire ou poursuivre un procès concernant un droit de la masse, mais pas sur sa légitimation, qui relève du droit matériel et doit être examinée par le juge. C'est ainsi au juge civil qu'il appartient, par exemple, de déterminer si une société mère peut faire valoir une prétention contre sa société fille (ATF 138 III 628
consid. 5.5), ni l'administration de la faillite ni l'autorité de surveillance ne pouvant, dans un tel cas, refuser de délivrer un acte de cession et faire ainsi obstacle à l'exécution de prétentions fondées sur le droit matériel (ATF 107 III 91 consid. 2).

Ainsi, l'administration de la faillite ne peut - et ne doit - refuser la cession en raison d'une confusion entre les qualités de créancier et de débiteur que si le créancier requérant la cession est, selon l'inventaire et l'état de collocation, formellement la même personne juridique que le débiteur du droit cédé. Si en revanche le créancier requérant la cession et le débiteur du droit cédé sont deux entités juridiques distinctes, l'administration de la faillite devra délivrer un acte de cession. Celui-ci liera le juge civil quant à l'existence d'un mandat procédural conféré par la masse mais ne le dispensera pas d'examiner, en se fondant sur le droit matériel, la légitimation du cessionnaire. Si cet examen le conduit à nier, en application des règles sur l'abus de droit, cette légitimation, il rendra une décision constatant l'impossibilité d'exécuter le mandat procédural conféré par l'acte de cession (arrêt du Tribunal fédéral 5A_____/2018 du 21 décembre 2018
consid. 4.2.3).

2.3 Les plaignants font en premier lieu valoir que l'intimée, cessionnaire des droits de la masse, n'avait pas qualité de créancière intervenante. Il résulte toutefois de l'état de collocation que l'une de ses productions a été définitivement admise, de telle sorte que ce grief est mal fondé.

En second lieu, les plaignants soutiennent que l'administration de la faillite aurait dû refuser la cession des droits de la masse litigieux à l'intimée au motif qu'elle en serait elle-même la débitrice.

Il résulte toutefois de l'état de collocation que le droit cédé est lié à la contestation d'une créance invoquée par les plaignants à l'encontre de la faillie, l'intimée n'étant pas partie à ce rapport juridique. Elle est certes déjà partie, en qualité de défenderesse, à la procédure au terme de laquelle le bien-fondé de cette créance sera tranché, mais uniquement au titre de propriétaire de l'immeuble sur lequel les plaignants revendiquent un droit de gage et de débitrice subsidiaire, et donc alternative. Elle ne saurait donc être considérée comme formellement débitrice de la prétention cédée, avec pour conséquence que l'administration de la faillite ne pouvait lui refuser la cession du droit de poursuivre le procès.

C'est pour le surplus au juge civil qu'il incombera de déterminer si, au regard du droit matériel et en particulier de l'art. 2 CC, l'intimée est légitimée à agir dans cette procédure.

La plainte doit donc être rejetée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 24 septembre 2018 par A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, K______ SA et L______ contre l'acte de cession à N______ des droits de la masse en faillite de O______ SARL daté du 12 septembre 2018.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et Monsieur Christian CHAVAZ, juges assesseur(e)s; Madame Véronique PISCETTA, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Véronique PISCETTA

 

 

 


 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l'art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.